Cressonnières naturelles du Limousin et risques de distomatose humaine à Fasciola hepatica Natural watercress beds of the Limousin region and risks of human fasciolosis

Daniel RONDELAUD 

https://doi.org/10.25965/asl.381

Cinquante-neuf cressonnières naturelles du Limousin ont été suivies sur une période de 15 années (de 1990 à 2004) pour détecter la contamination du cresson par les métacercaires de Fasciola hepatica et vérifier la présence d’infestations naturelles par ce Digène chez les deux espèces de limnées qui colonisent ces sites en juin-juillet. Le nombre de cressonnières contaminées par les métacercaires de F. hepatica fluctue au cours des années (de 15 en 1994 à 32 en 1999) et la charge en larves sur les plantes est assez faible : de 2,6 à 6,3 larves vivantes en moyenne par site. La même variabilité se retrouve au niveau de l’infestation naturelle de Galba truncatula par F. hepatica car l’effectif des mollusques parasités se distribue de 11 à 42 et la prévalence de l’infestation de 1,2 à 2,4 % en fonction des années. L’infestation naturelle d’Omphiscola glabra par F. hepatica n’a été observée qu’à partir de 1996 et la prévalence s’est accrue par la suite jusqu’en 2001 (à 1,8 %), date au-delà de laquelle on observe un plateau dans les valeurs. Chez G. truncatula, la charge moyenne en cercaires indépendantes (de 19,3 à 78,5 larves) ne présente pas de variation significative en fonction des années. Par contre, chez O. glabra, on constate un accroissement significatif de cette charge depuis 1996. La contamination de ces plantations par F. hepatica au cours de ces 15 années se révèle identique à celle que l’auteur a notée dans les mêmes sites entre 1970 et 1986. Les seuls changements importants sont l’apparition d’un autre Digène, Paramphis-tomum daubneyi, dans ces cressonnières et la possibilité pour O. glabra d’assurer le développement larvaire de F. hepatica.

A total of 59 natural watercress beds in the Limousin region was surveyed over a 15-year period (from 1990 to 2004) to detect the contamination of watercress by the metacer-cariae of Fasciola hepatica and to find the presence of natural infections with this digenea in the two species of lymnaeids which are living in these water holes in June-July. The number of beds contaminated with F. hepatica metacercariae varied during years (from 15 in 1994 to 32 in 1999) and the metacercarial burden on plants was low enough : a mean of 2.6 to 6.3 per bed. The same variability was also noted for natural infections of Galba truncatula with F. hepatica, as the total number of infected snails ranged from 11 to 42 and the global prevalence of infections from 1.2 to 2.4 %. Natural infections of Omphiscola glabra with F. hepatica were only detected since 1996, with a subsequent increase of prevalence up to 2001 (at 1.8 %) and a plateau from 2002 to 2004. In G. truncatula, the mean burden of free cercariae (from 19.3 to 78.5 larvae) only showed insignificant variations in relation to years. By contrast, a significant increase of this burden in relations with years was found in O. glabra. The contamination of these beds over the past 15 years was similar to that recorded by the author in the same sites between 1970 and 1986. The only main changes were the appearance of another digenea, Paramphistomum daubneyi, in these beds and the possibility for O. glabra to naturally sustain the larval development of F. hepatica.

Sommaire
Texte intégral

Introduction

Le cresson de fontaine (Nasturtium officinale R. Br.) est connu depuis l’Antiquité pour ses vertus thérapeutiques comme pour sa saveur culinaire. Ces propriétés ont favorisé son expansion depuis le 12ème siècle si bien que la plante fait, à l’heure actuelle, partie des espèces végétales que l’homme incorpore dans son alimentation. Qu’il soit consommé cru ou à l’état de potage, le cresson a des adeptes fervents dans toutes les régions françaises.

Le principal problème lié à la consommation de cette plante réside dans le fait qu’elle peut servir de support aux larves (métacercaires) d’un parasite, Fasciola hepatica L. Cet état de fait a conduit les législateurs à prendre des mesures pour assurer la salubrité de la plante lorsqu’elle est cultivée à des fins commerciales (circulaire ministérielle du 24 mai 1964, puis circulaire du 7 août 1978). Les bottes vendues au public doivent être munies d’un lien indiquant le nom de l’exploitant, son adresse et la date du dernier contrôle effectué par les Services Vétérinaires.

Cependant, dans des régions comme le Limousin où le cresson pousse spontanément dans des points d’eau pourvus qu’ils soient en eau courante, certains consommateurs n’hésitent à cueillir la plante dans le milieu naturel, même s’ils sont au courant des risques qu’ils encourent en mangeant du cresson "sauvage", non contrôlé sur le plan sanitaire. Il en résulte des cas humains de fasciolose. C’est ainsi que Gaillet (1983), Gaillet et al. (1983) répertorient 8.898 cas de distomatose hépatique sur le territoire français, depuis 1950 jusqu’en 1982. Dans la région du Limousin, l’effectif des patients atteints par la parasitose est plus faible : 860 personnes au total entre 1955 et 2000 (Rondelaud et al., 2000).

