Bioaccumulation du chrome et du nickel par Cladonia portentosa, Hedwigia ciliata, Armeria arenaria et Festuca lemanii en milieu serpentinique (Lande du Cluzeau, Haute-Vienne) Bioaccumulation of chromium and nickel by Cladonia portentosa, Hedwigia ciliata, Armeria arenaria and Festuca lemanii en milieu serpentinique (Lande du Cluzeau, Haute-Vienne)

H. Gaste,
Jean-Philippe Basly,
Michel Botineau
et Jean-Pierre Verger

https://doi.org/10.25965/asl.423

Les milieux serpentiniques du Limousin donnent naissance à des magnésisols et constituent une source naturelle de métaux lourds, susceptibles de pollution du sol en ces éléments. Sur le site de la lande du Cluzeau (Haute-Vienne), nous avons recherché le comportement de quatre plantes (Cladonia portentosa, Hedwigia ciliata, Armeria arenaria et Festuca lemanii) dans la fixation de deux métaux lourds (Nickel et Chrome). Aucune de ces plantes n’est hyperaccumulatrice et ne peut servir pour la phytoremédiation. Armeria arenaria et Festuca lemanii accumulent davantage que Cladonia portentosa et Hedwigia ciliata.

In the Limousin region (France), serpentine formations are linked to landscape morphologically, characterised by a clear karstification. Rock decomposition had lead to the constitution of magnesisols, deeply mobisted by magnesium, iron and heavy metals exudation. On the heath of Cluzeau (Haute-Vienne), we have studied nickel and chromium accumulation into four plant species. We detected no species to be a bioaccumulator. Armeria arenaria and Festuca lemanii are more bioaccumulator than Cladonia portentosa and Hedwigia ciliata.

Sommaire
Texte intégral

Introduction

Les métaux lourds sont des éléments traces constituant moins de 0,1 % de la croûte terrestre. Le protocole métaux lourds de la convention de Genève désigne par le terme « métaux lourds », les métaux et leurs composés qui ont une masse volumique supérieure à 4,5 g/cm3. Une partie d'entre eux sont des oligo-éléments essentiels aux processus biologiques (fer, magnésium, cobalt, cuivre, zinc, molybdène, nickel...) mais ils deviennent toxiques lorsqu'ils sont présents en excès dans les cellules. Par contre d'autres oligo-éléments non essentiels sont toxiques à de faibles concentrations (cadmium, chrome, plomb, mercure...). Ces éléments peuvent conduire à des phénomènes de pollution c'est-à-dire une accumulation en quantité telle que l’élément peut induire un danger pour les organismes vivants ou compromettre l’usage qui est habituellement fait du milieu récepteur.

Les causes de pollution par les métaux lourds peuvent être d’origine humaine (dépôts atmosphériques concernant surtout Zn et Pb, la fertilisation phosphatée avec Cd, les lisiers et les boues apportant Zn et Cu) et d’origine naturelle (fond géochimique local). Dans cette dernière optique, le cas des roches ultrabasiques et des sols qu’elles génèrent est particulièrement révélateur. Présentes à des degrés divers dans le monde entier (Afrique du Sud, Etats-Unis, Nouvelle-Calédonie, Nouvelle-Zélande, péninsule des Balkans, Ecosse, Suède, Portugal, Italie, France…), l’altération de ces roches conduit à des sols très particuliers. Outre le magnésium et le fer provenant de l’altération des minéraux ferro-magnésiens et libérés en grande quantité, on y rencontre des taux anormalement élevés de métaux lourds toxiques comme le nickel, le chrome, le cobalt, le cadmium. Une analyse chimique moyenne de ces roches et des horizons pédologiques non hydromorphes des sols de La Roche-l’Abeille (à faible distance de la lande du Cluzeau) est donnée à titre indicatif (tableau I, d’après Nkanika Wa Rupiya, 1979). Elle témoigne de la similitude et de l’homogénéité de ces roches.

Tableau I : Composition chimique moyenne de la serpentine de La Roche-l’Abeille. Les teneurs en oxydes des éléments majeurs sont exprimées en pour cents pondéraux, celles des éléments trace en ppm (d’après Nkanika Wa Rupiya, 1979).

Tableau I : Composition chimique moyenne de la serpentine de La Roche-l’Abeille. Les teneurs en oxydes des éléments majeurs sont exprimées en pour cents pondéraux, celles des éléments trace en ppm (d’après Nkanika Wa Rupiya, 1979).

