L’herbier de Jean-Baptiste Fray-Fournier, une collection patrimoniale The Jean-Baptiste Fray-Fournier herbarium, a botanical collection of great interest
Axel GHESTEM,
Joelle CARTIGNY
et Askolds VILKS
Une collection botanique patrimoniale est actuellement inventoriée à l’Université de Limoges. Il s’agit d’un herbier réalisé par un officier de la « Grande armée » en France mais aussi tout au long de ses campagnes en Europe. Cette collection présente un intérêt historique mais aussi scientifique car la classification de celui-ci suit la méthode très ancienne de Linné et, par ailleurs, les espèces proviennent de nombreuses régions d’Europe. La valorisation de cet herbier passe par une saisie informatique dans la base de données du Muséum National d’Histoire Naturelle et par une numérisation des échantillons.
Nowadays, a botanical collection of great interest is inventoried at Limoges University. This collection includes a herbarium made by a Napoleonan officer who collected plants in France but also in Europe all along Great army battlefields. Fray-Fournier herbarium represents great historic and scientific testimony as classification follows the old Linnaeus method. More over, plants specimens come from various European areas. Herbarium valorisation includes data entry in National History Museum database and scanning of herbarium plates.
Introduction
La typologie des collections d’histoire naturelle et, par conséquent, des herbiers se différencie en plusieurs secteurs selon leur intérêt et leur valeur. On y distingue classiquement les collections d’étude, les collections éducatives et les collections patrimoniales. Ces dernières comprennent notamment les collections historiques et les collections régionales (V. Poncet, 2004).
V. Poncet nous en précise ci-dessous les spécificités :
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les collections historiques ont été réalisées par des personnes de renom (scientifique, écrivain, etc…) sur le plan international, national ou local. Même si chaque spécimen de ces collections n’a pas de valeur particulière, il apparaît cependant indispensable de préserver l’unité de chacune d’entre elles.
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à la différence des précédentes, les collections dites régionales représentent un patrimoine de référence pour la connaissance et l’évolution des populations d’une région donnée.
La conservation et la valorisation de tels herbiers patrimoniaux ont été vivement recommandées lors du colloque « Les herbiers, un outil d’avenir. Tradition et Modernité » qui s’est tenu à Lyon en novembre 2002 et dont les actes ont paru en 2004 sous l’égide de l’A.F.C.E.V. (Association Française pour la Conservation des Espèces Végétales).
C’est ainsi que le Service Commun de Documentation de l’Université de Limoges s’emploie actuellement à inventorier, sauvegarder et mettre en valeur deux importantes collections patrimoniales qui sont conservées dans ses locaux (A. Ghestem et al., 2004). Il s’agit, d’une part, d’une collection historique, l’herbier « napoléonien » de Jean-Baptiste Fray-Fournier (1764-1835) et d’autre part, d’une collection régionale, l’herbier limousin de Charles Le Gendre (1841-1935). Nous nous proposons, dans la présente et première contribution, de présenter l’herbier de Fray-Fournier et d’en montrer l’intérêt tant historique que botanique. Puis, nous expliquerons comment sont réalisés actuellement l’inventaire de la collection, sa saisie informatique et sa numérisation. Nous décrirons aussi les différentes étapes qui doivent conduire à sa restauration et à sa conservation. Nous évoquerons, enfin, sa possible valorisation.
Jean-Baptiste Fray-Fournier, botaniste amateur éclairé, a constitué son herbier tout au long de ses campagnes militaires. Natif de Limoges (P. Vayre et G. Fray, 2006), cet ancien chirurgien major des chevaux-légers de Versailles, estropié d’une main, fut reclassé comme commissaire des guerres (P. Saumande, 1985). Il fut d’abord chargé, à l’époque révolutionnaire, d’organiser et d’administrer des hôpitaux militaires dans les Pyrénées et en Espagne. Puis, sous l’Empire, il fut affecté à la Grande Armée. Il exerça ses activités de commissaire des guerres dans différents postes en Allemagne (la Prusse de l’époque) à Berlin, Ulm, Magdebourg, Hambourg etc… De nombreuses missions l’ont amené à parcourir plus particulièrement certaines régions de la Prusse orientale. C’est ainsi qu’il dit avoir cueilli différentes plantes sur des champs de batailles célèbres (visités par lui après les combats) comme Eylau, Friedland ou encore des sites bien connus de l’épopée napoléonienne comme Dantzig, Königsberg ou Tilsit :
« J’ai cueilli cet orchis entre Königsberg et Tilsit 1807 ».
