Le sens et la pratique de l'étude de la variation linguistique par contact : un objet complexe (à propos de Tópicos del seminario 15)

Xochitl Arias Gonzalez

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Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques

Mots-clés : complexité, contact linguistique, langues amérindiennes, sémiotique saussurienne, variation linguistique

Auteurs cités : Azucena Palacios Alcaine, Michel Arrivé, Sémir BADIR, Roland BARTHES, Jean-Claude COQUET, Françoise Dosse, Jean-Marie FLOCH, Roberto FLORES, Jacques FONTANILLE, Ana Fernández Garay, Ana Isabel García, Algirdas J. GREIMAS, Louis HJELMSLEV, Eric LANDOWSKI, Dominique Lecourt, Angelita Martínez, Maurice MERLEAU-PONTY, Jeanett Reynoso Noverón, François RASTIER, Paul RICOEUR, Hans Georg Ruprecht, Ferdinand de SAUSSURE, Adriana Speranza, Frida Villavicencio, Claude ZILBERBERG

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Texte intégral

La première chose que l’on peut remarquer dans ce numéro 15 de la revue Topicos del seminario (publication semestrielle du Séminaire d’études sur la signification de l’université de Puebla, Mexique) est que les sept articles réunis sous le titre « Huellas del contacto lingüístico » ont été écrits par autant de femmes. Est-ce une coïncidence ? Cette question n’est pas le sujet de notre note, tout comme celle des langues en contact ne constitue pas la seule problématique abordée dans le recueil — ni la plus profonde.

Note de bas de page 1 :

 La phonétique, la morphologie et la syntaxe.

Le sujet sous-jacent de ce numéro de Tópicos del seminario est en effet celui de l’adaptation d’une pensée scientifique et de ses méthodes à l’étude d’un objet complexe. Autrement dit, la revue met en lumière les problèmes d’une linguistique restreinte (traditionnellement cloîtrée à l’étude de la phrase d’une part et ayant désarticulé les « trois branches » de la grammaire, d’autre part1) pour affronter l’étude de la cohabitation entre langues, une situation on ne peut plus courante dans les sociétés humaines de notre « village planétaire ».

Ce faisant, Tópicos fait de son recueil thématique l’exposé d’un problème actuel autant qu’il esquisse en sourdine des voies possibles que les spécialistes pourront explorer pour le déblaiement de cet objet « résistant » qu’est le contact linguistique. Il devient ainsi une lecture somme toute stimulante pour ceux qui s’intéressent à l’étude des interactions sémiotiques culturelles en général, mais aussi pour les chercheurs du sens textuel et discursif en particulier, pour les raisons et dans les limites que nous commenterons par la suite.

De quoi s’agit-il au juste ? Ce sont sept études de terrain et autant d’approches méthodologiques différentes autour de la manière dont les langues se modifient au fur et à mesure de leur contact avec d’autres langues. Comme tous les auteurs travaillent en Amérique Latine, les langues étudiées ici sont les langues amérindiennes, dans leur contact avec l’espagnol ou entre langues amérindiennes elles-mêmes. L’intérêt de l’ensemble tient autant à l’originalité de l’objet lui-même (contact linguistique et langues amérindiennes) qu’à la variété des approches proposées. En effet, la situation de contact entre langues peut être discutée selon les points de vue de la construction de l’objet d’étude, des méthodes mises en place pour l’aborder et des perspectives épistémologiques que ce domaine d’étude sous-tend —trois niveaux de l’analyse que Hjelmslev distinguait et qui seraient la base d’une théorie du langage « scientifique », en adéquation avec le principe d’empirisme.

1. La délimitation géolinguistique des études : image d’une synthèse épistémologique

Note de bas de page 2 :

 Dans son article « Déterminant + nom propre, dans l’espagnol des nahuatlatos : évolution interne ou contact entre langues ? » [“Determinante + nombre propio en el español de nahuatlatos.¿Evolución interna o contacto de lenguas ?”] pp. 73-74.

Ainsi que le rappelle Jeanett Reynoso Noverón2, l’Amérique Latine paraît présenter les conditions idéales pour l’étude du contact linguistique. En même temps, la question du contact linguistique est relativement nouvelle et son étude, rare. En ce sens, ce recueil d’études est d’autant plus intéressant qu’il ne présente pas seulement les langues indigènes les plus connues de la cartographie linguistique continentale —quechua, maya, nahuatl et mapuche. Les articles recensés exploitent, en plus, les différents points de vue sur le problème du changement dans les langues en situation de contact en construisant une vision panoramique sur les enjeux du sujet et sur les techniques disponibles pour le traiter. La lecture de Tópicos constitue ainsi une synthèse sur l’état de la question.

Note de bas de page 3 :

 Il est noté que les formes pronominales de genre et de nombre ont tendance à disparaître au profit de la forme neutre /lo/.

Note de bas de page 4 :

 A. I. García pour le maya tzutujil (« Contact entre langues au Guatemala : changement dans le système pronominal atone de l’espagnol par contact avec la langue maya tzutujil »), p. 7-71, et A. Palacios Alcaine pour le quechua de la sierra équatorienne (« Changements induits dans l’espagnol des régions montagneuses équatoriennes : la simplification des systèmes pronominaux (processus de neutralisation et d’élision) »), pp. 197-229.

