Quand la grande guerre s’invite à Brive 1914-1917. Histoire de deux hôpitaux de l’arrière
Matrice décisive et brutale du XXe siècle, la Première Guerre Mondiale a constitué un défi sanitaire hors du commun pour le Service de santé aux Armées. Le déploiement à grande échelle d'un armement moderne au potentiel destructeur insoupçonné, dans le cadre d'une guerre moderne, industrielle et d'une brutalité paroxysmique a fait de l'organisation de la prise en charge sanitaire une vraie gageure. Pour la première fois dans l'histoire des guerres, davantage de soldats meurent de blessures que de maladies. L'emblématique éclat d'obus est le principal agent vulnérant. Toutefois, les shrapnels, grenades, mitrailleuses et autres mortiers de tranchée produisent également leur lot d'atroces délabrements physiques et d'atteintes psychologiques.
Matrice décisive et brutale du XXe siècle, la Première Guerre Mondiale a constitué un défi sanitaire hors du commun pour le Service de santé aux Armées. Le déploiement à grande échelle d’un armement moderne au potentiel destructeur insoupçonné, dans le cadre d’une guerre moderne, industrielle et d’une brutalité paroxysmique a fait de l’organisation de la prise en charge sanitaire une vraie gageure. Pour la première fois dans l’histoire des guerres, davantage de soldats meurent de blessures que de maladies. L’emblématique éclat d’obus est le principal agent vulnérant. Toutefois, les shrapnels, grenades, mitrailleuses et autres mortiers de tranchée produisent également leur lot d’atroces délabrements physiques et d’atteintes psychologiques.
La doctrine de prise en charge initialement définie prévoyait d’évacuer le plus rapidement possible, l’ensemble des soldats blessés, le plus loin possible du front. Dans le cadre d’une guerre qui ne pouvait durer plus que quelques semaines, la récupération des effectifs n’était pas une priorité. La prise en charge à proximité de la zone des combats et avant l’évacuation se devait d’être minimaliste et expéditive. « L’empaquetage-évacuation » était la règle. Pour répondre aux enjeux de la prise en charge sanitaire des soldats blessés, le Service de santé conçoit, dès l’entrée en guerre, un colossal dispositif d’hospitalisation militaire dans la zone de l’intérieur. Les hôpitaux permanents sont complétés par la création d’une multitude d’hôpitaux temporaires à travers tout le pays. Ces derniers voient le jour dans des établissements scolaires, des casinos, des châteaux, des couvents, des hôtels… Ce phénomène est caractéristique des concepts de « totalisation[1] » guerrière et de « home front[2] » qui permettent de rendre compte de l’inclusion croissante et décisive de l’arrière dans les guerres modernes. Confronté au cataclysme sanitaire des premières évacuations, le Service de santé prend rapidement conscience des graves erreurs commises lors de l’entrée en guerre. Il revoit sa doctrine de prise en charge de fond en comble pour densifier son intervention sanitaire au plus près du front. Les évacuations vers l’arrière profond ne sont plus systématiques. Le mouvement de foisonnement des hôpitaux temporaires dans la zone de l’intérieur se tarit à partir de 1915. Malgré tout, environ 9.300 formations sanitaires temporaires ont fonctionné dans la zone de l’intérieur entre 1914 et 1918.
Bien desservie sur le plan ferroviaire, Brive ne pouvait échapper à ce mouvement. Dès le mois d’août 1914, un dépôt de blessés est installé dans les locaux de la caserne Brune. Cependant, cette ouverture précipitée, insuffisamment préparée aurait pu se transformer en drame sanitaire sans le soutien décisif apporté par la population locale. La structure n’était absolument pas prête à affronter seule le déferlement de plus de 3.000 blessés qu’elle a dû accueillir au cours du mois de septembre 1914. Alors qu’en janvier 1915, la caserne Brune est rendue au 126e régiment d’infanterie, une nouvelle structure sanitaire temporaire d’envergure s’installe dans les locaux du collège Cabanis. L’hôpital complémentaire n° 41 fonctionne jusqu’en septembre 1917. Il accueillera plus de 15.000 patients au cours de cette période. Créé en tant qu’hôpital dépôt de convalescents, il conserve ce statut jusqu’en juin 1916 avant d’être reconverti en hôpital spécialisé notamment dans l’accueil de soldats issus des colonies ainsi que dans les soins apportés aux mutilés avant leur appareillage.
