Suivi à moyen terme du peuplement piscicole sur le réseau hydrographique du Vianon (19) en conditions naturelles Medium-term monitoring of the fish population on the Vianon river system (19) under natural conditions
Une étude pluriannuelle menée sur un cours d’eau corrézien avait pour objectif de suivre le peuplement piscicole par pêche électrique d’inventaire ‘De Lury’ à la suite de l’arrêt des repeuplements en 1997. Les données acquises mettent en exergue le rôle de l’hydrologie printanière (crues) sur la reproduction de la truite commune, et l’effet structurant du recrutement en juvéniles sur le peuplement en place. Les données acquises suggèrent que la dynamique des populations qui composent le peuplement s’exprime par les phénomènes de prédation et/ou de compétition entre la truite commune et les autres espèces. Les résultats obtenus permettent ainsi de souligner l’intérêt d’une démarche écosystémique dans la mise en œuvre d’études sur les milieux aquatiques. Ce suivi à long terme met en évidence une importante variabilité naturelle dans la composition quantitative du peuplement en place, et ce faisant, confirme la nécessité d’études pluriannuelles pour disposer d’une vision pertinente de l’état du milieu, s’affranchissant des particularités annuelles.
Following the end of trout restocking in a french watercrouse basin (Correze) in 1997, a multi-year study was carried out in order to assess the effect on trout population. Fish stands was estimated using the ‘De Lury’ removal data survey. The data underlines the role of srping hydrology (specially floods) on the common trout recruitment, and the induced effects on all other species through competition and predation relations. In doing so, it is important to keep an ecosystemic approach, taking into account all the species. This long term study confirmed the natural variability in freshwater fish populations and the need to take a step back to overcome annual specificities.
Introduction
La gestion des milieux aquatiques et des peuplements piscicoles présente généralement une certaine difficulté pour les Associations Agréées de Pêche et de Protection des Milieux Aquatiques (AAPPMA), particulièrement pour trouver les compromis entre les pressions anthropiques sur les milieux, la préservation du patrimoine naturel et le maintien d’une activité halieutique.
Dans ce cadre, la mise en œuvre de repeuplements apparaît souvent comme une solution à court terme, moins en raison de son efficacité (Versanne-Janodet et Moallic 2007) qu’en raison de l’illusion qu’elle donne d’être acteur d’une amélioration des peuplements.
Comme l’AAPPMA de la Truite Neuvicoise est soucieuse du respect de ses objectifs statutaires et souhaite mettre en place une politique de gestion cohérente et rationelle dans laquelle la connaissance précède la gestion, elle a décidé en 1997 de stopper toute forme de repeuplement sur le bassin versant du Vianon (19) et de mettre en place un suivi des peuplements à partir de 1998.
Après avoir présenté le contexte de l’étude, nous aborderons les résultats issus de ce suivi en évoquant notamment les fluctuations du peuplement piscicole du Vianon, avec une attention plus particulière à la population de truite commune et à sa relation avec les autres espèces du milieu.
Matériel et méthodes
Site d’étude : le Vianon (19)
Contexte géographique et intérêt du site d’étude :
Le Vianon est un petit cours d’eau du nord-est de la Corrèze qui serpente sur un axe nord-sud. Il prend sa source au lieu-dit « Espinet » (Saint Angel, 19) et conflue après 27,6 km avec la Luzège (affluent de la Dordogne) au niveau de la retenue hydroélectrique de la Luzège (Figure 1). Le bassin versant a une superficie de 97 km² et il est essentiellement forestier (71 %, Manière et Petitjean, 2011).
De sa source à St Hilaire Luc (figure 1), le Vianon circule dans une vallée de plateau assez large et présente une pente moyenne (8,1 %) avant d’entrer dans une zone de gorges encaissées où la pente est plus importante (16,3 %). Sur ce premier secteur, le cours d’eau présente une largeur moyenne à l’étiage de 4 m environ, tandis qu’il approche les 8 m sur le second secteur.
