Exposition Les classes moyennes en Afrique
Les classes moyennes en Afrique
Sciences sociales et photographies
L’exposition temporaire Les classes moyennes en Afrique, initialement montée au musée d’Aquitaine à Bordeaux, s’est tenue au Théâtre de l’Union du 23 septembre au 10 octobre 2015 dans le cadre du 32e festival Les Francophonies en Limousin. En collaboration avec Sciences Po Bordeaux et le Laboratoire « Les Afriques dans le Monde »[1], le photographe Joan BARDELETTI présente une sélection de ses œuvres exposant de nouvelles facettes de la société africaine. La manifestation propose au visiteur un voyage au cœur des « classes moyennes » africaines en questionnant cette dénomination qui définit un groupe en réalité très hétérogène. Les photographies montrées au public accompagnées d’analyses sociologiques de chercheurs donnent une image des sociétés africaines très différente de celles véhiculées habituellement.
En mêlant art et recherche, l’exposition invite à découvrir ces « ni riches ni pauvres », estimés à 350 millions sur le continent africain, qui constituent un entre-deux au centre des deux extrêmes de la société africaine que sont, d’un côté une misère massive et de l’autre une élite opulente. Ces hommes et femmes des « classes moyennes » se situent cependant juste au-dessus du seuil de pauvreté, gagnant en moyenne entre 2 et 4 $ par jour ; les plus aisés d’entre eux vivent avec au mieux 10 $ par jour. Mais ces parcours individuels, que ce soit en Afrique du Sud, au Mozambique, en Côte d’Ivoire, au Ghana ou en Ouganda, au Mali, au Sénégal et en Ethiopie, sont marqués par une volonté de promotion sociale, une quête d’amélioration des conditions de vie. Pour ce faire, les membres de cette nouvelle middle class cumulent les activités professionnelles, la plupart du temps dans le secteur informel ; leur quotidien est marqué par la multi-activité car si l’emploi officiel garantit une certaine stabilité de revenus, seul l’exercice de métiers complémentaires permet de maintenir un niveau de vie moyen. Ainsi un enseignant peut tripler son revenu en vendant des poches d’eau potable dans son quartier, une fois sa journée de travail terminée. Ils épargnent une bonne partie de leurs revenus et ces économies leurs permettent une consommation et des modes de vies qui les distinguent des plus pauvres, même si leur situation reste fragile. Ces classes moyennes peuvent se permettre d’accéder à la propriété et d’acheter des biens et des services au-delà des besoins de nécessité, de fréquenter des restaurants. Ces modes de vie plutôt urbains, à l’occidentale et caractérisés par une grande mobilité illustrent ces nouveaux statuts sociaux. Cette ascension sociale est renforcée par l’éducation et la formation professionnelle qui sont au cœur des priorités des « familles moyennes ». De même, les réseaux de relations – collègues, amis, clubs, cafés – permettent d’accéder aux opportunités et de garantir une réussite individuelle. Les espaces liés à la religion, les églises, permettent aussi de renforcer l’assise sociale.
Par la photographie et l’éclairage sociologique, l’exposition met en lumière les nombreux individus inconnus porteurs de nouvelles dynamiques sociales, économiques et politiques, qui ne se définissent généralement pas spontanément comme des « classes moyennes ». Les photos des cimaises témoignent de la diversité de ces groupes sociaux médians mais révèlent aussi les tensions permanentes pour « joindre les deux bouts », lutte permanente, et gérer les conflits entre traditions et vie « moderne ».
Dynamiques et tensions sont particulièrement visibles en Afrique du Sud, où le photographe Joan BARDELETTI a suivi les pas de Mxolisi, Dudu et Welcome, appartenant tous à la classe moyenne noire. Les visiteurs retrouvent les traces du quotidien de ces trois hommes au travers de clichés qui immortalisent leurs pratiques alimentaires, leurs lieux d’achat et de consommation, les lieux de rencontre privilégiés du samedi soir. Ces « Sud-Africains du milieu », les amaPhakathi, représentent 40 % de la population du pays et connaissent une ascension sociale progressive depuis 1994 et la fin de l’apartheid qui leur a ouvert de nouvelles mobilités professionnelles, physiques et symboliques à travers un territoire autrefois profondément segmenté.
L’originalité de l’exposition tient en l’association de la photographie et des sciences sociales qui demeure encore aujourd’hui relativement rare. Elle permet de dévoiler, en jouant tant sur l’esthétique et l’émotion que sur la méthode scientifique, le quotidien et les mutations socio-économiques de la société africaine. Les photographies captent les attitudes, les comportements et les représentations de ces hommes et femmes en délivrant un autre réel. L’exposition construite sur la résonnance entre art et discours scientifique a pour objectif de donner à lire et à voir aux visiteurs des changements difficilement perceptibles.
[1] Le groupe de recherche de Sciences Po Bordeaux est partie prenante du Laboratoire Les Afriques dans le monde (UMR 5115 CNRS). Associé à des chercheurs américains et allemands, il mène une recherche avec l’appui de l’Agence française de développement, le Conseil régional d’Aquitaine et la Délégation aux affaires stratégiques, « sur les nouvelles dynamiques socio-économiques africaines et les nouveaux enjeux de gouvernance ».
Joan Bardeletti, photographe
Du reportage au documentaire, Joan Bardeletti apporte une attention particulière à la cohérence entre la forme photographique et le propos journalistique. Il travaille en particulier sur des projets au long court, en lien avec l’actualité mais distanciés du traitement médiatique. Joan Bardeletti est ingénieur de formation, il devient photographe en 2006 et rejoint l’agence photographique coopérative Picturetank. Il est engagé depuis 2008 dans un travail au long cours sur les nouvelles Afriques : les classes moyennes, les PME locales, l’Afrique comme terre d’immigration pour les Européens, la nourriture comme fil conducteur d’une exploration urbaine… Joan a une appétence particulière pour bâtir et mener des projets sur des enjeux contemporains majeurs. Pour ce faire, il fonde en 2011 Collateral Creations, une plateforme de production de projets associant production photographique d’auteur et travail de recherche sociologique. Ses portfolios sont régulièrement publiés dans la presse nationale et internationale (Libération, Le Monde, Jeune Afrique, Géo, Marie-Claire, Newsweek, L’Espresso, Die Zeit,…).
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