Les conditions extrêmes de ces sols exercent une forte pression de sélection sur les plantes, ce qui conduit à des formations remarquables qui tranchent dans le paysage environnant et qui possèdent une végétation spécifique (annexe 1).

Les espèces serpentinophytes peuvent être classées en deux groupes : le premier regroupe les plantes tolérantes à la serpentinite capables de survivre dans ce milieu mais poussant mieux ailleurs et le second rassemble les plantes serpentinicoles, qui sont uniquement retrouvées sur ces substrats.

Lorsqu'elles sont exposées à des teneurs élevées en métaux lourds, même s'il s'agit d'éléments indispensables à leur métabolisme (zinc, cuivre, manganèse...), la plupart des plantes adoptent une réponse dite d'exclusion en freinant l'absorption et la translocation des métaux lourds vers les organes aériens. Toutefois, certaines espèces de la flore des sols serpentiniques montrent un comportement totalement différent, consistant en une accumulation massive d'un ou plusieurs métaux dans les organes aériens. Par convention, les seuils de concentration dans les feuilles définissant l’hyperaccumulation varient selon le métal considéré : 100 µg.g-1 de matière sèche (MS) pour le cadmium, 1000 µg.g-1 de MS pour le plomb, le nickel, le chrome, le cobalt et le cuivre, 10000 µg.g-1 de MS pour le zinc et le manganèse (Brooks, 1998). Environ 800 espèces hyperaccumulatrices de métaux lourds, principalement le nickel, sont connues parmi les plantes vasculaires.

Les espèces résistantes aux fortes concentrations de métaux lourds présentes dans les sols serpentiniques constituent de très bons modèles d'étude dans la recherche fondamentale sur l'évolution, l'écologie et la physiologie (Robinson et al., 1996, Zayed et Terry., 2003). Mais, les plantes hyperaccumulatrices (Marmiroli et al., 2004) présentent également un intérêt pratique puisqu'elles pourraient théoriquement être utilisées pour extraire les métaux lourds des sols pollués (phytoextraction). Malheureusement, leur faible productivité rend souvent leur utilisation aléatoire.

Ces dernières années, la contamination de l'environnement par le chrome est devenue un problème majeur. Sous sa forme hexavalente (Cr IV), il est hautement toxique pour les animaux et les végétaux.

Très localement, le nickel peut contaminer les eaux douces et le milieu terrestre à la suite de l'altération et de l'érosion naturelles de matériaux géologiques. A plus grande échelle, le nickel est principalement rejeté dans l'environnement à la suite d'activités humaines comme l'exploitation minière, l'incinération de déchets... A doses élevées, le nickel devient toxique. Pour les personnes sensibles, il peut entraîner une allergie par contact avec la peau ou par sa présence excessive dans la nourriture entraînant des manifestations cutanées et respiratoire (asthmes). De plus, les composés du nickel sont cancérogènes pour le nez et les poumons.

A cause de leurs propriétés physico-chimiques, les sols serpentiniques sont peu favorables à la végétation. L’exudation du fer qui les colore fortement en brun-rouge et la très faible teneur en aluminium qui limite l’argilogénèse en fait des milieux chauds et secs. La forte concentration en magnésium du sol bloque la capacité des plantes à puiser des nutriments spécialement le calcium, très peu présent, avec lequel il rentre en compétition. En outre, d’importants nutriments comme le potassium, le phosphore et l’azote sont retrouvés en très faible quantité. Enfin, la richesse en métaux lourds toxiques (nickel, chrome, cobalt…) constitue un autre facteur de spéciation de la végétation.

Les sols serpentiniques non hydromorphes sont peu profonds, à faible capacité de rétention en eau et à chimisme très particulier. Ils constituent, selon la nomenclature (Baize et Girard, 1995) des magnésisols lithiques (superficiels et graveleux) ou leptiques (de faible profondeur.

Les capacités d'absorption de métaux lourds par les plantes présentes sur les sols serpentiniques en Haute-Vienne sont peu connues. Ainsi quatre plantes fréquentes sur le site serpentinique du Cluzeau (Haute-Vienne), ont été choisies pour être dosées en chrome et en nickel : ce sont Cladonia portentosa (nomenclature selon Clauzade et Roux, 1985), Hedwigia ciliata (nomenclature selon Watson, 1968), Armeria arenaria et Festuca lemanii (nomenclatures selon Kerguelen, 1993).