Comme les cressonnières naturelles, de par la loi, ne sont pas soumises à l’obligation de salubrité, aucun examen bactériologique ou parasitologique n’est réalisé dans ces sites, sauf si le propriétaire (particuliers ou communes) le demande. Il en résulte un risque potentiel important car ces plantations sont fréquemment colonisées par le mollusque aquatique (Galba truncatula O.F. Müll.) qui intervient comme hôte intermédiaire dans le cycle du parasite. Devant cet état de fait, une étude épidémiologique a été entreprise depuis 1970 par notre groupe sur un échantillon de 59 cressonnières naturelles afin de déterminer l’amplitude des risques sur le plan de la santé publique. Deux rapports antérieurs (Rondelaud, 1991 ; Rondelaud et al., 2000) ont ainsi montré que la contamination de ces cressonnières par F. hepatica est souvent irrégulière dans le temps, avec des intervalles moyens de 3 à 9 années entre deux infestations successives des mollusques par le parasite.

Malgré ces études préliminaires, il reste encore des inconnues sur le plan parasitologique. C’est ainsi que Rondelaud et Mage (1990) rapportent que le nombre de métacercaires sur ce cresson naturel est faible : 0,9 en moyenne par cressonnière (limites : 0-37) sur une période comprise entre 1970 et 1979. De même, les informations sur la prévalence de l’infestation naturelle chez les mollusques sont encore peu nombreuses. D’après Rondelaud (1991), les pourcentages se distribuent entre 0,5 et 5,4 % lorsque les habitats sont colonisés par la seule Limnée tronquée alors qu’ils vont de 14 à 66 % dans le cas de communautés mixtes (G. truncatula + Omphiscola glabra O.F. Müll.) en raison du faible nombre de G. truncatula dans ces sites.

Devant cet état de fait, il nous a paru utile de déterminer les changements qui se sont produits dans ces cressonnières naturelles sur les 15 dernières années en raison de deux évènements majeurs. Le premier est la découverte de métacercaires d’un autre Digène, Paramphistomum daubneyi Dinnik, sur le cresson depuis 1993 car ce parasite utilise le même hôte définitif (bovins) et le même mollusque hôte que F. hepatica pour accomplir son cycle évolutif (Mage et al., 2002). Le second est la détection d’O. glabra naturellement parasités avec F. hepatica depuis l’année 1996 (Rondelaud et Barthe, 1999). C’est la raison pour laquelle nous nous sommes proposé de réaliser une étude rétrospective sur ces 15 années afin de répondre aux trois questions suivantes : i) Combien de métacercaires (pour chaque espèce de Digène) peut-on retrouver sur ce cresson lors de l’examen annuel de la plante (en juin-juillet) ? ii) Quelles sont les perturbations dans les prévalences de l’infestation naturelle par F. hepatica chez les deux limnées ? et iii) Combien de cercaires ces mollusques peuvent-ils libérer dans le milieu naturel ?

Matériel et méthodes

1. Les cressonnières étudiées.

La figure 1 (page suivante) indique la localisation des 59 cressonnières qui ont été retenues pour cette étude. Toutes ces plantations sont à l’origine d’un ou de plusieurs cas de fasciolose humaine survenus entre 1965 et 1987. Le sédiment est sablo-vaseux et repose sur du granite (27 sites), de la diorite (11), des gneiss (4) ou des migmatites (17). Il en résulte que l’eau de ruissellement a un pH compris entre 5,5 et 6,9, avec une concentration en ions calcium dissous se distribuant de 5 à 15 mg/L (Rondelaud, 1991). Les cressonnières se situent au point d’émergence d’une source (17 cas), dans une mare alimentée par une source permanente (27 cas), sur le cours d’un ruisselet (3 cas) ou encore sur celui d’un fossé de drainage superficiel, alimenté en eau courante par une source située en amont (12 cas). Toutes ces cressonnières sont isolées par des clôtures du bétail et des grands mammifères sauvages. Leur superficie ne dépasse pas les 12 m2.

En dehors de Nasturtium officinale, les autres végétaux aquatiques sont essentiellement représentés par Apium nodiflorum (L.) Lag. ( = Helosciadium nodiflorum (L.) Koch) et Callitriche sp. Les Gastéropodes aquatiques présents dans les cressonnières en juin-juillet sont G. truncatula (47 stations) ou un peuplement mixte associant G. truncatula et O. glabra (les 12 autres). Mais, en réalité, les deux espèces de limnées sont présentes sur les rigoles d’écoulement naturel de l’eau (en provenance des sources ou des mares), sur les ruisselets ou les fossés de drainage si bien que le peuplement dans chaque cressonnière change parfois de composition d’une année à l’autre en fonction de l’aptitude de chaque limnée pour remonter en hiver vers les sources situées plus en amont.

