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Thomas Besse, Les droits des victimes devant la justice pénale internationale

Les droits des victimes devant la justice pénale internationale : entre certitudes et doutes

Thomas Besse, doctorant en droit privé et sciences criminelles, OMIJ, Université de Limoges

Le Vingtième siècle a ceci de paradoxal qu’il a été possible d’y déplorer les plus grandes atrocités jamais commises par l’Homme, de même qu’il a vu naître les plus grandes coopérations jamais réalisées dans la lutte contre l’impunité et pour le maintien de la paix.

Les génocides en Arménie, de l’Allemagne nazie, au Rwanda et en ex-Yougoslavie, et les innombrables crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis au cours de dizaines de conflits armés, tous ces phénomènes ont déchiré le monde et consterné la communauté internationale dans son ensemble. Ils montrent également que les conflits ont changé de nature[1] : environ 172 millions de civils ont été tués au cours de conflits internationaux et du fait de persécutions étatiques, ainsi qu’un nombre encore plus important de victimes de blessures et traumatismes graves[2].

C’est en réaction à ces horreurs qu’il a été possible pour un corpus législatif, conventionnel mais aussi institutionnel de voir le jour au cours de ce siècle à la fois sanglant et porteur d’espoir. La création de l’Organisation des Nations Unies, qui s’est donné pour objectif la facilitation de la coopération des États du monde entier dans un souci de maintien de la paix internationale, a précédé la réalisation de nombreux traités et conventions réglementant les usages diplomatiques et militaires ainsi que la répression des infractions les plus graves du droit international humanitaire. La seconde moitié du Vingtième siècle a également vu naître de nombreuses juridictions internationales établies pour rechercher et juger les auteurs de ces crimes ; les tribunaux militaires de Nuremberg et Tokyo créés à l’issue de la Seconde Guerre mondiale ont ouvert la voie à une myriade de juridictions consacrées à la réparation par la justice des plaies ouvertes par autant de situations conflictuelles graves dans le monde. Surtout, au cours des années 1990, un véritable essor de la justice pénale internationale (notamment avec les tribunaux onusiens consacrés à l’ex-Yougoslavie et au Rwanda) a progressivement conduit à la réalisation de son objectif ultime, attendu depuis plus d’un siècle[3] : un tribunal pénal universel et permanent, la Cour pénale internationale (CPI), dont le statut a été signé à Rome par 120 pays le 17 juillet 1998, avant d’entrer en vigueur le 1er juillet 2002. Celle-ci, là où ses grandes sœurs ad hoc et temporaires avaient déçu, s’est dotée d’un véritable dispositif de participation et de réparation à l’endroit des victimes.

Alors que cette Cour vient de rendre, dix ans après son entrée en fonction, son premier verdict de culpabilité le 14 mars 2012 à l’encontre de Thomas Lubanga Dyilo pour avoir recruté des enfants soldats lors du conflit en République démocratique du Congo (RDC), d’autres questions se posent à propos des objectifs de la justice pénale internationale : sont-ils exclusivement rattachés à une fonction pénale traditionnellement répressive et dissuasive, ou doivent-ils prendre en compte une dimension davantage axée sur les droits des victimes, qui se font de plus en plus présentes sur l’échiquier de la justice ?

En effet, la victime fait l’objet depuis quelques décennies d’un intérêt croissant dans le fonctionnement de la justice, tant nationale qu’internationale : la plupart des systèmes juridiques nationaux lui offrent une place croissante, et la discipline de victimologie, dérivée de celle de la criminologie, développe une doctrine fournie sur les phénomènes entourant la « victimation » (le fait de subir une atteinte, corporelle ou non). Le discours socio-politique s’en inspire fortement, jusqu’à placer la victime au centre des préoccupations sociétales actuelles, en faisant alors un véritable enjeu politique[4]. La reconnaissance des victimes est devenue, dans l’inconscient collectif, une condition nécessaire à la bonne administration de la justice.

Cette étude a pour objectif de faire, dans un premier temps, un état des lieux des droits dont les victimes sont créancières devant les juridictions pénales internationales (I), avant d’évoquer les doutes qu’il est encore permis d’avoir sur la place à leur accorder dans l’objectif de lutte contre l’impunité que s’est fixé la justice internationale (II).

Note : Ce document de recherche a pour vocation première de faire un compte-rendu global de la progression des droits des victimes devant les juridictions pénales internationales. L’intégration dans cette étude de questionnements plus théoriques empruntés à d’autres disciplines que celle du droit pénal est un choix de l’auteur qui, loin de pouvoir offrir un répertoire de données aussi exhaustif pour chaque partie, souhaitait toutefois s’intéresser à des problématiques, différentes, mais inexorablement liées à la complexité du statut de victime.

I. L’étendue des droits accordés aux victimes devant les juridictions pénales internationales

L’accès des victimes à la justice pénale internationale s’est concrétisé récemment, avec la signature le 17 juillet 1998 du statut de Rome instituant la Cour pénale internationale, et qui, sous la pression des organisations non gouvernementales et de la doctrine, s’est vu attribuer nombre de dispositions en faveur de leur participation, de leur reconnaissance et de leur droit à réparation.

Si les victimes bénéficiaient dans la plupart des systèmes juridiques nationaux d’une latitude de droits croissante depuis quelques décennies, leur marge de manœuvre devant les juridictions pénales internationales était jusqu’alors quasi-inexistante.

La Cour pénale instaure ainsi une nouvelle ère de droits des victimes devant la justice internationale, qui peut être qualifiée, par contraste avec l’esprit qui anime les autres juridictions, d’« esprit de Rome »[5]. Toutefois, cet esprit n’a pas forcément influencé les juridictions apparues après l’avènement de la CPI (Tribunal spécial pour la Sierra Leone, Chambres extraordinaires dans les tribunaux cambodgiens, Tribunal spécial pour le Liban).

Après avoir vu les principaux textes fondateurs des nouveaux droits accordés aux victimes (A), il convient d’évoquer les prérogatives accordées – ou non – aux victimes devant les juridictions pénales internationales créées antérieurement à la Cour pénale internationale (B), avant de procéder à une description des droits nouveaux institués par l’esprit de Rome (C). Enfin, seront analysées les prérogatives des victimes devant les juridictions apparues postérieurement à la CPI (D).

A. Les textes fondateurs : un gain de présence de la victime dans le procès pénal

Les victimes réifiées et traumatisées par des faits d’une violence inouïe ont longtemps été ignorées par une justice pénale aveuglée par ses fonctions traditionnelles de poursuite et de punition des auteurs d’infractions graves. Ce n’est qu’à partir des années 1970 qu’elles obtinrent une visibilité améliorée auprès des appareils judiciaires, et c’est le fruit de nombreuses années de travail pour les victimologues, et de lutte pour associations de victimes. L’essentiel des conclusions auxquelles ces personnes ont pu aboutir est que les victimes ont besoin d’un procès équitable, séparateur et réparateur[6].

C’est ainsi que plusieurs textes, qui constituent une première concrétisation dans l’effort des victimes et de ceux qui les étudient, ont pu être adoptés au niveau international afin d’énoncer les différentes garanties dont les proies des « bourreaux de l’humanité » devraient être titulaires.

1. Les grands textes déclaratifs : une première reconnaissance de l’existence de droits accordés aux victimes d’infractions graves

Si les victimes n’ont pu, avant la fin du Vingtième siècle, bénéficier d’un réel statut au sein du procès pénal, certaines grandes conventions multilatérales agissent en faveur de celles-ci peu après la Seconde Guerre mondiale.

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée par l’Organisation des Nations Unies (ONU) le 10 décembre 1948 affirme en premier à son article 8 le droit à un recours effectif reconnu à toute personne victime des « actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi ».

Ce même droit à un recours utile sera par la suite rappelé à l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU, adopté le 16 décembre 1966 pour « toute personne dont les droits et libertés reconnus […] auront été violés, […] alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ».

Enfin, l’article 9 du même pacte affirme le droit à réparation dont doit bénéficier « tout individu victime d’arrestation ou de détention illégale ».

En 1984, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est adoptée par la résolution 39/46 des Nations Unies. Son article 14 dispose notamment que « tout État partie garantit, dans son système juridique, à la victime d’un acte de torture, le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisée équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible. En cas de mort de la victime résultant d’un acte de torture, les ayants cause de celle-ci ont droit à indemnisation ». Le second alinéa de l’article dispose quant à lui que « le présent article n’exclut aucun droit à indemnisation qu’aurait la victime ou toute autre personne en vertu des lois nationales ».