L'objectif de cette étude est d'étendre les connaissances sur les réponses de ces espèces végétales poussant sur ces sols riches en métaux lourds qu'ils contiennent.

Matériel et méthodes

1. Le milieu d’étude

La lande du Cluzeau fait partie d’un ensemble de petits massifs de roches ultrabasiques bien localisés, orientés d’ouest en est, de La Porcherie à l’est jusqu’à Vayres à l’ouest. Elle est située sur les communes de Meuzac et Château-Chervix (annexe 2). Une comparaison avec quelques aspects du site de Bettu sera brièvement évoquée.

Présentation du site

Comme les autres landes serpentinicoles de la région, c’est une pelouse sèche, ouverte, avec de nombreux affleurements rocheux dominant les prairies alentour sur roches acides.

Le matériel végétal

Il est représenté par quatre espèces réparties sur des aspects différents du substratum permettant d’appréhender les rôles pionniers des lichens et mousses en milieux rocheux lithiques et des plantes à fleurs sur sols plus profonds :

  • Cladonia portentosa (annexe 3-A) est un Lichen, résultat de la symbiose entre un champignon supérieur et une algue. Contrairement aux plantes supérieures, les lichens ne possèdent pas de racines mais parfois des rhizines dont le rôle principal est de fixer le lichen à son substrat. Les lichens ont aussi la possibilité d’absorber les ions lors de la désagrégation de la roche par les acides libérés dans le sol, mais ils dépendent très largement de l'air pour leur nutrition. Ils possèdent une grande capacité à absorber et concentrer les substances contenues dans la pluie mais ne disposent pas de système d'excrétion efficace. En désagrégeant la roche en s'incrustant dans le substrat, ils contribuent ainsi, avec le temps, à la genèse du sol.

  • Hedwigia ciliata (annexe 3-D) fait partie du groupe des Bryophytes. Elles ne possèdent pas d'appareil racinaire et ainsi ne prélèvent pas d'élément du sol. L'absorption des minéraux est assurée par toute la surface de la plante en contact avec l'eau et ses substances dissoutes. Ce sont des végétaux très résistants et, à ce titre, constituent avec les lichens, des espèces pionnières capables de coloniser des milieux minéraux dont ils assurent la dégradation biologique primaire. Ils participent alors à la formation des sols permettant aux végétaux supérieurs plus exigeants de s'installer à leur tour.

  • Armeria arenaria (annexe 3-B), plante supérieure de la famille des Plumbaginacées, est une plante herbacée vivace avec des feuilles en rosette. En Limousin, cette espèce n'est retrouvée que dans les milieux serpentiniques.

  • Festuca lemanii (annexe 3-C) fait partie de la famille des Poacées ( = Graminées). C'est une plante herbacée vivace, très touffue, souvent de couleur gris-vert, également localisée sur ces milieux en Limousin (serpentinophyte locale).

2. Techniques d’analyse

2.1 – Prélèvement des échantillons

Les plantes sont prélevées par temps sec avec racines, tiges et feuilles pour les plantes vasculaires. Elles sont débarrassées des éléments terreux grossiers adhérents avant d’être conditionnées séparément dans des sacs plastiques fermés.

Les échantillons de sol sont recueillis sous les plantes prélevées et mis en attente dans des sacs du même type.

Les plantes collectées ont été lavées ; puis séparées en tiges, feuilles et racines dans le cas de F. ovina et A. arenaria. Les échantillons ont été ensuite séchés à l'étuve pendant 24 heures à une température de 70°C pour enfin être réduits en fine poudre à l'aide d'un mortier et d'un pilon.

2.2 – Préparation et minéralisation du matériel végétal

Les broyats de plantes ont été déposés dans des bombes en téflon (réacteurs à digestion par micro-ondes) à raison de 20mg par tube et mélangés avec de l'acide nitrique HNO3 à 69 % et du peroxyde d'hydrogène H2O2 (5 :1, v/v). La combinaison de l'acide nitrique avec le peroxyde d'hydrogène permet de décomposer les échantillons organiques en les transformant en dioxyde de carbone et eau.

Les tubes ont ensuite été placés dans un four micro-onde Microwave Sample Préparation System Multiwave 3000 de Anton Paar. Ce four est conçu pour chauffer simultanément une douzaine de réacteurs à pression modérée. Les réacteurs sont placés sur un plateau rotatif qui tourne sur lui-même en continu de sorte que chacun des réacteurs reçoit une énergie moyenne identique.

