Isabella Pezzini, Semiotica dei nuovi musei, Ed. GLF Laterza, Bari, 2011, 188 pages

Nanta Novello Paglianti

Université de Bourgogne

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Mots-clés : architecture, culture, musée, sémiosphère

Auteurs cités : Manar HAMMAD, Youri LOTMAN, Santos ZUNZUNEGUI

Texte intégral

Après avoir analysé la ville et ses configurations de sens (Pezzini, 2009), l’auteur se consacre dans son dernier ouvrage à un espace urbain particulier : l’institution muséale. Le livre part d’un constat : l’ouverture annuelle d’un considérable nombre de musées. Pourquoi cet engouement pour les institutions muséales ? Qu’est-ce-que le visiteur va faire au musée ? L’auteur parle d’un renouvellement du musée qui s’impose d’abord pour sa rénovation formelle : des œuvres d’art architecturales envahissent l’espace urbain. C’est le cas du Guggenheim de Frank Gehry à Bilbao ou du Quai Branly de Jean Nouvel à Paris. Ces bâtiments imposent leur identité forte au tissu urbain contribuant à leur modalisation complète (au sens sémiotique du terme).

L’aspect physique incarne le changement plus visible des musées mais selon l’auteur il faudrait considérer aussi les rapports que ces institutions entretiennent avec les œuvres d’art. Ces établissements ne sont plus des simples « contenants » d’œuvres (fonction attribuée aux musées de la modernité) mais établissent des dialogues nouveaux avec les objets exposés. Le visiteur a même la possibilité d’explorer des parcours insolites, poussé par la volonté muséale de concevoir des nouveaux espaces et d’initier le public à des expériences multiples. Le calendrier culturel se remplit de plus en plus d’événements réguliers (biennales), des rendez-vous avec les artistes et des performances. Une volonté d’« habiter » diversement ces lieux devient un pilier de la politique muséale contemporaine.

La perspective de l’auteur est de revisiter à nouveau l’idée que le musée peut être conçu en termes sémiotiques comme une réalité dynamique et vivante qui établit des relations de sens non seulement avec son intérieur (avec les espaces et les objets qui la caractérisent) mais aussi avec l’extérieur. Le musée est en métamorphose continue in praesentia avec l’espace urbain, dont il est un signe par excellence, mais aussi in absentia avec la culture d’une époque en transformation et en ouverture continues (à ce propos, l’histoire du musée Beaubourg à Paris est très éclairante, p. 7).

D’une muséologie née à la moitié du XIXème siècle qui privilégiait l’exposition des œuvres pour un public encore très restreint, nous arrivons à l’époque de l’après-guerre et à celle plus contemporaine où les valeurs démocratiques et l’accès à la culture sont devenus des nécessités primaires (déclaration du Mexique, 1982, p. 10). Le public -nous devrions parler plutôt « des publics »- devient une des composantes essentielles du système muséal qui désormais s’enrichit d’autres tâches comme la recherche, la didactique mais aussi le divertissement, les cérémonies, etc. Le musée semble assumer des fonctions réservées précédemment au seul espace public grâce à des transformations sociales plus générales comme : l’intérêt économique pour la culture, l’augmentation du tourisme, la globalisation des événements artistiques et architecturaux. En outre la diffusion des médias digitaux favorise l’échange des informations et multiplie l’accès à l’art et à ses institutions.