Le régime hydrologique est de type pluvial et il est très lié au climat de type montagnard à forte tendance océanique (env. 1200 mm de précipitations annuelles ; ASCONIT Consultants 2014).
Le contexte géologique local est celui des séries métamorphiques de la moyenne Dordogne. Le cours d’eau s’écoule sur un socle granitique et métamorphique (granite, gneiss et migmatite apparaissant comme les principales roches rencontrées ; http://www.infoterre.brgm.fr).
Les avantages que représente l’étude de ce cours d’eau sont multiples : i) la quasi- totalité du bassin est gérée par l’AAPPMA de la Truite Neuvicoise qui dispose donc d’une grande lattitude dans les décisions d’actions et les possibilités de suivi de leurs effets ; ii) la taille du bassin versant, (proche de 100 km²) constitue un bon compromis entre une taille suffisante pour apporter des informations pertinentes et représentatives d’une part, et est suffisamment limitée pour ne pas rendre les investigations trop difficiles d’autre part ; iii) le bassin versant est intégralement en gestion patrimoniale, ce qui permet de suivre les espèces sans disposer d’une interférence liée à des empoissonnements ; iv) ce cours d’eau est depuis de nombreuses années un terrain expérimental pour les personnes et les structures en charge de la connaissance et de la gestion du milieu : il a servi de base aux premiers travaux d’entretien de berge entrepris par l’AAPPMA de la Truite Neuvicoise à la fin des années 1980 et des évaluations menées par la Direction Régionale du Conseil Supérieur de la Pêche (Boyer 1980), mais également à plusieurs travaux universitaires (Maridet 1994 ; Tisseuil 2004 ; Loubaresse 2005 ; Autef 2009).Les informations récoltées au travers de ces travaux sont donc nombreuses et constituent un atout supplémentaire dans l’analyse des données acquises ; v) enfin, les pressions anthropiques restent assez limitées sur ce bassin versant.
Figure 1 : Bassin versant du Vianon (19) ; localisation géographique et positionnement par rapport aux principaux affluents : la Luzège (à gauche) et la Dordogne (à droite).
Activités humaines et perturbations :
Le réseau du Vianon est exclusivement rural : on compte une densité de 14 habitants/km² sur l’ensemble des communes du bassin versant (http://www.insee.fr). Par conséquent, les perturbations urbaines y sont faibles et se font surtout ressentir par un colmatage organo-minéral du cours d’eau, en lien avec l’activité de sylviculture (Autef, 2009) et d’élevage extensif (Maridet 1994) pour la partie amont, ou par une détérioration de la qualité physico-chimique au niveau de Palisse et de Saint-Hilaire-Luc (Tisseuil et al. 2004) en lien avec les process d’assainissement.
Depuis 1997, les pratiques agricoles et activités diverses n’ont pas évolué significativement sur l’ensemble du réseau (http://www.agreste.agriculture.gouv.fr)
D’après le Plan Départemental pour la Protection des milieux aquatiques et la Gestion des ressources piscicoles (PDPG), mis en place par la Fédération Départementale des AAPPMA de la Corrèze (Manière et Petitjean 2015), le contexte du Vianon est diagnostiqué « peu perturbé ». Les trois perturbations principales recensées sont par ordre d’importance décroissante : la sylviculture (28 %), le piétinement des berges (19 %) et les problèmes de franchissement (14 %). Le contexte est donc classé « salmonicole perturbé », proche d’une situation conforme (taux de perturbation < 20 %), ce qui est cohérent avec le « bon état écologique » défini par la Directive Cadre Européenne (DCE) sur l’eau (http://adour-garonne.eaufrance.fr/massedeau/SDAGE2016/FRFRR98A_1).
Comme l’indique Richard en 1998, ce bon état écologique global du cours d’eau doit permettre à la population locale de truites communes d’accomplir les trois fonctions vitales de son cycle biologique (reproduction, éclosion, croissance).