L’analyse des archives hospitalières conservées à Limoges[3] nous donne une idée précise des circulations intensives des soldats évacués. Ces circulations se sont aussi bien établies entre la zone des armées et la zone de l’intérieur qu’au sein même de la zone de l’intérieur. L’étude de ces circulations révèle tout autant les faiblesses que les progrès et le mouvement de perfectionnement progressif et continu du dispositif de prise en charge sanitaire militaire de la zone de l’intérieur.
Les blessés étaient convoyés le long de couloirs d’évacuations depuis une gare régulatrice jusque dans leur région militaire d’hospitalisation (carte 1). La place de Brive appartenait à la XIIe région militaire. Les convois parvenaient à une gare de répartition chargée de distribuer les blessés au sein de la région. Limoges était la gare de répartition de la XIIe région militaire. Au cours de la Grande Guerre et via les convois d’évacuation, la XIIe région militaire a été reliée aux gares régulatrices de Troyes, Châlons-sur-Marne et Chaumont. Les recompositions des unités militaires à la suite des très lourdes pertes subies par l’armée française font éclater la correspondance entre territoires, bureaux de recrutements et unités tactiques instaurée en 1873. Les soldats hospitalisés à Brive sont ainsi d’origines très diverses (carte 2). Les archives hospitalières nous permettent de retracer le parcours des soldats évacués du front vers l’hôpital complémentaire n° 41. Il est possible de retrouver les formations sanitaires de l’avant par lesquelles les soldats ont transité avant de parvenir à Brive. Celles-ci sont de différents types : hôpitaux mixtes, hôpitaux complémentaires, hôpitaux auxiliaires, hôpitaux d’origine d’étapes (carte 3).
La circulation des soldats évacués depuis le front ne s’interrompt pas une fois la zone de l’intérieur atteinte. Entre 1914 et 1918, la zone de l’intérieur prend les allures d’une véritable « fourmilière sanitaire ». De nombreux flux de circulations des soldats évacués l’animent. Grâce à sa bonne desserte ferroviaire, Brive est parfaitement intégrée à ce système de circulation (cartes 4, 5 et 6). L’organisation du dispositif d’hospitalisation militaire de l’intérieur est à l’origine de beaucoup de ces flux. Les hôpitaux-dépôts de convalescents sont par exemple créés pour régler la situation médico-légale des malades et blessés ayant été traités dans les hôpitaux de la zone de l’intérieur. Ainsi, telle une véritable plaque tournante, l’hôpital dépôt de convalescents de Brive (1915-1916) voit transiter dans ses locaux des patients en provenance des différents hôpitaux localisés dans son secteur d’intervention. Des convois d’évacuations collectives locaux sont organisés chaque semaine dans ce cadre (carte 7). L’hôpital complémentaire n° 41 s’est spécialisé dans l’accueil de soldats originaires des colonies. La circulation de ces soldats s’effectue via des couloirs d’évacuation spécifiques reliant des structures spécialisées dans leur prise en charge (Carte 8).
L’analyse des flux d’évacuation au sein de la zone de l’intérieur met également en évidence les failles du dispositif de prise en charge. L’enjeu de la récupération des effectifs et les injonctions de l’Etat-Major ont leur limite. Un grand nombre de soldats incomplètement guéris, renvoyés prématurément dans leur dépôt de corps, doivent être réadmis dans une structure sanitaire de l’intérieur (cartes 9 et 10).
Des flux d’évacuations individuelles, beaucoup plus rares, animent également la circulation des blessés au sein de la zone de l’intérieur. Les militaires en instance de réforme ou certains promis à de longues hospitalisations sont envoyés au plus proche de leur domicile (cartes 11 et 12), des soldats souffrant de pathologies spécifiques bénéficient de cures thermales (carte 13).
