LES GRECS ET LA ROTONDITE DE LA TERRE
Alors que les cartes précédentes s’attachaient à une portion réduite de l’espace, les Grecs vont commencer à élaborer des systèmes de représentation du monde. On passe alors de l’arpentage au début de la projection cartographique. Si l’un mesure un terrain restreint et donc la représentation ne subit pas de déformation, l’autre a pour objectif de représenter l’intégralité du globe terrestre sur un support en deux dimensions et doit donc utiliser un « système » tenant compte de la rotondité de la Terre afin de transcrire sans déformation les distances et les angles en passant de la sphère à la feuille de papier.
Cette évolution est tributaire des calculs de Thalès de Milet (624-547 avant J.-C.) qui pressent la notion de sphéricité de la terre. Quelques années plus tard, Anaximandre (610-546 avant J.-C.) réalisera une première carte du monde, centrée sur la Méditerranée, qu’Hécatée (550-480 avant J.-C.) complètera et affinera par la suite.
Le monde connu ou Oekoumène est alors représenté comme un disque plat entouré par un océan. Il se compose de l'Europe, dont la partie nord est mal délimitée, de l'Asie qui s'arrête à l'Inde et à l'Oural méridional, et enfin de l'Afrique dont la partie sud est délimitée par le Sahara. La partie inconnue du monde est symbolisée par un continent incognita séparé de l’Oekoumène. Par ailleurs, Hécatée est l'auteur d'un traité Voyage autour du monde dont Hérodote (484-420 av. JC) s'est inspiré pour ses propres écrits. Ce sont les bases de la géographie qui sont alors posées.
Au IVe siècle avant J.-C., Aristote (384-322 avant J.-C) confirmera l’aspect sphérique de la Terre en observant que les bateaux disparaissent à l’horizon en commençant par la proue pour finir par le mât.
Ceci étant fixé, Eratosthène (276-194 av JC), bibliothécaire d’Alexandrie pose les bases de la projection cartographique en calculant la circonférence de la terre. Son résultat n'est supérieur que de 150 km à celui obtenu aujourd’hui.
Le calcul de la circonférence terrestre.
Eratosthène s’appuie sur le calcul de la différence de l’ombre portée par le soleil sur un cadran solaire entre deux villes, le relevé étant réalisé au même moment. Le soleil étant au zénith dans la première ville (l’ombre se confond avec le bâton du cadran), cette différence correspond donc à l’angle entre le bâton et l’ombre dans la deuxième ville (soit 7,2° ou 1/50e de 360° et donc de la circonférence d’un cercle). La distance entre ces deux villes correspond alors à 1/50e de la circonférence terrestre. Il suffit donc de multiplier cette distance par 50 pour obtenir la circonférence de la terre.
Le monde d'Hécathée, P.F. Gosselin (Réinterprétation), Ve siècle avant J.-C.., BnF, cartes et plans, Ge.CC.1423, T1, © Bibliothèque nationale de France
Le monde d'Eratosthène, Atlas, P.F. Gosselin (Réinterprétation), 1814., BnF, Cartes et plans, Ge CC 1423, © Bibliothèque nationale de France
La carte de l'Œcoumène, Géographie, Livres I-VIII, Ptolémée, Constantinople (?), Début du XVe siècle., Manuscrit sur parchemin, BnF, Manuscrits, Grec 1401 fo 50v-51, © Bibliothèque nationale de France
Par la suite il imagine une carte schématique, fondée sur des points définis astronomiquement, où deux axes se coupent perpendiculairement à Rhodes : le parallèle (divisant la terre entre Nord et Sud) unissant les points où le jour le plus long a la même durée, et le méridien (passant par Syène, Alexandrie et l’île de Rhodes) reliant les points du globe où le soleil est à son apogée à la même heure. A ces axes, il ajoute une série de parallèles et de méridiens secondaires. Ce système « quadrille » donc la surface terrestre et permet un relevé par coordonnées de latitude et de longitude et projection orthogonale.
La zone qu’il relève alors (centrée sur la Méditerranée et allant de l’Irlande au Sri Lanka et de l’Islande à la Somalie) correspond à la carte du monde connu à la fin de l'ère grecque. Sa faible étendue (par rapport à la surface totale de la Terre) limite la déformation de la carte, les contours de la Méditerranée étant bien établis.
Hipparque (190-125 av. J.-C.) reprendra et affinera ce système.
Au IIe siècle après J.-C., Ptolémée (90-168 après J.-C.) compilera le savoir géographique grec. Sa Géographie présente une Terre ronde, centre de l’univers, dont un quart seulement est connu et habité : l’Oekoumène entouré par un océan. Ceci recouvre l’Europe (à l’exception de la partie Nord de la Germanie), l’Inde et la Chine. De plus, il admet des zones inconnues (à l’inverse des récits mythologiques) et suppose un autre continent au-delà de l’Atlantique. La Géographie contient également une description des lieux – villes, rivières, montagnes, etc. – du monde habité, ainsi qu’une carte générale du monde connu se fondant sur 8000 points dont les coordonnées étaient tirées d’itinéraires de voyage.
Ce travail est le fondement des travaux cartographiques ultérieurs. En effet, elle fut traduite en arabe dès le IXe siècle. Une copie en fut retrouvée au XIIIe siècle, à Constantinople par un moine. Bien que cette version ne contienne aucune carte, elle indiquait la méthode à suivre pour en réaliser une, ainsi que la position des 8000 points observés visuellement et des 350 points observés astronomiquement, tous ces points bénéficiant de coordonnées. Elle fut traduite en latin en 1405 ; en 1466, le moine Germanus réalisa des cartes selon la méthode de Ptolémée et l’offrit au duc de Ferrara. Cet exemplaire devint le modèle du premier atlas ptoléméen imprimé, publié à Bologne en 1477.