Stations d’étude et méthodologie :
Choix des stations d’étude et fréquence de prospection :
Le peuplement en place a été échantillonné annuellement par pêche électrique d’inventaire à l’aide d’un matériel de type Héron® (Dream Electronique) sur plusieurs stations du réseau hydrographique du Vianon (Figure 2) à la même période de l’année (début juillet) entre 1997 et 2010. Au total, 10 stations ont été inventoriées sur différentes zones du Vianon ou de ses affluents, afin de disposer d’un diagnostic assez exhaustif des configurations de pentes ou d’habitat présents sur le bassin versant.
Les stations ont été étudiées à un pas de temps trisannuel, ce qui correspond à un cycle de vie pour la truite commune, sauf pour deux d’entre elles, nommées Champier (Vianon), et Boucheron (Pont-Live), qui ont fait l’objet d’un échantillonnage à un pas de temps annuel, dans le but de suivre l’évolution des cohortes d’une année sur l’autre. Compte tenu de la plus grande finesse d’analyse que permet le suivi annuel, ce sont les résultats de ces deux stations qui seront présentés ici.
Ces stations ont été définies par Morcel (1997) sur la base de critères relatifs à leur localisation sur la partie amont du réseau, à proximité des zones de reproduction, à la présence d’obstacles difficilement franchissables plus en aval, ce qui limite la remontée des poissons (Salmonidae notamment) lors des périodes de reproduction (GEREA 2004), ainsi que sur la base d’un critère de proximité géographique.
Enfin, cinq stations ont fait l’objet d’investigations ponctuelles visant à répondre à certaines interrogations spécifiques.
Le Conseil Supérieur de la Pêche a effectué les pêches électriques en 1997 et 1999, et la Maison de l’Eau et de la Pêche de la Corrèze a pris la suite à partir de 2000. En raison de conditions météorologiques défavorables, aucune pêche n’a pu être réalisée en 1998.
Mise en œuvre des prospections de terrain (inventaires, étude de croissance) :
La pêche d’inventaire ‘De Lury’ est une technique d’échantillonnage consistant en la réalisation de deux ou trois passages successifs sans remise à l’eau des poissons récoltés entre les passages (méthode par épuisement). Les conditions de mise en œuvre respectent les prescriptions de la norme AFNOR (AFNOR NF EN 14011 2003).
Figure 2 : Localisation des stations d'inventaire piscicole sur le bassin versant du Vianon
Les études de croissance (2005, 2009 et 2011 (Delmas, 2012) ont consisté en une étude scalimétrique réalisée sur les différentes stations d’étude du bassin versant. Les écailles ont été prélevées en arrière de la nageoire dorsale et au-dessus de la ligne latérale, conformément aux prescriptions d’Ombredane et Bagliniere (1992), puis elles ont été lues sur un lecteur de microfiches, en respectant la méthodologie décrite par Panfili et al. (2002). La validation des données a été réalisée par vérification, à savoir la lecture des écailles d’un même individu par plusieurs opérateurs et les tailles des poissons déterminées par rétrocalcul en utilisant la formule de calcul de Fraser Lee (Panfili et al., 2002). Ces données, associées à celles de Dumée (1992), ont permis de distinguer dans les inventaires au moins trois cohortes de truites communes : les alevins de l’année (0+), les juvéniles (1+) et les adultes et subadultes et adultes (>1+).
Analyse statistique des données de pêche électrique :
Les données de pêche électrique d’inventaire ont été analysées en basant le diagnostic sur la démarche rationnelle décrite par Degiorgi et Raymond (2000) qui trouve ses fondements dans l’analyse biotypologique des peuplements (Verneaux 1973).
Les densités numériques et pondérales sont ainsi estimées par la méthode de Carle et Strub (1978) avec un intervalle de confiance à 95 %. La nature des espèces, les densités brutes, puis les densités estimées constituent ainsi un premier niveau d’analyse.
Ces densités sont ensuite transformées en classes d’abondance (Dr Lyon in Sabaton et al., 2004) qui permettent de comparer de manière objective différentes espèces dont les capacités de reproduction et d’occupation de l’espace vital sont très différentes (Verneaux, 1981). Elles permettent un second niveau d’analyse.