Mais ces textes ne contiennent qu’une définition étroite de la qualité de victime, et ne définissent pas la notion de réparation qui s’y rapporte. Un premier pas véritable va s’opérer un an plus tard avec une autre résolution adoptée en Assemblée générale de l’ONU.

2. Les textes législatifs multilatéraux : l’attribution d’une force juridique aux principes affirmés

Les textes déclaratifs ont, comme leur nom l’indique, pour principal défaut de déclarer qu’un droit existe et doit être garanti ; cependant, le caractère général des dispositions contenues dans ces textes ne permet pas aux États signataires de se doter des outils nécessaires au respect de ces droits. Par ailleurs, ces conventions sont dénuées de force juridique contraignante, et ont une valeur essentiellement incitative. Des résolutions adoptées par l’ONU se sont attachées à un travail de définition de ces droits et des mesures qui les accompagnent.

a. La résolution 40/34 des Nations Unies du 29 novembre 1985 : Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir

Ce texte a été adopté par l’Assemblée Générale des Nations Unies à la suite du sixième Congrès pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, au cours duquel il a été rappelé que l’ONU devait poursuivre « ses activités présentes d’élaboration de principes directeurs et de normes relatifs à l’abus de pouvoir économique et politique ».

À l’origine de cette résolution, le constat est fait par l’Assemblée générale que « des millions de personnes dans le monde ont subi des préjudices par suite de crimes et d’autres actes impliquant un abus de pouvoir et que les droits de ces victimes n’ont pas été proprement reconnus »[7].

L’adoption de cette résolution est donc bien intervenue en réaction à un manque, une lacune vivement ressentie par cette partie restée jusqu’alors silencieuse de la communauté internationale.

Les principes énoncés dans ce texte posent les bases fondamentales du nouvel édifice que constituent les garanties aux droits des victimes d’infractions graves :

  • Une incitation des États à adopter des mesures garantissant une reconnaissance universelle et efficace des droits des victimes ;
  • Une description large desdites mesures afin de guider les États dans leur adoption (assistance sociale, éducation, prévention, sensibilisation, travaux de recherche et suivi des avancements nationaux en matière de protection des victimes).
  • En annexe, figure une définition de « victimes de la criminalité » : celles-ci sont « des personnes qui, individuellement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou omissions qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un État membre, y compris celles qui proscrivent les abus criminels de pouvoir».

De même, les victimes d’abus de pouvoir sont celles qui, « individuellement ou collectivement, ont subi des préjudices, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui ne constituent pas encore une violation de la législation pénale nationale, mais qui représentent des violations des normes internationalement reconnues en matière de droits de l’Homme »[8].

Toujours en annexe, une préfiguration des droits dont les victimes doivent pouvoir bénéficier :

  • Un accès à la justice et un traitement équitable : s’entend d’un traitement avec compassion et dans le respect de leur dignité, et d’une participation active aux procédures dans le respect des droits de la défense ;
  • La restitution et la réparation : s’entend de la réparation en tant qu’obligation pour l’auteur du préjudice causé par son infraction ;
  • L’indemnisation : s’entend cette fois-ci de l’obligation qui incombe aux États d’assurer la compensation financière due aux victimes ;
  • Les services : assistance médicale, matérielle, psychologique et sociale.

Cette résolution constitue ainsi un premier véritable recueil de droits des victimes, et ne se limite pas à la simple affirmation de leur existence : ceux-ci sont également définis de façon suffisamment large pour permettre aux États membres de conserver une marge de manœuvre nécessaire à l’adaptation de leur législation à ce nouveau cadre.

b. La résolution 60/147 des Nations Unies du 16 décembre 2005 : principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’Homme et de violations graves du droit international humanitaire

Avec l’adoption de ce texte, l’Assemblée générale de l’ONU entend rappeler et consolider les principes énoncés dans les textes précédemment cités, en les précisant.

Ces principes portent aussi le nom de « principes Van Boven/Bassiouni », respectivement du nom du rapporteur spécial Théo Van Boven et Mahmoud Cherif Bassiouni, expert indépendant pour la Commission des droits de l’Homme, des droits à la restitution, compensation et réhabilitation des victimes des Nations Unies.

Les dispositions de cette résolution replacent tout d’abord les obligations qui incombent aux États membres en matière de droits des victimes dans le contexte du droit international des droits de l’Homme et du droit international humanitaire (points I à V), notamment, l’accès équitable, effectif et rapide à la justice, le droit aux recours suffisants utiles, rapides et appropriés, la réparation et la protection des victimes doivent ainsi être garantis dans les systèmes judiciaires nationaux au titre des obligations étatiques découlant des engagements internationaux auxquels les États ont souscrit. Les principaux éléments qui rattachent les violations du droit international aux droits des victimes sont ici repris et détaillés, jusqu’à donner une nouvelle définition de la victime de violations flagrantes du droit international des droits de l’Homme et de violations graves du droit international humanitaire, qui inclut cette fois-ci la notion de préjudice collectif. De plus, il est désormais précisé que le statut de victime s’apprécie « indépendamment du fait que l’auteur de la violation soit ou non identifié, arrêté, poursuivi ou condamné et quels que soient les liens de parenté entre l’auteur et la victime ».

Sont également rappelés et davantage développés les droits des victimes à un accès à la justice, et à réparation du préjudice subi :

  • L’accès à un recours judiciaire utile doit être garanti par des mesures prises par l’État, et qui tendent à une facilitation de l’accès des victimes à la justice.

C’est d’abord un travail de visibilité : l’État doit diffuser suffisamment d’informations permettant aux personnes qui estiment qu’elles subissent un préjudice découlant d’une violation grave du droit international humanitaire d’avoir connaissance de leur droit à un recours utile. C’est également un impératif d’accompagnement des victimes dans leurs démarches, et tout au long de la procédure : protection de la vie privée et de la sécurité, assistance et mise en place de mécanismes clairs.

  • La réparation du préjudice subi doit être « à la mesure de la gravité de la violation et du préjudice subi». Cette résolution de 2005 opère cette fois-ci une distinction entre les préjudices subis du fait d’une personne physique et ceux pouvant être imputés à l’État lui-même. La réparation des actes ou omissions imputables à l’État sera assurée par ce dernier, et s’il a déjà assuré la réparation du préjudice provoqué du fait d’une personne physique, celle-ci en sera débitrice.

Un certain nombre de recommandations est formulé, notamment la création de programmes et fonds nationaux permettant de faciliter l’accès à la réparation du préjudice subi.

Mais la grande nouveauté de cette résolution est l’énumération des différentes formes que peut prendre cette réparation :

  • La restitution: il peut s’agir de la restauration de la liberté, de la jouissance des droits de l’Homme, de l’identité, vie de famille et citoyenneté, de l’emploi et des biens dont le bénéfice aurait été soustrait par une violation du droit international humanitaire.
  • L’indemnisation: une compensation financière peut être due dans les cas « qui se prêtent à une évaluation économique », parmi lesquels le préjudice physique ou psychologique, les occasions perdues (emploi, prestations sociales, revenus), les dommages matériel ou moral, et les frais encourus devant la justice.
  • La réadaptation: prise en charge médicale et psychologique, accès aux services juridiques et sociaux.
  • La satisfaction: celle-ci peut prendre de multiples formes, dont la portée est au cœur même des préoccupations liées au préjudice subi : mesures visant à faire cesser les violations persistantes, divulgation publique de la vérité, recherche de personnes ou de corps disparus, excuses publiques, commémorations et hommages aux victimes, …
  • Garanties de nonrépétition: ces mesures font appel au rôle préventif de la justice pénale, et visent à éviter un renouvellement des infractions ayant donné lieu au préjudice subi. Il peut s’agir d’une surveillance des autorités civiles, des forces armées et de sécurité, d’un contrôle de conformité des procédures civiles et militaires aux normes internationales, une protection de certaines catégories professionnelles vulnérables, à un travail, ou encore un travail de sensibilisation par l’éducation aux droits de l’Homme.
c. La législation européenne

Le Conseil de l’Union Européenne a adopté le 15 mars 2001 une décision-cadre relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales, dans le prolongement de son objectif établi, lors du Conseil européen de Tampère de 1999, de faire de l’Union un espace de liberté, de sécurité et de justice[9]. À l’occasion de cet évènement, avait notamment été évoquée la nécessité d’établir « des normes minimales pour la protection des victimes de la criminalité, notamment en ce qui concerne l’accès à la justice de ces victimes et leur droit à réparation, y compris le remboursement des frais de justice ». Le but des décisions-cadres était, dans l’Union Européenne, de faire converger les systèmes législatifs nationaux sur un point précis, de telle sorte que le niveau de protection des droits concernés était similaire dans chaque État-membre.