Figure 1. Localisation géographique des 59 cressonnières naturelles dans les trois départements du Limousin.

Figure 1. Localisation géographique des 59 cressonnières naturelles dans les trois départements du Limousin.

2. Protocole des investigations.

Les prélèvements de plantes et de limnées ont été réalisés dans chaque cressonnière en juin ou juillet. Cette période a été choisie pour les deux raisons suivantes : i) l’eau courante est présente dans toutes les stations à cette époque, et ii) les plants de N. officinale issus de la pousse hivernale sont porteurs des métacercaires fournies par les limnées transhivernantes (en février ou mars) comme de celles provenant des mollusques de la génération de printemps.

Dans chaque cressonnière, dix plants pour chaque espèce (A. nodiflorum ou N. officinale) sont récoltés à la périphérie de la masse végétale. Pour chaque plant, on conserve la partie submergée (en dehors des racines) et celle qui est émergée. Les échantillons retenus pour l’étude sont alors ensachés et étiquetés en tenant compte de la cressonnière et de l’espèce végétale. Au laboratoire, chaque plant est examiné sous une loupe binoculaire (au grossissement x 16) pour y rechercher les métacercaires de F. hepatica, de P. daubneyi ou encore celles d’autres Digènes. Les larves enkystées de la première espèce se reconnaissent à leur forme en dôme (diamètre moyen, 250 µm) et à leur couleur uniforme, jaunâtre ou jaune foncée (selon leur âge). Celles du second parasite ont les mêmes caractéristiques mais elles sont de couleur gris noirâtre et légèrement réfringentes. Quant aux autres Digènes, les métacercaires sont reconnues en fonction de leur taille et de leur couleur, mais l’espèce n’a parfois pas pu être identifiée dans le cadre de ce travail.

Selon l’effectif de chaque population, on prélève un nombre variable de limnées adultes (4 mm et plus de hauteur) dans le cas de G. truncatula. Par contre, comme les colonies d’O. glabra sont plus abondantes, le nombre de mollusques adultes récoltés (à partir de 8 mm) est plus important : de 30 à 40 par cressonnière jusqu’en 1993 et 60 à partir de 1994. Le choix de ces tailles repose sur le fait que ce sont les adultes qui sont le plus souvent parasités par des Digènes. Ces mollusques sont alors transportés au laboratoire sous des conditions isothermes (16° C) et à l’obscurité. L’examen de chaque limnée s’effectue sous loupe binoculaire, en pratiquant un écrasement de l’animal à partir de la face dorsale du dernier tour de spire à l’aide de deux pinces fines (technique du squash) et en dilacérant la paroi externe du tortillon pour libérer les formes larvaires de Digènes (lorsque celles-ci sont présentes). Celles de F. hepatica se reconnaissent aux rédies à tégument externe transparent (lorsqu’elles sont vivantes et matures), avec un intestin noir et un contenu blanc brillant (tout au moins pour les procercaires et les cercaires) tandis que les cercaires ont un corps hémisphérique blanc et une nage assez rapide. Les rédies de P. daubneyi sont de petite taille, avec un petit intestin gris et leurs masses germinatives sortent précocement au stade procercaire dans la cavité viscérale du mollusque. Les cercaires sont aisément identifiables en raison de leur couleur jaune noirâtre et de leur nage très lente.

3. Paramètres étudiés.

Dans le cas des plantes, le premier paramètre est le nombre de cressonnières contaminées par les métacercaires de F. hepatica ou par celles de P. daubneyi. Le nombre des larves enkystées a été également considéré dans ce travail. Les valeurs individuelles obtenues pour ce dernier paramètre ont été ramenées à des moyennes, encadrées chacune d’un écart type, en tenant compte de l’espèce du Digène (F. hepatica, ou P. daubneyi) et de l’année de prospection. Une analyse de variance à deux facteurs (Stat-Itcf, 1988) a été utilisée pour déterminer les niveaux de signification statistique.

Le premier paramètre, dans le cas des mollusques, est le nombre de plantations dans lesquelles des formes larvaires de Digènes ont été trouvées. Les trois autres se rapportent i) à la prévalence annuelle de ces infestations chez chaque espèce de limnée, ii) à la même prévalence, mais calculée pour chaque cressonnière contenant des mollusques parasités et iii) au nombre de cercaires indépendantes capables de nager lorsque la dissection est effectuée. Les valeurs individuelles obtenues pour les deux derniers paramètres ont été centrées et leurs écarts types calculés en tenant compte de l’espèce du Digène, du mollusque et de l’année. Le test des corrélations de Spearman et une analyse de variance à deux facteurs (Stat-Itcf, 1988) ont été employés pour déterminer la signification des résultats obtenus.