« Cueilli sur le champ de bataille d’Eylau que j’avais vu quelques mois auparavant couvert de neige et de morts ».
Il a occupé moins de postes en France qu’en Allemagne (principalement à Limoges et à Bourges) si l’on excepte bien sûr les fonctions exercées pendant la période révolutionnaire et signalées plus haut à l’armée des Pyrénées (Castres, Toulouse, Bayonne). Les stations de récolte de plantes n’apparaissent que très irrégulièrement sur les différentes planches d’herbier (ce que l’on peut véritablement regretter). Cependant, certaines régions ou provinces françaises semblent avoir été plus particulièrement explorées par ce militaire botaniste. Ce sont : l’Aquitaine et principalement son littoral, le Midi-Pyrénées, le Languedoc, le Périgord et le Limousin.
Cet herbier rassemble de très nombreuses espèces de phanérogames mais aussi des cryptogames (fougères, mousses et lichens).
Les zones géographiques correspondantes aux récoltes de ces végétaux concernent essentiellement l’Est de l’Europe (Allemagne, Pologne, Russie) où l’auteur fut en poste ou en mission, mais aussi la France ; Cependant, quelques plantes sont originaires d’autres pays (Italie, Ethiopie, Amériques par ex.) ; sans doute proviennent elles d’échanges avec différents botanistes correspondants ou même de dons. Les planches d’herbier qui sont en cours d’inventaire sont dans leur grande majorité en excellent état de conservation. On a peine à croire que les plantes qui sont présentées ont été collectées il y a deux cents ans.
Le papier support est de particulière qualité et révèle à l’observation fine, par transparence, des filigranes qui sont des précieux témoins de l’histoire de la Révolution et de l’Empire. Chaque planche possède un cadre en double filet réalisé à l’encre ferro-gallique. La disposition des échantillons est assez recherchée. On apprécie le sens esthétique de l’auteur. Les liens (attaches papier) sont discrets et encore très efficaces. L’étiquetage est soigné mais l’écriture fine de Fray-Fournier est parfois difficile à interpréter d’autant que l’orthographe n’est pas souvent rigoureuse et même, de temps à autre, phonétique.
La formation médicale initiale de chirurgien qu’avait acquise l’auteur transparaît ici ou là lorsqu’il mentionne l’usage thérapeutique ou populaire de certaines plantes.
Les planches sont rassemblées dans des chemises en papier de même qualité. Celles-ci portent, écrits en lettres majuscules, à l’anglaise, de la main de l’auteur de la collection, les éléments de la classification correspondant à l’ensemble des échantillons qu’elles contiennent.
Par ailleurs, J-B Fray-Fournier a réalisé un catalogue de son herbier écrit par lui-même et rassemblant selon la classification de Linné l’ensemble des espèces de son originale collection. Ce catalogue comprend également quelques cahiers indépendants où il a consigné des notes, soit sur les publications botaniques de l’époque, soit sur ses observations personnelles à Berlin, à Limoges ou encore à Bourges.
La classification employée par Fray-Fournier, et qui n’est plus utilisée aujourd’hui est celle de Charles Linné. Elle fut exposée pour la première fois en 1835 dans Systema naturae, ouvrage qui fut reconnu comme base de son œuvre scientifique. Rappelons en ici les éléments principaux selon W.T. Stearn, 1986 :
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Linné divisait l’ensemble des plantes à fleurs (phanérogames) en 23 classes inventoriées selon les organes mâles, c’est-à-dire le nombre, les longueurs relatives, l’association entre elles etc…des étamines.
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Par exemple :
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Monandria (à une étamine) comme les salicornes.