Note de bas de page 5 :

 Cf. dans l’introduction de Du sens ii, Paris, Seuil, 1983, p. 7.

Par exemple, nous avons des études que l’on pourra considérer comme « typiques » dans le domaine. Le constat répandu que l’espagnol parlé a tendance à perdre la spécification du genre et du nombre des pronoms3 dans les populations bilingues à langue maternelle indigène est un des arguments qui permet de soutenir l’hypothèse d’un changement par contact sous le principe expérimental à causes égales, effets identiques. C’est le cas de figure abordé par le premier et le dernier articles, d’Ana Isabel García et d’Azucena Palacios Alcaine, respectivement4. Le fait que les différentes postures soient encadrées par ces deux études-type constitue une jolie métaphore textuelle du fait que tout objet d’étude identifié contient en soi une diversité potentielle d’approches, source de sa richesse et de, disons, tout « progrès  scientifique », pour utiliser la formule de Greimas5. Quoi qu’il en soit, conformément à la posture méthodologique développée dans les études « typiques », l’espagnol serait modifié par son contact avec les langues indigènes parce que ses structures pronominales différenciées sont moins stables que les formes simplifiées des langues indigènes en question. La réitération de cette modification dans deux langues appartenant à des familles et à des types linguistiques différents permettrait de renforcer cette hypothèse.

Note de bas de page 6 :

 Il s’agit de l’article de F. Villavicencio, « Prédication nominale en purépécha et en espagnol », pp. 159-195

à l’opposé, le recueil présente aussi une étude concernant les influences, non plus d’une langue sur une autre, mais celles considérées comme mutuelles entre l’espagnol et la langue indigène6. Il est question, de surcroît, d’une langue qui ne fait pas partie des « grandes stars » du continent : le purépécha, petite langue isolée et parlée essentiellement dans le Michoacán, au Mexique. L’article de Frida Villavicencio permet d’équilibrer la typicité des deux études citées ci-dessus en proposant, d’une part, une langue peu connue, d’autre part une construction moins étudiée (la prédication nominale). Ce faisant, elle ouvre la voie à des approches moins circonscrites à la description des variations dans une langue en situation de contact. Dans son cas, on est dans l’analyse des variations linguistiques non plus comme un transfert unilatéral (les langues amérindiennes font que l’espagnol perd la spécification pronominale), mais plutôt dans le sens d’une interaction à partir de la considération des langues des systèmes « sensibles », si l’on peut dire. Le dépassement des catégories grammaticales (le pronom dans les études–type) au profit de structures syntaxiques plus amples (la prédication nominale) a permis à l’auteur de construire une comparaison forte, étant entendu que les langues en contact interagissent mutuellement.

Note de bas de page 7 :

Si dans son introduction J. Reynoso Noverón utilise le mot « impossible » pour établir les liens entre le contact linguistique et le changement (p. 74), lors de sa conclusion elle utilise le mot « insoutenable » (p. 93). Une nuance qui rend bien compte de la  posture critique  de l’auteur, ciblant l’appareillage théorique plutôt que le rôle per se du contact linguistique dans la transformation des langues. Cette nuance n’est cependant pas reprise par l’éditrice du recueil, A. Martínez, qui voit dans cet article une opposition sceptique aux autres.

La méthodologie la plus utilisée dans l’étude du changement linguistique en situation de contact est l’analyse quantitative de fréquence (relative) d’usage des mots dans les limites de la phrase. Cette méthode a conduit A. I. Garcia et à A. Palacios Alcaine à orienter leurs recherches vers la piste sémantique. En effet, seul le trait « animé » ou « non animé » des noms présente une distribution pertinente, donnant alors une lisibilité aux variations constatées dans la modification de l’usage des pronoms. Or c’est justement la méthodologie qui est mise en cause par J. Reynoso Noverón, philologue, qui, à partir d’une comparaison diachronique et générique, cherche à démontrer l’impossibilité méthodologique des approches statistiques pour établir le rôle du contact dans les variations linguistiques7. En effet, si l’espagnol qui n’est pas en contact avec une langue indigène présente les mêmes variations d’usage que l’espagnol en situation de contact linguistique, comment prétendre que c’est celui-ci la cause de ces changements ? Cet article se situe alors en amont, en illustrant le problème épistémique sous-jacent à l’étude du contact linguistique. Cette tension est portée, d’un côté, par les partisans d’une explication «évolutionniste » de la langue, c’est-à-dire que les variations constatées sont inhérentes aux langues en elles-mêmes et par elles-mêmes, naturellement. De l’autre côté se trouvent les défenseurs des facteurs externes dans la variation des langues, par exemple des conditions socioculturelles comme la cohabitation de formes culturelles, les classes sociales ou la présence de langues indigènes par rapport à une langue au passé colonial.

