La répartition géographique des personnes admises à l’hôpital général de Limoges au XVIIIe siècle
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Si la civilisation médiévale a une vision relativement positive des pauvres et des mendiants (due essentiellement à la religion), les pouvoirs étatiques de l’Époque moderne souhaitent prendre en main ce qui devient pour eux un fléau social. Se développe alors en ce sens une législation pour lutter contre la pauvreté, et des établissements spécifiques sont créés, dont l’hôpital général. Limoges n’échappe pas à cette évolution et son hôpital général est officiellement établi en décembre 1660 sur l’emplacement de l’actuelle Bibliothèque Francophone Multimédia. À cette époque, l’hôpital n’est pas un lieu de soins médicaux mais sert à regrouper et enfermer les populations mises au ban de la société (enfants abandonnés, mendiants, prostituées, fous, etc…) pour les remettre sur le « droit chemin » via l’apprentissage et le travail.
La déclaration du 18 juillet 1724 dispose que les administrateurs des hôpitaux généraux doivent tenir des registres d’entrées et de sorties des pensionnaires. Ces volumes précisent au minimum, pour chaque personne admise, son nom, son âge, les noms de ses parents, la raison de sa venue et sa paroisse de naissance (dite « d’origine »). C’est sur cette dernière information que les cartes présentées ci-dessous s’appuient. Un recensement de 6049 individus a été mené sur trois périodes : 1724 – 1727, 1757 – 1760 et 1777 – 1780. Les cartes construites sur les deux périodes extrêmes prennent en compte tous les admis (enfants, vieillards, mendiants, malades…). En revanche, un focus a pu être mené uniquement sur les mendiants grâce à la tenue durant quelques années d’un petit registre d’admission qui leur était spécifique. Tous ces registres d’entrées sont conservés aux archives départementales de la Haute-Vienne.
Les personnes originaires des diocèses de Limoges et de Tulle admises à l’hôpital général de Limoges (carte 1)
Parmi les personnes admises à l’hôpital général de Limoges entre 1724 et 1727, la prépondérance des Limougeauds est flagrante (carte 1), puisqu’ils représentent à eux seuls 658 admissions (soit 43,80% du total). En revanche, l’aire de recrutement autour de la grande ville est relativement réduite et de faible intensité. Les paroisses les plus représentées sont limitrophes à l’évêché, et plus on s’en éloigne, plus la densité est faible. Il est clair que plus les individus sont éloignés de Limoges, moins ils envisagent de faire le déplacement, même en cas de nécessité.
Les paroisses les plus représentées (paroisses de naissance pour huit à quinze « hospitalisés ») se situent essentiellement au sud et à l’est de Limoges et correspondent à des paroisses limitrophes ou géographiquement proches de quelques kilomètres (Isle, Feytiat, Séreilhac, Condat[1] ou Beaune[2]). De plus, les paroisses d’origine des pauvres peuvent être alignées, comme à l’est les paroisses de Saint-Léonard[3] et Bujaleuf, ou, moins distinct, au nord en formant une ligne qui semble passer la frontière du diocèse. Les tracés formés par ces paroisses correspondent aux grands axes routiers antiques, qui ont préservé leur importance au XVIIIe siècle. D’est en ouest passe la voie qui mène de Lyon à Bordeaux en passant par Clermont-Ferrand. Si cet axe permet le transport de marchandises, il permet aussi le déplacement des individus[4]. Cette route n’est pas la plus courte pour gagner la côte ouest, mais elle est la plus utilisée, notamment par les pèlerins, car l’axe passant par Périgueux est reconnu pour être en mauvais état et peu praticable[5]. La route allant au nord mène elle à Poitiers et est également un passage fort usité[6].
La répartition géographique des lieux de naissance précédemment constatée durant la décennie 1720 (au sud et à l’est de Limoges en suivant des axes routiers) se retrouve également dans la seconde carte qui concerne le diocèse entre 1777 et 1780. Les pauvres sont plus nombreux à être admis dans l’ensemble et par paroisse. Les Limougeauds sont encore majoritaires, mais leur nombre n’a que peu évolué depuis les années 1720. En revanche, les individus originaires du diocèse, hors Limoges, sont plus nombreux dans les années 1777-1780 : ils représentent presque 60% des admis. L’aire d’affluence s’est donc agrandie et un plus grand nombre de personnes viennent à l’hôpital de plus loin.
