Traitement spécifique de l’amylose AL


ATTITUDE THERAPEUTIQUE CONSENSUELLE POUR LE TRAITEMENT DE L’AMYLOSE AL

Le traitement de l’amylose AL est celui de la prolifération plasmocytaire, lympho-plasmocytaire ou lymphocytaire sous-jacente, responsable de la production de la protéine monoclonale. Tous les traitements ayant démontré une efficacité dans le myélome (quand la prolifération est plasmocytaire) ou dans les lymphomes et les leucémies lymphoïdes chroniques (quand la prolifération est plutôt lymphocytaire ou lympho-plasmocytaire) peuvent être utilisés, en tenant compte de leur toxicité potentielle et des organes atteints. Le traitement de première ligne est conditionné par la sévérité des atteintes d’organe, en particulier cardiaque, mais il doit également tenir compte de l’isotype de l’immunoglobuline monoclonale et de la nature de la prolifération B. Il est adapté en fonction de la réponse hématologique, jugée sur l’évolution du taux sérique des chaînes légères libres dans la majorité des cas.

Un PNDS est en cours d’écriture. Les stratégies thérapeutiques sont en cours de discussion au sein du centre de référence pour définir la place des nouvelles molécules qui ont montré une grande efficacité dans le traitement des amyloses AL, anticorps anti-CD38 et venetoclax.  L’étude de phase III Andromeda, rapportée dans plusieurs congrès récents (EHA, ASCO) comparant VCD et VCD + daratumumab a montré un taux de réponse nettement supérieur avec le daratumumab (RC : 59% vs 19%, VGPR ou mieux 79% vs 49%) et une AMM pour son utilisation en première ligne devrait être obtenue prochainement posant la question de son introduction rapide dans la stratégie thérapeutique. L’étude Andromeda a aussi confirmé le faible taux de réponse complète avec le VCD pour les patients porteurs d’une translocation (11 ;14) qui doit être systématiquement recherchée avant traitement, 12,7% avec VCD vs 58,8% avec dara-VCD. Certaines équipes ont franchi le pas d’un traitement initial par daratumumab pour les patients les plus graves, notamment les stades IIIB. Il existe une AMM pour les patients avec un myélome en association avec le lénalidomide et la dexaméthasone ou avec le bortézomib, le melphalan et la prednisone pour le traitement des patients adultes atteints d’un myélome multiple nouvellement diagnostiqué et non éligibles à une autogreffe de cellules souches (ce qui est le cas de la grande majorité des patients avec une amylose), en association avec le lénalidomide et la dexaméthasone, ou le bortézomib et la dexaméthasone, pour le traitement des patients adultes atteints d’un myélome multiple ayant reçu au moins un traitement antérieur. Tous les patients avec plus de 10% de plasmocytes (environ 40% des patients avec une amylose AL au diagnostic) dans la moelle et ayant un myélome peuvent être considérés comme éligible pour ces AMM en particulier les non répondeurs à une première ligne en considérant qu’une réponse rapide est indispensable dans les amyloses AL et que l’ajout de daratumumab peut intervenir rapidement dans la prise en charge du patient. Etant donné l’efficacité des autres traitements (MDex, VCD, VMDex, VRD) dans l’amylose AL avec l’obtention de réponses très durables ces associations contenants du daratumumab ne doivent pas être proposées à tous ces patients en première ligne. Pour les patients ayant un taux de plasmocytes médullaires inférieur à 10% le traitement par daratumumab doit être discuté au cas par cas, en sachant que plus la maladie est sévère plus il est important d’avoir une réponse hématologique rapide. Si possible, en particulier chez les patients avec une atteinte cardiaque, le daratumumab par voie SC doit être préféré.

Deux publications (1, 2) ont montré l’efficacité du venetoclax chez les patients avec une t(11 ;14) avec environ 80% de réponse et nous avons observé des réponses très rapides avec ce médicament soit en monothérapie soit associé à la dexamethasone. Un RTU dans les amyloses est en cours d’élaboration. Son introduction chez les patients non répondeurs aux autres traitements et porteurs d’une T(11 ;14) doit être discuté.