Cette décision de 2001 a été remplacée par une directive européenne, adoptée par le Conseil le 15 octobre 2012[10]. Elle définit les règles minimales encadrant les droits dont les victimes peuvent bénéficier à tout endroit de l’Union Européenne, ceux-ci comprenant notamment le fait de « recevoir des informations, un soutien et une protection adéquats » et de « participer à la procédure pénale »[11]. La définition donnée par l’article 2 de la directive s’inspire largement des travaux onusiens précédemment cités, en y ajoutant des précisions relatives aux membres de la famille, à l’enfant et à la notion de « justice réparatrice ».

Les droits sont ainsi développés dans la directive selon trois chapitres : information et soutien (droit de comprendre et d’être compris, de recevoir des informations à tout stade de la procédure, droit d’accès aux services d’aide aux victimes, …), participation à la procédure pénale (droit d’être entendu, droits à des recours effectifs, mécanismes de justice réparatrice, aide juridictionnelle et modalités de réparation, …) et protection des victimes et reconnaissance des victimes ayant des besoins spécifiques en matière de protection (droit à une protection, à l’éloignement physique de l’auteur de l’infraction, dispositions de protections des enfants victimes, …).

Si ces dispositions ne visent pas expressément la justice pénale internationale, elles peuvent s’y appliquer, notamment dans le cadre de procédures lancées au sein d’un État membre sur la base du principe de compétence universelle.

L’adoption successive de ces textes, avec à chaque fois un souci de préciser davantage chacune des notions se rapportant à l’accès des victimes à la justice, à leur participation au procès et à la réparation de leur préjudice témoigne de l’intérêt grandissant du monde de la justice à l’égard de celles-ci.

Cependant, si la seconde moitié du Vingtième siècle a vu la victime accroître sa présence dans les principes proclamés au plus haut niveau du droit international humanitaire, qu’en est-il vraiment dans la pratique de la justice internationale ? L’expérience nous montre que les priorités des juridictions pénales internationales ont longtemps ignoré certains des préceptes promus dans cette nouvelle génération de droits.

B. Les victimes « boudées » par la « première génération » de juridictions pénales internationales

Les premières véritables juridictions pénales internationales sont apparues après le deuxième conflit mondial, avec les Tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo en 1945 qui se donnaient pour objectif de juger les principaux criminels de l’Axe s’étant rendus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Le procès de Nuremberg s’est tenu du 20 novembre 1945 au 1er octobre 1946, tandis que celui de Tokyo se tint du 3 mai 1946 au 4 novembre 1948.

La création de ces juridictions constitue une avancée spectaculaire pour la justice pénale internationale ; c’est la première fois que des crimes graves d’envergure internationale sont jugés en un seul et même lieu pour une situation donnée, et l’expérience de ces procès aura donné lieu à de nouvelles définitions d’infractions, servant de base juridique aux statuts des futures juridictions pénales internationales qui verront le jour d’ici la fin du siècle : deux tribunaux onusiens virent le jour dans la première moitié des années 1990, consacrés à deux situations particulières ayant affecté la communauté internationale dans son ensemble (d’où leur appellation de tribunaux ad hoc) : en 1993, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), basé à La Haye, chargé de juger les personnes s’étant rendues coupables de violations graves du droit international humanitaire sur le territoire de l’ex-Yougoslavie au cours des guerres des Balkans à compter du 1er janvier 1991 ; et en 1994, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), basé à Arusha, chargé de juger les personnes responsables d’actes de génocide et d’autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda, ou par des citoyens rwandais sur le territoire d’États voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.

C’est ainsi que la justice pénale internationale prit son envol à partir des années 1990, porteuse de nombreux espoirs pour les victimes et leur famille dans nombre de pays meurtris par des situations conflictuelles sanglantes.

Pourtant, ces tribunaux ont mauvaise presse auprès des associations de victimes ; en effet, ceux-ci ont opté pour une visée davantage punitive que réparatrice, et les droits des victimes proclamés dans les textes cités précédemment souffrent d’une mise en œuvre très aléatoire[12].

1. Un rôle limité à celui de témoin pour l’accusation

Le droit appliqué par les premières juridictions internationales telles que les tribunaux militaires internationaux (TMI) de Nuremberg et Tokyo, ou les juridictions de La Haye et Arusha, est essentiellement anglo-saxon, et a pour caractéristique le fait d’attribuer pour objectif principal au procès pénal le fait de réprimer un acte attentatoire à l’ordre public international et constitutif d’un crime[13]. Ainsi, la priorité est avant tout accordée à l’établissement de la culpabilité des accusés ainsi qu’à leur châtiment.

Cette vision très traditionnelle du procès pénal se trouve davantage ancrée dans les premiers pas de la justice pénale internationale, tant ces tribunaux sont le fruit d’une réaction spontanée et vive vis-à-vis des horreurs découvertes souvent trop tard, par le biais des médias internationaux. La découverte de nouveaux mécanismes de répression pénale implique des tâtonnements au cours desquels la lutte contre l’impunité apparaît au premier abord comme étant bien plus évidente que la guérison des victimes.

Ainsi, le seul rôle réellement accordé aux victimes dans ces premières juridictions internationales se cantonne à celui de témoins à charge. Leur rôle consiste donc essentiellement à étayer les arguments de l’accusation, et leur participation au procès s’avère extrêmement restreinte. En tant que témoins, les victimes ne sont alors pas parties civiles ; elles n’ont aucun poids dans l’ouverture d’un procès, et ne peuvent exposer une argumentation ni avoir accès aux pièces des dossiers au cours de la procédure. Elles ne sont alors que des « outils » au bénéfice du procureur[14]. Or, même si ce dernier agit dans le sens d’une condamnation de l’accusé au profit des victimes, il peut avoir des objectifs qui diffèrent complètement de ceux qui se forment dans l’esprit de celles-ci[15]. Par ailleurs, les interventions des témoins sont souvent interrompues par les attaques des avocats de la défense et leur marge d’expression s’en trouve réduite[16]. L’intégration d’associations de victimes ou d’ONG en tant qu’amicus curiae (ou « amis de la Cour », qui ne sont pas partie au procès mais qui peuvent exposer des points de vue au cours du procès) a certes été réalisée dans le sens d’une amélioration du sentiment d’injustice procuré aux victimes par leur absence de rôle véritable dans les procédures des tribunaux ad hoc, sans réel succès.

Cette absence de rôle dans la conduite des procédures a été très mal vécue par les victimes et associations de victimes, à tel point qu’il fut même envisagé, au début des années 2000, d’amender le Règlement de procédure et de preuve (RPP) dans le sens d’un accroissement de leur participation aux procès, projet abandonné en raison des charges supplémentaires que cela aurait impliqué[17].

La participation des victimes aux procès des juridictions pénales internationales antérieures à la Cour Pénale Internationale est donc extrêmement limitée, et décevante pour celles-ci ; il en est de même en ce qui concerne leurs préoccupations touchant à la réparation du préjudice subi.

2. L’absence de dispositions relatives à la réparation du préjudice subi

Un autre droit primordial consacré notamment par la Convention de 1984 contre la Torture, ainsi que par la résolution des Nations Unies de 1985, est le droit à réparation du préjudice subi. Or, pour le cas des juridictions pénales internationales antérieures à la CPI, cette question est éludée et ce droit est largement considéré comme non effectif. Si les procès de la Seconde Guerre mondiale ont eu lieu bien avant l’adoption de ces textes, les Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, eux aussi, « se dédouanent de toute réparation aux victimes », et ne font toujours pas référence dans leurs statuts à un tel droit ; tout au plus, l’article 106 du Règlement de procédure et de preuve des deux tribunaux fait référence à la nécessité pour les victimes de passer par les voies judiciaires nationales pour obtenir une indemnisation, et ce, à la suite d’un jugement définitif. Ce type de procédure étant coûteux et laborieux, et n’ayant que très peu de chances d’aboutir, il est évident qu’une telle prérogative est ignorée de façon quasi-systématique[18]. Par ailleurs, les systèmes juridiques nationaux diffèrent parfois radicalement de ceux employés par la justice pénale internationale, et l’intégration de décisions de justice exogènes n’est pas sans soulever certaines difficultés d’interprétation.

