Foires et marchés à l’époque moderne
Par sa situation géographique le Limousin participe activement au XVIe siècle aux échanges d’une part entre les provinces du nord (du Berry à la Picardie et aux Flandres, en passant par la capitale) et du sud, d’autre part entre les provinces de l’ouest (Poitou, Charentes) et le Lyonnais avec les axes transversaux Bordeaux-Lyon et La Rochelle-Lyon[1]. Les échanges sont particulièrement soutenus en direction de l’aire atlantique, avec deux zones bien identifiées : le Poitou-Charentes-Aunis et une zone allant du Périgord au Piémont pyrénéen
Par sa situation géographique le Limousin participe activement au XVIe siècle aux échanges d’une part entre les provinces du nord (du Berry à la Picardie et aux Flandres, en passant par la capitale) et du sud, d’autre part entre les provinces de l’ouest (Poitou, Charentes) et le Lyonnais avec les axes transversaux Bordeaux-Lyon et La Rochelle-Lyon[1]. Les échanges sont particulièrement soutenus en direction de l’aire atlantique, avec deux zones bien identifiées : le Poitou-Charentes-Aunis et une zone allant du Périgord au Piémont pyrénéen[2]. L’activité de négoce se concentre sur Limoges, qui fait office d’entrepôt d’un large assortiment de produits destinés soit à la consommation dans la province, soit à la revente au-delà, comme le sel de Brouage à destination de l’Auvergne. La qualité souvent insuffisante de la voirie ne constitue pas un obstacle, le transport se réalisant alors à dos de mulets ou sur pied pour le bétail.
Toute l’activité commerciale ne repose pas sur des marchands établis tenant boutique, mais sur les marchés et les foires, si répandus dans la France pré-industrielle. Le marché répond aux besoins alimentaires des populations locales et constitue le lieu où les producteurs et les consommateurs d’une paroisse et des paroisses immédiatement voisines se rencontrent, souvent sur un rythme hebdomadaire. La foire correspond en revanche à une zone d’approvisionnement plus vaste et surtout à des ventes plus importantes en quantité et en valeur, en répondant au besoin des producteurs locaux d’écouler leurs marchandises auprès de marchands de l’extérieur.
Le réseau de foires se met en place au cours du Moyen Âge, au moins dès le XIIIe siècle, et s’étoffe au XVIe siècle avec de nouvelles autorisations accordées par la monarchie en particulier sous François Ier et Henri II. Les créations semblent plus rares par la suite, pour reprendre à partir des années 1760 (comme à Ambazac, Bujaleuf, Meilhards, Objat….) et durant la période révolutionnaire. Au XVIIIe siècle, le maillage est assez dense, toute paroisse se trouvant au moins à une quinzaine de kilomètres d’un lieu de foire, qui correspond souvent à une localité de 1000 à 2000 habitants. La vente des bestiaux constitue sa raison d’être : bœufs de harnais au printemps, bœufs gras en fin d’automne et hiver (novembre-décembre-janvier surtout), veaux, génisses et les autres animaux (chevaux, mulets, porcs, moutons) tout au long de l’année selon un administrateur du début du XIXe siècle[3]. A ce moment, les foires sont aussi l’occasion de commercialiser des produits textiles et de la quincaillerie. Elles ont lieu tout au long de l’année, mais un peu moins pendant les mois de février-mars du fait du carême, ainsi qu’en juillet et octobre du fait des travaux agricoles. Leur date précise correspond soit à la fête d’un saint, soit à un jour de la semaine déterminé (1er lundi du mois par exemple), soit à un jour mobile fonction de la date de Pâques (lundi des Rameaux par exemple).
Carte 1 d’après : Nathalie Malinvaud, Tableau de la société limousine à la fin du XVIIème siècle, Mémoire de maîtrise d’histoire sous la dir. de M. Cassan, université de Limoges, 1991, p.199 et « L’Estat des paroisses de l’Elesction de Brive », publié par Yvon Chalard dans le Bulletin de la Société Scientifique, Historique et Archéologique de la Corrèze, t.103-106, 1981-1984.
L’élection de Brive et ses marges est la partie du Limousin où le maillage des foires est le plus serré. Un Estat des paroisses, dressé au début du règne de Louis XIV, permet de donner une image assez précise des foires fréquentées par les paysans et des marchandises commercialisées. Les foires de Juillac attirent des acheteurs de 17 paroisses de l’élection, davantage que Brive (9 paroisses) et, hors de l’élection, que Tulle (11 paroisses). Leur succès s’explique par une desserte terrestre commode et surtout par une position entre des terroirs complémentaires, entre un plateau consacré à l’élevage au nord et le bassin viticole de Brive. Les autres foires de l’élection ont une vocation plus locale, et servent essentiellement à l’écoulement des surplus agricoles des paroisses environnantes, notamment des céréales vendues à Brive. Les produits locaux sont vendus dans les foires de l’élection de Brive à des marchands qui se chargent ensuite de leur transport et de leur commercialisation. La voie d’eau de la Vézère facilite la commercialisation en aval (Larche, Terrasson), ainsi que la Dordogne plus au sud et en amont (Beaulieu et Argentat, dépendants du vicomté de Turenne et en lien avec l’Auvergne). Ainsi, pour un produit comme le vin, la vente peut s’effectuer directement dans les foires des zones voisines, tel le Haut-Limousin (Saint-Yrieix, Limoges, Masseret, Chamberet, Eymoutiers) et l’élection de Tulle (Treignac, Meymac, Ussel). Si les foires de l’élection de Brive ont un caractère essentiellement local, il n’en reste pas moins qu’une partie de la production trouve à être commercialisée au-delà.
