Séance d’ouverture par Ivan Darrault-Harris et Jean Petitot
Allocution de Jean-Marie Schaeffer
Ivan Darrault-Harris
Jean PETITOT
Jean-Marie Schaeffer
Index
Articles des auteurs de l'article parus dans les Actes Sémiotiques : Ivan Darrault-Harris, Jean PETITOT et Jean-Marie Schaeffer.
Dépliant de présentation de la journée Hommage à Greimas [PDF]
Jean Petitot
Il y a quelque temps, Ivan Darrault-Harris a eu l'excellente idée d'organiser cet hommage à la mémoire d'A.J. Greimas à l'occasion du 20ème anniversaire de sa disparition. Il a réussi à le faire rapidement, en investissant beaucoup de temps et d'énergie et nous pouvons tous le remercier pour cette magnifique initiative. Il va vous expliquer le déroulement de cette émouvante journée qui réunit tant de disciples et d'amis de Greimas.
J'aimerais remercier l'EHESS et son Président François Weil pour l'aide à la fois technique et financière qu'ils nous ont apportée, la possibilité de disposer de ce grand amphithéâtre pour le jour même de l'anniversaire et le déjeuner des intervenants. Et je tiens à remercier tout particulièrement Jean-Marie Schaeffer, membre du Bureau de l'Ecole et ami de la sémiotique, d'avoir accepté d'ouvrir avec nous cette rencontre.
Bienvenue à toutes et à tous, je passe la parole à Ivan.
Ivan Darrault-Harris
A mon tour de vous souhaiter la bienvenue dans cette journée anniversaire dédiée à la mémoire de notre ami et maître Greimas. Effectivement, nous avons disposé de peu de temps, car si c’est une chose d’avoir une idée, c’en est une tout autre de la mettre en scène. Sans la réaction enthousiaste de Jean Petitot, le premier destinataire de l’initiative, sans son aide à l’organisation de la journée, nous ne serions parvenus à rien.
Une telle journée anniversaire occupe un espace de temps fort limité et cela explique en grande partie que certains collègues et amis sémioticiens aient dû renoncer à y participer.
Je commencerai par ceux dont l’âge, l’état de santé précaire ont interdit l’effort de leur participation et ils en restent très frustrés : Jean-Claude Chevalier, Bernard Quémada, Joseph Courtés et Jacques Escande. Mais Marie-Louise Fabre, dont la fidèle assiduité au séminaire de Greimas est légendaire, est bien présente parmi nous !
Nous ont prié d’excuser leur absence Eric Landowski, François Rastier, Jean-Didier Urbain, Bernard Lamizet, Pierre Sadoulet, Jean-François Bordron, Emmanuel Crivat, dont vous verrez dans le diaporama accompagnant cette journée un portrait de Greimas datant de 1987.
Quant aux amis géographiquement très éloignés, citons : Thomas Broden, de l’université de Purdue, Jean-Marie Klinkenberg, de Liège ; Wolfgang Wildgen n’a pas pu faire le voyage de Brême. Les amis brésiliens Diana Luz Pessoa de Barros, Waldir Beividas et Ivã Lopes sont attristés de leur involontaire défection ; ainsi que Luisa Moreno et Raúl Dorra, de Puebla au Mexique ; de même que Maria-Victoria Gomez, de Mendoza en Argentine ; et Susan Petrilli de l’Université de Bari. J’ai reçu aussi un message très chaleureux de Solomon Marcus, de Roumanie et je me permets de vous lire ces quelques lignes : « Appartenant à un pays, la Roumanie, dont la culture a été très fortement marquée par l’œuvre d’A.J. Greimas, j’exprime ma solidarité avec l’événement du 27 février 2012. Vingt ans après la disparition du Maître, les roumains qui ont travaillé sous la direction de Greimas ont montré leur valeur. Il en va ainsi de Sörin Alexandrescu, Thomas Pavel, Emmanuel Crivat et Lucia Vaina, Paul Miclau, Maria Karpov, mais la liste est bien plus longue et significative à cet égard. Je me rappelle avec émotion la rencontre de Cerisy-la-Salle, où la confrontation amicale entre Greimas et Paul Ricœur a été une démonstration éclatante d’intelligence et de profondeur des idées d’un grand sémioticien et d’un grand philosophe. On y a vu la force de l’École de sémiotique de Paris, l’École de Greimas ».