Note de bas de page 8 :

 A. Villavicencio, p. 160

Note de bas de page 9 :

 J. Reynoso Noverón, p. 86.

Le fond du problème a donc quelque chose d’idéologique : plusieurs essais font ainsi référence à la hiérarchisation qui s’établit entre langues pour des raisons sociales et culturelles. Ainsi, les langues indigènes sont des formes stigmatisées par rapport à l’espagnol (considéré comme « langue de prestige »8), de la même manière que les variantes populaires et argotiques le sont par rapport aux formes « cultes »9. A. Fernández Garay prend en compte ces rapports hiérarchiques, tout en apportant un point de vue probablement moins sensible que celui relatif au rapport espagnol/langues indigènes au regard de l’histoire du continent. à partir du constat largement accepté de l’influence entre langues en contact, elle étudie les rapports entre deux langues indigènes. Ce cas de figure permet de voir que, même si les enjeux socioculturels ne sont pas les mêmes que ceux qui prévalent dans le rapport entre l’espagnol et les langues indigènes, ces dernières sont susceptibles de s’influencer mutuellement. Les langues en contact n’ont pas le même nombre de parlants, en effet ; en outre, elles n’occupent pas la même position de pouvoir socio-économique et la durée et l’intensité du contact peut varier, par exemple, en fonction des migrations. Les conditions du contact seraient donc des facteurs opérationnels « universels ». Le cas que Mme Garay présente se veut une illustration de ceci : la langue tehuelche, moins répandue et moins puissante que le mapuche, lui a emprunté des formes paradigmatiques et syntagmatiques dans le cas des nominalisations qui, autrement, lui seraient étrangères en termes de système linguistique.

Note de bas de page 10 :

 Dans l’article « L’espagnol de l’Argentine en contact avec des langues indigènes : stratégies ethnopragmatiques », pp. 97-110

Une fois désamorcé l’aspect de la hiérarchie idéologique entre langues (par l’illustration d’influences des formes puissantes socialement vers des formes moins fortes et vice-versa), il reste encore les questions critiques concernant la méthodologie et les limites de l’étude du contact linguistique soulevées par J. Reynoso Noverón. L’étude suivante tombe donc à point, car elle utilise une approche différente, dépassant l’étude de la phrase pour partir d’une considération textuelle et sémiotique des transformations. Reynoso Noverón avait déjà montré la présence de variations linguistiques semblables dans différents genres textuels et périodes historiques et ceci lui permettait de prendre en compte des corrélations sociolinguistiques dans les variations. L’article d’A. Martínez10, quant à lui, suit cette ligne en circonscrivant son étude à un seul genre textuel : le récit légendaire. Là où les études de variation relative étaient appliquées à des mots, cet article s’affranchit des limitations de cet horizon d’analyse en considérant une étendue plus ample (ses récits comptent plusieurs phrases), qui permet de repérer plus rapidement l’orientation sémantique de la variation.

Si le point de vue des études typiques et celui de la comparaison transversale (Reynoso N.) inaugurait la voie et celui de la structure des langues (Villavicencio) ou de la comparaison entre langues indigènes (Fernández G.) la « débroussaillait », une perspective ethnologique articulée à la comparaison de langues permet à A. Martinez de conclure que la disparition du clitique pronominal constatée dans les zones de contact espagnol/guaraní, espagnol/mapuche et espagnol/quechua du nord-est argentin pourrait obéir à un principe « ethnopragmatique ».

Dans les productions recensées, en effet, c’est l’évocation d’instances d’origine « mystérieuse » ou aux pouvoirs négatifs qui accompagne l’élision du clitique, au contraire de ce qui se passe avec les objets communs, qu’ils soient réels ou mythiques, mais clairement intégrés et généralisés dans la culture locale. Comme Reynoso Noverón, Martínez n’ignore pas que l’omission du clitique accusatif est une variation aussi constatée dans l’espagnol qui n’est pas en situation de contact. Elle considère alors qu’il existe une tension dans le rapport réel/mythique qui « favorise l’activation » de l’omission du clitique, comme une stratégie signifiante. Quant on est amené à raconter quelque chose qui n’est pas explicable, pourrait-on résumer, c’est une absence qui s’actualise, une distance logique qui est figurativisée par l’omission de la marque linguistique qui fait référence au dit objet : on ne nomme pas l’innommable.

Note de bas de page 11 :

 Dans l’article « Stratégies évidentielles (sic) du castillan : analyse d’une variété du castillan en contact avec le quechua », pp. 111-140

À ce stade, la critique passablement pessimiste de J. Reynoso devient l’antécédent nécessaire pour établir la pertinence de l’approche amplifiée de A. Martinez. Lorsque l’on apprend que c’est toujours dans la même ligne (la manière dont la composante cognitive est modalisée par les savoirs) que se situe le cas suivant, d’Adriana Speranza11, notre optimisme est au beau fixe. Notre impression est que l’on va assister à la rencontre triomphale de la linguistique de contact avec la sémiotique textuelle, ce qui nous paraît tout à fait logique compte tenu que les deux disciplines partagent au fond le même objet — étudier les interactions culturelles dans leurs productions linguistiques. Lorsque l’auteur précise son sujet, notre intuition se voit renforcée : ici, c’est l’étude de la véridiction qui sera en première ligne des échanges. Speranza analyse l’utilisation des temps verbaux dans différents genres de productions écrites par des parlants bilingues. Il est pour nous évident que le faire–croire de l’énonciation et son corrélat stratégico–générique pourront fonctionner pour l’objectif que s’est donné l’auteur. Dans le récit de légendes, dans le discours rapporté et probablement aussi dans les autres genres retenus, les formes verbales sont une figurativisation de l’organisation énonciative qui décrivent somme toute différents degrés d’ iconicité. En conséquence,ce qui est donné pour « vrai », ce qui est uniquement « figuratif », ce qui sera plausible, ce qui ne supporte pas le jugement véridictoire et se situe donc sous une forme « ante–énonciative », comme dans le cas des instances mystérieuses de l’étude précédente, sera exprimé à l’aide d’une différenciation dans le mode des verbes.