Au fil du conflit, le Service de santé n’a eu de cesse de perfectionner son dispositif d’hospitalisation militaire au sein de la zone de l’intérieur. L’étude des flux d’évacuation nous renseigne sur cette dynamique. Elle met notamment en évidence un mouvement de rationalisation constitué des phénomènes de spécialisations des structures sanitaires et de construction de véritables « chaînes de soins » efficaces et structurées (cartes 14 et 15). L’hôpital complémentaire n° 41 s’est notamment spécialisé dans les traitements post opératoires des mutilés destinés à être appareillés. Une fois les traitements nécessaires prodigués, l’hôpital évacue les amputés vers l’un des centres d’appareillage situés en aval de la « chaîne de soin » (carte 16).
Bien qu’éloigné de la zone des combats, le Limousin a été en contact avec certaines des réalités les plus brutales de la Grande Guerre. Dans le cadre d’une guerre totale, le front intérieur est mobilisé, partie prenante dans l’effort de guerre. La présence des hôpitaux de la zone de l’intérieur et l’évacuation des soldats blessés ont fait partie des ponts, des éléments de porosité entre la France combattante et la France de l’arrière, entre le « civil » et le « poilu ». Le Limousin a également été le témoin, tout au long du conflit, du perfectionnement progressif mais décisif du dispositif de prise en charge sanitaire conçu par le Service de santé aux armées.
[1]En 1917 Clemenceau parlait déjà d’une “guerre intégrale”. En 1935, Ludendorff intitulait un ouvrage « la guerre totale ».
[2] BILTON (David), The Home Front in the Great War. Aspects of the conflict 1914-1918, Barnsley, 2004.
[3] SAMHA, Service des archives médicales et hospitalières des armées localisé à Limoges.
Bibliographie synthétique concernant l’histoire du service de sante aux armées pendant la Première Guerre mondiale.
Archives départementales de la Corrèze. Sous la direction de BERLIERE Justine, par MENDES Julien, avec la collaboration de NICITA Jean-Marc. Catalogue d’exposition : Hôpitaux et blessés de guerre, 1914-1918, du front vers la Corrèze, Brive, Lachaise, 2014, 95 p.
BRUNET Jérémy, Quand la Grande Guerre s’invite à Brive, 1914-1917. Histoire de deux hôpitaux de l’arrière, Limoges, PULIM, 2014, 514 p.
BRUNET Jérémy, « Deux hôpitaux temporaires à Brive pendant la Grande Guerre », Archives en Limousin n°41, 2013, p. 42-47.
DEROO Eric (dir.), La médecine militaire : le service de santé des armées. Ivry, Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense, 2008, 230 p.
FERRANDIS Jean-Jacques, « Le Service de santé durant la Bataille de Verdun », Histoire des sciences médicales, tome XXXVI, n° 2, 2002, p. 147-156.
FERRET Jean-Noël (médecin général), Se battre pour la vie. Le Service de Santé des armées au service des hommes, Paris, ADDIM, 1994, 144 p.
FOURNIER Jean-Pierre, Évolution du Service de Santé militaire français pendant la guerre de 1914-1918, Thèse de doctorat, Université Paul Valéry Montpellier II, 1996, 2 tomes.
Histoire de la médecine aux armées, Tome III, de 1914 à nos jours, Paris, Lavauzelle, 1987, 421 p.
LARCAN Alain et FERRANDIS Jean-Jacques, Le service de santé aux armées pendant la première guerre mondiale, Paris, édition LBM, 2008, 597 p.
MARC Bernard, « De l’enfer au paradis, les hôpitaux de l’arrière en 1916 », Les chemins de la mémoire, octobre 2006, n° 165.
OLIER François, Répertoire général des formations hospitalières de la zone de l’intérieur (1914-1918), Brest, F. Olier, 2003, 453 p.
PROST Antoine, « Le désastre sanitaire du Chemin des dames », in Offenstadt Nicolas (dir.), Le Chemin des dames. De l’évènement à la mémoire, Stock, 2004, 494 p., p. 137-151.
RIEUX Jean-Baptiste-Eugène et Hassenforder Jean-Joseph, Histoire du service de santé militaire et du Val-de-Grâce, Paris, Charles-Lavauzelle, 1951, 134 p.
SCHNEIDER Jean-Jacques (docteur), Le service de santé de l’armée française. Verdun 1916, Metz, Éditions Serpenoise, 2008, 317 p.
Jérémy Brunet, 2015
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