Arbres à cavités et cétoines cavicoles de la réserve naturelle nationale de la tourbière des Dauges (St-Léger-la-Montagne, 87) Tree hollows and associated Cetoniidae in the Réserve naturelle nationale of the Dauges peatbog.
Le Pique-prune, Osmoderma eremita, est une espèce protégée qui se développe dans les cavités d’arbres riches en terreau. Un inventaire des arbres à cavités de la réserve naturelle des Dauges a été entrepris et la Cétoine a été recherchée mais n’a pas été trouvée malgré la présence d’habitats potentiellement favorables.
The Hermit beetle, Osmoderma eremita, is restricted to hollows trees with large amount of wood mould. Inventory of trees hollows and research of O. eremita were carried on. O. eremita wasn’t found in spite of the presence of potential favourable habitats.
Osmoderma eremita, Coleoptera Cetoniidae, Limousin, Tree hollows
Introduction
Le présent travail s’est déroulé en 2002 dans la réserve naturelle de la tourbière des Dauges, qui outre son statut réglementaire, fait partie du réseau de sites Natura 2000. Ce site est bien connu des naturalistes et scientifiques de la région, il a déjà fait l’objet de nombreuses communications. En 1998, un numéro spécial des Annales Scientifiques du Limousin a été entièrement consacré à la description géologique, géomorphologique, climatique, botanique, et faunistique de la réserve de la tourbière des Dauges. La réserve est située dans les monts d’Ambazac à une altitude d’environ 550 m, à une trentaine de kilomètres au Nord-Est de Limoges. Le travail de terrain a été confié à Nicolas AULLEN, stagiaire en BTS Gestion et Protection de la Nature du Lycée agricole de Neuvic.
Le but du travail est de :
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dresser l’inventaire et caractériser les arbres à cavités de la réserve,
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rechercher des sites favorables à l’accueil de la cétoine Osmoderma eremita Scopoli.
Les bois occupent 119 ha des 200 ha de la réserve naturelle, soit près de 70 % de la surface. Les travaux d’inventaire et de cartographie des habitats naturels de la réserve (GUERBAA, 2003) montrent que les hêtraies collinéennes dominent largement le paysage et représentent près de 22 % de la surface boisée. Viennent ensuite des chênaies acidiphiles (18,2 %), des hêtraies-chênaies acidiphiles (7,4 %) et des taillis de châtaigniers (3,7 %). Dans ces diverses formations feuillues, se trouvent également des traces d’anciens vergers de châtaigniers composés de vieux arbres de grands diamètres, souvent alignés et abritant souvent des cavités. Des plantations de résineux (Douglas et Épicéas) et des coupes et chablis occupent également le massif, avec respectivement 7,4 % et 4,6 % de la surface.
Le Pique-prune (Osmoderma eremita Scopoli) est une grosse cétoine inscrite à l’annexe II (espèce prioritaire) de la directive européenne 92/43 dite « Habitats ». Elle est également protégée au plan national. Une synthèse très intéressante sur l’écologie et la biologie de cette espèce a été publiée dernièrement (VIGNON, 2006). Le Pique-prune a été signalé dans plusieurs secteurs autour des Monts d’Ambazac : Beaune-les-Mines (Tauzin, 2005) et Thouron (collection Veyriras, 1950). Sa présence est donc potentielle dans la réserve naturelle de la tourbière des Dauges.
Méthodologie
L’étude consiste à cartographier et à caractériser les arbres à cavités de la réserve naturelle, ainsi qu’à inventorier les Coléoptères Cetoniidae des cavités accessibles. L’ensemble des formations boisées de la réserve a été prospecté à la recherche d’arbres à cavités et plusieurs paramètres ont été relevés et consignés sur une fiche de terrain :
Paramètres généraux
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Caractéristique de l’arbre : date du relevé / numéro d’identifiant / essence / diamètre (en cm) à 1,3 m du sol (selon la méthode couramment adoptée par les forestiers pour cette mesure) / numéro de la parcelle / coordonnées GPS.
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Etat sanitaire de l’arbre : sain, dépérissant, mort sur pied.
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Environnement immédiat de l’arbre : Isolé (arbre de plein vent, solitaire en milieu ouvert), Lisière (arbre d’alignement, en bordure de bois) et Forêt (arbres disséminés dans le massif boisé).