Parallèlement, la détermination d’un niveau typologique théorique (NTT) pour chacune des stations d’étude considérée, permet de reconstituer un peuplement de référence auquel est confronté le peuplement observé (Aarts et Nienhuis, 2003 ; Verneaux 1973 ; Verneaux et Leynaud, 1974).
Enfin, le dernier niveau est constitué par l’analyse de la répartition des différentes classes d’âge de la population de truite commune. Celle-ci a été réalisée par l’analyse des classes de taille, associée aux études de croissance effectuées par Autef (2009) puis Delmas (2012).
Résultats
Evolution des densités piscicoles :
Densité piscicole totale :
Sur les deux stations suivies de manière annuelle, plus de la moitié (56 %) des inventaires piscicoles effectués présentent une efficacité moyenne supérieure à 50 %. Il en est de même pour les investigations pour lesquelles l’efficacité de capture de la truite commune est supérieure à 70 %, ce qui permet de disposer de données fiables pour cette espèce.
La densité piscicole totale varie ainsi entre 44,7 et 502 ind./100 m² sur la station de Champier et entre 41,1 et 412,6 ind./100 m² sur la station du Boucheron.
Au niveau des densités estimées, on observe des variations annuelles plus ou moins marquées, et une tendance à une augmentation de la densité piscicole sur le secteur, entre 2001 et 2004 (tableau I), suivie d’une diminution entre 2007 et 2009.
Tableau 1 : Densités piscicoles estimées par la méthode de Carle et Strub (ind/100 m²) sur les deux stations d’étude entre 1997 et 2010.
|
1997 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
Champier |
107,2 |
113,5 |
502,2 |
108,2 |
110,0 |
117,8 |
320,8 |
388,4 |
120,0 |
384,5 |
54,0 |
44,7 |
93,0 |
Boucheron |
58,0 |
115,8 |
322,7 |
95,7 |
202,7 |
216,3 |
412,6 |
215,8 |
52,2 |
118,9 |
68,2 |
41,1 |
65,6 |
Dans chaque station, le peuplement est composé de truites communes (Salmo trutta fario L.), mais aussi des autres espèces électives du niveau typologique considéré : loche franche (Barbatula barbatula L.), vairon (Phoxinus phoxinus L.) et chabot (Cottus sp. L.)
Densité numérique en truites :
La densité en truites communes est également soumise à des fluctuations annuelles (Figure 3) sur les deux stations d’étude. Si cette densité varie peu entre 1997 et 2000, elle se réduit (notamment sur le Vianon) en 2001 avant de marquer une augmentation importante en 2002 et 2003, passant de 20 à près de 40 ind./100 m². En 2004, on note là encore une réduction importante de la densité estimée en truites communes. Ces densités sont toujours plus élevées sur le Vianon que sur son affluent (sauf en 2008).
Figure 3 : Evolution des densités numériques estimées pour la truite commune sur les deux stations de suivi, entre 1997 et 2010.
Place de l’espèce truite dans le peuplement :
La figure 4 reprend de manière synthétique l’évolution de la population de truites sur la partie amont du réseau hydrographique du Vianon (moyenne des densités numériques des deux stations) par rapport à la densité piscicole totale (moyenne des deux stations).
Figure 4 : Evolution de la densité piscicole totale (moyenne pour les 2 stations) et du pourcentage de truites communes dans le peuplement entre 1997 et 2010.
On observe une évolution assez anticorrélée du pourcentage de truites communes dans le peuplement et de la densité numérique totale. Ainsi, lorsque la proportion de truites est la plus faible (2000, 2004, 2007), la densité totale est maximale. Réciproquement, lorsque la proportion de truites est la plus forte, la densité piscicole totale est minimale (1997, 2001, 2006, 2009).