Résultats

1. Investigations sur les plantes aquatiques.

Tableau I. La contamination des cressonnières du Limousin par plusieurs Digènes au cours des 15 dernières années. Les résultats proviennent de l’examen de 20 spécimens (10 pour Nasturtium officinale + 10 pour Apium nodiflorum) récoltés dans chaque plantation en juin ou juillet. Nombre total de cressonnières visitées : 59. m, moyenne. σ, écart type.

Année

Métacercaires de
Fasciola hepatica

Métacercaires de Paramphistomum daubneyi

Métacercaires
d’autres Digènes *

Nombre total de larves (nombre de sites)

Nombre de
larves par site : m ± σ

Nombre total de larves (nombre de sites)

Nombre de
larves par site : m ± σ

Nombre de sites

Nombre total de larves

1990

105 (21)

5,0 ± 3,7

0

0

1

1

1991

70 (17)

4,1 ± 2,4

0

0

0

0

1992

76 (29)

2,6 ± 2,8

0

0

1

3

1993

91 (26)

3,5 ± 4,2

3 (1)

3

0

0

1994

95 (15)

6,3 ± 5,8

11 (1)

11

0

0

1995

177 (37)

3,4 ± 3,1

14 (2)

14

0

0

1996

135 (27)

2,6 ± 2,4

21 (3)

7,0 ± 5,7

1

3

1997

198 (24)

3,8 ± 4,4

32 (5)

6,4 ± 4,8

2

6

1998

151 (28)

2,9 ± 2,6

76 (9)

8,4 ± 6,0

1

1

1999

241 (32)

4,6 ± 3,5

102 (13)

7,8 ± 5,1

0

0

2000

213 (17)

4,0 ± 2,1

145 (25)

5,8 ± 3,7

1

3

2001

176 (27)

3,3 ± 3,0

178 (29)

6,1 ± 5,9

0

0

2002

145 (29)

2,7 ± 2,1

203 (32)

6,3 ± 6,8

0

0

2003

187 (24)

3,5 ± 1,5

256 (45)

5,6 ± 4,4

1

2

2004

202 (28)

3,9 ± 2,4

237 (41)

5,7 ± 3,6

1

2

* Notocotylus sp. : 11. Métacercaires orangées (espèce non identifiée) : 7. Métacercaires d’un vert foncé (espèce non identifiée) : 2.

Le tableau I présente la distribution des 59 cressonnières en fonction de leur contamination par F. hepatica ou celle d’autres Digènes au cours des 15 dernières années (1990-2004). Les résultats ne tiennent pas compte de la plante (A. nodiflorum, ou N. officinale) sur laquelle les métacercaires se sont fixées.

Le nombre de cressonnières contaminées par les métacercaires de F. hepatica fluctue au cours des années puisqu’il passe de 15 en 1994 à 32 en 1999. La charge en larves enkystées sur les plantes reste assez faible : de 2,6 à 6,3 en moyenne par site. Les métacercaires de P. daubneyi n’ont été observées dans les cressonnières qu’à partir de 1993. Mais le nombre des sites contaminés par ce parasite a fortement augmenté par la suite car il est passé de deux cressonnières en 1995 à 45 en 2003. La charge moyenne de ces larves est plus élevée que dans le cas de F. hepatica (5,6 à 8,4 par site au lieu de 2,6 à 6,3). Trois autres types de métacercaires (dont celles de Notocotylus sp.) ont été observés dans quelques cressonnières. Mais leur nombre est toujours faible comme le montre le tableau I.

La comparaison des chiffres obtenus pour F. hepatica et P. daubneyi en fonction des années par l’analyse de variance montre que la charge moyenne en métacercaires est significativement plus élevée dans le cas du second Digène (F = 4,18 ; P < 5 %). Par contre, le facteur année n’a pas d’influence sur la distribution de ces moyennes, quelle que soit l’espèce du parasite.

Une étude plus détaillée a été réalisée en considérant la plante sur laquelle les métacercaires se sont fixées. Dans le cas de F. hepatica, la distribution des larves sur N. officinale est assez voisine de celle sur A. nodiflorum (1165 sur le cresson, soit 51,5 %, au lieu de 1097 sur Apium, soit 48,4 %). Par contre, celles de P. daubneyi s’observent plus fréquemment sur le cresson (1056 larves, soit 82,6 %, au lieu de 222 sur Apium, soit 17,3 %). Quant aux métacercaires des autres Digènes, leur distribution varie selon l’espèce : 9 larves sur le cresson (sur 11) pour Notocotylus sp., 6 métacercaires orangées (sur 7) et les deux larves d’un vert foncé sur Apium.

