« Nouvelles formes du faire croire : le rôle de la théorie des nudges et des passions dans les fake-news »
Nous chercherons, par cette contribution, à étudier les mécanismes sous-jacents au fonctionnement des fake-news. Nous nous interrogerons également sur l’apport de la théorie des nudges et la sémiotique des passions. En effet, ces dernières peuvent apporter une explication à propos de l’adhésion collective aux fake-news à la suite des évaluations qui amènent à « les croire » comme vraies.
Aujourd’hui les fakes-news peuvent être envisagées comme des phénomènes signifiants faisant désormais partie intégrante du processus démocratique. Elles participent de manière significative à la perception et à la construction du « monde réel » en influençant les comportements et les choix déterminants pour la vie en communauté. Nous les envisagerons donc comme de (nouvelles) formes de manipulation qui font agir la collectivité, ou plutôt « font faire » la dite collectivité, sur la base d’un « faire croire (vrai) ». Il est possible de vérifier cette hypothèse en suivant deux parcours, l’un n’excluant pas nécessairement l’autre.
Le premier, celui le plus accrédité aujourd’hui par les sciences de l’information et de la communication, nous dit que le processus cognitif, déterminant l’adhésion aux fake-news, est fortement influencé par différents raccourcis mentaux et biais cognitifs, autrement dit des mécanismes incitants les hommes à opter pour des choix irrationnels pouvant devenir dangereux lorsque ces derniers portent sur les processus de la vie démocratique. Dans ce domaine, soulignant l’aspect cognitif objectif et impartial sur lequel toute la théorie des nudges s’est développée plus tard, cette dernière perd son caractère « positif », tout en restant, de l’aveu même de ses inventeurs, une démarche « paternaliste ».
Le deuxième porte sur le rôle des passions dans les processus de manipulation des actants impliqués. En récupérant et en revalorisant l’interprétation primordiale du rôle des passions, il est possible de vérifier la pratique manipulatrice des fake-news. Nous savons, en réalité, que celles-ci font appel aux passions des utilisateurs, en déclenchant des sentiments tels que, par exemple, l’« indignation » ou la « colère », des passions qui, comme nous le savons, font émerger une force capable de manipuler ou contre-manipuler le savoir des Sujets, en imposant par conséquent une architecture et une nouvelle hiérarchie de valeurs, et une nouvelle orientation vers la valeur, capable de remplacer les programmes narratifs prévus par l’activité rationnelle classique, par de nouveaux programmes déterminés par la poussée émotionnelle.
Au-delà de donner une clé de lecture au phénomène des fake-news, il nous semble, enfin, intéressant d’essayer de croiser les deux approches que nous venons de décrire. La théorie cognitiviste de Daniel Kahneman, à propos d’une double vitesse de la pensée et de l’agir en conséquence, l’une lente et « rationnelle » et l’autre rapide et liée aux émotions (les biais cognitifs), nous reconduit de fait à la double manipulation déjà connue en sémiotique, un double « faire faire » dicté respectivement par une rationalité de l’action et par une rationalité de la passion, que l’on s’efforce bien souvent de faire passer pour « irrationnelle ».