Caractéristiques de la cavité
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Orientation de l’ouverture ;
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Type d’ouverture : de tronc / de pied / de branche ;
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Hauteur de l’ouverture : en mètre depuis le sol ;
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Accessibilité de la cavité : accessible (sans aucun matériel particulier) / inaccessible (nécessité d’une échelle, ouverture trop réduite ou profondeur trop importante) ;
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Type de terreau : humidité, texture, composition, présence d’organismes divers (Champignons, invertébrés etc.) ;
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Quantité de terreau dans la cavité : ce paramètre n’a pas été mesuré formellement mais seulement estimé. Nous avons distingué 7 classes d’abondance :
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Indéterminée : concerne les cavités inaccessibles
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Très faible : présence de traces
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Faible : moins d’un demi-litre de terreau
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Absence : cavité sans terreau
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Moyen : environ 1 litre de terreau
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Grande : de 1 à 10 litres
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Très grande : plus de 10 litres
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La localisation des arbres à cavité a été reportée manuellement sur un plan cadastral, dans l’attente d’un outil informatique de cartographie. Les paramètres mesurés sont consignés dans un tableau Excel®. Les fiches de terrains renseignées sont conservées à la maison de la réserve à Sauvagnac.
Résultats & discussion
1 : Les essences arborées à cavités
Parmi les taxons arborés de la réserve, neuf possèdent des cavités (Tableau I). Quelques arbres n’ont pu être déterminés, il s’agit de chandelles sans branches, ni écorce.
Tableau I : Effectifs des arbres à cavités par essence
Taxons |
Nombre d’arbres |
% de l’échantillon |
Castanea sativa Miller |
171 |
54.4 |
Fagus sylvatica L. |
76 |
24.0 |
Indéterminés |
33 |
10.4 |
Quercus robur L. |
12 |
3.8 |
Betula pendula Roth. |
5 |
1.6 |
Pinus sylvestris L. |
4 |
1.3 |
Malus sylvestris Miller |
4 |
1.3 |
Carpinus betulus L. |
4 |
1.3 |
Pseudotsugga menziesii (Miller) Franco |
4 |
1.3 |
Picea abies (L.) Karsten |
2 |
0.6 |
Total |
315 |
100 |
Les châtaigniers représentent la majorité des arbres à cavités inventoriés dans la réserve. L’essence qui vient en deuxième position est le hêtre. Les autres essences sont très faiblement représentées. Les châtaigneraies n’occupent que 4 % de la surface du massif pourtant le châtaignier est l’arbre à cavité le plus fréquent dans les boisements de la réserve. Il s’agit principalement de très vieux vergers abandonnés dominés actuellement par les hêtres, mais aussi d’arbres d’alignement qui servaient à matérialiser les limites de parcelles. Toutes les essences à cavités rencontrées dans la réserve, à l’exception de Pseudotsuga menziesii, sont des arbres potentiellement favorables à l’accueil d’Osmoderma eremita.
La densité d’arbres à cavités s’élève à 2,64 arbres/hectare de bois. Peu de données bibliographiques sont disponibles pour discuter ce résultat. La réserve intégrale de la Massane couvre une surface de 9,4 ha. Les arbres à cavités, de plus de 30 cm de diamètre, ont été dénombrés (GARRIGUE & MAGDALOU, 2000). Leur nombre s’élève à 128, soit une densité de plus de 13 arbres/ha. Une forte densité d’arbres à cavités est un élément déterminant pour le développement et la conservation du Pique-prune. Cette observation découle directement des faibles capacités de dispersion du Pique-prune dont nous discuterons plus loin. Dans les régions où cette densité a été fortement réduite (exploitation forestière, remembrement entre autres), les populations de Pique-prune ont disparu ou sont en grand danger d’extinction.
2 : Structure diamétrale des arbres à cavités
Le diamètre des arbres inventoriés est mesuré au ruban, à hauteur d’homme (environ 1,3 m du sol). La figure 1 présente la répartition de ces mesures par classe de diamètre de 10 cm.
Les arbres à cavités inventoriés présentent un diamètre moyen de 62,6 cm (écart-type 25,2). Ce diamètre est voisin des 63,9 cm, mesuré dans les Pyrénées-Orientales dans la réserve intégrale de la Massane (Garrigue & Magdalou, 2000) qui accueille une forte population d’Osmoderma. Le diamètre des arbres à cavités observé dans la réserve ne semble pas être un facteur limitant pour l’accueil d’Osmoderma eremita.
Parmi les arbres de plus gros diamètre, on trouve un hêtre (162 cm), un douglas (156 cm) et deux châtaigniers (144 et 140 cm).