2. Investigations chez Galba truncatula.

Le tableau II (page suivante) répertorie les prévalences des infestations naturelles avec F. hepatica ou P. daubneyi chez les limnées récoltées dans les 59 cressonnières au cours des 15 dernières années. Nous y avons, également, indiqué le nombre de limnées parasitées par des Digènes autres que les deux espèces précitées.

Le nombre de limnées adultes récoltées varie d’une année à l’autre car il dépend de l’effectif de chaque population. Dans le cadre de ce travail, les effectifs varient de 834 mollusques (en 2002) à 1712 (en 1998). Sur cet échantillonnage de 19.249 limnées, 346 au total (soit 1,7 %) ont présenté des formes larvaires de F. hepatica. La distribution par année montre que l’effectif de ces mollusques parasités se distribue de 11 à 42 et que la prévalence de l’infestation naturelle fluctue de 1,2 à 2,4 %. Dans le cas de P. daubneyi, on constate, comme pour les métacercaires, un accroissement net du nombre des limnées infestées et de la prévalence correspondante à partir de 1993. C’est ainsi que l’effectif des mollusques porteurs de formes larvaires passe par un pic en 2002 (à 62 G. truncatula, soit 7,4 %). Six autres Digènes : Echinostoma sp., Haplometra cylindracea, Notocotylus sp., plus trois espèces non identifiées, ont été également trouvés chez ces limnées.

Tableau II. L’infestation naturelle de Galba truncatula par plusieurs Digènes au cours des quinze dernières années.

Année

Nombre total

de limnées

récoltées

Fasciola hepatica

Paramphistomum daubneyi

Nombre de limnées avec d’autres Digènes *

Nombre total de limnées parasitées (prévalence en %)

Prévalence en % par site contenant des limnées infestées :

m ± σ

Nombre total de limnées parasitées (prévalence en %)

Prévalence en % par site contenant des limnées infestées :

m ± σ

1990

1321

24 (1,8)

3,4 ± 1,5

0

0

0

1991

1560

25 (1,6)

2,7 ± 0,8

0

0

4

1992

981

19 (1,9)

3,8 ± 1,7

0

0

2

1993

1159

26 (2,2)

2,3 ± 1,0

1 (0,08)

1,6

7

1994

1466

18 (1,2)

2,5 ± 1,4

7 (0,4)

2,3 ± 1,2

1

1995

1682

29 (1,7)

2,9 ± 1,8

9 (0,5)

1,2 ± 0,8

4

1996

1511

25 (1,6)

3,1 ± 2,2

6 (0,3)

1,5 ± 0,7

4

1997

1318

26 (1,9)

3,7 ± 2,4

17 (1,2)

2,4 ± 1,1

2

1998

1712

42 (2,4)

2,8 ± 1,2

22 (1,2)

2,0 ± 1,7

1

1999

1377

23 (1,6)

2,5 ± 1,3

29 (2,1)

1,5 ± 0,9

6

2000

856

17 (1,9)

3,4 ± 2,5

44 (5,1)

1,9 ± 1,3

3

2001

1072

17 (1,5)

2,8 ± 1,3

57 (5,3)

1,7 ± 1,7

2

2002

834

11 (1,2)

3,6 ± 2,1

62 (7,4)

1,2 ± 1,0

4

2003

1534

30 (1,9)

3,3 ± 2,4

45 (2,9)

1,1 ± 0,6

5

2004

866

14 (1,6)

3,5 ± 1,3

37 (4,2)

1,5 ± 0,4

6

Totaux

19.249

346 (1,7)

3,0 ± 1,7

334 (1,7)

1,3 ± 0,8

51

* Echinostoma sp. : 7. Haplometra cylindracea : 33. Notocotylus sp. : 4. Digène à formes larvaires orangées (espèce non identifiée) : 4. Digène à xiphidiocercaires (espèce non identifiée) : 2. Digène à cercaires de type échinostome (espèce non identifiée) : 1.

Si l’on considère les résultats en fonction des cressonnières dans lesquelles des limnées ont été trouvées parasitées, on constate que la prévalence de l’infestation par site varie de 2,3 à 3,7 % dans le cas de F. hepatica et seulement de 1,1 à 2,4 % dans le cas de P. daubneyi. Ces faibles pourcentages dans le cas du paramphistome s’expliquent aisément par le nombre important de cressonnières présentant des mollusques parasités : de 34 à 48 entre 2001 et 2004 (résultats non représentés).

Dans le cas de F. hepatica, il n’y a pas de corrélation significative entre la prévalence globale de l’infestation et les années. Par contre, il existe une corrélation nette (rs = 0,75 ; P < 5 %) entre l’accroissement de la prévalence au fur et à mesure des années pour P. daubneyi L’analyse des prévalences recueillies dans les cressonnières où les limnées étaient parasitées montre que le facteur Digène a un effet significatif (F = 4,41 ; P < 5 %) sur ces pourcentages alors que le facteur année n’a pas d’influence, quelle que soit l’espèce du parasite.