2. Regards croisés sur le changement linguistique : vers une intégration de l’expérience dans la langue ?

Arrivés à la description du cadre théorique de l’étude d’A. Speranza, notre projection optimiste est cependant mise à mal, car l’ethnopragmatique, cadre disciplinaire de cette étude —et de la précédente !— est définie comme « l’interprétation des stratégies communicatives d’ordre pragmatique en termes de catégories ethniques » (!?). Plus loin, on assistera, en plus, à l’opposition de la sémantique et de la pragmatique en raison de leur « sensibilité au contexte ». La pragmatique pourrait rendre compte d’« émissions » (!) liées à un contexte, alors que la sémantique ne saurait que décrire des significations « invariantes », « sous-jacentes au signe » (?). C’est-à-dire que, là où nous voyions dans l’étude du contact linguistique un champ d’interactions idéal pour l’étude de la diversité culturelle respectant la complexité du sujet, une pragmatique subsidiaire de la théorie de la communication y voit des messages « émis » ou « reçus » rapportés à des signes et à des catégories « ethniques ».

L’exposé des résultats ainsi que les conclusions de l’auteur vont toutefois dans le sens de l’hypothèse que nous avions dressée plus haut. La langue de contact étudiée, le quechua, possède en effet des formes langagières qui lui permettent de rendre compte de différents niveaux de véridiction fonctionnant de manière articulée avec la prise de position de l’instance énonçante. L’espagnol ne compte pas avec de telles structures, mais les parlants bilingues trouvent dans une utilisation « déviée » des différents temps verbaux, un mécanisme de substitution efficace. L’aspectualité fonctionne alors comme mécanisme pour mettre en figure les rapports véridictoires de l’énonciation. Ainsi, le monde du réel, dans lequel l’énonciateur se situe, est mis en parole au passé simple (considéré comme « parfait »), tandis que le monde de l’invraisemblable, du suspect et du non–vivant est dit avec des temps verbaux « non–parfaits » —imparfait et plus-que-parfait. Narrativité, figurativité et énonciation énoncée… cette étude demeurait trop proche des intérêts de la sémiotique de tradition saussurienne pour ne pas chercher des points de contact.

Note de bas de page 12 :

 J.-C. Coquet dans Le discours et son sujet i : essai de grammaire modale (Méridiens Klincksiek, Paris, 1984, 222p.) et La quête du sens (Cf. Presses Universitaires de France, Paris, 1997). Cette proposition a été reprise et systématisée par J. Fontanille (Cf. « Les actants » in Sémiotique du discours, Pulim, Limoges, 2003, édition corrigée et augmentée, ch. « les actants » p. 137 et sq.).

Note de bas de page 13 :

 Cf. Greimas, A. J. « Les actants, les acteurs et les figures » in Sémiotique narrative et textuelle, Larousse, Paris, 1973 [repris dans Du sens ii. Le seuil, Paris, 1985, p. 54]. Une analyse montrant le décalage entre l’organisation véridictoire occidentale et une occurrence discursive non occidentale a été présentée par  R. Flores dans les Nouveaux Actes Sémiotiques  (cf. « les jeux de la véridiction dans l’interaction », in Niveaux et stratégies de la véridiction, NAS N° 39-40, 1995, pp. 23-50).

Si l’on pense les résultats exposés dans les termes « modaux » de la sémiotique greimassienne, on peut comprendre clairement qu’il existe une gradualité entre régimes temporels en fonction de leur « charge modale ». Ainsi, il n’est pas difficile d’imaginer que l’invraisemblable fonctionne sur le même régime temporel que le non–vivant : c’est l’opposition à une certaine idée du « réel » ou du « monde naturel » entendus comme des catégories cognitives. L’auteur se dit que la mort est un de ces domaines qui échappent au contrôle du sujet, comme ce qui n’est pas constaté, mais cru. La théorie des instances énonçantes de J.-C. Coquet exclut du statut de Sujet (énonçant donc) les instances qui ne possèdent pas la modalité du savoir12. Mais elle permet, en plus, d’expliciter la différence existant entre le régime de la mort et le régime de l’invraisemblable. Le premier pourrait être identifié au régime de l’instance « quasi–sujet » car la mort correspond au plan physique, et le deuxième serait identifié au régime du « nonsujet » car il n’a même pas cet ancrage avec le Sujet de l’énonciation. Il serait intéressant de savoir, pour la suite, comment la cosmogonie du quechua organise les rapports entre /secret/, /mensonge/ et /réalité/, ou entre paraître et être, qui ont été à l’origine de l’organisation sémantique par Greimas dans le carré « sémiotique » de la véridiction (fig. 1).13

