Manifestations cutanées des gammapathies monoclonales


Les gammapathies monoclonales sont fréquentes dans la population générale. Leur prévalence est de 5% après 70 ans et augmente avec l’âge. Elles peuvent être isolées sans conséquence clinique, on parle alors de gammapathie monoclonale de signification indéterminée ou « MGUS », associées à une prolifération clonale dérégulée (Myélome multiple, Maladie de Waldenström, Lymphome) ou être associées à des manifestations cliniques indépendantes de la masse tumorale ou du taux de l’immunoglobuline monoclonale. On parle de gammapathie monoclonale de signification clinique (MGCS).

Les organes les plus concernés sont le rein, le nerf et la peau pour laquelle le terme de gammapathie monoclonale de signification cutanée est désormais admis. Les MGCS représentent un groupe hétérogène des maladies rares, mais dont le diagnostic doit être fait précocement pour éviter la survenue de complications sévères et irréversibles.

Les mécanismes en cause sont multiples – précipitation de l’immunoglobuline monoclonale, activité auto-anticorps ou complexe immuns, hyperproduction de cytokines – mais restent parfois encore inconnus.

 

Atteintes cutanées par dépots d’immunoglobuline monoclonale

Amylose à chaîne légère d’immunoglobuline (AL) systémique ou localisée

Dans l’amylose systémique les lésions cutanées et muqueuses sont fréquentes, estimées entre 29 et 40% des cas. Le purpura par fragilité capillaire est la manifestation la plus fréquente, classiquement localisé au niveau des paupières, des aisselles, de l’ombilic ou de la région ano-génitale. L’atteinte muqueuse avec macroglossie est également fréquente, retrouvée dans 20% des cas. Il s’agit de la manifestation clinique la plus évocatrice, avec l’empreinte dentaire présente sur les bords latéraux de la langue.
Des formes bulleuses, muqueuses pures et chalazodermiques sont parfois décrites, ainsi qu’une fragilité inguéale avec un aspect pseudo-lichénien ou des aspects sclérodermiformes avec infiltration volontiers péri-buccale.

L’amylose AL cutanée nodulaire est la forme la plus rare d’amylose. Il s’agit d’une amylose tumorale à chaîne légère avec une fréquente restriction IgG kappa. Le clone plasmocytaire n’est retrouvé que dans la peau dans 50% des cas. Elle doit donc être considérée comme un plasmocytome extra-médullaire. La clinique est dominée par des nodules, parfois des tumeurs de couleur érythémateuse, violacée ou ambrées qui s’ulcèrent volontiers. Des associations avec un lymphome de la zone marginale cutané est retrouvée dans moins de 10% des cas.

Les cryoglobulines sont des immunoglobulines qui ont la capacité de précipiter au froid. Les cryoglobulinémies de type I résulte de la cryoprécipitation de l’immunoglobuline monoclonale dans les vaisseaux, responsable d’une vasculopathie thrombosante et non pas une vascularite leucocytoclasique. Les pathologies sous-jacentes se répartissent en gammapathie monoclonale isolée (50%), maladie de Waldenstrom (20%), myélome multiple (18%), lymphomes non Hodgkiniens (principalement lymphome de la zone marginale) et leucémie lymphoïde chronique et il s’agit principalement de maladies lympho-prolifératives B. Les gammapathies IgM sont principalement associées aux Maladies de Waldenstrom et aux lymphomes non Hodgkiniens.

Cliniquement, les patients ont fréquemment un purpura vasculaire, souvent associé à des lésions ulcérées et nécrotiques. Des formes de nécroses des extrémités sont décrites. Un livedo peut également être présent. S’associe à ce tableau, un syndrome de Raynaud, des polyarthralgies, une atteinte rénale avec glomérulonéphrite membrano-proliférative, une polyneuropathie sensitivo-motrice et plus rarement des ischémies digestives, des atteintes neurologiques centrales. Le typage de l’hémopathie sous-jacente est extrêmement important pour la prise en charge des patients.

 

Atteintes cutanées par activité auto-anticorps ou complexe immuns

La maladie des agglutinines froides est liée à la capacité des immunoglobulines à activer la cascade du complément sous l’effet du froid, résultat de la présence d’une IgM dirigée contre l’antigène « I » ou « i » exprimé à la surface des globules rouges, qui forme ensuite des complexes avec le C1 et est secondairement responsable d’une anémie hémolytique à « anticorps froid ». Des nécroses, principalement des extrémités, sont décrites par un mécanisme de vasculopathie thrombosante. On note aussi parfois un livedo et un syndrome de Raynaud.