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Diandria (à deux étamines) comme les sauges, les véroniques, le romarin.
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Une vingt-quatrième classe, celle des cryptogames regroupait les plantes sans fleur apparente comme les mousses, les fougères…
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Ces classes étaient à leur tour divisées en ordres selon le type de leurs organes femelles.
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Les Monogynia (ex : les lys, les campanules) ont un style ou un stigmate sessile
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Les Digynia (ex : les bromes, les gentianes) ont deux styles ou deux stigmates sessiles.
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Les noms de classes et d’ordres étaient formés à partir de racines grecques : aner et andros (homme, mâle) ; gyné (femme, femelle) et des préfixes grecs : mono-(1), di-(2), tri-(3)…. Ainsi, un lys (Lilium) et un perce-neige (Galanthus), qui ont tous deux six étamines et un seul style sont de la classe des Hexandria et de l’ordre des Monogynia ; le colchique (Colchicum) avec ses six étamines et ses trois styles appartient aux Hexandria Trigynia.
Une telle classification permettait certes d’arriver assez aisément à l’identification d’une plante. Mais, utilisant à chaque étape de la détermination un caractère unique, elle avait l’inconvénient de séparer d’évidentes affinités et de rapprocher en revanche des genres tout à fait disparates. Cependant, malgré ses imperfections, la méthode de Linné fut reconnue par la plupart de ses contemporains comme la plus « fiable » et le plus largement utilisée de 1737 à 1810 car l’ensemble des informations nécessaires à la mise en place de classifications naturelles n’avait pas encore été réuni en une synthèse ordonnée.
On comprend donc aisément pourquoi Fray-Fournier l’utilisa encore pour son herbier. Notons que cette classification correspondait aussi à une période de fort développement des connaissances en sciences naturelles.
La collection botanique de Fray-Fournier présente donc un double intérêt historique :
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Ainsi, elle permet de suivre, à travers les récoltes de ce militaire botaniste, différentes étapes de l’histoire révolutionnaire de la France mais aussi et surtout une partie de l’épopée napoléonienne dans l’Europe de l’Est.
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Elle est aussi et surtout un précieux témoin de l’une des phases de l’histoire de la botanique systématique.
Comme toutes les autres collections, celle-ci doit être inventoriée car, comme le dit V. Poncet en 2004 : « c’est l’inventaire qui fait la collection ». C’est pourquoi le Service Commun de Documentation de l’Université de Limoges a passé convention avec le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris qui est l’auteur d’une base de données des collections botaniques appelée SONNERAT ; cet outil étant accessible sur Internet.
Ainsi, sitôt que l’inventaire de l’herbier qui est déjà assez largement réalisé sera terminé, la consultation informatique va pouvoir se développer d’autant plus rapidement que les spécimens recensés auront été numérisés.
Intéressons-nous maintenant au processus d’inventaire, de saisie informatique mis aussi de numérisation et de sauvegarde des planches de l’herbier.
- Note de bas de page 1 :
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Principaux responsables du groupe de saisie informatique : C. Gandois, C. Douady et C. Burté
- Note de bas de page 2 :
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A. Dumoulin, C. Ricard, A. Vilks et A. Ghestem, membres de l’Amicale Charles Le Gendre des Botanistes Limousins (A.L.B.L) accompagnés par I. Jacob, Présidente de l’Association.
Un premier groupe dit de description1 intervient d’abord et procède ainsi : un code barres est attribué à chaque spécimen décrit. Puis, le contenu de l’étiquette, ayant fait l’objet d’un contrôle scientifique approfondi par les botanistes de l’équipe2, est saisi dans la base de données SONNERAT. Sont alors précisés :
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le nombre de parts de l’échantillon,
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le stade biologique de l’échantillon (végétatif, fleuri ou fructifié),
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la localité de l’étiquette,
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la date de récolte,
L’un et (ou) l’autre de ces éléments n’y figure(nt) malheureusement pas toujours. Ces éléments sont saisis tels quels. Cependant, certains noms de lieux situés à l’étranger (par exemple, en Prusse orientale) sont transcrits selon leur appellation nouvelle. Il s’agit souvent actuellement de noms polonais ou russes. Par ailleurs, lorsque l’altitude a été exprimée par l’auteur en toises, elle sera convertie en mètres. Il en est de même pour la date lorsqu’elle est mentionnée selon le calendrier révolutionnaire, elle sera tout naturellement indiquée selon le calendrier grégorien.