Fig. 1 .- carré de la véridiction

Fig. 1 .- carré de la véridiction

Note de bas de page 14 :

 P. Ricoeur, Soi-même comme un autre. Paris, Seuil, 1990, 425 p.

De ce point de vue, dans l’article de A. Martinez, le pôle « faux » (qui dans les cas étudiés serait plutôt de l’ordre de l’« étranger » et non pas nécessairement du « faux ») correspond aux types d’expression qui ont tendance à omettre le clitique pronominal, et les termes /mensonge/ et /secret/ seraient à remplacer par ceux de /mystérieux/ et /inconnu/. Le pôle du « vrai » devient alors celui du propre ou du proche qui, dans la réflexion de Soi-même comme un autre de P. Ricoeur14, correspond au pôle de Soi —le « faux » correspondant à celui de l’Autre. Les variations linguistiques constatées sembleraient ainsi avoir un comportement semi-symbolique ou poétique, en opposant des catégories plutôt que des termes. Enfin, en ce qui concerne le cas développé par A. Speranza, le parcours être Õ non–être Õ paraître Õ non–paraître suit la logique de distanciation établie vis-à-vis du « référent » par l’intermédiaire de l’aspectualité verbale : les figures du passé simple se relient à la position de l’instance de l’énonciation et les modes imperfectifs au monde de l’Autre.

Des articulations semblables entre sémiotique greimassienne et changement linguistique pourraient être mises à profit aussi, dans le cas de l’étude du contact purépécha/espagnol développée par F. Villavicencio. Ici, l’utilisation articulée du système de la véridiction et de l’étude des modalités pourrait servir à l’analyse transversale de la forme purépécha du verbe être (« jínténi »), dont l’existence semble récente, ainsi qu’à la compréhension de la manière dont le monde « naturel » est classifié. La forme « paraître » du purépécha (xáxïni) est antérieure à la forme « être » (jínteni), au moins dans sa modalité autonome; la forme suffixée du verbe /être/ présente un comportement identique à celui de la forme /paraître/ et nous la voyons fonctionner pour exprimer des constats de catégories eidétiques, chromatiques et… « existentielles ». En tant que forme autonome, en revanche, la forme jinteni suit le fonctionnement syntaxique du purépécha, mais présente une certaine tendance à exprimer, au moins dans les exemples communiqués, des prédications plus « fonctionnelles » .

Ainsi, au lieu de parler d’une condition stable ou subjective comme dans le cas de la position être/paraître, les prédications associées à la forme autonome « jinténi » que l’auteur présente se distinguent par leur statut relationnel : possession, situation. Des formes encore plus complexes sont celles qui expriment l’utilité ou une certaine conditionnalité : elles ajoutent la présence de particules relatives énka, éski ou la préposition para (empruntée à l’espagnol). Ceci pourrait constituer une position–classe intermédiaire dans un système dont la première est celle des prédications stables et subjectives et la dernière, celle de l’inclusion d’une marque relationnelle. Notre position intermédiaire serait celle que présente la forme « moderne » jínteni, qui reprend des éléments du comportement des deux autres. Projetée sur un schéma tensif, la relation entre les trois pourrait être illustrée comme dans la fig. 2 :

Fig. 2/  Caractérisation de la tendance de changement de la forme verbale /être/ du purépecha en contact avec l’espagnol

Fig. 2/  Caractérisation de la tendance de changement de la forme verbale /être/ du purépecha en contact avec l’espagnol

3. Traces de contact épistémologique entre linguistique de contact et linguistique sctructuraliste

Note de bas de page 15 :

 Pour revenir à notre propos de départ, les trois niveaux de la pratique scientifique, selon le principe d’empirisme de Hjelmslev, sont l’analyse –que nous appelons le niveau « n »—, la méthode (ou niveau « n+1 », formé par le principe épistémologique: « un objet/ une discipline ») et la théorie, site des principes gnoséologiques fondamentaux, niveau « n+2 ». Cf., Prolégomènes pour une théorie du langage, Paris, Minuit, 1968, ch. 3 « théorie du langage et empirisme, p. 19.

Des « traces de contact », non plus linguistique, mais épistémique se trouvent dans ce recueil d’études avec la théorie sémiotique de tradition saussurienne à un niveau plus profond. Pour le dire « visuellement », mettons que le niveau des études de terrain se trouve à un niveau n et que la linguistique de contact se situe, en tant que pratique disciplinaire, à un niveau n+1, le niveau de la méthode. Le point de contact entre cette pratique et celle de la sémiotique (également une pratique interprétative à vocation scientifique), serait le niveau n+2, épistémologique, ou « de la théorie », pour Hjelmslev15.

Note de bas de page 16 :

 L. Hjelmslev, « Animé et inanimé, personnel et impersonnel », Travaux de l’institut de Linguistique, Paris, 1956, p.155-199 [Repris dans L. Hjelmslev Essais linguistiques, éditions de minuit, Paris, 1988 (1971), pp. 220-258].