Le four a été programmé pour porter les échantillons à une température de 210°C (20 minutes), puis cette température a été maintenue pendant 10 minutes pour enfin chuter à 0°C pendant 20 minutes.

Les minéralisats obtenus ont été placés dans des fioles jaugées de 10ml, puis de l'eau distillée a été rajoutée jusqu'au trait de jauge.

Les minéralisats ont enfin été filtrés à l'aide de seringues munies de filtre Minisart RC4 Sartorius d'une taille de pores de 0,2 µm.

2.3 – Préparation et minéralisation des sols

Les échantillons de sols ont également été séchés à l'étuve pendant 24 heures à une température de 105°C. Par la suite, ceux-ci ont été tamisés à travers un tamis à trous ronds de 2mm de diamètre afin de séparer la terre fine (fraction inférieure à 2 mm) sur laquelle sont réalisées les analyses.

Pour connaître le pH, les échantillons de sols tamisés ont été mis en suspension dans de l'eau distillée à raison de 10 g de sol mélangé à 25 ml d'eau distillée. Le pH a été mesuré à l'aide d'un pHmètre Inolab WTW level 2 muni d'une électrode SenTix 41 WTW. Les pH ont été mesurés à une température ambiante de 23,4°C après x heures de contact sur le surnageant non agité.

Pour extraire les métaux lourds, les échantillons de sols sont introduits dans des tubes à raison de 500 mg par tube puis mélangés à de l'acide nitrique HNO3 à 69 % et de l'acide chlorhydrique HC1 à 37 % (3 :1, v/v). L'eau régale ainsi obtenue est un excellent solvant pour les échantillons inorganiques. Les tubes ont été placés dans un four micro-onde Microwave Sample Préparation System Multiwave 3000 de Anton Paar. Le four a mis 30 minutes pour amener la température à 100°C puis 15 minutes pour atteindre 150°C, 15 minutes pour arriver à 200°C pour enfin chuter à 0°C et maintenir cette température pendant 25 minutes.

Les minéralisats ont été déposés dans des fioles jaugées de 25 ml puis de l'eau distillée a été rajoutée jusqu'au trait de jauge.

Des seringues munies de filtres à seringues Minisart RC4 Sartorius d'une taille de pores de 0,2 µm ont été utilisées pour filtrer les minéralisats.

2.4 – Dosage du nickel et du chrome

Les matériels végétal et minéral sont analysés par spectrophotométrie atomique de flamme. Cette technique est basée sur le principe que les atomes libres peuvent absorber la lumière d'une certaine longueur d'ondes. La longueur d'onde d'absorption d'un élément lui est spécifique. La détermination spectroscopique d'espèces atomiques peut seulement être réalisée à partir d'un échantillon à l'état gazeux. Il faut de la chaleur pour faire passer l'échantillon à l'état gazeux. La chaleur est générée par une flamme. La spectrophotométrie de flamme analyse seulement les solutions.

Un atomiseur de flamme consiste en un nébuliseur qui convertit l'échantillon en un aérosol, grâce au brûleur. L'atomisation se produit dans la flamme qui est alimentée par de l'acétylène et de l'air (température de 1400 °C).

Des gammes étalons de 0,5, 1, 1,5 et 2 ppm de Cr et de Ni ont été réalisées à partir de solutions mères de Cr et de Ni de 1000 ppm.

Les échantillons de plantes et de sols ont été soumis à une analyse de leur contenu en chrome et nickel par spectrométrie d'absorption atomique à flamme grâce à un spectromètre SpectrAA220 de Varian.

Résultats et discussion

Les résultats d’analyse (concentrations de Ni et de Cr ainsi que pH des sols) sont regroupés dans le tableau ci-dessous (tableau II).

Tableau II : A- Valeurs des pH mesurés à 23,4°C et concentrations en Ni et Cr (µg.g-1 de MS) de sols serpentiniques recueillis au Cluzeau (Haute-Vienne) aux lieux de récolte de Cladonia portentosa, Hedwigia ciliata, Armeria arenaria et Festuca lemanii.
B- Concentrations en Ni et Cr (µg.g-1 de MS) d'échantillons de Cladonia portentosa, Hedwigia ciliata, Armeria arenaria et Festuca lemanii.
* : écart type.