Carte 2 d’après : Michel Cassan, « Structures et dynamique des échanges commerciaux limousins aux XVIe-XVIIe siècles », Bulletin de la Société Archéologique et Historique du Limousin, 1995, t. 123, tableau 2, p.95 et Florent d’Argouges, Procès-verbal de la généralité de Moulins dressé en 1686 par Florent d’Argouges, intendant en ladite généralité et publié par A. Vayssière, Moulins, H. Durond, 1892.
Les foires de Haute-Marche, Combraille et le Franc-Alleu sont consacrées exclusivement au cheptel, principalement bovin et ovin, exceptionnellement aux chevaux et porcs. Vers 1686, elles se tiennent dans 18 lieux (dont Eguzon et Aigurande, aujourd’hui dans l’Indre), reproduisant a priori et pour l’essentiel la géographie du XVIe siècle. Les foires se tiennent très régulièrement à Châtelus-Malvaleix, qui conserveront leur rayonnement au siècle suivant, tandis que Ahun, Chénerailles et Felletin peineront à maintenir leur fréquence du fait de l’émergence d’autres lieux. Une fois la transaction passée, les acheteurs acheminent le bétail sur pied à destination du lieu d’abattage et de consommation. Le marché parisien, au moins depuis le XVe siècle, constitue le principal débouché, complété, au moins depuis le XVIe siècle, par le marché lyonnais. Au XVIIIe siècle, les villes du sud du royaume captent une partie de la production, même si le marché parisien reste essentiel.
Carte 3 voir Jean-Pierre Delhoume, Une spécialisation en pays de petite culture : l’élevage bovin en Limousin au XVIIIe siècle, thèse de doctorat de l’université de Limoges, 2007, p.407 et note 126 p.406.
Dans la décennie 1760, le « Limousin historique » compte 148 lieux de foires totalisant 1038 jours de foires (140 lieux et 958 jours en s’en tenant aux départements de la Corrèze, de la Creuse et de la Haute-Vienne), selon l’étude de J.P. Delhoume. Les villes les plus importantes de la province possèdent au moins une foire mensuelle en moyenne, mais c’est aussi le cas de gros bourgs de 1000 habitants ou moins, situés au cœur des campagnes spécialisées dans l’élevage, tels Châtelus-Malvaleix, Chénerailles, Lagraulière, Larche, le Monteil-au-Vicomte, Noailles, Laurière et Saint-Priest-Taurion. Encore faut-il préciser qu’on prend ici en compte les « foires franches », mais que des rendez-vous hebdomadaires existent : ainsi au Dorat, malgré une interruption entre 1709 et 1769, outre les douze foires franches, se tenait chaque jeudi un « marché aux bœufs gras »[4]. Le gros bétail constitue l’essentiel des échanges, les foires aux bœufs rassemblant couramment plus d’un millier d’animaux. La vente de moutons peut aussi être très importante, comme à Faux, Vallières, Jarnages et Chénerailles.
Les foires constituent des lieux d’échanges privilégiés avec les provinces adjacentes, comme Saint-Junien avec l’Angoumois, Bellac et Le Dorat avec le Poitou, Ussel avec l’Auvergne, et dans le sud-ouest du Limousin avec le Périgord. L’activité des foires du Limousin à l’époque moderne révèle le dynamisme et l’ouverture commerciale des campagnes limousines dans le domaine de l’élevage.
[1] Alfred Leroux, Inventaire sommaire des archives départementales de la Haute-Vienne antérieures à 1790, série C, Limoges, 1891, p. 133.
[2] Michel Cassan, art.cit., p.98.
[3] Statistique de la Haute-Vienne, 1808, p.531.
[4] Mémoire pour les officiers de la sénéchaussée de la Basse-Marche, AD HV, B 276, cité par J.P. Delhoume, op.cit., p.411.
Bibliographie
ARBELLOT François, Les anciennes foires de Limoges, Paris, Haton, 1897, 15p.
CASSAN Michel, « Structures et dynamique des échanges commerciaux limousins aux XVIe-XVIIe siècles », Bulletin de la Société Archéologique et Historique du Limousin, 1995, t. 123, p.87-102.
DELHOUME Jean-Pierre, Les campagnes limousines au XVIIIe siècle : une spécialisation bovine en pays de petite culture, Limoges, Pulim, 2009.
MARGAIRAZ Dominique, Foires et marchés dans la France préindustrielle, Paris, Éd. de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, 1988.
Vincent Cousseau, 2015
Les foires en Limousin en 1760 – cartes en PDF
Les foires de Haute-Marche, Combraille et Franc-Alleu à la fin du XVIIe siècle – cartes en PDF
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