Justement, le linguiste danois, dès 1956, étudiait les catégories /animé/ et /non animé/, les mêmes qui ressortent des « études-type » de A. I. Garcia et d’A. Palacios Alcaine, comme des systèmes sub-logiques à partir d’une étude typologique présupposant une description structurale de la langue—précisément comme le fait F. Villavicencio dans son étude de cas16. Or l’étude hjelmslevienne sur les langues slaves va dans le sens d’une compréhension des mécanismes internes qui font évoluer ces langues, tant sur le plan de l’expression que sur celui du contenu. Ce lien viendrait alors infirmer la thèse du rôle du contact linguistique dans la transformation des langues ? à notre avis, il pourrait, au contraire, servir l’argumentation en sa faveur : si l’on accepte de considérer une langue comme un système articulé qui évolue en fonction de ses « dispositions inhérentes », deux langues seront logiquement deux systèmes dont les dispositions respectives peuvent être mises à profit pour l’« équilibre » structural de chacun d’eux. La problématique soulevée, au fond, est celle de l’identité de l’objet linguistique : monade, système clos, ou une sorte de Gestalt insaisissable ? Voici pourquoi l’étude du contact linguistique se situe au centre de l’actualité pour la discipline.

Note de bas de page 17 :

 Nous suivons ici les idées développées par F. Rastier dans la préface des Essais linguistiques et dans l’introduction aux Nouveaux Essais de L. Hjelmslev (Paris, éditions de minuit, 1971, pp. 7-13 et Presses Universitaires de France, 1985, pp. 7-22, respectivement). Dans ces textes, il s’agit surtout de reconstruire la cohérence du discours hjelmslevien en s’opposant au parti pris scientifico–idéologique qui consisterait à établir l’existence de « deux Hjelmslev » comme on a voulu voir, par exemple, deux Saussure.

Étude structurale et étude du contact linguistique, est-ce bien possible ? On oublie souvent, lorsqu’on fait le procès du structuralisme, que celui-ci était un projet de construction épistémologique de longue haleine ; ainsi, considérer par exemple les catégories grammaticales comme des vérités absolues ou la « morphologie des langues » comme un système de concepts « universels » et éternels est une posture formaliste qui ne correspond pas à l’optique structuraliste. Chez Hjelmslev, les catégories grammaticales traditionnelles ne sont pas prises très au sérieux, puisque chez lui, comme chez Saussure d’ailleurs, le fonctionnement de la syntaxe et de la morphologie n’est pas concevable séparément : les rapports syntagmatiques sont corrélatifs aux rapports paradigmatiques, dans l’optique de l’ « isomorphisme » issu de la théorie saussurienne du langage17. Ces principes sont curieusement illustrés par l’étude de J. Reynoso, en cela qu’elle s’est donné pour objectif, en même temps que l’analyse des contacts linguistiques, une caractérisation sémantique de la catégorie nom propre, sur la base de l’observation comparative des langues.

Note de bas de page 18 :

 Chez Saussure, ce lien est présent dès l’introduction du Cours de linguistique générale (chapitre 3 de la première partie de l’édition critique de Tulio di Mauro, 1971 (tr.fr. avec une post-face par J.L. Calvet, Payot, Paris, 1985, 520 p.). Quant à Greimas, on peut se référer à l’article que J.-C. Coquet considère comme le texte fondateur du courant sémiotique dit « de l’école de Paris » (« L'actualité du saussurisme » in: Le français moderne, XXIV, N°3, juillet 1956, p. 191-203, puis J-C. Coquet, Sémiotique : l’école de Paris, Hachette-université, Paris, 1982). De même, et contrairement aux lectures du discours greimassien qui ont voulu postuler une rupture avec ce projet épistémologique, des références  à celui-ci se trouvent dans des productions aussi tardives que Du sens ii (1983, où il parle « d’une Grande anthropologie », ) ou dans « La sémiotique, c’est le monde du sens commun » (1992, entretien avec François Dosse, dans Sciences humaines 22 , pp. 13–15).

Note de bas de page 19 :

 Dans la troisième partie de son cours de linguistique (op. cit., supra, ch2, p.266) , F. de Saussure estime que la voonté d’établir une origine pour le changement en linguistique est des plus problématiques. Faut-il considérer, comme le fait Rastier, que les recherches sur l’Origine relèvent plus de la croyance religieuse que de la recherche scientifique  ? (cf. « De l'origine du langage à l'émergence du milieu sémiotique » in Marges linguistiques N° 11, mai 2006, http//www.marges-linguistiques.fr, consultée en juin 2006. Disponible aujourd’hui sur www.revue-texto.net).

Le primat de la causalité interne relève donc d’un formalisme qui ne pourrait rendre compte de la complexité sociale des langues, surtout parce qu’il considère le social comme non-linguistique. De Saussure à Greimas, cependant, tous les structuralistes de la sémiologie francophone ont soumis le linguistique au social18, si bien que la méthode structurale est devenue pertinente pour l’analyse de phénomènes non linguistiques, comme l’œuvre de Lévi-Strauss en témoigne. Même Hjelmslev considérait ces aspects, relatifs à la sémiologie, comme un but idéal à atteindre, tout en considérant l’étude des connotations comme « scientifiquement impossible ». La structure adverbiale de la phrase est ici, comme souvent, fondamentale. Qu’est-ce que cela veut dire ? Un peu la même chose que ce qu’évoque J. Reynoso Noverón, soit « l’impossibilité » de démontrer que c’est le contact linguistique qui est à l’origine des changements constatés dans les langues19  : que les objets de la pratique scientifique dans l’état ne permettent pas de rendre compte de phénomènes aussi complexes. Les objets de la sémiologie ne sont pas « scientifiques » au sens hjelmslevien, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas sujets à une analyse exhaustive, simple et non–contradictoire, même si la visée de la construction d’une sémiotique doit être d’aller dans ce sens. Une orientation que Greimas rappelle dans un curieux hommage à la sémiologie de Barthes :

