Marion Colas Blaise et Gian Maria Tore (dirs.), avec la collaboration de Paul di Felice, Emmanuelle Pelard, Céline Schall, « Re- ». Répétition et reproduction dans les arts et les médias, Sesto S. Giovanni, Éditions Mimésis, 2021

Valeria De Luca

Université de Limoges
Centre de Recherches Sémiotiques

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Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques

Texte intégral
Note de bas de page 1 :

L’Ecclésiaste, un temps pour tout, tr. Fr. par Ernest Renan, Arléa, Paris, 1990, p. 12.

Ce qui a été, c’est ce qui sera ;
ce qui est arrivé arrivera encore.
Rien de nouveau sous le soleil.
Quand on vous dit de quelque chose :
« Venez voir, c’est du neuf », n’en croyez rien […]1

L’ouvrage collectif intitulé « Re- ». Répétition et reproduction dans les arts et les médias, paru en 2021 aux éditions Mimésis sous la direction de Marion Colas-Blaise et Gian Maria Tore, s’impose au lecteur sous plusieurs aspects en relançant des défis à la fois épistémologiques, théoriques et méthodologiques. Comme son titre l’indique, l’ouvrage creuse de fond en comble presque toutes les déclinaisons et les manifestations du préfixe « re- » dans divers domaines, pratiques et supports, dont notamment le visuel (médiatisé) au sens large – y compris la peinture et le cinéma –, mais également l’écriture, la musique, l’architecture, le dispositif muséal. De ce point de vue, et au fil de la lecture des différents chapitres, on constate l’imbrication intime que la conjonction « et » instaure entre les arts et les médias, tout comme la rémanence – pour utiliser une formule quelque peu audacieuse, à l’instar de la « remembrance » rehaussée par Tiziana Migliore au sujet des remédiations de la peinture des ruines (p. 221 et ss.) – d’un potentiel de sens de ce même « re- » que les termes « répétition » et « reproduction » ne peuvent épuiser. Cela peut s’expliquer par le choix de Colas-Blaise et Tore de fournir au lecteur un canevas descriptif et d’esquisser un voisinage sémantique du « re- » suffisamment large pour que les spécificités disciplinaires de certains termes dérivés – pour n’en citer que quelques-uns : remix, remake, remédiation, reprise, retransmission – puissent émerger au fil des contributions. Aussi, la répétition et la reproduction se posent – nous semble-t-il – comme des notions phares transversales aux différents chapitres, qui se situent à la frontière entre conceptualisation et application. Par cette même opération à la fois éditoriale et de la pensée, cet ouvrage se présente comme étant foncièrement interdisciplinaire, même si les différentes « étiquettes » domaniales ne s’affichent pas explicitement dans l’organisation des renvois entre les contributions. Au contraire, sa structure pluri-thématique installe un jeu polyphonique de « réfractions » réciproques qui traversent précisément les lisières disciplinaires, et dans lequel le lecteur peut tout de même repérer les voix de la phénoménologie, de l’esthétique, des études en information et communication, de la sémiotique, des Media Studies, de la théorie critique, des études littéraires.

Note de bas de page 2 :

N. Dusi et L. Spaziante (dirs.), Remix-Remake. Pratiche di replicabilità, Rome, Meltemi, 2006. Paru peu de temps après la publication de la traduction italienne (2003) de l’ouvrage fondateur de Jay David Bolter et Richard Grusin, Remediation : Understainding New Media pour ce qui concerne l’examen des phénomènes du re- dans les médias, le livre de Nicola Dusi et Lucio Spaziante peut être considéré comme l’initiateur d’une pratique du commentaire – que les auteurs identifient en tant que dynamique complémentaire aux différentes formes de la réplicabilité – dont l’ouvrage dirigé par Colas-blaise et Tore se saisit en installant une reprise intertextuelle par-delà la temporalité de la pensée et des transformations technologiques et médiatiques. Cet aspect relance d’ailleurs la question des vitesses et des durées de la réception et de la circulation des concepts, tout comme celle de la brisure de la temporalité que les pratiques du re- opèrent sur des portions de l’encyclopédie d’une culture donnée. Dans l’introduction à leur ouvrage, Dusi et Spaziante font à juste titre référence à l’esthétique du fragment telle qu’elle avait été élaborée jadis par Omar Calabrese, et c’est de la même manière que l’ouvrage dont il est ici question met en lumière le problème du lien signifiant non pas entre l’original et la copie, mais plutôt entre l’occurrence, la trace et le signe ou entre un type et un token.