Structure de la population de truites communes :
Une répartition variable des classes d’âge et particulièrement des 0+° :
L’analyse de la répartition des classes d’âge des truites communes (détermination via les études de croissance) fait ressortir l’existence d’une forte variabilité dans la contribution de différentes cohortes à la population de truites commune (figure 5). C’est particulièrement vrai pour les alevins de l’année (0+) dont la contribution peut être assez importante (17,4 ind./100 m²) ou marginale (0,9 ind./100 m²). Les juvéniles (1+) montrent une répartition moins variable au cours du suivi (sauf en 2007 et 2008).
Figure 5 : Evolution des densités de truite commune par classes d'âge (0+, 1+ et >1+) pour la station de Champier (1997-2010).
Dans ce cadre, il est remarquable, plus particulièrement sur le Boucheron, que certaines années telles que 2000 et 2004, voient l’absence totale d’individus 0+ (figure 6), suivies d’années où leur proportion avoisine les 8 ind./100 m², soit près de 40 % de la population (2002, 2008).
Figure 6 : Evolution des densités de truite commune réparties en classes d'âge (0+, 1+ et >1+) pour la station de Pont Live (1997-2010).
Une contribution plus constante des adultes et des subadultes (> 1+)
Les truites communes sub-adultes et adultes (> 1+) contribuent également de manière variable à la densité de la population, si on les considère de manière relative (figures 5 et 6), mais montrent des fluctuations numériques absolues moins importantes, comme le montre le tableau suivant (intervalles de confiance plus réduits pour ces individus sur les deux stations).
Ces truites sont plus largement représentées sur le Vianon que sur son affluent (tableau 2). La densité numérique est ainsi supérieure pour les quatorze années de suivi, à l’exception de 2008.
Tableau 2 : Densité numérique moyenne en truites communes sur les deux stations sur les 14 années de suivi avec les intervalles de confiance (IC) à 95 %.
CHAMPIER (V) |
Moyenne (ind./100 m²) |
IC 95 % |
|
TRF 0+ |
5,3 |
± |
3,4 |
TRF 1+ |
8,2 |
± |
3,7 |
TRF >1+ |
6,6 |
± |
1,5 |
PONT LIVE (B) |
Moyenne (ind./100 m²) |
IC 95 % |
|
TRF 0+ |
2,4 |
± |
1,7 |
TRF 1+ |
5,2 |
± |
1,2 |
TRF >1+ |
2,9 |
± |
1,0 |
Discussion
Des fluctuations annuelles du peuplement dans lesquelles la truite commune se distingue.
Les résultats exposés, loin d’indiquer une constance dans la composition quantitative du peuplement piscicole entre 1997 et 2011 mettent en évidence l’existence de variations annuelles qui peuvent être assez marquées pour l’ensemble des espèces, et qui confirment les observations antérieures (Gerdeaux 1985 ; Belkessam et Oberdorff 1998). A l’instar de ces derniers auteurs, on note pour les deux stations suivies de manière annuelle montrent une augmentation du coefficient de variation liée à celle de la durée du suivi (tableau 3).
Tableau 3 : Coefficient de variation (CV) après 7 et 14 ans de suivi pour les deux stations suivies annuellement.
CV 7 ans |
CV 14 ans |
|
Champier (V) |
52,6 |
77,0 |
Boucheron (Pt L) |
61,8 |
77,3 |
Ces données confirment également les échelles de variation de densité mises en évidence par Bagliniere et Maisse (2002) pour la truite commune : de 1 à 6 pour la population dans sa globalité et de 1 à 18 pour les alevins de l’année (0+).
Les données présentées ici mettent également en exergue la situation particulière de la truite commune par rapport à la globalité des espèces (figure 4). Ces évolutions croisées de la densité numérique totale et de la proportion de truites communes permettent selon nous d’exclure l’existence de pollutions qui auraient un impact sur l’ensemble du peuplement (et qui semblent peu probables sur les deux cours d’eau de manière simultanée).
Cette variabilité dans les données donne un réel sens à la mise en œuvre d’investigations pluriannuelles. Les données ponctuelles constituent le lot commun des investigations mises en œuvre sur les cours d’eau, mais ne semblent avoir, en dépit du caractère intégrateur de la faune piscicole (Verneaux, 1981) que la valeur d’un « cliché instantané », informatif, mais notoirement incomplet (Gerdeaux 1985).