Figure 1 : Répartition des arbres à cavités par classe de diamètre
Le Pique-prune est plus fréquent dans les arbres de diamètre supérieur à 98 cm (RANIUS, 2000), mais sa présence a été décelée dans des arbres de faible diamètre : 22 cm dans un chêne en Suède (RANIUS & NILSSON, 1997), 25 cm dans un hêtre en Italie (AUDISIO in RANIUS coord., 2005), 30 cm dans un chêne dans la réserve naturelle de la Massane (GARRIGUE & MAGDALOU, 2005).
Dans la réserve des Dauges, les arbres à cavité de diamètre supérieur à la moyenne représentent 37 % du peuplement, soit 117 arbres. Parmi ces arbres, les châtaigniers sont les plus nombreux (91 individus), viennent ensuite les hêtres (25 individus) puis les chênes (1 individu). Les arbres de gros diamètres sont majoritairement des châtaigniers, arbres implantés le plus anciennement sur le site (anciens vergers à fruits, arbres d’alignement). Les autres essences sont d’installation plus récente, ce qui semble indiquer que les boisements du bassin versant la tourbière des Dauges sont des forêts jeunes. Il convient toutefois d’être prudent car il n’existe pas de corrélation positive stricte entre le diamètre d’un arbre et son âge. Les conditions de développement (sol, climat, exposition etc.) interviennent dans la croissance des arbres.
3 : Quantité de terreau dans les cavités
Ce paramètre a été estimé, car il est très délicat à mesurer. Une telle mesure demanderait l’extraction de la totalité du volume de terreau, ce qui nécessiterait du matériel particulier de type aspirateur, et pourrait causer des perturbations pour la vie qui s’y développe. Il repose donc sur l’appréciation d’un seul observateur. Les classes de volume distinguées sont toutefois relativement faciles à apprécier. Le volume de terreau demeure un paramètre très intéressant car il conditionne les potentialités d’accueil du Pique-prune.
En Suède, le Pique-prune a été trouvé préférentiellement dans les cavités abritant plus de 15 litres de terreau (Ranius, 2000). Les cavités abritant un volume de terreau supérieur à 10 litres sont potentiellement les plus favorables au Pique-prune. Ces cavités sont peu nombreuses dans la réserve, seules 7 cavités (classe « Très grande ») répondent positivement à ce critère. Le faible nombre de cavités riches en terreau réduit considérablement les capacités d’accueil du Pique-prune dans la réserve.
Figure 2 : Nombre de cavités selon la quantité de terreau estimé dans les cavités
4 : Environnement des arbres à cavités
L’environnement des arbres à cavités correspond aux milieux dans lesquels ils se trouvent. Nous avons distingué trois situations décrites plus haut : Isolé, Lisière et Forêt. Les résultats sont donnés dans la figure 3.
Figure 3 : Environnement des arbres à cavités
Les arbres à cavités observés sont majoritairement des arbres dispersés dans le massif boisé. Le Pique-prune est une espèce typiquement forestière qui se rencontre encore dans les massifs forestiers des quelques régions d’Europe peu perturbées par l’activité humaine (Balkans, Espagne, Sud de l’Italie, Autriche, Pologne, Suède). Il se raréfie dans les forêts de production, car les arbres à cavités sont généralement éliminés. Le Pique-prune se retrouve alors de plus en plus dans les paysages de bocage, habitat de substitution où il occupe les arbres des vieux vergers ou les arbres d’alignement riches en cavités résultant de blessures ou de taille dite en « têtard » (Ranius coord., 2005).
Dans la réserve naturelle, les arbres potentiellement favorables au Pique-prune sont essentiellement en forêt. En Limousin, les mentions récentes de Pique-prune correspondent toujours à des arbres isolés en système bocager. Ce constat limite donc les possibilités de trouver le Pique-prune dans la réserve.
5 : Localisation des arbres à cavités
La carte présentée dans la figure 4 montre une répartition très hétérogène des arbres à cavités sur un fond cadastral. On distingue toutefois plusieurs secteurs à forte densité d’arbres creux distants de 200 m au maximum les uns des autres. Des travaux menés en Suède (HEDIN & RANIUS, 2000 ; RANIUS & HEDIN, 2001) ont montré que les capacités de dispersion de l’espèce sont plutôt réduites et évaluées à environ 300 m d’une seule traite. En France, un suivi par radio pistage a montré une distance maximale de déplacement de près de 700 m (DUBOIS, 2005). Ainsi, une forte densité de cavités sur une surface réduite est un élément hautement favorable pour le maintien de l’espèce.