L’indemnisation des victimes est une question sensible ; en effet, si sa mise en œuvre paraît naturelle et légitime, de nombreuses difficultés peuvent surgir dans la pratique. Qui doit payer ? Comment évalue-t-on la « valeur » d’un préjudice ? Si les premières juridictions pénales internationales ne mettent pas en place de mécanisme d’indemnisation ou de réparation, ce n’est pas seulement dans un souci de privilégier l’instruction et le jugement de leurs accusés, mais aussi parce que les fonds peuvent manquer.

Les présidents respectifs du TPIY et du TPIR avaient, en 2000, dans le même esprit que le projet d’amendement du Règlement de procédure et de preuve dans le sens de l’accroissement du rôle des victimes dans la procédure ci-dessus évoqué, adressé un rapport sur le problème de l’indemnisation des victimes ainsi que de leur participation aux procédures au secrétaire général des Nations Unies. Ils y plaidaient pour la création d’un fonds d’indemnisation similaire à la Commission d’indemnisation de l’ONU.

De même, le greffier du TPIR, choqué par la situation de survivants du génocide, a eu pour ambition la création d’un fonds d’indemnisation des victimes sur la base d’une cotisation volontaire[19].

Ainsi, la seule forme de réparation mentionnée dans les textes assurant le fonctionnement des tribunaux ad hoc consiste en une restitution des biens à leurs propriétaires légitimes[20], celle-ci étant ici considérée comme une « sanction », donc toujours placée d’un point de vue punitif, et non restauratif.

3. L’accent mis sur la protection des témoins

Pour ce droit à la protection et au respect, il convient également d’étudier en particulier le cas des tribunaux ad hoc, qui accordent aux victimes un ensemble de dispositions relatives à leur protection notamment en tant que témoins. En effet, témoigner à l’encontre de personnes qui peuvent détenir un certain pouvoir politique ou relationnel n’est pas sans risque, et la crainte provoquée par d’éventuelles menaces de représailles peuvent pousser les victimes à rester silencieuses, parfois même à commettre un parjure. Plus encore, il est important pour des personnes ayant déjà vécu un état de victimation de ne pas y retomber une seconde fois, c’est pourquoi une protection particulière doit leur être accordée[21]. Des cas d’assassinats de témoins ont pu être observé par le passé, notamment au TPIR[22].

Les impératifs qui entourent les mesures de protection de victimes-témoins sont la sécurité et la dignité, le respect de leur vie privée.

a. Sécurité des victimes-témoins

Les Statuts respectifs du TPIY et du TPIR prévoient une garantie par le Règlement de procédure et de preuve de la protection de l’identité des témoins et victimes, placés à l’occasion dans une seule et même catégorie. C’est l’article 69 dudit règlement qui encadre ces mesures de protection, et qui dispose notamment en son premier alinéa que « dans des cas exceptionnels, le Procureur peut demander à un juge ou à la Chambre de première instance d’ordonner la non-divulgation de l’identité d’une victime ou d’un témoin pour éviter qu’ils ne courent un danger ou des risques, et ce jusqu’au moment où ils seront placés sous la protection du Tribunal ». Son troisième alinéa précise toutefois que l’identité de la victime ou du témoin devra être divulguée avant le commencement du procès dans le respect des droits de la défense, sans préjudice des dispositions de l’article 75. Ce dernier dispose quant à lui que « un juge ou une Chambre peut, d’office ou à la demande d’une des parties, de la victime, du témoin intéressé ou de la Section d’aide aux victimes et aux témoins, ordonner des mesures appropriées pour protéger la vie privée et la sécurité de victimes ou de témoins… ». L’usage d’un pseudonyme, l’altération de l’image et de la voix sont également envisageables. C’est donc une véritable pesée d’intérêts qui doit être ici opérée. Dans la mesure où les juges ne peuvent s’arroger un droit systématique à poser des obstacles aux droits de la défense, une Section d’aide aux victimes et aux témoins a été créée dans un but consultatif vis-à-vis des mesures à prendre en matière de sécurité des témoins.

Toutefois, en dehors du tribunal, la sécurité des victimes ayant témoigné contre un accusé dépend uniquement des États concernés ou se portant volontaires pour les accueillir en tant que témoins protégés. De même, il est possible de déplorer l’absence d’une définition des témoins éligibles au bénéfice de la protection de la Section d’aide aux victimes, laquelle souffre d’un manque de financements et de personnel[23].

b. Respect de la dignité des victimes

L’audition d’un témoin constitue pour lui une épreuve extrêmement difficile ; les évènements dont les personnes qui témoignent devant les tribunaux ad hoc ont été victimes sont d’une atrocité rare, et le simple fait de devoir en parler et répondre à des questions qui les poussent à « revisiter » leurs souvenirs de façon toujours plus précise les pousse à revivre des instants traumatisants. Le souci de justice et de recherche de la vérité, en sus d’une volonté du procureur d’étayer son argumentation avec des éléments « chocs » peut rouvrir certaines plaies, et la publicité des audiences peut représenter une barrière supplémentaire.

Les Statuts des tribunaux pénaux internationaux onusiens ont prévu des dispositions destinées à protéger la victime dans sa dignité et sa vie privée, notamment par la possibilité donnée aux juges de siéger à huis-clos[24]. Cette audience fermée au public peut également, selon l’article 75 du Règlement de procédure et de preuve du TPIY, favoriser le témoignage d’une victime par le biais d’un « circuit de télévision fermé unidirectionnel » : le signal capté par les caméras vidéo ne sera retransmis que sur un nombre limité et déterminé de moniteurs, assurant le respect de l’intimité de la victime-témoin.

Ainsi, les victimes ont, avant l’avènement de la Cour pénale internationale, été quelque peu « oubliées » par les premiers tribunaux pénaux internationaux. Dénuées d’un statut de véritable partie au procès, les seules observations dont elles peuvent faire part sont limitées strictement par le cadre des besoins du procureur ou de la défense. Elles ne peuvent prétendre à réparation du préjudice subi, à moins de se lancer dans une procédure fastidieuse et dont le succès est plus qu’incertain. Cependant, le fait de leur avoir privilégié le statut de témoin a permis aux tribunaux ad hoc d’expérimenter les impératifs inhérents à cette qualité, et de les développer considérablement.

C’est toutefois avec le Statut de Rome que les victimes de crimes internationaux graves obtinrent un véritable statut au sein de la justice pénale internationale, en transition vers « l’esprit de Rome ».

C. L’avènement de la Cour pénale internationale et d’un véritable statut pour la victime

Après plus d’un siècle de tentatives sporadiques pour établir une juridiction permanente qui jugerait les violations graves du droit international humanitaire, et après l’adoption en 1948 de la Convention des Nations Unies sur la prévention et la répression du crime de génocide qui prévoyait la création d’un « tribunal pénal international », la Commission du droit international soumet à l’Assemblée générale de l’ONU, en 1993, un projet de statut rédigé sur la base de celui qui avait été commencé à l’occasion de cette convention. Les négociations au sein du Comité préparatoire se sont ensuite déroulées entre 1996 et 1998, après quoi la Conférence de Rome, qui se déroula du 15 au 17 juillet 1998, s’acheva avec la signature du Statut de Rome qui fonde la Cour pénale internationale. Ce statut, signé par 120 pays à l’issue de la Conférence, est entré en vigueur le 1er juillet 2002, et compte désormais 121 États signataires.

Parmi les négociations qui ont eu lieu lors de la Conférence des plénipotentiaires pour la création de la CPI, figuraient celles issues des revendications de nombreuses ONG et associations de victimes en faveur d’un véritable statut pour les victimes devant la Cour ; s’entend, un véritable droit de participation et de recours utile en tant que partie civile au procès pénal international, et un droit effectif à réparation du préjudice subi.

Le Règlement de procédure et de preuve adopté pour la CPI se caractérise ainsi par une présence accrue du droit romano-germanique (civil law), offrant une place plus importante à la victime dans la procédure.