Ces remarques initiales justifient la taille considérable de l’ouvrage et le nombre des contributions qui y sont réunies, à savoir 24 chapitres pour un total de 638 pages, auxquels s’ajoute un index de notions-clés du « re- », ainsi que des notions contiguës, réparties par auteur. La présence de ce type d’index opère d’ailleurs des recoupages ultérieurs entre les chapitres qui vont interférer avec le parcours de lecture proposé. Trois parties composent le volume. Intitulées respectivement « Re-définition des médias », « Ré-vision et cération », « Re-constitution et connaissance », elles sont précédées des essais introductifs de Tore et de Colas-Blaise, et suivies du post-scriptum de Wendy Hui Kyong Chun. La richesse et le nombre de dispositifs et d’objets sur lesquels s’opèrent des pratiques de réplicabilité2 rend difficile ici un examen détaillé de toutes les contributions de l’ouvrage, lesquelles sont, du reste, présentées de manière critique dans l’article de Colas-Blaise ; par conséquent, il nous semble intéressant pour le lecteur de relever certains questionnements qui apparaissent en filigrane de plusieurs chapitres.

Note de bas de page 3 :

Comme l’écrit Chun (p. 617) en citant Antoniette Rouvroy, la transparence « fait référence non à la connaissance du système par ses usagers, mais à leur ignorance » ; à ce sujet, l’exemple des nudges est emblématique, dans le sens où il semble opérer une « remédiation » au niveau des valeurs de pratiques sociales déjà médiatisées qui, à la différence de pratiques ludiques ou esthétiques, portent sur la restructuration ou le changement d’habitudes dans des domaines foncièrement collectifs et étatiques – alimentation, santé, prévention et assurance, pollution, etc. Le pouvoir d’agence des individus est remis en question précisément par la nature transparente des nudges ; cf. à ce sujet, V. De Luca, « Qui gardera les gardiens ? Sur certaines déclinaisons sémiotiques de la transparence en vue d’une évaluation critique des nudges », Actes Sémiotiques, n° 214/2021, en ligne : https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/6720.

Pour ce faire, nous souhaitons commencer par la contribution de Chun qui clôt le volume, « Réseaux et crises sans fin : le tourbillon habituel des nouveaux médias » (pp. 583-638), pour ensuite procéder à rebours et au travers de l’ouvrage. En effet, en dépit des possibilités expressives et des promesses de liberté que les réseaux en tant qu’« entités » à la fois matérielles et immatérielles ont annoncées et assurées depuis l’avènement d’internet, Chun montre que la navigation et le bricolage « erratiques » et aléatoires entre les réseaux, typiques de la postmodernité, ont cédé la place à une nouvelle « cartographie cognitive » (p. 612 et ss.) qui retrace les habitudes des internautes. Plus particulièrement, l’auteur explique la manière dont les Big Data reconfigurent les liens entre corrélation et causalité dans le traçage des habitudes des individus, dans l’objectif d’atteindre une prédictibilité des conduites qui s’émanciperait à la fois de toute théorisation portant sur la statistique, et des biographies singulières de chacun. Cette reconfiguration s’avère paradoxale pour les usagers, car d’une part, elle est totalement transparente3 du point de vue du code et des processus d’élaboration des données, et, d’autre part, elle semble s’adresser très précisément à chacun d’eux en promouvant ainsi la confirmation – sinon l’illusion – de l’effectuation de choix individuels et, par conséquent, d’un pouvoir d’agence.

Cette même dialectique entre élargissement (et accessibilité) au plus grand nombre d’usagers et surveillance (et prédictibilité) des choix est également à l’œuvre dans la « remédiation » et dans le « recours massif au numérique » (p. 461 et ss.) que Jean-Christophe Vilatte et Céline Schall approfondissent dans leur contribution « La (re-)médiation des musées par les technologies numériques ». À partir des impératifs de la participation, de la personnalisation et de l’expérience qui, associés au recours au numérique, font du musée un « média » à part entière, les auteurs constatent en premier lieu la présence d’un taux « faible » de remédiation des contenus muséaux lorsqu’ils sont tout simplement transposés sur des dispositifs connectés, de sorte qu’« aucune nouvelle expérience de l’objet n’est proposée » (p. 476) ; en deuxième lieu, ils s’interrogent sur les « pré-notions » au sujet des publics, qui déterminent les stratégies de personnalisation et de traitement des données relatives aux expériences des utilisateurs. Dans ce cadre, selon les auteurs, la remédiation ou remédiatisation numérique du musée devrait éviter « d’avoir une approche réductrice et stéréotypée des publics et de leur expérience » (p. 483), de manière à sauvegarder le partage essentiel que constitue la visite au musée, en ceci qu’elle « n’est pas une visite individuelle, mais sociale » (p. 479).