Il est intéressant de noter ici que sept G. truncatula étaient doublement infestés par F. hepatica et P. daubneyi en 2002 (2 mollusques), en 2003 (4 individus) et en 2004 (1).

3. Investigations chez Omphiscola glabra.

Tableau III. L’infestation naturelle d’Omphiscola glabra par plusieurs Digènes au cours des quinze dernières années.

Année

Nombre total

de limnées

récoltées

Fasciola hepatica

Paramphistomum daubneyi

Nombre de limnées avec d’autres Digènes *

Nombre total de limnées parasitées (prévalence en %)

Prévalence en % par site contenant des limnées infestées :

m ± σ

Nombre total de limnées parasitées (prévalence en %)

Prévalence en % par site contenant des limnées infestées :

m ± σ

1990

465

0

0

0

0

0

1991

489

0

0

0

0

1

1992

381

0

0

0

0

0

1993

424

0

0

0

0

0

1994

960

0

0

0

0

1

1995

1020

0

0

1 (0,1)

1,6

1

1996

900

1 (1,1)

1,6

1 (0,1)

1,6

2

1997

1080

5 (0,4)

1,6 ± 0,8

4 (0,3)

1,3 ± 0,7

4

1998

1020

11 (1,0)

3,6 ± 1,2

7 (0,6)

2,3 ± 0,9

3

1999

960

14 (1,4)

7,0 ± 2,5

9 (0,9)

2,2 ± 0,9

2

2000

1140

17 (1,4)

4,2 ± 1,5

11 (0,9)

2,2 ± 1,3

3

2001

1020

19 (1,8)

6,3 ± 1,8

12 (1,1)

3,0 ± 1,1

1

2002

960

14 (1,4)

4,6 ± 2,1

17 (1,7)

3,4 ± 1,0

3

2003

1200

22 (1,8)

4,4 ± 2,0

15 (1,2)

3,0 ± 0,6

1

2004

1020

18 (1,7)

6,0 ± 2,3

21 (2,0)

3,0 ± 0,7

0

Totaux

13.039

121 (0,9)

4,3 ± 1,3

98 (0,7)

2,3 ± 0,8

22

* Haplometra cylindracea : 14. Digène à xiphidiocercaires (espèce non identifiée) : 5. Digène à cercaires de type échinostome (espèce non identifiée) : 3.

L’infestation naturelle d’O. glabra par F. hepatica (Tableau III) n’a été observée qu’à partir de 1996 et la prévalence s’est accrue par la suite jusqu’en 2001 (à 1,8 %), date au-delà de laquelle on observe un plateau dans les valeurs. Les premières limnées parasitées par P. daubneyi ont été notées en 1995 et le taux correspondant de l’infestation a augmenté sensiblement au fur des années pour atteindre la valeur de 2 % en 2004. Trois autres espèces de Digènes (dont Haplometra cylindracea) ont également été observées chez cette limnée comme le montre le tableau III.

Si l’on calcule la prévalence par rapport au nombre de cressonnières dans lesquelles des O. glabra parasités ont été trouvés, on remarque que les pourcentages s’accroissent dans le temps pour atteindre 6,0 % dans le cas de F. hepatica et seulement 3,0 % dans le cas de P. daubneyi.

Il n’y a pas de corrélations significatives entre les prévalences globales des infestations naturelles et le temps, quelle que soit l’espèce du Digène. Par contre, dans le cas des pourcentages notés pour les sites, le facteur Digène (F = 4,35 ; P < 5 %) comme le facteur année (F = 3,58 ; P < 5 %) ont une influence nette sur ces valeurs en raison de l’accrois-sement que l’on observe à partir de 1995 ou de 1996.

4. Etude comparative de la charge cercarienne chez les deux limnées.

Tableau IV. Fasciola hepatica et Paramphistomum daubneyi : la charge en cercaires indé-pendantes retrouvée chez Galba truncatula et chez Omphiscola glabra lors de leur dissection. m, moyenne. σ, écart type.