1) Patients avec une prolifération plasmocytaire (en général associée à une gammapathie monoclonale de type IgG, IgA ou chaîne légère isolée) :

a) Les patients de stade I de la Mayo Clinic, ayant une fonction rénale normale, avec un taux de plasmocytes médullaires inférieur à 10%, peuvent être traités en première intention par l’association de melphalan et de dexaméthasone. Ce traitement administré par voie orale est en général bien toléré. Il permet d’obtenir un taux de réponse hématologique de 65%, dont environ 20% de réponse complète. La réponse doit être évaluée à chaque cycle et le traitement modifié après deux cycles si une très bonne réponse hématologique partielle (TBRP, DFLC < 40 mg/l ou < 10 mg/l pour les patients ayant une dFLC peu élevée < 100 mg/l) n’est pas obtenue avec l’introduction de bortezomib hebdomadaire et à nouveau modifiée en l’absence d’obtention d’une TBRP après 2 autres cycles. Le traitement doit comporter six cycles en cas de réponse complète ou au moins deux cycles après la meilleure réponse, sans dépasser neuf cycles pour éviter les myélodysplasies secondaires.

b) Les patients de stade II et IIIA de la Mayo Clinic, les patients avec plus de 10% de plasmocytes dans la moelle, les patients avec une insuffisance rénale ou d’autres atteintes potentiellement rapidement sévères (en particulier atteinte hépatique avec bilirubine élevée et syndrome néphrotique avec albumine effondrée), doivent recevoir au minimum une association triple avec un inhibiteur du protéasome, un alkylant et de la dexaméthasone. L’inhibiteur du protéasome le plus souvent utilisé est le bortézomib, administré aux doses habituelles et de façon hebdomadaire. Différents critères conduisent à choisir soit le cyclophosphamide (insuffisance rénale, patient jeune pour ne pas compromettre un recueil de cellules souches pour un éventuel traitement intensif après échec des premières lignes de traitement), soit le melphalan pour les patients ayant un taux élevé de chaînes légères libres sériques (dFLC > à180 mg/l avec le test Freelite) ou une translocation t(11;14). UN traitement comprenant du daratumumab d’emblée ou rajouté rapidement peut se discuter pour les plus patients avec les atteintes les plus sévères. La durée minimale du traitement est de six cycles pour les patients en réponse complète, et d’au moins deux cycles après la meilleure réponse sans dépasser neuf cycles. Avec des associations comprenant un inhibiteur du protéasome, la meilleure réponse est en général obtenue rapidement après deux cycles, et le traitement doit être modifié avec le remplacement de l’agent alkylant par un immunomodulateur, en général le lénalidomide ou avec itroduction de daratumumab en cas de non obtention d’une TBRP. Cette modification doit s’effectuer après deux cycles.

c) Les patients de stade IIIB de la Mayo Clinic avec une concentration sérique de troponine élevée (supérieure à 50 ng/l pour la troponine ultrasensible) et une concentration de NT-proBNP supérieure à 8500 ng/l (ou une concentration de BNP supérieure à 700 ng/l) sont particulièrement à risque de décès rapide. Ils doivent être pris en charge en hospitalisation dans une unité disposant d’un monitoring continu du rythme cardiaque. Une optimisation de leur état d’hydratation est nécessaire avant de débuter le traitement. La présence d’un trouble du rythme ou de la conduction doit être systématiquement détectée par Holter rythmique, et la pose d’un pacemaker ou d’un défibrillateur sera discutée au cas par cas. La stratégie thérapeutique doit tenir compte de deux exigences contradictoires : obtenir une réponse profonde et rapide, condition nécessaire pour leur survie, et ne pas utiliser de traitement potentiellement dangereux chez ces patients fragiles, la dexaméthasone en particulier aux doses habituelles semblant toxique. Nous utilisions un traitement associant le bortézomib, le cyclophosphamide avec des doses réduites de dexaméthasone et un fractionnement du schéma sur 2 jours : j1 bortézomib seul et j2 cyclophosphamide et dexaméthasone 10 mg. La réponse est suivie toutes les semaines et le traitement est modifié avec adjonction rapide de daratumumab en l’absence de TBRP au maximum après un cycle complet, quelquefois plus rapidement pour les patients les plus graves avec un risque rapide de décès d’origine cardiaque. Pour ces patients l’introduction de daratumumab en première ligne doit se discuter au cas par cas en particulier pour les patients avec une t(11 ;14).