Une telle perspective critique, nécessaire afin de fuir tout danger d’engouement – même théorique – vis-à-vis du re- en tant que remédiation, met en exergue les renversements que ce préfixe opère entre les pôles de la production et de la réception, entre la répétition du même et la production de la différence, entre le passé et le présent, entre la forme et le fond et, enfin, entre une source et une cible dans l’établissement d’un lien référentiel. Ces différentes relations que le re- ne cesse de retravailler contrecarrent précisément les limites « transparentes » des dispositifs de capture et de remédiation – notamment de la vision –, et montrent en revanche les débordements du sens que concepteurs et utilisateurs peuvent s’approprier.

L’on pense par exemple à la contribution d’Elitza Dulguerova, « Reconstruire (ou pas). L’architecture comme artifice de voyage dans le temps », dans laquelle l’auteur problématise les reconstructions d’expositions dans d’autres lieux que ceux d’origine, et dont l’enjeu principal est « la quête d’une expérience qui ne serait pas celle d’une œuvre unique : à la fois l’expérience spatiale d’un ensemble d’œuvres au sein d’un espace architectural, et l’expérience contextuelle de cet ensemble à un moment historique donné » (p. 436).

Ainsi, la condensation de temporalités différentes agit non seulement sur la diachronie mais s’avère productrice de nouvelles temporalités dans une sorte de psycho-synchronie, pour paraphraser ce que décrit Marco Sinaldi dans son chapitre « Déjà vu. Re-voir, re-faire, re-vivre à l’époque de l’art contemporain » au sujet des ready-made duchampiens. L’examen de Sinaldi des œuvres de Duchamp, mais également de la théorie des couleurs de Goethe à la lumière du phénomène de la réinterprétation (p. 231) dans les pratiques artistiques contemporaines, trouve un ancrage perceptif, sémiotique et philosophique dans la Phénoménologie de l’esprit de Hegel et dans les recherches en optique d’Herman von Helmotz, si bien que l’acte de voir et l’activité de la conscience apparaissent comme étant foncièrement doubles et affichés en tant que tels. De ce fait, les pratiques artistiques tournant autour du re- ne feraient rien d’autre qu’amplifier médiatiquement ce processus psychobiologique, en installant un « dédoublement à l’intérieur du regard, une duplicité qui détourne le regard de soi-même et le transforme d’un acte innocent et “naturel” jeté sur le monde, en un geste qui se penche, se fléchit sur soi et devient ré-flexif et auto-conscient » (p. 232).

Pouvoir d’agence, temps, perception, puis devenir-image : Mauro Carbone, dans « L’ombre et le corps. Pour une anthropologie des expériences écraniques », fait remonter le pouvoir de constitution de quasi- ou entre- mondes de l’« archi-écran » – « qui se fait avec et par ses “re-” » (p. 155) – à Platon et au statut de l’ombre « en tant que proto-image » (p. 157). Même dans la production des ombres (production et présentation), les écrans se voient doublés et, conséquemment, les corps peuvent être considérés comme des proto-écrans, en ceci que « y reconnaître une figure et même l’image d’un corps […] veut dire sursignifier implicitement la surface même où l’ombre est projetée » (p. 159). Ainsi, les phénomènes liés au re- engendrent à la fois des imbrications et des sauts de nature foncièrement sémiotique entre les dispositifs et outils techniques, les modalités d’énonciation – ou de réénonciation – des objets et des pratiques, et le statut « ontologique » desdits objets et pratiques.

À ce sujet, la contribution de Maria Giulia Dondero, « La remédiation de larges collections d’images via la visualisation automatique », explicite les manières dont la remédiation des collections d’images appartenant à la « Media Visualization » de Lev Manovich peuvent modifier aussi bien la relation aux images sources – telles que les productions picturales d’un Mondrian ou d’un Rothko –, que celle à leur propre statut d’origine, à savoir le fait qu’il s’agit d’images à vocation scientifique. Le processus de remédiation est donc pluriel et investit les trois volets mentionnés plus haut. En particulier, les quatre phases que Dondero identifie (p. 486 et ss.), à savoir le « changement de support », la « relocalisation de l’image dans sa collection », les « transformations méréologiques », la « remédiation de statut », semblent rehausser par ricochet la dialectique et la réversibilité entre figure et fond, et entre forme et force : à la base des phénomènes du re- il y aurait ce va-et-vient fondateur de toute production signifiante.