Le livre dIsabella Pezzini ne veut pas reconstituer une histoire de la muséologie ni des œuvres contenues dans les différents musées mais concevoir ces dernières comme des éléments appartenant à la sémiosphère lotmanienne (p. 12). Le terrain d’étude de la sémiotique reste la culture et ses manifestations multiples. Le musée peut être analysé comme un texte qui dialogue, à travers sa forme, avec l’environnement extérieur et à travers ses œuvres et ses parcours de visite possibles, avec son intérieur. Le sens s’articule dans des formes différentes qui interagissent entre elles comme : l’architecture, les flyers, les objets exposés, les textes d’explication, les supports signalétiques mais aussi les présences humaines des visiteurs et du personnel. Tous ces éléments s’entremêlent, se chevauchent et peuvent entrer en conflit ou simplement cohabiter. En tout cas un fort dynamisme s’impose aujourd’hui en faisant du musée un organisme « vivant » en dialogue réel (et virtuel) avec son environnement qui permet de créer une identité spécifique à chaque musée. Ce dernier est un des meilleurs exemples de traduction entre espaces et formes pouvant instaurer un régime de continuité et de fluidité ou au contraire de rupture et d’irrégularité. Ce sont ces points de convergence et de divergence qui deviennent intéressants pour le sémioticien et que l’auteur a très bien su illustrer.

Dès lors, le musée est considéré comme un texte, celui où nous pouvons reconnaître une instance d’énonciation (le musée même) qui se décrit, qui choisit et expose ses valeurs et qui laisse ses traces d’énonciation dans l’organisation des objets, dans les discours sur les œuvres et sur leur disposition.

Le musée s’enrichit de différentes modalités expressives comme le « voir » et le « montrer » et non le seul langage verbal. Différentes substances sémiotiques se mêlent entre elles en créant des parcours sensoriels enrichissants : voir, sentir, bouger et même toucher. Nous pourrions parler d’une expérience non seulement esthétique (modèle de la muséologie classique basé sur la vue) mais aussi esthésique (celle, plus actuelle, centrée sur l’espace et sur le mouvement).

La coexistence des différents langages dans le musée promeut les contacts entre les différentes sémiosphères qui font naître des formes expressives innovantes et de nouvelles communautés de visiteurs. C’est là qu’on rencontre des traductions possibles et des partages de diversités et de langages. La communication s’instaure là où la possibilité de mise en parallèle des expériences devient inattendue, imprévisible et problématique. Toutefois la visite au musée commence par la stipulation d’un contrat fiduciaire avec l’institution, matérialisé dans l’achat d’un ticket, pour ensuite continuer l’expérience grâce à la participation à des parcours de visite suggérés par la disposition des espaces et des objets. Les étapes d’un parcours narratif à chaque fois spécifique d’un musée à l’autre sont réunies dans le livre d’Isabella Pezzini qui part d’une perspective sémiotique sans oublier les apports les plus récents en la matière de Manar Hammad et de Santos Zunzunegui.

Les cas étudiés par l’auteur sont des belles et exhaustives illustrations de la théorie sémiotique appliquée aux institutions muséales. Ces musées ont été tous construits dans les quinze dernières années, connus et reconnus pour leur intérêt vis-à-vis du public et par leur fréquentation active. Ils ont tous créé un vrai débat autour d’eux-mêmes, détail intéressant pour des institutions qui se veulent partie intégrante de l’espace, de la culture et des débats publics contemporains. Lieux centrés sur le loisir et sur l’espace comme le Guggenheim de Bilbao ou sur la volonté de donner un sens nouveau aux lieux de l’ancienne douane vénitienne (Punta della Dogana), ces bâtiments réactivent et traduisent des traces textuelles déjà existantes auparavant. Les caractéristiques visuelles qui sont affichées au niveau de l’architecture de surface (nous pourrions parler aussi d’archi-texture) semblent correspondre à celles du contenu, comme l’explique bien l’auteur à propos de la métaphore du voyage pour le musée du Quai Branly, celle du labyrinthe pour le Monument aux victimes de l’Holocauste à Berlin et celle du coquillage pour l’église de San Giovanni Rotondo dans les Pouilles.

Enfin le travail d’Isabella Pezzini sur ces nouveaux musées est un hommage à la notion de culture de Youri Lotman, remarquablement explicitée à travers ces cas exemplaires de la contemporanéité muséale qui font dialoguer et signifier à nouveau les concepts de tradition et de modernité.

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