1. La définition de la victime devant la Cour pénale internationale

Devant la difficulté que fut celle des rédacteurs du Statut de Rome pour parvenir à un consensus dans la définition des victimes, la tâche revint aux rédacteurs du Règlement de procédure et de preuve, lequel dispose en son article 85 que :

  • Le terme « victime » s’entend de toute personne physique qui a subi un préjudice du fait de la commission d’un crime relevant de la compétence de la Cour ;
  • Le terme « victime » peut aussi s’entendre de toute organisation ou institution dont un bien consacré à la religion, à l’enseignement, aux arts, aux sciences ou à la charité, un monument historique, un hôpital ou quelque autre lieu ou objet utilisé à des fins humanitaires a subi un dommage direct.

Cette définition s’inspire largement des résolutions onusiennes de 1985 et 2005 (voir plus haut).

Elle fut par ailleurs complétée par une décision importante, intervenue le 17 janvier 2006 dans l’affaire Le procureur contre Thomas Lubanga Dyilo, et qui accorde pour la première fois le statut de victimes à six demandeurs devant la Cour pénale internationale : cette décision apporte des précisions sur les conditions à remplir pour prétendre au statut de victime ; la personne, qui doit être une personne physique[25], doit ainsi prouver qu’elle a subi « un préjudice du fait de la commission d’un crime relevant de la compétence de la Cour ». Ce préjudice peut être constitué par un dommage corporel, moral ou matériel : blessures, souffrances psychologiques, perte ou dégradation de biens personnels, … Pour que ce préjudice relève de la compétence de la Cour, celui-ci doit être dû à un fait entrant dans le champ de l’article 5 du Statut de la Cour (qui définit les infractions pour lesquelles elle est compétente), commis après l’entrée en vigueur dudit Statut (1er février 2002), sur le territoire d’un État partie ou par l’un de ses ressortissants, ne pas faire l’objet de poursuites incidentes (principe ne bis in idem)[26], et un lien de causalité doit exister entre ce fait et le préjudice subi. Ce lien de causalité s’apprécie selon des motifs permettant de « croire que le préjudice subi est le résultat de la commission des crimes relevant de la compétence de la Cour »[27].

Cette décision du 17 janvier 2006 est donc essentielle en ce qu’elle définit plus précisément le statut de victime devant la CPI ; elle l’est également au titre de la possibilité offerte aux victimes par cette juridiction de participer aux procédures.

2. La participation des victimes aux procédures devant la Cour pénale internationale

L’article 68.3 du Statut de Rome consacre le droit pour les victimes de participer aux procédures au fond, en disposant que « lorsque les intérêts personnels des victimes sont concernés, la Cour permet que leurs vues et préoccupations soient exposées et examinées, à des stades de la procédure qu’elle estime appropriés et d’une manière qui n’est ni préjudiciable ni contraire aux droits de la défense et aux exigences d’un procès équitable et impartial. Ces vues et préoccupations peuvent être exposées par les représentants légaux des victimes lorsque la Cour l’estime approprié, conformément au Règlement de procédure et de preuve ».

Ce même Règlement encadre les modalités de participation des victimes aux procès dans sa règle n° 89, intitulée Demandes relatives à la participation des victimes à la procédure. On apprend ainsi que les victimes peuvent exposer leurs vues et leurs préoccupations auprès de la Cour, et ce à n’importe quel moment de la procédure (phase préliminaire, procès ou appel). De même, il est précisé que la Cour se réserve le droit rejeter une demande de participation qu’elle estimerait inappropriée.

La décision du 17 janvier 2006 a cela d’important qu’elle permet aux victimes de participer dès le commencement de l’enquête[28], chose qui n’était pas tout à fait évidente au regard de l’article 68 du Statut (« … à des stades de la procédure qu’elle estime appropriés »). La Chambre préliminaire I distingue ainsi les victimes d’une situation et les victimes d’une affaire[29]. Les situations sont celles qui, comme pour le cas d’espèce (en République démocratique du Congo), sont examinées par la Cour afin de déterminer si une enquête pénale doit être ouverte, tandis que les affaires sont celles qui sont instruites à la suite d’un mandat d’arrêt émis par la Cour. C’est donc dès le moment où une « situation » intéresse le procureur de la CPI et qu’une enquête est ouverte à cet égard, qu’il est possible pour une personne s’estimant lésée de faire une demande de participation auprès du Greffe de la Cour.

En tant que partie au procès, les victimes ont évidemment la possibilité, toujours d’après la règle 89 du RPP, de choisir un représentant légal, lequel peut être désigné, si besoin conjointement avec un compère, comme représentant légal commun dans le cas où un nombre important de victimes viendrait à participer aux procédures. Il est également précisé qu’une aide financière, similaire à l’aide juridictionnelle française, peut être fournie par le greffe aux victimes qui n’ont pas les moyens de s’offrir cette représentation.

La possibilité de participer effectivement aux procédures pour les personnes victimes de crimes entrant dans les compétences de la Cour nécessite toutefois, en tant que corollaire[30], une protection adaptée.

3. La protection des victimes parties aux procès

L’arsenal de mesures disponibles devant les tribunaux ad hoc est ici encore de rigueur.

L’article 68 du Statut de Rome dispose en son premier alinéa que divers critères relatifs à la personne de la victime doivent être pris en compte, notamment l’âge, le sexe ou la nature du crime, afin d’y adapter les mesures propres à garantir sa dignité. Le deuxième alinéa prévoit quant à lui l’habituelle possibilité de dépositions en huis-clos et par le biais de moyens technologiques spécifiques si les conditions l’exigent[31] (notamment pour les enfants et victimes de violences sexuelles).

La sécurité des victimes qui témoignent est également prise en compte. L’alinéa 5 de l’article 68 du Statut de Rome dispose que « lorsque la divulgation d’éléments de preuve et de renseignements en vertu du présent Statut risque de mettre gravement en danger un témoin ou les membres de sa famille, le Procureur peut, dans toute procédure engagée avant l’ouverture du procès, s’abstenir de divulguer ces éléments de preuve ou renseignements et en présenter un résumé ». L’utilisation d’un pseudonyme est également envisageable[32].

Le Greffe de la CPI exerce un rôle encore plus important qu’à l’accoutumée vis-à-vis des victimes : il se voit en effet attribuer la responsabilité de la mise en œuvre des stratégies d’accompagnement des victimes dans leurs démarches (accueil, réinstallation, soins médicaux et psychologiques, frais de séjour, logement…), avec l’aide de la Direction des victimes et des conseils, de l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins et de la Section de la participation des victimes et des réparations[33].

Évidemment, la question cruciale du contrepoids à faire au niveau des droits de la défense est évoquée dans les trois premiers alinéas de l’article 68. Les nombreuses dispositions protectrices tant de la dignité que de la sécurité des victimes et des témoins peuvent porter atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable. Cet équilibre à opérer doit être assuré avec le soutien d’une Division d’aide aux victimes et aux témoins[34], à l’instar de son homologue dans les tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda.

Mais l’autre nouveauté très attendue de la Cour pénale internationale est sans conteste la possibilité statutaire de formuler une demande de réparation du préjudice subi.

4. La réparation du préjudice subi comme nouvelle prérogative des victimes devant la Cour

Au contraire du TPIY et du TPIR, qui avaient fait l’objet de vives critiques de la part d’ONG et d’associations de victimes quant à l’impossibilité pour les victimes des crimes jugés de demander une indemnisation devant la Cour, le Statut de la CPI s’est doté d’un véritable mécanisme de réparation pour les victimes.

Sont article 75.2 dispose en effet que « la Cour peut rendre contre une personne condamnée une ordonnance indiquant la réparation qu’il convient d’accorder aux victimes ou à leurs ayants droit. Cette réparation peut prendre notamment la forme de la restitution, de l’indemnisation ou de la réhabilitation. Le cas échéant, la Cour peut décider que l’indemnité accordée à titre de réparation est versée par l’intermédiaire du Fonds visé à l’article 79 ».

En premier lieu, le Statut s’inspire grandement de la définition de réparation qui avait été donnée dans la résolution de l’ONU du 16 décembre 2005, en optant pour une déclinaison tripartite de celle-ci. C’est la règle n° 94 du RPP qui régit les modalités propres aux demandes de réparation et activations du mécanisme.