Dès lors, la relation entre cette dynamique fondatrice et les formes du re- pose au chercheur au moins deux autres questions : i) comment distinguer la médiation propre à tout phénomène impliquant la production de signes, de leur remédiation ?, ii) quel est le statut conféré à la trace, à la lacune, à tout matériau de sens qui perdure ou qui s’enfouit, et comment ces « matériaux » peuvent-ils être transmis ?

Note de bas de page 4 :

Cf. J. Fontanille, Pratiques sémiotiques, Paris, Puf, 2008.

Note de bas de page 5 :

Tout comme dans le cas d’un dialogue et d’une reprise à distance de l’ouvrage de Dusi et Spaziante, le volume dirigé par Colas-Blaise et Tore poursuit – en les élargissant­ – les études sémiotiques qui avaient été consacrées à la médiation et à la remédiation au moins dans deux occasions : lors du congrès de l’Association Française de Sémiotique (AFS) de 2015 sur « Sens et médiation » (cf. http://afsemio.fr/publications/actes_congres/sens-et-mediation-actes-du-congres-de-lafs-2015/), et lors du congrès de l’Association Internationale de Sémiotique Visuelle (AISV) de 2014, « Re-médiation. Figuratif et plastique sous l’éclairage technologique », qui avait donné lieu à deux publications (cf. T. Migliore (dir.), Rimediazioni. Immagini interattive, tomes 1 et 2, Rome, Aracne, 2016).

Concernant la première question, la contribution de Marion Colas-Blaise, « La question du “re-” au risque de la sémiotique. Déclinaisons et enjeux », s’attache à définir la réénonciation par rapport à l’énonciation, tout comme à différencier plusieurs strates de la remédiation en fonction de chaque niveau de pertinence sémiotique4 pris en considération. Si la praxis énonciative et la médiation font émerger l’hétérogénéité constitutive de l’agir sémiotique, la réénonciation, en tant que praxis sémiotique de deuxième degré, va plus loin et fait « entrer en résonance/en conflit des déterminations, des contraintes et des potentialités, avant la réalisation contextualisée de sémiotiques-objets, par exemple à travers des usages socio-culturels » (p. 70). En particulier, selon Colas-Blaise, la réénonciation instaure une continuité entre le faire voir – un trait que les chapitres évoqués plus haut partagent – et le voir faire qui intensifie l’énonciation et justifie l’emploi d’un modèle théâtral afin d’appréhender sa spécificité. En effet, la réénonciation « fait voir l’événement de sens spectaculaire : le décalage et la transformation, sur les axes paradigmatique et syntagmatique, la différence qualitative et la recréation/réinvention, […] se déclare comme telle et appelle le voir faire (en facilitant le passage au niveau méta-) » (p. 107). À son tour, la démultiplication des formes de remédiation5recontextualisation, remédiatisation, reformatage, remédialisation, retexturage – permet de mettre à jour des outils théoriques tels que les notions d’intertextualité et de traduction intersémiotique, en y intégrant les problématiques liées plus spécifiquement aux supports et aux transformations des simulacres de l’auteur et du lecteur/spectateur.

Dans ce sens, les contributions d’Emmanuelle Pélard et Olivier Lapointe, d’Ingrid Mayeur et François Provenzano, intitulées respectivement « Diaspora de l’auctorialité dans les réseaux sociaux et les nouveaux médias. Remake, remix et reprise dans le cas de la littérature en contexte numérique » et « Montages savants. Les savoirs en humanités à l’épreuve de la remédiation numérique », montrent toutes deux comment la « fluidification » de l’auteur – en faisant référence à l’« esthétique du flux » qui est évoquée dans de nombreux autres chapitres – peut engendrer non seulement une mise en commun de la production littéraire ou du savoir, mais également des pratiques de navigation et de lecture qui opèrent une presque véritable refonte des contenus mêmes (des œuvres explicitement littéraires et poétiques, ou bien la proposition d’une certaine articulation diagrammatique de concepts théoriques).

Note de bas de page 6 :

Cf. J. Fontanille, « La patine et la connivence », Protée, vol. 29, n° 1, 2001, pp. 23-35.