Figure 4 : Localisation des arbres à cavités de la réserve naturelle de la tourbière des Dauges
6 : Cétoines observées dans les cavités
Parmi les cavités recensées et potentiellement favorables au Pique-prune, nous en avons sélectionné 14, soit près de 10 % du peuplement, dans lesquelles nous avons recherché par tamisage du terreau des traces de présence de Coléoptères Cetoniidae. Les résultats sont donnés dans le tableau II.
Au cours des dernières années, les inventaires réalisés dans la tourbière ont mis en évidence la présence de 6 espèces de Cétoines (Chabrol & al., 1998) : Cetonia aurata L., Gnorimus nobilis L., G. variabilis L., Oxythyrea funesta Poda, Trichius fasciatus L. et Valgus hemipterus L.
Tableau II : Cétoines inventoriées dans les cavités potentiellement favorables au Pique-prune
Numéro de l’arbre |
Essence |
Date du relevé |
Adultes |
Larves indéterminées |
Macrorestes (Elytres) |
32 |
indéterminé |
14 juin 2002 |
0 |
0 |
C. aurata |
29 |
Fagus sylvatica L. |
14 juin 2002 |
1 C. aurata |
3 |
C. aurata |
55 |
Castanea sativa Miller |
20 juin 2002 |
0 |
0 |
0 |
46 |
Castanea sativa Miller |
20 juin 2002 |
0 |
0 |
0 |
41 |
Castanea sativa Miller |
26 juin 2002 |
3 G. variabilis |
5 |
G. variabilis |
14 |
Castanea sativa Miller |
26 juin 2002 |
1 G. nobilis |
0 |
0 |
36 |
Castanea sativa Miller |
28 juin 2002 |
2 G. variabilis |
2 |
G. variabilis |
34 |
Castanea sativa Miller |
28 juin 2002 |
0 |
0 |
0 |
260 |
Castanea sativa Miller |
9 juillet 2002 |
6 G. variabilis |
10 |
G. variabilis |
259 |
Castanea sativa Miller |
9 juillet 2002 |
0 |
0 |
0 |
258 |
Castanea sativa Miller |
9 juillet 2002 |
1 G. nobilis |
0 |
0 |
128 |
Castanea sativa Miller |
23 juillet 2002 |
2 G. variabilis |
2 |
G. variabilis |
125 |
indéterminé |
23 juillet 2002 |
0 |
0 |
0 |
104 |
Castanea sativa Miller |
23 juillet 2002 |
2 G. variabilis |
0 |
0 |
L’exploration du terreau des cavités n’a pas permis de trouver le Pique-prune, seules des Cétoines déjà connues de la réserve ont été inventoriées :
-
5 cavités, ne contenaient aucune trace de présence de cétoines ;
-
5 cavités abritaient Gnorimus variabilis, cétoine relativement courante en Limousin. Elle se développe dans des cavités riches en terreau mais demande des conditions moins strictes que le Pique-prune (LUCE, 1995) ;
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2 cavités abritaient Gnorimus nobilis, cétoine qui se développe dans des volumes de terreau très faible (LUCE, 1995) ;
-
2 cavités abritaient Cetonia aurata, qui se développe plutôt dans le sol riche en humus ou dans de petites cavités
Notons, que les cavités n’abritaient qu’une seule espèce à la fois.
Conclusion
Malgré la présence de cavités et d’un environnement potentiellement favorables, le Pique-prune n’a pu être trouvé dans la réserve naturelle des Dauges. Des recherches du même type, menées dans d’autres secteurs similaires des monts d’Ambazac, sont également restées infructueuses. Nous avons été surpris de ne pas trouver cette espèce dans cette région naturelle présentant des bonnes potentialités. Les recherches vont continuer dans les secteurs périphériques à la réserve et dans la réserve (nombreuses cavités non encore explorées). De nouvelles stations limousines ont encore été découvertes au cours des dernières années, ce qui nous encourage à poursuivre ces recherches.
Les choix de gestion des boisements de la réserve intégreront les résultats de notre étude en particulier la préservation des arbres abritant des cavités et surtout d’îlots à forte densité d’arbres à cavités. Si le Pique-prune n’a pas été trouvé, ces mesures de gestion seront quand même bénéfiques pour la préservation de la faune associée à ces microhabitats si particuliers. Des inventaires complémentaires devraient être menés dans les cavités qui n’ont pas encore été explorées.