Années

Cercaires indépendantes de
Fasciola hepatica : m ± σ

Cercaires indépendantes de
Paramphistomum daubneyi : m ± σ

Galba
truncatula

Omphiscola
glabra

G.
truncatula

O.
glabra

1990

65,0 ± 13,2

0

47,8 ± 34,9

0

1991

47,3 ± 22,9

0

57,9 ± 22,8

0

1992

78,5 ± 39,8

0

31,6 ± 42,7

0

1993

53,8 ± 17,3

0

56,4 ± 18,3

0

1994

31,7 ± 27,9

0

87,4 ± 14,5

0

1995

54,3 ± 19,7

0

34,6 ± 21,9

17

1996

29,6 ± 32,5

12

54,9 ± 32,7

21

1997

47,8 ± 21,8

14,7 ± 8,50

38,1 ± 24,0

45,4 ± 21,3

1998

62,7 ± 32,7

22,9 ± 17,6

15,8 ± 24,3

65,3 ± 17,9

1999

44,3 ± 31,8

34,7 ± 17,2

36,9 ± 31,8

49,3 ± 23,5

2000

19,3 ± 23,7

31,6 ± 26,8

45,0 ± 32,9

58,6 ± 27,1

2001

52,8 ± 31,0

41,3 ± 28,6

34,9 ± 27,3

69,3 ± 42,5

2002

43,1 ± 19,2

33,2 ± 12,8

57,3 ± 32,8

56,4 ± 34,2

2003

34,5 ± 27,3

27,6 ± 18,3

21,7 ± 24,3

86,2 ± 23,7

2004

33,5 ± 24,8

23,4 ± 22,8

47,2 ± 14,9

74,0 ± 21,8

Le tableau IV récapitule les charges en cercaires indépendantes trouvées dans le corps des G. truncatula et des O. glabra lors de leur dissection.

Dans le cas de F. hepatica, les charges moyennes notées chez G. truncatula se distribuent entre 19,3 et 78,5 cercaires par mollusque et ne présentent pas de variation significative en fonction des années. Celles de P. daubneyi sont significativement plus élevées (F = 5,67 ; P < 1 %) que celles de l’autre Digène. Mais, comme lui, il n’y a pas de variation significative au cours de la période d’étude.

Si l’on considère O. glabra, on constate un accroissement de la charge cercarienne au fur et à mesure des années. C’est ainsi qu’il existe une corrélation positive (rs = 0,87 ; P < 5 %) entre cette augmentation et le temps qui s’écoule à partir de 1996 dans le cas de F. hepatica. Une remarque similaire peut être formulée dans le cas de P. daubneyi : la corrélation entre les deux paramètres est significative au seuil de 1 % (rs = 0,86). La comparaison des charges cercariennes chez cette limnée montre que celles de P. daubneyi sont significativement plus élevées en nombre (F = 13,2 ; P < 1 %).

Tableau V. La distribution des 59 cressonnières naturelles par rapport aux métacercaires de Fasciola hepatica et aux limnées parasitées par ce Digène sur les 15 dernières années.

Années

Nombre de cressonnières avec des

Métacercaires de Fasciola hepatica

Galba truncatula naturellement infestés par F. hepatica

Omphiscola glabra naturellement infestés par F. hepatica

Métacercaires et limnées infestées (au total)

1990

21

7

0

22

1991

17

9

0

19

1992

29

5

0

31

1993

26

11

0

32

1994

15

7

0

22

1995

37

10

0

38

1996

27

8

1

30

1997

24

7

3

26

1998

28

15

3

32

1999

32

9

2

35

2000

17

5

4

22

2001

27

6

3

23

2002

29

3

3

30

2003

24

9

5

26

2004

28

4

3

31

Discussion

Le tableau V récapitule les 59 cressonnières en fonction des métacercaires trouvées sur les plantes aquatiques et des infestations naturelles avec F. hepatica constatées chez les limnées. Comme on peut le constater à la lecture de ce tableau, l’emploi des deux techniques : recherche des métacercaires et infestations naturelles de mollusques, sont complémentaires car le nombre total de plantations contaminées est supérieur à celui des sites avec des plantes contaminées par les larves de F. hepatica alors qu’il est inférieur à l’effectif total des cressonnières présentant des métacercaires sur les végétaux aquatiques et des infestations naturelles de mollusques. C’est ainsi qu’au cours de l’année 2004, 31 sites étaient contaminés par le parasite alors que 28 d’entre eux présentaient des métacercaires et 7 des infestations naturelles chez les limnées. La recherche des métacercaires sur le cresson ou le faux cresson est donc d’une importance capitale pour affirmer la contamination d’une cressonnière, même si, comme l’affirment Rondelaud et Mage (1990), ce travail est fastidieux et aboutit souvent au recensement d’un faible nombre de métacercaires vivantes sur les plantes étudiées.