Je voudrais aussi vous lire le court message très chaleureux d’Umberto Eco, qui serait volontiers venu assister à cette journée d’hommage, mais qui est retenu, dit-il, un peu contre son gré, à Londres pour parler de son travail : « Saluez-moi tous les amis et veuillez témoigner de ma présence virtuelle ! »
Je terminerai par ce message émouvant de Teresa Keane-Greimas :
« Chers amis,
Au moment où Ivan lira ce petit texte, je serai en Lithuanie, à Kaunas où, comme vous le savez, Greimas est enterré. Acceptez donc ces quelques mots comme une présence symbolique.Tout d'abord, je tiens à remercier très vivement Ivan Darrault-Harris et Jean Petitot d'avoir organisé ce grand événement et, qui plus est, au sein de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales que nous associons tous avec le séminaire de Sémiotique.
Je relisais il y a peu la dédicace que Roland Barthes avait inscrite dans l'exemplaire de son Système de la mode [terminé en 1963, publié en 1967, il en avait commencé la rédaction en 1957]. Je cite:
À vous, cher Guy (tous les amis d'Alexandrie l'appelaient ainsi),
ces premières gammes sémiologiques dont vous avez
surveillé avec tant d'amitié l'exercice,
Merci
Roland »
Presque cinquante ans plus tard (!), on pensera aujourd'hui tout particulièrement à celui qui fut notre guide ou compagnon de route, notre modèle ou ami. Quelle que soit votre filiation, une seule idée nous réunit en France et en Lithuanie : rendre hommage à celui qui contribua grandement à l'époque glorieuse de la linguistique française, qui forgea patiemment la sémiotique structurale dont les débuts remontent à l'Université de Grenoble et le Grésivaudan où grâce à son premier maître, Antoine Duraffour, il a reçu une solide formation en Dialectologie et en Philologie.
A partir d'une perspective plus actuelle, Greimas se porte fort bien, à titre d'exemple: une nouvelle édition de Du Sens, maintenant Du Sens I et Du Sens II, qui sortira cette semaine, des Dictionnaire d'ancien français et Dictionnaire du moyen français vers le mois de juin et De l'Imperfection en Livre de poche. Quant aux traductions en langues étrangères, pour la seule année de 2010 : les droits de traduction de Du Sens en portugais, la publication de Sémiotique des passions (avec Jacques Fontanille) en arabe, et en 2011 Sémiotique et Sciences sociales en mandarin. Les chinois ont un projet de traduction de toute l'œuvre de Greimas et celle-ci s'ajoute à la version en mandarin de Sémantique structurale, des deux volumes de Du Sens, ainsi que de De l'Imperfection.
Je tiens aussi à signaler qu'une rencontre littéraire autour de son œuvre aura lieu au Centre National du Livre dans le cadre des "jeudis du CNL" dont quatre seront consacrés en 2012 à quatre grands lithuaniens français: Levinas, Greimas, Baltrusaïtis et Milosz. Il est en bonne compagnie !
Le temps passe et avec lui s'accroît l'intérêt, aussi, pour la personne derrière la théorie. De l'Imperfection en donnait déjà un petit aperçu, et après la disparition de son auteur, l'exposition photographique de l'enfance et la jeunesse de Greimas réalisée par Rimtautas Kašponis et organisée par Ivan Darrault-Harris à l'EHESS en 2008. A cela s'ajoute la publication la même année de la correspondance en lithuanien de Greimas/Aleksandra Kasuba par la maison d'édition Baltos Lankos, qui publie en exclusivité son œuvre en langue lithuanienne. Cette correspondance, destinée à être traduite en français et en anglais, révèle un Greimas toujours pénétrant mais aussi parfois hésitant et poétique.
Peut-être le côté sensible du chercheur se révèle encore plus dans ses poèmes préférés : son livre de chevet (les romans policiers étaient pour le matin, tous les matins avant le petit-déjeuner !) Les Fleurs du mal ; le poème romantique d'Edgar Allan Poe The Raven (Le Corbeau) - récité en anglais par Jakobson avec son accent russe très prononcé (surtout le Nevermore !) - et les derniers vers du refrain de La Chanson de la plus haute tour de Rimbaud :
Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie »
Je voudrais, pour terminer ces annonces préalables, dire toute notre gratitude à Madame Rasa Balcikonyte, Attachée culturelle de l’Ambassade de Lithuanie, qui nous fait l’honneur et l’amitié de partager cette journée d’hommage.
Jean Petitot
Je suis très heureux que Jean-Marie Schaeffer ait accepté de représenter l'EHESS. Vous savez que Jean-Marie, directeur du CRAL, le Centre de Recherches sur les Arts et le Langage, est un éminent spécialiste d'esthétique, tant sur le plan de la philosophie et de l'analyse conceptuelle que sur celui de pratiques artistiques particulières comme les images, les récits et les fictions. Sa présence ce matin est particulièrement significative car il a beaucoup étudié la façon dont les approches structuralistes et sémiotiques peuvent interagir avec d'autres disciplines comme la philosophie de l'esprit, la psychologie cognitive ou l'anthropologie. Je lui passe donc la parole.