Mais l’article 75.2 du Statut de Rome évoque aussi l’existence d’un Fonds, qui a été créé par une résolution n° 6 de l’Assemblée des États parties (ASP) de la CPI le 9 septembre 2002. Sa gestion est confiée au Conseil de direction de l’ASP, tandis que son secrétariat est assuré par le Greffe. Il s’agit d’un organe indépendant, disposant d’un financement propre et distinct du budget de la CPI.

Ce Fonds au profit des victimes a un triple rôle : il est d’abord utilisé en tant que « tirelire » de la Cour pénale internationale, à laquelle contribuent les États parties ainsi que des donateurs privés ; il est également l’organe qui exécute les ordonnances de réparation, ainsi que les mesures d’amende et de confiscation prises par la Cour. Enfin, il met en œuvre des politiques visant à collecter des fonds au bénéfice de la structure[35].

La première décision relative à une mise en œuvre du mécanisme de réparation de la CPI a été rendue le 7 août 2012 dans le cadre de l’affaire Le procureur contre Thomas Lubanga Dyilo. Ce dernier a été déclaré coupable au mois de mars précédent, et condamné à 14 ans d’emprisonnement en juillet la même année. Il s’agit également du premier condamné de la Cour pénale internationale, dix ans après l’entrée en vigueur du Statut de Rome.

La décision du 7 août 2012 a pour objectif d’établir une liste de principes, qui doivent s’appliquer en matière de réparation pour les victimes dans le cas d’espèce[36] :

  • Le droit à réparation du préjudice subi est fondamental ;
  • Les réparations doivent être accessibles à toute victime en dehors de toute considération sexiste ;
  • Les réparations peuvent être individuelles et/ou collectives et prendre des formes diverses, y compris des formes symboliques ;
  • Les réparations doivent être appropriées, adéquates et rapides ;
  • Les bénéficiaires peuvent être des victimes directes ou indirectes (membres de la famille des victimes et personnes morales).

Les individus condamnés par la Cour peuvent être appelés à contribuer aux réparations décidées par ordonnance, à condition qu’ils en aient les moyens ; ce n’est pas le cas de Thomas Lubanga. La CPI a donc déclaré que le condamné ne pouvait contribuer à ces réparations que par le moyen d’excuses volontaires, et a confié au Fonds pour les victimes la responsabilité d’identifier les bénéficiaires potentiels et de déterminer le type de réparations qui leur sont dues. Les demandes individuelles de réparation seront intégralement transmises au Fonds et la Cour se dédouane de la responsabilité de statuer dessus. Les tâches relatives à la mise en œuvre de la réparation au profit des victimes de Thomas Lubanga Dyilo sont donc toujours pendantes, d’autant plus que la décision sur les réparations fait à ce jour l’objet d’un appel de la défense ainsi que des victimes[37]. La plupart des appels ont été déclarés admissibles par la Cour le jeudi 14 décembre 2012, et ils ne seront traités sur le fond qu’au cours de l’année 2013[38].

La réparation du préjudice subi fait donc bien partie des droits garantis aux victimes par le statut de la nouvelle Cour pénale internationale. Il s’agit d’une avancée non négligeable, mais qui doit toutefois encore faire ses preuves sur le plan de la pratique, alors que les critiques commencent déjà à se faire entendre.

D. Les droits des victimes devant la troisième génération de tribunaux pénaux internationaux

Cette « troisième génération » est composée de tribunaux pénaux dits internationalisés ou hybrides, c’est-à-dire « mi-internes, mi-internationaux, comportant des éléments nationaux et internationaux »[39]. Ils sont en effet composés de magistrats locaux et internationaux et obéissent à un droit mixte. À l’instar des juridictions pénales internationales classiques, ils agissent dans le but de punir les auteurs individuels de crimes internationaux graves ; mais leur création en dépit de l’avènement de la Cour pénale internationale est due au fait que les infractions qu’ils se donnent pour mission de juger ont été commises avant l’entrée en vigueur du Statut de Rome. Ils sont donc, au même titre que les juridictions ad hoc, créés spécialement pour traiter d’une situation particulière, et voués à s’éteindre une fois leur mandat achevé.

Les trois principales juridictions pénales internationalisées sont le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL), les Collèges spéciaux du Timor Oriental, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC), et le Tribunal spécial pour le Kosovo.

1. Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone

La guerre civile de Sierra Leone, qui s’est déroulée de 1991 à 2002, a fait une cinquantaine de milliers de morts[40], et de nombreux crimes de guerre et crimes contre l’humanité ont été commis au cours de ce conflit. C’est pourquoi un accord pour la création du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) a été signé entre les Nations Unies et le gouvernement sierra léonais en janvier 2002, après le vote par le Conseil de sécurité de l’ONU de la Résolution 1315 le 14 août 2000.

Son mandat consiste à poursuivre et juger ceux qui ont eu le plus de responsabilités dans les violations graves du droit international humanitaire et du droit national commises sur le territoire de la Sierra Leone depuis le 30 novembre 1996. Charles Taylor, ancien président de la République du Libéria, est le premier chef d’État condamné par un tribunal international pour crimes contre l’humanité (il fut déclaré coupable le 26 avril 2012, puis condamné en première instance à 50 ans d’emprisonnement le 30 mai suivant).

Pour ce qui est des droits des victimes devant le TSSL, ce sont les articles 16 et 17 du Statut du tribunal et l’article 34 du Règlement de procédure et de preuve qui les encadrent.

Tout d’abord, étonnamment, le Statut du tribunal ne s’est pas inspiré de celui de la Cour pénale internationale, pourtant récemment adopté et sur le point d’entrer en vigueur ; de ce fait, aucune disposition sur un éventuel droit des victimes à participer aux procédures et à demander réparation du préjudice subi n’a été intégrée parmi les mécanismes d’aide aux victimes.

À l’instar des tribunaux pénaux internationaux de La Haye et d’Arusha, l’accent est donc mis sur la protection des victimes et témoins vulnérables. Le deuxième alinéa de l’article 17 dispose notamment que « les accusés ont droit à ce que leur cause soit entendue équitablement et publiquement, sous réserve des mesures ordonnées par le Tribunal spécial pour assurer la protection des victimes et des témoins ». Ces mesures ne sont toutefois pas définies dans les textes relatifs au fonctionnement du tribunal, mais l’article 16.4 du Statut et la règle n° 34 du Règlement de procédure et de preuve affirment qu’il appartient au Greffe de mettre en place une Section pour les victimes et témoins, sur le modèle de celles créées pour les tribunaux ad hoc. Celle-ci sera chargée de fournir aux victimes toutes les mesures d’assistance, de soutien et de protection nécessaires à leur sécurité, ainsi qu’à la réhabilitation physique et psychologique des plus vulnérables (notamment les enfants et victimes d’agressions sexuelles).

2. Les Collèges spéciaux de la Cour du district de Dili (Tribunal pour le Timor Oriental)

Le Timor Oriental, colonie portugaise jusqu’à son annexion par l’Indonésie en 1975, a longtemps lutté pour l’obtention de sa pleine indépendance ; jusqu’au 30 août 1999, où un référendum organisé par l’Organisation des Nations Unies a offert la possibilité au peuple timorais de faire sécession (78,5 % des votes en faveur de l’indépendance pleine du pays), à la suite de quoi des actes violents ont été commis sur l’ensemble du territoire nouvellement libéré par des milices pro-indonésiennes.

L’ONU prend alors l’initiative de la gestion administrative du pays par l’adoption, le 25 octobre 1999, de la résolution 1272 par le Conseil de sécurité qui créé l’Administration transitoire des Nations Unies au Timor Oriental (ATNUTO) ; puis, en 2000, l’administration onusienne met en place les Collèges spéciaux pour le Timor Oriental, chargés de juger les infractions graves commises à l’occasion du référendum en 1999.

Entre sa création et la fin de son mandat en 2006, le Tribunal a conduit 55 procès, au cours desquels 84 accusés furent condamnés.

Peu d’informations sont disponibles concernant le fonctionnement du tribunal.

Les victimes et témoins bénéficient d’un droit à participer aux procédures, par le biais de demandes adressées au Procureur pour l’ouverture d’enquêtes, d’interventions au cours des procès, ou même de demandes de révision d’une décision du Procureur de ne pas poursuivre[41].

Les mesures habituelles de protection des victimes et témoins en matière de sécurité, bien être, dignité et respect de la vie privée, adoptées relativement aux caractéristiques du crime et de la victime, sont évidemment présentes.