La comparaison des chiffres présentés ci-dessus pour F. hepatica avec les données de la littérature est assez difficile à réaliser car aucun auteur, à notre connaissance, n’a étudié la charge en métacercaires sur le cresson, ni la prévalence des infestations naturelles chez les limnées dans ces sites. Le nombre de métacercaires retrouvées sur le cresson ou le faux cresson dans la présente étude est toujours assez faible et ce résultat concorde avec les premières données que Rondelaud et Mage (1990) ont rapportées dans leur note. Les pourcentages assez proches, notés pour le choix de l’espèce végétale par les métacercaires, démontrent que ces dernières n’ont pas de tropisme pour l’une ou l’autre de ces deux plantes. Les infestations naturelles de G. truncatula par F. hepatica sont, de même, faibles (1,7 % de mollusques parasités en moyenne) et la prévalence est voisine de celle fournie par les auteurs précités dans leur rapport (1,8 % entre 1970 et 1986). Cet état de fait montre que le risque de la fasciolose est bien présent dans ces cressonnières naturelles, même si toutes ne sont contaminées tous les ans par F. hepatica.

Le principal changement survenu dans ces cressonnières naturelles depuis 1990 est l’apparition de P. daubneyi, aussi bien sur le cresson que chez les limnées. La prévalence de cette parasitose chez les bovins s’est accrue régulièrement depuis les années 1990 pour toucher 44,7 % des animaux en 1999 dans le département de la Corrèze (Mage et al., 2002) et il est normal que ce parasite soit trouvé ultérieurement dans les cressonnières car la plupart d’entre elles reçoivent les eaux de ruissellement des prairies proches. La survenue de cette parasitose aurait, à notre avis, eu un impact sur O. glabra en permettant son infestation par F. hepatica. En effet, d’après Kendall (1950) et Boray (1978), cette limnée ne peut s’infester par ce Digène que si elle est exposée aux miracidiums dans ses premiers jours de vie. Par contre, cette infestation est possible chez des mollusques préadultes lorsque l’espèce est soumise à des expositions simultanées avec P. daubneyi et F. hepatica, le premier Digène facilitant le développement larvaire du second chez la limnée (Abrous et al., 1996 ; Augot et al., 1996). Cette hypothèse s’appuie i) sur la découverte de plusieurs G. truncatula co-infestés par l’un et l’autre Digènes dans la présente étude, et ii) sur l’accroissement des prévalences et de la charge en cercaires indépendantes que l’on observe chez O. glabra depuis 1996. Ce dernier point suggère une adaptation progressive de F. hepatica à cette limnée, comme Boray (1969) l’a démontré pour plusieurs espèces de Lymnaeidae lorsqu’elles sont exposées de manière régulière aux miracidiums de F. hepatica.

Devant cette situation, que faut-il faire pour limiter le risque de la fasciolose chez l’homme car un certain nombre de personnes de la région Limousin sont de gros consommateurs de cresson et le récoltent dans ce type de cressonnières (il est gratuit !) au lieu de l’acheter dans des exploitations de culture commerciale ou leurs réseaux de distribution (Rondelaud, 1980). L’information du public sur les dangers du cresson naturel, comme certains auteurs l’ont suggéré (Ricou, 1966 ; Denis et al., 1996, par exemple), s’est toujours heurtée à un refus poli de la part des médias ou à un certain fatalisme de la part des consommateurs de cresson naturel, ces derniers assurant que la maladie n’atteint que les autres. Le comble du ridicule réside même dans le fait que 15 cressonnières de la Corrèze et de la Haute-Vienne sont à l’origine de contaminations humaines multiples, espacées dans le temps (Du Crest, 2003), la principale cause pouvant être l’absence d’information sur la fasciolose ou la perte de celle-ci lors de l’achat des cressonnières responsables par plusieurs propriétaires successifs.

Malgré la situation actuelle, il nous paraît intéressant d’attirer l’attention des professionnels de la santé sur P. daubneyi. Comme cette étude le démontre, on trouve de plus en plus de métacercaires sur le cresson ou d’infestations naturelles chez les limnées. Ces larves sont ingérées avec le cresson par les personnes qui récoltent la plante directement dans le milieu naturel et on peut se demander si le parasite ne pourrait pas se développer sous sa forme adulte dans l’estomac de l’homme. Une attention particulière sur ce point doit être assurée dans les années à venir par les cliniciens afin d’éviter que cette parasitose n’effectue éventuellement, si elle se développe chez l’homme, le bloom qu’elle a déjà réalisé chez les bovins de la Corrèze entre 1990 et 2000 (Mage et al., 2002).

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Pour citer ce document

Référence papier

RONDELAUD, D. (2004). Cressonnières naturelles du Limousin et risques de distomatose humaine à Fasciola hepatica. Annales Scientifiques du Limousin, (15), 1-14.

Référence électronique

RONDELAUD, D. (2004). Cressonnières naturelles du Limousin et risques de distomatose humaine à Fasciola hepatica. Annales Scientifiques du Limousin, (15). https://doi.org/10.25965/asl.381

Auteur
Daniel RONDELAUD
UPRES EA n° 3174, Biodiversité des Digènes (associée à l’INRA), Facultés de Médecine et de Pharmacie, 87025 Limoges Cedex
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