Tableau II : A- Valeurs des pH mesurés à 23,4°C et concentrations en Ni et Cr (µg.g-1 de MS) de sols serpentiniques recueillis au Cluzeau (Haute-Vienne) aux lieux de récolte de Cladonia portentosa, Hedwigia ciliata, Armeria arenaria et Festuca lemanii.B- Concentrations en Ni et Cr (µg.g-1 de MS) d'échantillons de Cladonia portentosa, Hedwigia ciliata, Armeria arenaria et Festuca lemanii.* : écart type.

Le pH du sol est le facteur le plus important contrôlant la solubilité d'un métal. A de faibles pH, la majorité des métaux sont plus solubles dans le sol et mobiles. Ceci augmente leur accessibilité aux plantes. En plus du pH, d'autres facteurs affectent la disponibilité des métaux comme les contenus en argile et en matière organique des sols.

Les pH des sols recueillis aux sites de récolte de C. portentosa, H. ciliata, A. arenaria et F. lemanii sont respectivement 6,3 ; 6,2 ; 6,3 et 6,2. Les pH mesurés sont assez homogènes malgré les lieux de récolte différents des sols. Dans l'intervalle de pH {6,1, 6,5} les sols sont considérés comme légèrement acides, ce qui tranche avec les pH acides des sols du Limousin. Les sols serpentiniques sont généralement caractérisés par des pH légèrement acides à neutres allant de 6,1 à 7,3 (Freitas et al., 2003). Ainsi, la disponibilité de nickel et de chrome par les plantes n'est pas maximale si on ne considère que le pH. La pauvreté des sols serpentiniques en matière organique, qui réduit la disponibilité des métaux, accentue l'effet des pH légèrement acides sur la mobilité des métaux.

La gamme de valeurs de nickel couramment observées dans les sols sur roches acides situe entre 2 et 60 µg.g-1 de MS.

Les concentrations en nickel dans les sols analysés sont donc très élevées par rapport aux sols développés sur les roches acides du Limousin avec un maximum de 861,8 µg.g-1 de MS correspondant au sol de C. portentosa et un minimum de 633,6 µg.g-1 de MS pour le sol de H. ciliata. Toutefois des teneurs de nickel beaucoup plus importantes atteignant la valeur de 2348 µg.g-1 de MS ont été mesurées dans des sols portugais serpentiniques (Freitas et al., 2003). Mais, sur ces mêmes sols portugais des concentrations de nickel de 102 µg.g-1 de MS sont retrouvées, ce qui montre une forte hétérogénéité dans le contenu en nickel. Cette différence de variation du contenu en nickel entre les deux sites (Cluzeau et Portugal) peut s'expliquer par le fait que l'aire du milieu serpentinique au Portugal s'étend sur 8000 ha alors que le site du Cluzeau ne possède qu'une superficie de 132 ha. Des prélèvements étendus sur l'ensemble du milieu serpentinique du Cluzeau devraient être effectués afin de mieux appréhender les propriétés de la zone étudiée.

Les concentrations de nickel de 848,2 (A. arenaria), 861,8 (C. portentosa), 814,3 µg.g-1 de MS (F. lemanii) sont elles assez homogènes. La valeur mesurée dans le sol de H. ciliata est relativement éloignée des autres concentrations (633,6 µg.g-1 de MS).

Le contenu en chrome dans les sols non serpentiniques varie en général de 0 à 200 µg.g-1 de MS (Becquer et al., 2003) mais dépasse 4000 µg.g-1sur les sols serpentiniques du Queensland (Australie) (Batianoff et Specht, 1991) et près de 7000 au Portugal (ci-après). Les quantités de chrome dans les sols varient de 1219,7 µg.g-1 de MS pour le sol de C. portentosa à 974,1 µg.g-1 de MS pour le sol de H. ciliata. De même que pour le nickel, les concentrations de chrome sont assez homogènes dans les sols de A. arenaria (1157,3 µg.g-1 de MS), C. portentosa (1219,7 µg.g-1 de MS) et F. lemanii (1179,2 µg.g-1 de MS). On retrouve, comme dans le cas du nickel, une valeur de chrome dans le sol de H. ciliata inférieure aux autres.

Les concentrations de chrome rentrent dans l'intervalle de valeurs mesurées à partir de sols serpentiniques portugais (Freitas et al., 2003) qui se situent entre 200 et 6822 µg.g-1 de MS. Comme dans le cas du nickel, les sols portugais présentent des concentrations en chrome très fortes et variables par rapport au sol du Cluzeau.