Xanthodermies, Xanthomes plans et Xanthogranulomes nécrobiotiques

Les xanthomes plans typiques, associés ou non à des xanthomes papuleux éruptifs, tubéreux, papulo-nodulaires ou tendineux sont rapportés dans les gammapathies monoclonales. Ils sont ou non associés à une dyslipidémie. Les xanthomes plans normolipidémiques s’associent dans 50 à 80% à une gammapathie monoclonale (souvent une IgG).

Les xanthogranulomes nécrobiotiques sont plus rares et définis par des papules, des plaques ou des nodules, de couleur jaune-orangée ou rougeâtre avec une disposition classiquement péri-orbitaire ou orbitaire (60%), bien que des formes disséminées existent, avec atteinte du tronc (53%). Les formes multiples sont retrouvées dans 90% des cas.  Les lésions peuvent s’ulcérer et être source de douleur ou de prurit. L’atteinte oculaire est l’atteinte extra-cutanée la plus fréquente (25% des cas). Elle se manifeste par une perforation de la cornée, une rétraction cicatricielle de la paupière ou une kératite. Plus rarement ont été décrites des formes cardiaques, digestives, pulmonaires, hépatiques, ganglionnaires, cérébrales. Histologiquement, on retrouve des granulomes palissadiques associés à un infiltrat lympho-plasmocytaire, des zones de nécrobiose et des cellules géantes de Touton gorgées de cholestérol. L’immunoglobuline monoclonale est une IgG kappa dans la moitié des cas. Dans une série de 235 cas, le temps médian d’évolution vers un myélome multiple après le diagnostic du xanthogranulome est estimée à 5-6 ans. La fraction C4 du complément est fréquemment abaissée. La physiopathologie reposerait sur un complexe immun entre l’immunoglobuline monoclonale et une apolipoprotéine et entraînerait une consommation du complément, avec diminution de l’efflux du cholestérol dans les macrophages.

Les xanthodermies et les xanthotrichies sont exceptionnelles et pourraient résulter d’une activité de l’immunoglobuline monoclonale anti-riboflavine. La riboflavine (Vitamine B2) s’accumule alors dans la peau.

Angiœdèmes liés à des anticorps anti C1-inhibiteurs

Des gammapathies monoclonales, plus souvent IgM qu’IgG, isolées ou associées à un lymphome de la zone marginale peuvent être responsable d’angioedèmes bradykiniques, par anticorps anti C1-inhibiteurs qui sont détectables dans plus de 50% des cas. Ces atteintes peuvent engager le pronostic vital par atteinte de la filière laryngée.

Les vascularites cryoglobulinémiques de type II par dépôts de complexe immun sont majoritaires. Des cas de vascularite à IgA associées à une gammapathie monoclonales IgA ont également été décrits avec des formes parfois réfractaires aux stéroïdes et aux immunosuppresseurs, ne répondant qu’au ciblage du clone plasmoyctaire. Plus rarement des panartérites noueuses ont été rapportées.

 

Atteintes cutanées liées a une dysrégulation de production cytokinique

Le syndrome de POEMS (Polyneuropathy, Organomegaly, Endocrinopathy, Monoclonal protein, Skin changes) est une maladie systémique rare résultant de la présence d’un clone responsable de la production d’immunoglobuline monoclonale, le plus souvent IgG lambda. Il s’associe quasi constamment à une polyneuropathie (inaugurale dans la majeure partie des cas), une organomégalie (hépatomégalie, splénomégalie, adénopathies), une ou des endocrinopathies (dysthyroïdie, diabète) et des manifestations cutanéo-muqueuses. Des signes généraux sont possibles (fièvre, amaigrissement). Les signes cutanés sont multiples : angiomes gloméruloïdes, hypertrichose, mélanodermie, lipoatrophie faciale avec fonte des boules de Bichat, syndrome sclérodermiforme, ongles blancs, télangiectasies… La maladie est liée à une surproduction de VEGF et, dans une moindre mesure, d’IL-6.

L’AESOP (Adenopathy and Extensive Skin patch Overlying Plasmacytoma syndrome) se caractérise par la présence d’un plasmocytome osseux avec, en regard de la peau de contiguïté, des lésions « en patch » érythémateuse. Une hypersécrétion de VEGF est également en cause dans cette complication.

Le syndrome TEMPI (Télangiectasie, Erythrose, gammapathie Monoclonale, collections Périrénales, shunt Intra-pulmonaire) est exceptionnel (moins de 20 cas décrits). Il se caractérise par des télangiectasies éruptives, associées à une hypersécrétion d’EPO avec polyglobulie, une gammapathie monoclonale IgG kappa, des collections péri-rénales et des shunts intra-pulmonaires.