Vis-à-vis de la deuxième question, la contribution de Migliore évoquée plus haut, « Réénonciation et “remembrance” », décrit le rôle stratégique (et mémoriel) de la remédiation opérant aussi bien sur un lieu géographique et muséal – le Védutisme italien dans la Galerie de Palazzo Cini à Venise –, qu’à travers l’épaisseur des images. Par-dessous la patine6 de celles qui semblent être des œuvres picturales, la photographie numérique d’extraits de catalogues d’art des mêmes peintures recompose « nos pratiques perceptives, cognitives et pathémiques de couplage avec les œuvres » (p. 224) et, ce faisant, assure la persistance d’une « histoire immatérielle, numérique, nette d’une perception qui […] doit et peut se matérialiser à travers une suite de compétences » (p. 226).

Dans ce cadre, et à partir d’un exemple littéraire, il n’est pas étonnant que Jacques Fontanille, dans « La re-transmission. Une approche anthroposémiotique », s’intéresse aux parcours et aux syncrétismes narratifs engendrés par la (re-)transmission. En particulier, pour Fontanille, la réactivation et la « prolongation » des traces et des héritages ne peuvent se faire que par et parmi les vivants – outre qu’entre les ancêtres et les vivants –, et grâce à une négociation qui altère ipso facto le sens du legs : « ce qui se transmet doit déjà être constitué entre les vivants comme transmissible ou à transmettre, pour participer ensuite d’un autre mode d’existence, et c’est ce processus préalable qu’il faut regarder plus attentivement » (p. 535). Cela montre également la nature complexe et non linéaire des phénomènes du re-, comme dans le cas de la reprise à laquelle se consacre Pierluigi Basso Fossali dans son chapitre « La reprise et la décoïncidence. La dialectique paradoxale de toute médiation », lorsqu’il définit la reprise « en tant que finalisation indéterminée d’une syntaxe qui transforme l’impulsion en irritation et l’irritation en décantation interprétative » (p. 562), si bien qu’il y a « non seulement un acte dans la reprise, mais aussi une transversalité du sens qui s’oppose à sa linéarisation, à sa “conduction” linéaire » (ibidem).

Note de bas de page 7 :

La perte totale du lien référentiel ontologique à l’« original » a été récemment évoquée par Massimo Leone au sujet des technologies permettant la (re)constitution des visages autres (dans le temps et dans l’espace) ou de visages qui n’existent littéralement pas, et qui sont élaborés à partir de procédés semblables à ceux des visualisations d’images de Manovich. Cf. M. Leone, « The Meaning of Artificial Faces », communication orale dans le cadre de l’International Conference Semiosis in Communication : Culture, Communication and Social Change, 26-29 mai 2021, Bucarest, Roumanie.

Note de bas de page 8 :

Cf. P. Fabbri, « Due parole sul trasporre », entretien avec Nicola Dusi, Versus. Quaderni di studi semiotici, n. 85-86-87, 2000, p. 271-284.

Note de bas de page 9 :

Cf. P. Cadiot et Y.-M. Visetti, Pour une théorie des formes sémantiques. Motifs, profils, thèmes, Paris, Puf, 2001. A partir des élaborations de Maurice Merleau-Ponty, les auteurs proposent un modèle conjoint de la transposition et de la reprise des formes sémantiques qui peut être élargi à des objets sémiotiques non immédiatement linguistiques.

Pour conclure, on peut affirmer que, outre ces grandes lignes directrices que l’on peut démêler tout au long de l’ouvrage, « Re- ». Répétition et reproduction dans les arts et les médias laisse ouvert un certain nombre de questionnements qui intéressent de près la sémiotique générale. Par exemple, comment pourrait-on évaluer le modèle d’Umberto Eco des modes de production sémiotique à la lumière des resémantisations de notions comme celle de réplique évoquée par Gian Maria Tore dans son « Remake, rewind, reset ! La question du “re-” et la leçon des arts et des médias aujourd’hui » ? Puis, si la réénonciation, comme le soutient Colas-Blaise, « n’est pas incompatible avec un certain dire-vrai » (p. 87), comment peut-on penser les relations entre les processus et les formes du re- et la problématique du fake7 qu’engendrent les technologies d’aujourd’hui ? En d’autres termes, jusqu’où peut-on pousser le re- et à quel moment la « décoïncidence » serait-elle absolue et irréversible ? Finalement, au vu de la capacité des notions dérivées du re- d’englober des processus de renvoi entre les signes et les textes plus « traditionnels », pourrait-on s’acquitter de l’intertextualité et des formes de traduction intersémiotique ? Quels seraient les passages ou les relations entre les formes du re- et celles du trans- que des termes tels que transduction8 et transposition9 laissent entrevoir ? Et, plus profondément, quel est le « moteur » qui incite les agents et les médias à prendre et à se reprendre encore ?

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