2) Patients avec une prolifération lymphoplasmocytaire ou lymphomateuse (habituellement associée à une IgM monoclonale circulante). Les amyloses associées à une IgM monoclonale représentent moins de 10 % de l’ensemble des amyloses AL. La présentation clinique se distingue de celle des amyloses non IgM par la fréquence moindre des atteintes cardiaques, avec davantage de localisations ganglionnaires ou pulmonaires. Le seul fait d’avoir une IgM monoclonale associée à une amylose ne suffit par pour conclure que le clone sécrétant l’IgM est lymphoplasmocytaire. Une équipe de la Mayo Clinic a rapporté que 25% des patients avec une IgM monoclonale et une amylose AL avaient une prolifération plasmocytaire, caractérisée dans 60% des cas par une translocation t(11;14). Chez les patients avec une IgM monoclonale et une prolifération lymphoplasmocytaire, une mutation de MYD88 caractéristique de la maladie de Waldenström était retrouvée dans 80% des cas. Il est donc fondamental de préciser au mieux la nature de la prolifération B monoclonale, par une étude précise de la moelle osseuse (et/ou des lymphocytes circulants) comportant si possible une étude génétique. Si la prolifération est lymphoplasmocytaire, les traitements efficaces dans la maladie de Waldenström sont utilisés, en particulier l’association de rituximab et de bendamustine qui donne un taux de réponse élevé, éventuellement associée au bortézomib. Les patients avec une maladie peu sévère peuvent être traités avec l’association de rituximab et de bendamustine, renforcé secondairement par l’ajout de bortézomib en cas de non réponse. Chez les patients atteints des formes les plus graves, l’association triple peut être discutée en première intention. Le traitement par bendamustine étant très immmunosuppresseur il ne doit être utilisé que chez les patients vaccinés contre le COVID avec une réponse vaccinale. Sinon il faut préféré l’association Rituximab-bortezomib et dexamethasone. Lorsque le clone pathogène est lymphoplasmocytaire, les taux de réponse hématologique sont moins élevés et un traitement intensif avec autogreffe peut être indiqué, permettant d’obtenir une rémission complète chez une proportion importante de patients. Les patients avec un clone plasmocytaire sont traités comme les patients non-IgM.

3) Traitement des patients avec une atteinte rénale :

L’obtention d’une réponse rénale est conditionnée à la qualité de la réponse hématologique, et d’autant plus probable que la réponse est rapide et complète. La réponse rénale est définie par une baisse de 30% de la protéinurie sans diminution de plus de 25% du débit de filtration glomérulaire initial. Cette réponse est souvent lente, survenant après un délai médian de 12 mois. En cas d’insuffisance rénale, les chimiothérapies contenant du bortézomib associé au cyclophosphamide et à la dexaméthasone sont privilégiées. Le lénalidomide est utilisé à dose adaptée, et souvent remplacé par le pomalidomide qui peut être utilisé sans modification de dose. Le daratumumab et le venetoclax peuvent être utilisés sans modification de dose. Le traitement symptomatique fait appel essentiellement aux diurétiques, furosémide associé aux thiazidiques et ou aux diurétiques épargneurs de potassium en cas de syndrome oedémateux réfractaire. Une anticoagulation peut se discuter chez les patients très hypoalbuminémiques, en tenant compte du risque hémorragique associé à l’amylose AL. La transplantation rénale est envisageable chez les patients ayant une réponse hématologique prolongée, de préférence une très bonne réponse hématologique partielle ou une réponse complète avant la greffe. Un délai d’au moins 6 mois entre l’inscription sur liste et la fin de la chimiothérapie est à respecter pour limiter le risque infectieux. La récidive sur le greffon doit être dépistée par la surveillance régulière des taux de chaines légères libres sériques, avec biopsie au moindre doute. Elle conduit rarement à la perte du greffon, lorsque qu’une chimiothérapie efficace est réintroduite. Les résultats à long terme sont comparables à ceux d’autres groupes à risque, en termes de survie des greffons et des patients.

4) Traitement des rechutes :