Les concentrations en chrome dans les sols sont supérieures à celles du nickel. Il apparaît que les proportions de nickel et de chrome sont généralement assez variables selon les sites et le point de prélèvement. Ainsi les sols serpentiniques portugais (Freitas et al., 2003) contiennent également plus de chrome que de nickel (200 à 6822 µg.g-1 de MS de chrome contre 102 à 2348 µg.g-1 de MS de nickel) tandis dans des sols australiens (Wenzel et al., 2003), le nickel (2580 µg.g-1 de MS ) est majoritaire par rapport au chrome (1910 µg.g-1 de MS).

Les quantités de nickel et de chrome dans le sol de H. ciliata sont notablement inférieures (633,6 et 759,8 µg.g-1 de MS de Ni et de Cr respectivement), cela pourrait s'expliquer par le fait que le sol retrouvé au niveau d'H. ciliata est moins évolué que celui retrouvé sous les autres plantes.

Les espèces non-serpentinophytes contiennent en général de très faibles concentrations foliaires de nickel variant de 0,1 à 5 µg.g-1 de MS tandis que celles retrouvées chez les espèces serpentinophytes oscillent en général entre 20 et 100 µg.g-1 de MS (Freitas et al., 2003). Les valeurs de nickel dosées dans les feuilles de A. arenaria et F. lemanii sont respectivement de 80,3 et de 32,5 µg.g-1 de MS, ce qui est en accord les résultats évoqués précédemment.

Il n'apparaît aucune corrélation entre la quantité de nickel absorbée par les plantes et les très fortes concentrations de ce métal dans le sol. L'assimilation de nickel chez les plantes étudiées est relativement variable selon la plante et l'organe considérés. Ainsi les plus fortes quantités de nickel sont retrouvées dans les racines de F. lemanii avec 258,4 µg.g-1 de MS tandis que les feuilles, les fleurs et les tiges n'en contiennent respectivement que 32,5 ; 53,4 et 42,6 µg.g-1 de MS.

Dans une précédente étude (Verger et al., 2001) effectuée sur le massif serpentinique de Bettu (Corrèze, Limousin, France) les concentrations de nickel retrouvées chez F. lemanii étaient, respectivement, dans les feuilles et les racines, de 127 et de 435 µg.g-1 de MS. Les quantités de nickel chez F. lemanii dans la lande du Cluzeau sont donc approximativement divisées de moitié. Cet écart peut être attribué aux différences de composition et de propriétés physico-chimiques des sols. Les valeurs du pH étant semblables, il faudrait connaître les contenus en chrome et en nickel du sol du massif de Bettu afin de pouvoir comparer avec les valeurs obtenues sur le site du Cluzeau. De même chez A. arenaria, une concentration de 150,7 µg.g-1 de MS à été retrouvée dans les racines tandis que les feuilles n'en contiennent que 80,3 µg.g-1 de MS.

Les différences de concentrations de Ni entre les parties aériennes et terrestres sont plus marquées chez F. lemanii que chez A. arenaria mais chez ces deux espèces le nickel est surtout retrouvé au niveau des racines. Ces deux espèces répondent donc aux forts taux de nickel par exclusion du métal dans les racines afin d'en minimiser la toxicité.

Enfin les quantités de nickel présentes chez C. portentosa et chez H. ciliata sont respectivement 42,4 et 35,7 µg.g-1 de MS. Les Lichens et les Bryophytes trouvent moins d’éléments minéraux assimilables dans les sols initiaux développés sur la roche.

L'accumulation de nickel est plus importante chez Cladonia portentosa que chez H. ciliata. Ceci est dû à la forte capacité d'accumulation du partenaire fongique du lichen. Une mesure de la composition de l'air sur le site du Cluzeau devrait être effectuée afin de connaître les capacités d'accumulation de ces deux espèces. Les analyses existant à ce jour (ADEME, 1997) montrent une très faible teneur atmosphérique a proximité du site d’étude.

Aucune des plantes analysées n'est donc hyperaccumulatrice de nickel puisque la limite caractérisant une plante hyperaccumulatrice de nickel est de 1000 µg.g-1 de MS (Brooks, 1998).