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le nom commun en français,
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le nom scientifique et la famille sont transcrits tels quels car souvent corrects mais quelquefois nécessairement actualisés,
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enfin, les notes personnelles de l’auteur, concernant la description floristique, l’écologie ou l’usage de la plante sont précieusement prises en compte et saisies.
Un deuxième groupe dit de traitement physique vérifie ensuite l’état général de la planche et de l’étiquette et procède si nécessaire aux menues restaurations : repositionnement de l’échantillon et maintien de celui-ci par de fines bandelettes.
C’est ensuite le tour d’un troisième groupe technique qui va procéder à la numérisation des planches, c’est-à-dire à la prise de vue de chacune d’entre elles.
Pour terminer, un dernier groupe a pour mission de conditionner in fine l’ensemble de l’herbier et de vérifier l’éventuel besoin d’un traitement global de désinfection. Les chemises contenant les planches d’herbier seront enfin rassemblées dans des boîtes grises et leur conservation se fera dans un local spécialisé où un système de gestion de l’atmosphère permettra d’obtenir une hygrométrie et une température stables.
Lors du Colloque de Lyon cité précédemment, l’un des participants avait posé une question qui était apparue essentielle : « l’utilité des herbiers cessera-t-elle un jour ? » (J. P. Reduron, 2004). Cet auteur notait, en effet, que « les herbiers, considérés tour à tour comme des amas poussiéreux et encombrants comme des collections désuètes et surannées ou comme des patrimoines de grande valeur ou encore dans la pratique comme des outils incontournables du travail scientifique semblent malgré leur volume et leur richesse injustement méconnus ». C’est pourquoi, nous nous intéresserons à notre tour à l’utilité et au devenir de la collection de Fray-Fournier.
En premier lieu, l’herbier, nous le savons, demeure une preuve tangible utile et incontournable de l’identité du végétal. Aussi, celui de Fray-Fournier nous semblerait-il concerné d’abord par des travaux dits de cartographie qui nécessitent de relier les espèces bien déterminées avec leur origine géographique en fonction des mentions portées par l’étiquette de l’échantillon. Par ailleurs, sachant combien les herbiers sont indispensables à une conservation effective des espèces végétales, il va de soi que les espèces citées par Fray-Fournier en différentes régions de France voire d’Europe devraient permettre d’en vérifier deux siècles plus tard la constante présence ou malheureusement la disparition.
A partir de cet herbier, d’autres recherches pourraient porter sur la nomenclature ou concerner des révisions taxonomiques. S’y ajoute aussi la possibilité de travaux d’anatomie comparée ou de morphologie (études biométriques par exemple).
Enfin, l’utilité des herbiers ne peut être comprise que par un nécessaire effort de pédagogie à destination du grand public dont on connaît l’intérêt pour le monde végétal, à la faveur d’expositions. Ainsi, l’esthétique de bien des planches de l’herbier Fray-Fournier a permis de les faire figurer en bonne place dans une manifestation biographique permettant d’illustrer l’œuvre scientifique de cet officier de l’Empire. Elle a eu lieu à la Bibliothèque Francophone Multimédia de Limoges du 5 novembre au 15 décembre 2007 sous le titre : « de fleurs et de sang ; l’herbier de Fray-Fournier ».
Conclusion
En conclusion, on l’a bien compris, l’herbier « napoléonien » de Fray-Fournier constitue un patrimoine de premier plan, en ce qu’il représente une trace de l’œuvre de ce botaniste donnant souvent des indications fidèles sur sa biographie, le développement de ses recherches, la chronologie de ses voyages etc… et encore sur les concepts qui ont sous tendu ses travaux, témoins du mode de pensée scientifique de cette époque.