« L’attractivité » de l’hôpital général pour les paroisses environnantes entre les décennies 1720 et 1770 est liée à la législation du XVIIIe siècle. En effet, la déclaration du 18 juillet 1724 est entre autres établie pour combler quelques lacunes que les lois antérieures n’avaient pas su résoudre, dont le fait qu’elles ne concernaient pas les campagnes, mais uniquement les grandes villes. Ainsi, il y est demandé que tous les mendiants invalides et toutes les personnes dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins se présentent à l’hôpital général le plus proche de leur domicile. La déclaration rompt finalement avec le fait de porter assistance aux pauvres sur leur lieu de naissance, à eux de se déplacer jusqu’aux structures dédiées. Dans la généralité[7] de Limoges, il n’existe que deux hôpitaux généraux (à Limoges et Angoulême), ce qui est insuffisant pour recueillir toute la population indigente d’un aussi grand territoire. Il faut cependant ajouter que d’autres structures ont joué un rôle important dans l’accueil et le soin des pauvres. Pour l’élection[8] de Limoges, Alfred Leroux dénombre quarante-deux établissements hospitaliers de diverses tailles en 1789[9], et environ quatre-vingts pour le diocèse ont existé de manière non simultanée entre le XVIe et le XVIIIe siècle[10].
Un second fait peut-être avancé pour expliquer la forte augmentation du nombre de personnes accueillies à l’hôpital général venant du diocèse de Limoges entre les années 1720 et 1770 : celui de la croissance du nombre d’enfants abandonnés placés à l’hôpital. Jean-Claude Peyronnet montre, dans sa thèse dédiée aux enfants exposés, qu’à partir des années 1750 un plus grand nombre d’enfants vient des paroisses dans un rayon supérieur à trente kilomètres[11].
Les personnes originaires du royaume de France, hors diocèses de Limoges et de Tulle, admises à l’hôpital général de Limoges (carte 2)
Durant le XVIIIe siècle, le nombre d’admissions à l’hôpital général de Limoges de personnes non originaires des diocèses de Limoges et de Tulle diminue. En effet, il représente 15,35% des inscriptions entre 1724 et 1727 contre 12,66% entre 1777 et 1780. Le développement des hôpitaux généraux à travers le royaume – celui de Limoges était parmi les premiers à ouvrir – peut être une explication à ce phénomène.
Sur la carte de la répartition des admis à l’hôpital général de Limoges selon leur diocèse ou leur archiprêtré d’origine durant les années 1724 à 1727 (carte 2.1), les lieux de naissance enregistrés sont répartis de façon plutôt éparse sur l’ensemble du royaume de France. Peu d’archiprêtrés ne sont pas concernés, même faiblement. Celui de Bordeaux est le plus représenté et trois de ces diocèses fournissent le plus de pauvres à l’hôpital général ; dans l’ordre d’importance celui de Poitiers, puis de Périgueux et enfin d’Angoulême. Ainsi, les régions limitrophes à l’ouest semblent tournées vers la capitale limougeaude. L’explication principale est qu’une grande part des pauvres est issue de paroisses proches de la frontière du diocèse de Limoges. Par exemple, Jumilhac-le-Grand et Thiviers sont des paroisses du diocèse de Périgueux mais plus proches de Limoges ; de même pour l’Isle-Jourdain en Poitou. Autre raison à ce constat : même si depuis moins d’un siècle la généralité de Limoges ne s’étend plus jusqu’à la côte atlantique, les diocèses limitrophes restent tournés vers Limoges. De plus, la rareté déjà évoquée des hôpitaux généraux est un facteur non négligeable.
À l’échelle des archiprêtrés, le second après celui de Bordeaux n’est pas limitrophe au diocèse de Limoges, car il s’agit de celui de Paris. La capitale du royaume envoie, à elle seule, un nombre important de personnes à l’hôpital de Limoges ; plus par exemple que la ville d’Angoulême. La raison première est que le diocèse de Paris est un des plus denses du royaume. Il est également envisageable que la plupart des personnes originaires de Paris admises à l’hôpital de Limoges soit des vagabonds, des soldats, finalement des personnes plus habituées à être sur les routes que les pauvres ou les malades. Mais ce fait n’est pas toujours vérifié car sur vingt-trois Parisiens enregistrés entre 1724 et 1727, seuls quatre sont des mendiants et quatre autres sont des soldats ; douze sont déclarés entrant pour maladie et trois en tant que pauvres ne pouvant subvenir à leurs besoins. Ce constat peut également être fait dans d’autres villes, telles que Lyon, qui envoie à l’hôpital de Limoges trois malades et un soldat, Orléans, quatre malades et deux mendiants, ou encore Toulouse, deux malades et un mendiant. Dans tous ces exemples, les admis les plus nombreux sont des malades, ce qui semble contradictoire avec le but premier de l’hôpital général. Dernière hypothèse : sur la route entre Paris et Limoges, il n’y a presque pas d’hôpitaux généraux[12]. Ainsi, pour ceux qui doivent se rendre dans le sud du royaume, Limoges est le seul hôpital général entre ceux de Blois et de Cahors.