Note de bas de page 20 :

 Cf. « Algirdas Julien Greimas à la question » in Sémiotique en jeu (M. Arrivé et J.- C. Coquet, dirs.) actes de la Décade tenue au Centre International de Cerisy-La-Salle du 4 au 14 août 1983. Paris-Amsterdam-Philadelphia : Hadès-Benjamins (Actes Sémiotiques), 1987, p.306

« Dans la lignée saussurienne, le meilleur résultat ce sont les Mythologies. Barthes y a développé une sémiotique connotative et non pas une sémiotique dénotative mordant sur le réel. C’est très bien, seulement on ne peut pas commencer par les connotations ».20

4. Variation, diversification, interactions : pour une sémiotique générale des cultures

Note de bas de page 21 :

 M. Arrivé « La sémiologie saussurienne, entre le CLG et la recherche sur la Légende » in Lynx 44, 1, 2001. « Spécificité et histoire des discours sémiotiques » (M. Arrivé, S. Badir, dirs.), p. 13-28, et à la recherche de Ferdinand de Saussure, Presses Universitaires de France, Paris, 2007.

En plus du lien intertextuel entre Tópicos…n° 15et Hjelmslev par l’étude du trait /animé/ et /inanimé/, l’étude de J. Reynoso Noverón permet d’en tisser un autre avec la plus ancienne pratique de Saussure, car elle est aussi une réflexion autour de la catégorie du nom propre. Michel Arrivé, philologue comme elle, a discuté à plusieurs reprises la place que l’étude de la légende des Nibelungen par Saussure aurait eu dans la (pré)histoire de la sémiotique21. D’après lui, Saussure aurait vu que le nom propre de la légende avait une identité « sémiologique », tout comme les lettres de l’alphabet ou les mots de la langue. Seulement, cette affirmation provoque un problème ontologique si important avec le reste de la théorie saussurienne (par son recours au « référent ») qu’il aurait inspiré les lignes les plus désespérées au linguiste genevois… Celles qui évoquent l’insaisissable identité du Sujet. Peut-être que la suggestion de M. Merleau-Ponty que les êtres humains sont inexorablement submergés dans le sens comme les poissons le sont dans l’eau aurait pu, si Saussure l’avait entendue, lui servir de « pansement épistémologique ».

Note de bas de page 22 :

 Il est intéressant de noter la coïncidence entre l’affirmation de cette évidence et la revalorisation du rôle de la diachronie dans l’œuvre de Saussure, anticipée par des lecteurs de Saussure tels que L. Hjelmslev, C. Zilberberg ou di T. Mauro, et confirmée par la multiplication des découvertes faites à partir des manuscrits du linguiste. La plus spectaculaire est sans doute la publication des écrits de linguistique générale, dont le texte a été établi par S. Bouquet et R. Engler, (cf. Paris, Gallimard, 2002).

Note de bas de page 23 :

 Nous parlons ici, évidemment, de la pratique dans tous les sens du terme : la pratique de l’analyse (ou niveau « n » de la construction scientifique), qui a été fondamentale de Saussure à Floch, pour toutes les figures de l’histoire de la sémiotique greimassienne. Mais nous parlons aussi d’une nouvelle impulsion donnée à la visée empiriste, dans laquelle se rejoignent, curieusement, le dernier Greimas et ses propos sur la nouvelle pragmatique, François Rastier et sa grande entreprise textuelle, Landowski et ses derniers accomplissements sur l’interaction, voire, peut-être, le prochain livre de J. Fontanille dédié aux « pratiques ».

Quoi qu’il en soit, dans notre lecture de ces liens, la tradition comparatiste (à laquelle appartiennent originalement tant Saussure que Hjelmslev ou Greimas) en ressort revalorisée et se profile comme porteuse d’une compétence qu’une linguistique « naturaliste » (celle qui voudrait que les langues ne changent que par des causes « naturelles » ou en fonction de « la nature » de chaque langue) ne pourra plus ignorer. Ceci d’autant plus que l’évolution de la linguistique en tant que pratique scientifique la confronte à des objets complexes face auxquels les réponses habituelles d’une approche qui désarticule le sens des langues ne sont plus opérationnelles.22 D’autre part, le fait que Tópicos del seminario, une revue généralement plus portée sur des problématiques de sémiotique stricto sensu, nous présente aujourd’hui cet éventail de « travaux pratiques » soulève la question de la sémiotique appliquée sur le terrain. Il y a eu une époque où le projet sémiotique était construit au rythme de la diversification des supports de l’analyse et de la multiplication des approches et des pratiques d’analyse, comme dans le cas de l’étude du contact linguistique qui est présenté ici. La lecture de Tópicos… 15 est en ce sens comme un nouvel appel « aux sémioticiens de terre ferme » pour qu’ils reviennent à la pratique23.