Les crues, un facteur explicatif de l’évolution des populations de truite.
Le caractère particulier de l’évolution de la population de truites communes par rapport à l’ensemble du peuplement (figure 4) nous amène à considérer l’existence de phénomène(s) spécifique(s) expliquant les fluctuations de cette espèce.
Ces variations de densité semblent de fait préférentiellement liées au recrutement des alevins (figures 5 et 6) et pourraient ainsi témoigner de succès variables de la reproduction de l’espèce. Ce succès semble ainsi très réduit pour les années 2000, 2004 et 2007 notamment.
Dans le même temps, deux éléments méritent d’être soulignés :
i) le fait que ces années, où le recrutement est faible (2000-2004-2007), correspondent à des périodes où les espèces piscicoles sensibles à la qualité de l’habitat (au sens de Grandmottet (1983)) font état de déficits d’abondance (Versanne-Janodet, 2003),
ii) La consultation des archives de la banque HYDRO (www.hydro.eaufrance.fr/) pour la station située sur le cours principal (la Luzège, figure 1) permet de souligner l’existence de débits de crue importants sur ces périodes. En effet, on note pour décembre 1999, janvier 2004, ou mars 2007 des débits (instantané maximal ou journalier maximal) correspondant à des débits de crue décennale (source : banque HYDRO).
Rajoutons également l’hypothèse d’une réduction de la densité piscicole totale pour 2001 et 2006 (investigations estivales) sous l’effet de crues d’importance moindre, mais liées à de fortes variations de débit journalière (35,2 m3/s pour juillet 2001 et 27 m3/s pour mars 2006)
Ces différents éléments nous conduisent à émettre l’hypothèse que les crues ‘hivernales’ constituent un élément structurant important pour la population de truites communes du Vianon, en influençant le recrutement et le succès de la reproduction. Les crues printanières ou estivales pourraient jouer un rôle structurant sur les autres espèces de poissons.
De nombreux auteurs ont également mis en évidence l’influence que pouvaient avoir des événements climatiques exceptionnels tels que les crues dans l’analyse de l’évolution des populations de truite commune (Cattaneo et al., 2002) et plus largement du peuplement piscicole (Beaudou et al., 1995) y compris de manière indirecte (Timmermans, 1985 ; Sabaton et al., 2004).
Baran (2008) souligne notamment l’importance des phénomènes hydrologiques exceptionnels en tant qu’élément structurant du peuplement pisciaire, tandis que Cattaneo et al. (2002) expriment plutôt une influence prépondérante de l’hydrologie printanière moyenne. L’application de cette hypothèse aux présentes données ne montre pas de relation systématique entre les deux variables (notamment pour 1997, 2009, 2010).
Le rapprochement des données d’hydrologie et des données biologiques constitue une hypothèse vraisemblable, mais elle ne permet guère d’établir de strictes relations statistiques. La prise en compte de tels facteurs est très complexe à intégrer à une analyse en raison des phénomènes de contingence d’une part (influence des événements passés sur les événements présents) et des effets variés d’un même débit sous différentes conditions environnementales (par exemple, vitesse et amplitude de la variation de débit, phase du cycle biologique des espèces) d’autre part. Enfin, une difficulté réside dans le fait de pouvoir déterminer la métrique la plus discriminante (valeur maximale, médiane, moyenne ? sur quelle période ?).
Ces résultats ouvrent cependant la voie à une recherche spécifique qui pourrait s’orienter sur la mise en place de modèles prédictifs, en intégrant les données obtenues sur les autres stations suivies.
Compétition interspécifique et prédation jouent un rôle dans la dynamique de l’écosystème :
La figure 4 met clairement en évidence l’anticorrélation entre le pourcentage de truites communes dans le peuplement, et la densité piscicole totale.