Les concentrations de chrome retrouvées chez les plantes sont beaucoup moins importantes que celles de nickel alors que les sols étudiés contiennent plus de chrome que de nickel, ceci est lié à la biodisponibilité plus faible du Cr. En effet, la valeur maximale observée dans les racines de A. arenaria est de 54,7 µg.g-1 de MS.

Une concentration un peu plus faible de 35,7 µg.g-1 de MS est observée dans les feuilles d’ A. arenaria. Chez F. lemanii, du chrome n'est retrouvé qu'au niveau des racines avec une concentration de 49,5 µg.g-1 de MS et dans les fleurs avec 2,4 µg.g-1 de MS. Les faibles concentrations de chrome retrouvées chez A. arenaria et F. lemanii ne sont pas étonnantes puisque le chrome a une faible solubilité à l'intervalle de pH auquel les plantes sont exposées (6,17 à 6,30). De plus le chrome est rarement accumulé par les plantes. H. ciliata présente une faible concentration de chrome avec 8 µg.g-1MS. Enfin aucune trace de chrome n'est retrouvée chez C. portentosa. Chez ces deux dernières espèces les faibles quantités de chrome mesurées peuvent être dues à la faible disponibilité du chrome dans le sol. Il se peut également que les deux espèces, notamment C. portentosa, n'absorbent pas le chrome. De même que pour le nickel, une analyse de chrome dans l'air permettrait de mieux appréhender ces résultats et une étude de l'absorption de chrome par les plantes en milieu pollué permettrait d'invalider ou de confirmer les hypothèses précédentes.

Ainsi aucune des plantes choisies n'est hyperaccumulatrice de chrome puisqu'aucune concentration foliaire n'atteint la limite de 1000 µg.g-1 de MS définissant l'hyperaccumulation (Brooks, 1998).

Conclusion

Les sols serpentiniques du Cluzeau contiennent de fortes concentrations de nickel et de chrome qui sont assez homogènes. Mais, cette forte quantité de métaux n’est pas proportionnelle à l’accumulation de métaux par les plantes. L’absorption de nickel et de chrome est variable selon l’espèce végétale et le métal considéré et les propriétés physico-chimiques du sol (pH, proportions de matière organique, d’argile…). Aucune des plantes étudiées n’est hyperaccumulatrice des métaux étudiés, mais celles-ci contiennent des quantités de nickel et de chrome qui seraient toxiques pour des espèces non-serpentinophytes.

Parmi les quatre espèces analysées, A. arenaria et F. lemanii sont strictement limitées, en Limousin, aux milieux serpentiniques ce qui en fait des plantes à aire restreinte et à ce titre elles doivent être protégées. La seconde paraît même être une serpentinophyte dépassant le niveau local mais l’état actuel des connaissances à son sujet demande une certaine prudence.

Bien que nulle plante étudiée ne soit actuellement utilisée dans l’extraction de métaux lourds, il semblerait que A. arenaria ait attiré l’attention de chercheurs du C.N.R.S. de Montpellier afin de mesurer ses capacités en phytostabilisation et/ou phytoremédiation. Le problème est que cette espèce produit une faible biomasse ce qui limite son intérêt au profit de plantes faiblement accumulatrices mais à fort rendement comme le maïs.

Les milieux serpentiniques ne présentent pas seulement un potentiel pour la phytoremédiation mais ce sont surtout de petits îlots d’espèces remarquables. En effet, de nombreuses espèces sont endémiques à la serpentine, c’est-à-dire qu’elles ne sont présentes que sur ce milieu et que leur survie dépend de leur préservation.

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Référence papier

Gaste, H., Basly, J.-P., Botineau, M. et Verger, J.-P. (2005). Bioaccumulation du chrome et du nickel par Cladonia portentosa, Hedwigia ciliata, Armeria arenaria et Festuca lemanii en milieu serpentinique (Lande du Cluzeau, Haute-Vienne). Annales Scientifiques du Limousin, (16), 23-33.

Référence électronique

Gaste, H., Basly, J.-P., Botineau, M. et Verger, J.-P. (2005). Bioaccumulation du chrome et du nickel par Cladonia portentosa, Hedwigia ciliata, Armeria arenaria et Festuca lemanii en milieu serpentinique (Lande du Cluzeau, Haute-Vienne). Annales Scientifiques du Limousin, (16). https://doi.org/10.25965/asl.423

Auteurs
H. Gaste
Jean-Philippe Basly
Michel Botineau
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Jean-Pierre Verger
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