Note de bas de page 24 :

 F. Rastier, « Textes et sciences de la culture » in Arts et sciences du texte, 2001, p.280

Note de bas de page 25 :

 Pour une discussion épistémologique de ceci, voir D. Lecourt « Les nouvelles philosophies de la nature » (Philosophies vol. xx n°1, printemps 1993. [Repris dans A quoi sert donc la philosophie ?, p. 86-102]) et « De la nature comme fiction » (ibid. p. 103-114). Une analyse idéologique du darwinisme est présentée dans « Sciences de la culture et post-humanité » (Cf. F. Rastier, in Texto !, septembre 2004. Disponible sur : http//www.revue-texto.net/inédits/Rastier_Post-humanite.html. Consultée le 31 juillet 2007 ).

Ce n’est donc pas uniquement de modes du contact linguistique dont parle ce numéro de Tópicos…N°15, mais de diversité sociale et culturelle d’un côté et de diversification, interactions et articulation, de l’autre. En somme, d’une complexité qui peine historiquement à être reconnue (y compris par ses propres acteurs) et, par conséquent, à se constituer en objet épistémologique. Dans le domaine du contact linguistique, chaque concept paraît construit dans un cristal, délicat mais non nécessairement transparent : faut-il utiliser l’idée de « changement  linguistique », « évolution » ou se borner à celle de « variation », en rendant compte de la nature diversificatrice des phénomènes culturels ?24. Peut-on parler de « transfert », ou faut-il en rester aux termes de l’« influence », étant donné que celle-ci tient compte du fait qu’une forme de langue ne peut changer au delà de son identité structurale, mais que l’identité linguistique —comme l’identité nationale— est une convention, une abstraction datée ? Enfin, jusqu’à quand parlera-t-on d’ « émission » et de « réception » quand on évoque des actes de langage (productions d’un ou plusieurs sujets insérés dans une pratique sociale) et des interprétations (procéduresd’articulation de l’expérience locale ou processuelle avec l’expérience globale ou systémique) ? La pertinence de ce recueil tient en dernière instance au fait que l’étude du changement linguistique, comme celui de la diversité des cultures en général, se heurte de nos jours à un regain d’évolutionnisme, certes new wave mais toujours aux relents darwinistes, avec la part de discours de pouvoir qui le caractérise historiquement25.

Note de bas de page 26 :

 Cf. Ruprecht, H. G. « Ouvertures méta-sémiotiques : entretien avec Algirdas Julien Greimas » in RSSI, vol. 4, N°1, 1984, p. 16

Si l’on accepte de considérer que le contact linguistique est un domaine privilégié de la complexité de l’objet linguistique et que ce recueil est représentatif des différents enjeux et conditions de son étude, alors on peut affirmer que le futur des études linguistiques de complexité croissante ne se fera pas sans remettre en question l’étroitesse de la linguistique « naturaliste ». Dans ce mouvement, la place de la sémantique s’y verrait amplifiée car elle ne serait plus bornée au mot et à la phrase, ni à l’étude du sens « littéral ». Une sémantique textuelle, en effet, pourrait inclure l’étude du « sens figuré » et du sens « pratique ». La sémantique ainsi reconsidérée ne devient-elle pas une sorte de « nouvelle pragmatique », ainsi que l’envisageait Greimas26 ?

Note de bas de page 27 :

 Cette articulation entre disciplines faisait partie du projet structuraliste et aurait donc pu être mise en place il y a presque quarante ans. À en croire certaines lectures, elle a été retardée en raison des séquelles idéologiques de la deuxième guerre mondiale, de la crise idéologique de 1968 au «  sociologisme  issu de certaines formes périmées du marxisme ». Pour des illustrations de cette idée, voir « La sémiotique, c’est le monde du sens commun » (entretien de Françoise Dosse à Greimas, op. cit. supra), Sémantique et recherches cognitives (F.Rastier, Presses Universitaires de France, Paris, p. 71) et Sciences et Arts du texte (op. cit. supra, p. 276).

La polémique entre les tendances de l’étude du contact linguistique s’y inscrit car elle est de nature idéologico–épistémologique ou, si l’on veut, politico–académique : ce qui est en jeu ici est la défense de modèles de scientificité construits sur des systèmes de valeurs idéologiques qui cherchent à prévaloir les uns sur les autres. Il s’agit d’un problème relatif à la spécialisation extrême des sciences de l’Homme et de la société qui pourrait sortir de l’impasse dans l’articulation des savoirs relatifs à l’être humain dans un paradigme scientifique27. C’est du moins ce à quoi aspirait le saussurisme à ses origines et ce que renouvelle la mouvance des Sciences de la culture. Les branches romanes de celle-ci ne s’accommodant que moyennement de cette dénomination —puisque utiliser le terme « culture » au singulier est aujourd’hui très scientifically incorrect—, elles pourraient prendre exemple sur ce que font les Indiens de l’Amérique Latine avec l’espagnol et remplacer le « la » de /culture/ par un déterminant plus neutre ou par une absence totale de déterminant, qui fera de ce nom commun une catégorie ouverte et diverse…

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