La carte de la répartition concernant la période 1777-1780 montre toujours un étalement des origines sur tout le royaume de France. Les diocèses les plus représentés restent les mêmes, mais le classement a changé : Périgueux est devenu le diocèse qui envoie le plus de personnes à l’hôpital général de Limoges, suivi d’Angoulême, de Clermont-Ferrand et enfin de Poitiers.
Les mendiants admis à l’hôpital général de Limoges selon leur paroisse d’origine dans le diocèse de Limoges et le royaume de France (carte 3)
Les cartes représentant la répartition des personnes arrêtées pour cause de mendicité et placées à l’hôpital général de Limoges entre les années 1757 et 1760 fournissent les mêmes résultats que les cartes précédentes. En effet, Limoges reste toujours le pôle le plus important, et la densité est de nouveau plus élevée au sud et à l’est qu’au nord et à l’ouest. Trois zones secondaires en taille sont néanmoins notables : les paroisses de Saint-Irieix[13], Eymoutiers et Château-Chervix. Comme pour la période 1724-1727, on remarque que des voies de communication se dessinent au nord, au nord-est et à l’est.
À l’échelle du royaume, les diocèses et archiprêtrés limitrophes restent les plus représentés.
[1] Commune actuelle de Condat-sur-Vienne.
[2] Commune actuelle de Beaune-les-Mines.
[3] Commune actuelle de Saint-Léonard-de-Noblat.
[4] PERRIER A., Limoges. Étude de géographie urbaine, Limoges, 1939, p. 12.
[5] DUCOURTIEUX Paul, Grands chemins du Limousin, Limoges, 1921, p. 98.
[6] PERRIER A., op.cit., p. 15.
[7] Circonscription financière sous l’Ancien régime.
[8] Circonscription financière au sein d’une généralité.
[9] LEROUX Alfred, « Les institutions charitables dans l’ancien diocèse de Limoges », op.cit., p. I.
[10] Ibid., p. XXXVI.
[11] Pour plus d’informations, cf. PEYRONNET Jean-Claude, Recherches sur les enfants trouvés de l’hôpital général de Limoges au XVIIIe siècle, étude économique et sociale, 3 vol., thèse pour le doctorat d’État en histoire, Poitiers, 1971.
[12] JEORGER Muriel, « La structure hospitalière de la France sous l’Ancien Régime », dans Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, n° 5, 1977, p. 1030.
[13] Commune actuelle de Saint-Yrieix-la-Perche.
Bibliographie
GEREMEK Bronislaw, La Potence et la Pitié. L’Europe des pauvres du Moyen-Âge à nos jours, Paris, Gallimard, 1987.
GUTTON Jean-Pierre, La société et les pauvres: l’exemple de la généralité de Lyon, 1534-1789, thèse de doctorat d’État en lettres, Paris, les Belles lettres, 1971.
JEORGER Muriel, « La structure hospitalière de la France sous l’Ancien Régime », dans Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, n°5, 1977.
LEROUX Alfred, « Les institutions charitables dans l’ancien diocèse de Limoges », dans l’introduction de l’inventaire de la série H supplément, Archives départementales de la Haute-Vienne, 1884.
PEYRONNET Jean-Claude, Recherches sur les enfants trouvés de l’hôpital général de Limoges au XVIIIe siècle, étude économique et sociale, 3 vol., thèse pour le doctorat d’État en histoire, Poitiers, 1971.
Sources archivées
Archives départementales de la Haute-Vienne (AD 87)
H sup Limoges A 1 : lettres patentes portant l’établissement à Limoges d’un hôpital général, Paris, déc. 1660.
H sup Limoges F 1 : registre d’entrée des mendiants et malades à l’hôpital général (oct. 1724 – janv. 1728).
H sup Limoges F 12 : registre d’entrée des mendiants et malades à l’hôpital général (janv. 1777 – mai 1781).
H sup Limoges G 10 : état des mendiants arrêtés et conduits à l’hôpital général à la charge du roi (1757 – 1769).
Béatrice Gesland, 2017
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