Comparativement au myélome multiple, les réponses hématologiques après traitement sont souvent plus prolongées dans l’amylose AL. Cependant, une rechute survient chez la majorité des patients, avec une élévation souvent relativement lente des chaînes légères libres sériques. Après la fin du traitement, les chaînes légères libres doivent être surveillées très régulièrement et de façon indéfinie, le plus souvent tous les 3 mois. La décision d’une reprise thérapeutique dépend de plusieurs facteurs, le plus important étant la sévérité de l’atteinte initiale. Un patient avec une atteinte cardiaque très sévère au diagnostic et qui a obtenu une rémission complète hématologique, sera retraité dès la certitude de la réapparition de la chaîne légère monoclonale. Le pronostic des patients avec une atteinte cardiaque en rechute est en effet bien meilleur si le traitement est démarré avant la ré-ascension des marqueurs cardiaques. Au contraire, chez un patient avec une atteinte rénale isolée sans insuffisance rénale et chez lequel une réponse rénale a été obtenue avec la disparition de la protéinurie, il n’y a pas le même degré d’urgence à envisager un nouveau traitement, en l’absence de réapparition de la protéinurie. Le traitement sera repris dans tous les cas, en cas d’aggravation d’une atteinte d’organe ou quand la dFLC atteint la moitié de la dFLC initiale. Il convient cependant d’être vigilant pour ne pas retraiter par exemple un patient dont la fonction rénale se dégrade du fait d’une réduction néphronique initiale et non à cause de la progression de l’amylose. Le choix des molécules à administrer à la rechute dépend du type de traitement initial, de la tolérance, de la gravité de la rechute, et du type d’organe atteint. Les résultats d’une étude française ont montré que, dans une population de 94 patients, une efficacité des protocoles contenant du bortézomib administrés en première rechute, comparable à la première ligne, avec le même taux de réponse hématologique et une survie sans progression similaire. En première rechute, l’association de lénalidomide et de dexamethasone semblait moins efficace que le schéma associant le bortézomib, le lénalidomide et la dexaméthasone qui correspondait à d’excellents taux de réponse hématologique. Il faut donc privilégier les associations triples contenant un inhibiteur du protéasome pour les rechutes graves avec éventuellement du daratumumab ou du venetoclax selon les cas et le traitement de première ligne. Pour les patients retraités uniquement pour une progression du taux de chaînes légères, ou avec une progression d’atteinte d’organe peu sévère, une association double comme le lénalidomide avec la dexaméthasone peut être débutée mais avec un suivi rapproché de la réponse, et l’ajout d’un inhibiteur du protéasome ou d’une nouvelle molécule en cas de réponse insuffisante. Le daratumumab peut être utilisé avec une bonne chance d’obtenir une réponse hématologique, même chez les patients réfractaires à deux lignes de traitement antérieures. Un traitement prolongé peut se discuter si le traitement utilisé est efficace et bien toléré et que le patient a rechuté précocement lors des lignes de traitement antérieures.

Annexes :

Stades Mayo :

  • Stade I : Nt proBNP et Troponine normaux
  • Stade II : Nt pro BNP ou Troponine augmenté
  • Stade III : Nt pro BNP et Troponine augmentés

Seuil de decision : NT pro BNP : 332ng/L ; BNP : 100ng/L Troponines cTnT : 0.035 μg/L ; hs cTnT : 0.050 μg/L ; cTnT : 0.1 μg/L

Protocoles:

M-Dex : Cycles de 28 jours Melphalan 10 mg/m2/j de J1 à J4 per os (en l’absence d’insuffisance rénale) + Dexaméthasone 40 mg/j de J1 à J4 per os. (dose de melphalan à adapter en fonction de la numération à J14 et dexamethasone à adapter à l’âge et à l’état général du patient)

BMDex : Cycles de 35 jours, bortezomib 1.3mg/m2 SC J1, J8, J15 et J22 + Melphalan per os 10 mg/m2/j de J1 à J4 (en l’absence d’insuffisance rénale) + Dexaméthasone 40 mg per os J1 à J4 (dose de melphalan à adapter en fonction de la numération à J14 et dexamethasone à adapter à l’âge et à l’état général du patient).

VCD : Cycles de 28 à 35 jours suivant la tolérance du bortezomib, 1.3mg/m2 SC J1, J8, J15 et J22 + Endoxan 300mg/m2 per os (maximum 500mg) J1, J8 et J15 (possible même en présence d’une insuffisance rénale) + Dexaméthasone per os 20 mg J1, J2, J8, J9, J15, J16, J22, J23 (doses de dexamethasone à adapter en fonction de la gravité de l’atteinte cardiaque, de l’âge et de l’état général du patient).

R-Benda : Cycles de 28 jours Bendamustine 90 mg/m2 I.V., J1, J2 Rituximab 375 mg/m2 I.V. J1 Si ajout de bortezomib 1.3mg/m2 SC J1, J8, J15 et J22.

Les traitements intensifs par melphalan forte dose (200 ou 140 mg/m2) avec autogreffe de cellules souches sont particulièrement efficaces dans les amyloses associées à une IgM monoclonale. Ils doivent être discutés chez les patients jeunes non répondeurs sans atteinte cardiaque sévère ou autre contre-indication.

Traitements prophylactiques associés:

Si dexamethasone: Bactrim Forte, 1 cp 3 fois par semaine. Si bortezomib: Zelitrex 500 mg matin et soir (à adapter à la fonction rénale). Suivant les habitudes de chaque centre: oracilline ou clamoxyl ou quinolone en prévention des infections bactériennes. Lenalidomide: prophylaxie des thromboses identiques à celle du myélome (aspirine ou héparine de bas-poids moléculaires en fonction des antécédents de thrombose ou des facteurs de risque)