Le règlement adopté par l’ATNUTO pour la mise en place des Collèges spéciaux mentionne la création d’un Fonds chargé d’exécuter les ordonnances en réparation au profit des victimes et de leurs familles.

3. Les Collèges spéciaux au sein des tribunaux du Kosovo

Les tensions interethniques opposant l’Armée yougoslave à l’Armée de libération du Kosovo dans la province du Kosovo, qui ont conduit l’OTAN à procéder à l’Operation Allied Force entre les mois de mars et juin 1999, résultant dans une série de bombardements meurtriers, ont amené le Conseil de sécurité au vote de la résolution n° 1244, qui établit la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK). Il a été envisagé au départ, dans le cadre de cette mission, de créer une troisième juridiction ad hoc inspirée du TPIY. Ce tribunal devait s’appeler le Kosovo war and ethnic crimes court (KWECC), et devait poursuivre et juger les individus qui s’étaient rendus coupables de crimes de guerre ou de crimes fondés sur des motifs ethniques commis depuis le 1er janvier 1998. L’idée était de donner compétence en priorité au TPIY et d’établir une compétence subsidiaire de la KWECC. Mais les difficultés potentielles d’articulation entre les deux juridictions donnèrent lieu à de nombreuses discussions, lesquelles aboutirent à un abandon du projet.

En lieu et place de la KWECC, furent mis en place des Collèges spéciaux au sein même du système judiciaire local par l’adoption du Règlement 2000/6 des Nations Unies.

Ici encore, peu d’informations sont disponibles quant aux modalités de fonctionnement de cette juridiction ; le dossier de la Fédération internationale des droits de l’Homme sur l’évolution de l’accès des victimes à la justice nous indique que article 80 du Code provisoire de procédure pénale pour le Kosovo qui établit les droits des victimes au cours des procédures engagées devant ces Collèges spéciaux : les victimes peuvent ainsi « attirer l’attention sur des faits » et « présenter des preuves », ainsi que de « demander des indemnités ». En définitive, les victimes disposent d’un véritable droit de participation orale et matérielle aux procès, de même que de mécanismes de protection adaptés, des mesures bien nécessaires dans un contexte local encore très fragile.

4. Les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens

Le régime du Kampuchea démocratique, gouvernement mené par les Khmers rouges au Cambodge entre 1975 et 1979, a provoqué la mort de 1,7 millions de personnes environ, soit plus de 20 % de la population cambodgienne[42]. En 1997, le gouvernement cambodgien formule une demande d’aide aux Nations Unies pour la poursuite et le jugement d’anciens responsables Khmers rouges, mais la volonté de mettre en place un mécanisme répressif n’aboutira qu’après de longues années de négociations et de tensions entre l’ONU et les autorités cambodgiennes. Une loi relative à la création de formations extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens pour juger les crimes qui ont été commis durant la période du Kampuchea démocratique sera votée le 10 août 2001, mais c’est finalement en juin 2003 qu’un accord sera conclu avec l’ONU, qui entrera en vigueur en avril 2005. Ces deux documents constituent la base des modalités de fonctionnement du tribunal, notamment en ce qui concerne les droits des victimes devant la juridiction.

Le mandat des CETC consiste dans la poursuite des principaux dirigeants du Kampuchea démocratique ainsi que les individus ayant la plus forte responsabilité dans les crimes commis sous le régime des Khmers rouges entre le 17 avril 1975 et le 6 janvier 1979.

Pour ce qui est du droit des victimes à participer aux procédures engagées devant les CETC, le Code de procédure pénale cambodgien révisé à l’occasion de l’établissement de cette nouvelle juridiction leur offre la possibilité de participer à la procédure en tant que témoins, mais aussi en tant que plaignants ou parties civiles. La différence avec les dispositions de l’ancien Code réside essentiellement dans le fait que les victimes peuvent, par leur constitution de partie civile, déclencher une procédure en cas de carence du Procureur, chose qui était avant impossible[43]. Les victimes disposent également d’un droit de recours effectif en appel.

La loi établissant les Chambres extraordinaires prévoit à son article 33 que « les juges d’instruction, les Procureurs et les Chambres extraordinaires veillent à la protection des victimes et des témoins. Les mesures de protection comprennent entre autres la tenue d’audiences à huis-clos et la protection de l’identité des victimes », en précisant toutefois que « la Chambre extraordinaire de première instance veille à ce que les procès soient équitables et dans un délai raisonnable, et conduits conformément aux procédures en vigueur, en respectant pleinement les droits des accusés et en assurant la protection des victimes et témoins ».

Ces dispositions, reprises à l’article 23 de l’accord conclu entre le gouvernement et les Nations Unies, sont donc similaires à celles auxquelles on est habitué pour les autres juridictions pénales internationales, et font valoir une recherche d’équilibre entre la protection des victimes et les droits de la défense. Il est à noter toutefois que ces modalités de protection ne sont pas précisées au sein de ces documents.

Enfin, la loi et l’accord ne contiennent aucune disposition concernant la possibilité pour les victimes de formuler des demandes en réparation du préjudice subi. Tout au plus, l’article 39 de la loi instituant les Chambres extraordinaires précise que « les biens confisqués seront remis à l’État ». La FIDH a fait part de ses inquiétudes à l’égard du système de réparation offert par la juridiction, estimant que celui-ci contient des « ambiguïtés et lacunes », qui ont « suscité une grande déception des parties civiles ». De plus, l’annonce faite par les CETC que les co-avocats principaux des parties civiles doivent désormais aux chambres des projets de réparation collective et morale financés et approuvés par le gouvernement cambodgiens, et ce avant toute décision sur la culpabilité des accusés, donne trop de poids aux tâches des organisations intermédiaires dans le déroulement des processus d’indemnisation, selon la FIDH. Cette dernière se dit également préoccupée de l’avenir de la Fondation pour les victimes créée par le gouvernement cambodgien afin de coordonner le financement des réparations, alors même que le mandat de cette fondation « manque de précision » et que les « interférences politiques constatées dans les dossiers n° 003 et 004 » donnent à réfléchir sur les garanties d’indépendance et de transparence de cette structure[44].

Si les juridictions pénales dites « internationalisées » ont été pour la plupart créées postérieurement à la Cour pénale internationale, elles ne s’inspirent pas nécessairement du Statut de Rome pour ce qui est de leur fonctionnement, notamment en matière de droits des victimes. Ces tribunaux ont la particularité d’être établis aux fins de traiter une situation précise à l’instar des tribunaux ad hoc, tout en conservant des éléments nationaux de procédure et de législation. Leur dimension « internationalisée » permet à leur système judiciaire national de s’inspirer des consensus exprimés de plus en plus largement par la plupart des États au niveau international ; cependant, celles-ci sont vouées à conserver un statut « individuel » les unes par rapport aux autres, de par les particularismes culturels et historiques qui les fondent.

Les droits des victimes ont donc connu une progression quasi-constante sur la seconde moitié du Vingtième siècle ; leur mise en œuvre par des juridictions internationales constitue pourtant un exercice récent, impliquant des tâtonnements nécessaires. Cependant, si les faux pas semblent inévitables et indispensables au développement des pratiques, il convient de se poser certaines questions quant à l’adéquation du système judiciaire international actuel vis-à-vis des attentes des victimes.

II. La justice pénale internationale, à la hauteur des attentes des victimes ?

Nous l’avons vu, les victimes ont acquis dans la plupart des systèmes juridiques, du moins dans les pays occidentaux, une place quasi-prépondérante. Ce phénomène, largement entériné par les médias et par les discours politiques, a contribué avec les efforts exercés par les ONG et associations présentes lors de la Convention de Rome en 1998, à conférer aux victimes de criminels de guerres, génocidaires et autres bourreaux de l’humanité, un véritable statut, une existence dont il convient de tenir compte lors d’un procès.

Mais ce nouvel ensemble de garanties, pour révolutionnaire et encourageant qu’il soit, s’avère encore extrêmement fragile.

D’abord, les nouveaux mécanismes de traitement des victimes dans la justice pénale internationale sont très récents, et entrent en conflit avec d’autres impératifs d’ordre pratique : la JPI peine encore à trouver ses marques sur le plan rétributif et répressif, alors qu’il s’agit de son but premier. Demander aux juridictions pénales internationales une obligation de résultat immédiate et effective en matière de « satisfaction victimaire » alors que leur fonctionnement fait encore l’objet de tâtonnements peut relever d’une exigence pour le moins critiquable. Des problèmes concurrents, notamment financiers, coopératifs et relatifs aux droits de la défense, peuvent faire obstacle à une prise en compte totale et rapide du sort des victimes.

