Éditorial

Juan Alonso Aldama

Rédacteur en chef des Actes Sémiotiques

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Texte intégral

Avec ce numéro 124 paraissent les « nouveaux » Actes Sémiotiques. Ils sont nés d’une crise survenue au printemps 2020 – année qui en compta un certain nombre… Nos lecteurs ont été informés des changements dans l’organigramme par un communiqué du 28 mars. L’équipe rédactionnelle qui a pris la relève, en s’adossant à un comité éditorial étroitement impliqué dans le travail collectif de la revue, se donne pour objectif de développer la collégialité dans le fonctionnement, de promouvoir les problématiques nouvelles d’une sémiotique toujours en gestation, et de s’ouvrir plus largement au dialogue interdisciplinaire.

Le défi à relever est de taille, compte tenu de la qualité reconnue de cette revue qui, avec beaucoup d’autres de portée internationale, contribue depuis longtemps au développement et à la diffusion de notre discipline.

Le numéro que nous présentons aujourd’hui comporte deux grands dossiers. Le premier, dirigé par Jacques Fontanille, est consacré à la problématique « Des nudges dans les politiques publiques ». Il approfondit les modes de configuration de cette « incitation douce » en mettant en évidence ses enjeux narratifs, énonciatifs, actantiels, modaux, éthiques et politiques. Ce sujet particulièrement prégnant dans la société actuelle est questionné à travers de multiples exemples où le nudging est impliqué : langue, communication de masse et institutions, urbanisme et design, commerce, tourisme et industrie alimentaire, finances, politique et écologie. Le second dossier, coordonné par Gianfranco Marrone, s’intitule « Formes de la commensalité : dispositifs rituels autour du manger ». On s’y attache à explorer, par l’observation directe ou à travers des représentations littéraires et filmiques, les pratiques qui, d’Orient en Occident, font du manger et du manger-ensemble un phénomène culturalisé autour de la norme et de l’usage, entre convocation, révocation et transgression.

Ces deux dossiers relèvent de la socio-sémiotique et s’inscrivent, plus largement, dans une « sémiotique de la culture ». Sous-tendus par des problématiques communes qui présentent un intérêt fondamental pour la sémiotique contemporaine, ils nous invitent, de ce fait, à prolonger la réflexion au-delà de leurs thématiques particulières.

Ils conjuguent en effet les différentes étapes de l’élaboration théorique en sémiotique – depuis la période structuraliste jusqu’aux développements plus récents autour de la tensivité et du sensible. Les contributions dans leur ensemble approfondissent aussi bien la problématique de la pratique que celle de la manipulation. Rituels investis de signification sociale – voire religieuse et mythique, comme dans le repas bouddhiste – ou automatismes qui traduisent l’usure du sens – comme les déplacements en ville, terrain privilégié des nudges : autant de formes et de nuances de la pratique que ces dossiers analysent. Corrélativement, instituant ou modifiant ces pratiques, la « persuasion esthésique » – caractéristique d’un grand nombre de nudges – vient s’ajouter à la persuasion affective ou cognitive traditionnellement reconnue, ainsi qu’à la coercition imposée par la règle – du « bien manger », par exemple : c’est ainsi que le vaste champ sémiotique de la manipulation se trouve ici réinterrogé et enrichi.

Enfin, assurant la publication de ce numéro qui compte plus de 450 pages, nous avons pris la mesure de l’immense travail mené par nos prédécesseurs. Nous tenons donc à leur rendre hommage, en reconnaissant les heures, les semaines, les mois et les années qu’ils ont consacrés à la tâche minutieuse, chronophage, parfois ingrate et toujours destinée à disparaître, qui est celle de l’édition, entre relecture, correction et dialogue avec les différents auteurs. Travail de dentellière au bout duquel apparaît, reluisante, la trame du sens.

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