Jean-Marie Schaeffer
Je suis très heureux de vous souhaiter la bienvenue au nom de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, pour cette journée d’hommage à Greimas, dont le rayonnement national et international honore notre établissement. François Weil, le président de l’École, tient à s’associer personnellement à cet événement. Si nous sommes réunis pour commémorer la vingtième année de sa disparition, c’est surtout aussi pour saluer une pensée qui continue de porter ses fruits et qui est plus vivante que jamais. A titre personnel, je suis heureux de dire ces quelques mots pour saluer la communauté sémiotique nationale et internationale qui a transmis, enrichi et transformé son modèle sémiotique au fil des décennies. La voix de Greimas, ici en France, et Limoges en est le meilleur exemple, mais aussi à l’étranger, dans le monde, a eu un retentissement dont on n’est pas toujours conscient. De tous les théoriciens de ce qu’il est convenu d’appeler le structuralisme, Greimas est celui qui, avec Lévi-Strauss, est sans doute celui qui s’est attaché le plus fortement à le développer selon une démarche scientifique, dotée de principes méthodologiques explicites et dénombrables, ainsi que d’un ensemble de procédures de translation qui instituent une relation stable entre la démarche analytique et les objets auxquels elle s’applique. L’École sémiotique de Paris s’inscrit dans cette vision et son importance ne saurait être sous-estimée. Mais la pensée de Greimas a eu une influence bien au-delà du champ de l’École sémiotique de Paris, sur toutes les approches structurales, et au-delà même du structuralisme comme mon prédécesseur vient de le rappeler en faisant référence à Ricœur qui a développé des échanges très profonds avec Greimas structuraliste mais aussi Greimas philosophe. Parmi les multiples champs dans lesquels sa pensée a essaimé, il n’est peut-être pas inutile de rappeler celui des études de la communication, aussi bien théorique qu’appliquée. Et si les recherches de sémiotique greimassienne ont aussi essaimé jusque dans la vie économique, c’est là un signe de leur haute valeur heuristique. La sémiotique de Greimas n’est pas seulement un paradigme théorique, c’est aussi un outil au sens le plus noble de ce terme.
Greimas est mort au moment où la vie intellectuelle française célébrait la mort du structuralisme, de la sémiotique, de la sémiologie et de tout ce qui y était associé. Cela a dû faire sourire Greimas qui, depuis sa thèse, s’y connaissait bien en effets de mode ! Tout comme en aurait souri Roland Barthes, autre sémiologue, bien au parfum lui aussi dans ce domaine.
En fait, ces déclarations sont, pour l’essentiel, la preuve de la difficulté, voire de la réticence qu’ont les sciences humaines à entrer dans la logique d’accumulation des connaissances, qui seule pourtant peut garantir le progrès cognitif. Car la sémiotique greimassienne, comme l’ensemble du développement dans lequel elle s’inscrit depuis Saussure, jusqu’à Lévi-Strauss et au-delà, en passant par le formalisme russe, la phénoménologie husserlienne, le structuralisme de Prague, le structuralisme parisien et bien d’autres, est plus actuelle que jamais, dans une époque qui connaît le développement sans pareil des dispositifs sémiotiques publics (il suffit de penser à Internet) mais celui aussi d’un progrès gigantesque de nos connaissances touchant à l’incarnation neuronale et mentale de l’intelligence des signes, qui s’étend depuis la perception « subpersonnelle » jusqu’aux activités réflexives conscientes les plus complexes.
Jamais les défis n’ont été aussi grands ni aussi enthousiasmants. Greimas aurait adoré faire partie de ceux qui acceptent de les relever. En fait, il en fait partie, grâce à vous tous qui continuez son travail. Encore une fois, bienvenue à tous et toutes !
Ivan Darrault-Harris
Merci à Jean-Marie Schaeffer de son hommage. Nous allons maintenant passer à la première table ronde de la journée qui en comprendra trois. Cette première table ronde traite de la sémiotique de Greimas dans les institutions. J’appelle à la tribune Jacques Fontanille, qui sera suivi d’Anne Hénault, de Louis Panier et de notre ami Eero Tarasti, qui nous fait l’amitié de venir d’Helsinki pour participer à notre journée d’hommage.
Jacques Fontanille, vous le savez, est membre de l’I.U.F., président de l’université de Limoges, mais surtout fondateur du Centre de Recherches Sémiotiques.