Cette anticorrélation peut s’expliquer par deux hypothèses non exclusives :
i) l’existence de phénomènes de prédation qui peuvent s’exercer notamment par la truite commune sur les autres espèces présentes (Cyprinidae, Cottidae, Cobitidae). Comme ces espèces dites « d’accompagnement » (encore qu’on puisse légitimement récuser ce terme dans le cadre d’une étude systémique) se reproduisent généralement plus tardivement (mars-juillet), l’hypothèse d’une prédation sur les jeunes stades paraît crédible.
ii) la compétition interspécifique peut également constituer une hypothèse de travail permettant d’expliquer cet état de fait. La compétition est effectivement un phénomène qui se met en place dès lors que des individus partagent une ressource qui est limitée (Fischesser et Dupuis-Tate, 1996). Elle est d’autant plus forte que les individus qui la subissent ont des exigences écologiques proches.
Cette hypothèse est cohérente avec la précédente et permet de penser que ces phénomènes de compétition et/ou de prédation jouent un rôle important dans la dynamique des populations qui composent le peuplement piscicole.
Cette première approche permet également de souligner l’intérêt d’une démarche écosystémique d’étude des peuplements piscicoles. En effet, la truite commune est généralement l’espèce ciblée par les mesures de connaissance et de préservation entreprises par les gestionnaires (sur des cours d’eau de première catégorie piscicole), ce qui conduit souvent à une sous-estimation de l’intérêt de la prise en compte des autres espèces dans les études de milieu.
Conclusion
Les résultats obtenus à partir de ce suivi soulignent, après d’autres travaux (Bagliniere et Maisse, op. cit. notamment) la forte variabilité interannuelle des abondances des espèces de poissons, et notamment de la truite commune dans le cours d’eau du Vianon. Cette observation permet de souligner, comme l’ont fait Gerdeaux (1985) puis Penczak et al. (1998) l’intérêt d’un suivi à long terme des peuplements piscicoles pour appréhender de manière pertinente leur situation, en s’extrayant des données particulières. Ainsi, en dépit du caractère intégrateur des poissons et de leur intérêt dans l’étude des milieux aquatiques (Verneaux, 1981), on note que la réalisation d’investigations ponctuelles ne rend pas compte de la dynamique des populations en place, ni même de la situation réelle du peuplement en regard des conditions (notamment hydrologiques) du milieu. Ainsi, chaque inventaire piscicole doit être vu comme un cliché photographique instantané dont la multiplication dans le temps et dans l’espace, donne accès à la reconstitution des mécanismes de fonctionnement de l’écosytème.
Ainsi, dans le cas du Vianon, les phénomènes hydrologiques (crues) printanniers jouent un rôle structurant pour la population de truites communes. C’est ensuite par l’importance des phénomènes de compétition et de prédation que se jouent la dynamique des populations au sein du cours d’eau.
Ces résultats permettent également d’insister sur la nécessité de mettre en œuvre une démarche écosystémique s’appuyant sur l’ensemble des espèces, et non la seule truite commune (Salmo trutta fario L.) dans un cadre de diagnostic. Une démarche que prônait déjà Verneaux (1981) voici près de quarante ans, mais qui reste d’actualité : « Le développement d’un peuplement pisciaire complet et harmonieux constitue une prime à la gestion rationnelle des écosystèmes. Les pratiques contraires conduisent à l’inverse : aux situations problématiques que l’on peut observer actuellement, en particulier par l’examen, peut être imprécis mais fidèle, qu’en donne le peuplement ichtyologique ».
Ce suivi à long terme ouvre de manière indirecte des perspectives en matière de gestion piscicole : les politiques ancestrales de gestion s’appuyant sur des alevinages massifs en truite commune constituent plus que jamais une impasse, dans la mesure où les alevins déversés sont soumis aux mêmes aléas hydrologiques que les poissons sauvages. Ainsi, la poursuite d’une politique de gestion patrimoniale visant la conservation des milieux et la restauration des secteurs altérés semble constituer une voie pertinente dans un contexte où la dynamique des populations apparaît fonctionnelle.