Le syndrome de Schnitzler est un syndrome auto-inflammatoire acquis de l’adulte de plus de 50 ans, se traduisant par une gammapathie IgM (90% des cas), plus rarement IgG. Il se caractérise par une éruption urticarienne, faite de papules œdémateuses volontiers fixes, peu prurigineuses, associée à un syndrome inflammatoire biologique, des douleurs osseuses et/ou articulaires d’horaire inflammatoire et de la fièvre. L’aspect histologique cutané est caractéristique, bien que non spécifique, révélant une dermatose urticarienne neutrophilique. Une hyperostose radiologique est parfois notée. Des critères diagnostics ont été proposés par l’équipe de Strasbourg, dit critères de Lipsker. Outre la « signature IL-1 », il existe une élévation de l’IL-6 et de l’IL-18. L’efficacité rapide (24-48h) des antagonistes de l’IL-1 est considérée par certains comme un test diagnostic. Les deux complications de la maladie sont la progression vers une hémopathie constituée et l’amylose AA, désormais exceptionnelle du fait des progrès thérapeutiques majeurs.

 

ATTEINTES CUTANEES DE MECANISME AUTRE OU INCONNU

MGCS cutanées fibrosantes et/ou liées à des dépôts de mucine (mucinoses)

Le scléromyxoedème (Lichen Myxœdémateux généralisé ou mucinose papuleuse généralisée) associe une éruption papuleuse généralisée et un syndrome sclérodermiforme, avec à l’histologie une mucinose dermique, une prolifération fibroblastique et une fibrose du derme. L’immunoglobuline monoclonale est plutôt IgG lambda, avec migration lente sur l’électrophorèse des protéines. L’atteinte cutanée est caractéristique, avec des petites papules blanchâtres de quelques millimètres qui siègent sur le dos des mains, les oreilles, la glabelle, mais sont parfois plus profuses. Un fasciés léonin est retrouvé dans 30% des cas.

Les atteintes extra-cutanées sont fréquentes : atteinte neurologique périphérique avec des syndromes canalaires (canal carpien), moins souvent une polyneuropathie sensitive ou des arthralgies inflammatoires. Deux atteintes engagent le pronostic vital : 1/la forme neurologique centrale : le dermato-neuro-syndrome, encéphalopathie idiopathique aiguë conduisant à des troubles de la conscience et un état de mal épileptique, 2/ l’atteinte cardiaque à type de cardiomyopathie infiltrative (20% des patients).

Le scléroedème de Buschke est associé dans 25% des cas à une gammapathie monoclonale. Cliniquement, il existe un syndrome sclérodermiforme proximal, respectant les extrémités, volontiers en pèlerine, limitant les amplitudes articulaires. La peau est scléreuse, mais non papuleuse. D’autres atteintes, telles que des syndromes canalaires ou des cardiomyopathies de surcharge mucineuse ont été décrites. L’histologie cutanée est pauvre, montrant le plus souvent une fibrose dermique avec des dépôts de mucine d’intensité modérée, parfois manquant.

De nombreuses manifestations restent de mécanisme inconnu. Mieux comprendre la physiopathologie de ces maladies est un enjeu capital pour les traiter précocement et arriver au stade de leur prévention

Parmi les dermatoses neutrophiliques associées aux gammapathies monoclonales, le plus souvent IgA, on retrouve le pyoderma gangrenosum, la pustulose sous-cornée de Sneddon-Wilkinson, l’erythema elevatum diutinum ou le syndrome de Sweet.

Le syndrome de fuite capillaire ou syndrome de Clarkson est caractérisé par des épisodes paroxystiques d’hypotension et de syndrome oedémateux diffus, associé à une hypoalbuminémie et une hémoconcentration, liés à une fuite de liquide du compartiment vasculaire vers le secteur interstitiel. La maladie est entrecoupée de poussées-rémissions.  Les crises peuvent parfois conduire en réanimation. La majorité des formes est associée à une gammapathie monoclonale, principalement de type IgG kappa.

Le cutis laxa se traduit par une peau « lâche » ayant perdu son élasticité, responsable d’une peau « tombante ». L’histologie retrouve une élastorrhexie ou destruction des fibres élastiques. Une quarantaine de cas ont été décrits. Les patients peuvent présenter un emphysème pulmonaire associé, parfois très sévère. L’hypocomplémentémie est fréquente