D’autre part, les avis des spécialistes, psychologues comme victimologues, ont tendance à diverger sur plusieurs points ; certains estiment que la justice pénale doit intégrer les victimes toujours plus au centre de son fonctionnement afin d’en retirer le plus d’effets bénéfiques à leur profit, tandis que d’autres pensent que l’univers judiciaire n’est absolument pas adapté ni destiné à guérir les blessures des victimes, et que l’accroissement de leur participation aux procès peut leur être néfaste.

Les droits des victimes se heurtent donc d’abord à des questions d’ordre pratique (A), mais également à d’autres questions, d’ordre théorique quant à elles (B).

A. Les droits des victimes face à d’autres impératifs

Les besoins de prise en compte, de participation, de protection et de réparation pour les victimes sont désormais reconnus par plusieurs instruments conventionnels multilatéraux, ainsi que par le Statut de Rome. Ils le sont parfois également dans les systèmes judiciaires nationaux. Cependant, ils ne sont pas appliqués dans toutes les juridictions pénales internationales, y compris celles qui ont été créées postérieurement à la Cour pénale internationale. De même, devant cette dernière, ils peuvent être appliqués de façon variable.

Cette impossibilité de garantir l’application systématique de tous les droits devant être reconnus aux victimes est due à l’existence de plusieurs facteurs internes ou externes aux juridictions.

1. Les droits de la défense, un facteur interne en conflit avec ceux des victimes

Les accusés qui font face aux juridictions pénales internationales ne s’y retrouvent pas pour un bête larcin ou pour attentat à la pudeur ; les crimes jugés par ces tribunaux sont ceux qui sont considérés par la communauté internationale comme étant les plus graves violations au droit international humanitaire. Ces crimes, consacrés, entre-autres, par les quatre conventions de Genève, ainsi que par les jugements de Nuremberg et de Tokyo ou la Convention internationale pour la répression du crime de génocide, constituent des actes d’une cruauté telle que les aléas de la guerre ne représentent plus une excuse valable à leur commission. Crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide : ces mots raisonnent aujourd’hui dans les esprits comme un rappel de ce dont l’être humain est capable.

Et pour cause, c’est bien d’êtres humains que l’on parle. Et ceux-ci ne pourraient être réduits à moins que cela par la justice pour la seule raison qu’ils l’ont fait à d’autres. Laurence Sinopoli explique que « la juridiciarisation du conflit ne peut prétendre conduire à son apaisement que si l’institution présente les caractères essentiels de la « justice » ; à défaut, elle ne sera qu’un argument supplémentaire de violence »[45]. Par ailleurs, l’un des grands principes qui gouvernent la procédure pénale est la présomption d’innocence. Pour suspects parfois évidents qu’ils sont, les accusés restent innocents aux yeux de la loi jusqu’au prononcement définitif du jugement contraire par un tribunal. Ainsi, les droits de la défense constituent l’ensemble des prérogatives dont doit disposer un accusé pour se défendre des accusations qui pèsent contre lui. C’est vrai au niveau national pour un vol comme lors d’un procès de grande envergure pour crime contre l’humanité à La Haye.

Parmi les droits dont disposent les parties à un procès, quelles qu’elles soient, figure le droit à un procès équitable. Ces droits sont consacrés dans de très nombreux textes et constituent aujourd’hui les garanties primordiales et nécessaires à une bonne administration de la justice

L’accusé est donc, malgré son statut et les soupçons que font peser sur lui l’opinion publique et le Parquet, une partie au même titre que la victime et le Procureur. Il doit donc être en mesure de répondre à ces accusations, de se défendre, et le cas échéant, de faire en sorte que son innocence soit reconnue. Il s’agit du principe d’égalité des armes, consacré par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH)[46], et selon lequel « toute partie à une action doit avoir une possibilité raisonnable d’exposer sa cause au tribunal dans des conditions qui ne la désavantagent pas d’une manière appréciable par rapport à la partie adverse ».

La plupart des statuts des juridictions pénales internationales intègrent des dispositions qui assurent aux accusés le respect de leurs droits fondamentaux lors de leur procès ; les statuts des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda disposent notamment, à propos des accusés, que : « 1. Tous sont égaux devant le Tribunal international. Toute personne contre laquelle des accusations sont portées a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement, sous réserve des dispositions de l’article 22 du statut »[47].

Les réserves évoquées au deuxième alinéa sont celles relatives à la protection des témoins, notamment en ce qui concerne l’éventualité d’une audience à huis-clos. Il s’agit-là d’un exemple de conflit pouvant exister entre les droits des victimes et ceux de la défense.

Cette limite à la publicité des débats est également présente dans le Statut de la Cour pénale internationale, lorsque le deuxième alinéa de l’article 68 entre en conflit avec les dispositions de l’article 67.

Mais le conflit le plus fréquent et le plus crucial est sans conteste celui pouvant exister entre, d’une part, le droit de l’accusé d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge et obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge[48], et d’autre part les mesures de protection accordées aux témoins vulnérables.

Ces mesures sont adoptées par la plupart des juridictions pénales internationales aujourd’hui existantes ; l’article 68 du Statut de Rome dispose en effet dans son alinéa 5 que « lorsque la divulgation d’éléments de preuve et de renseignements en vertu du présent Statut risque de mettre gravement en danger un témoin ou les membres de sa famille, le Procureur peut, dans toute procédure engagée avant l’ouverture du procès, s’abstenir de divulguer ces éléments de preuve ou renseignements et en présenter un résumé ». Or, la communication des pièces et éléments du dossier constitue l’un des points essentiels du droit de l’accusé à un procès équitable. Le même alinéa poursuit en disant que « de telles mesures doivent être appliquées d’une manière qui n’est ni préjudiciable ni contraire aux droits de la défense et aux exigences d’un procès équitable et impartial », mais cette précaution textuelle est-elle suffisante ?

L’affaire Le Procureur contre Duško Tadić devant le TPIY illustre parfaitement ce difficile compromis à réaliser entre protection des témoins et droits de la défense : il y a été décidé qu’en raison de l’existence d’un conflit armé permanent, l’anonymat des témoins pouvait être justifié en raison des craintes légitimes qu’il pouvait y avoir à l’encontre de leur sécurité, ainsi que de l’importance des témoignages en question. Concernant le traitement différent réservé aux témoins de l’accusation et de la défense, le juge Ninian Stephen a, à l’occasion de cette affaire, soumis une opinion séparée vis-à-vis de la décision adoptée relativement à la requête de l’accusation aux fins de production de dépositions de témoins. Il y explique notamment que « il peut apparaître étrange à la lumière de notre Règlement que les dépositions des témoins, que la Défense n’a aucune obligation de fournir à l’Accusation avant le procès et qui constituent partie du dossier du Conseil de la Défense, devraient être mises à la disposition de l’Accusation une fois que le témoin en question a témoigné. […] Il ressort des éléments mis à notre disposition que, à l’exception des tribunaux fédéraux des États-Unis, il existe dans les systèmes de Common Law auxquels nous avons été renvoyés, un secret professionnel clairement exprimé à l’encontre de cette communication et aucune suggestion qu’il est seulement provisoire, prenant fin une fois que le témoin a témoigné »[49].

Ainsi, s’il est absolument nécessaire de faire primer la sécurité des victimes et témoins dans la conduite des procédures devant les juridictions pénales internationales, celles-ci ne devant pas subir une seconde victimation. Néanmoins, ce déséquilibre volontaire apparaît comme extrêmement délicat à mettre en œuvre et à justifier, tant les enjeux peuvent être d’une importance similaire pour un accusé dont le sort peut également reposer sur des témoignages.

La crainte de certains auteurs est que la place et le rôle que les victimes peuvent prendre au sein du procès international « détournent » celui-ci de sa finalité première, qui est celle de traduire en justice des responsables de violations graves du droit international humanitaire. Parmi les praticiens, certains s’inquiètent du « poids du secret », et du fait que « l’audience publique est progressivement gangrénée par le huis-clos ». C’est le cas notamment devant la Cour pénale internationale, où cela « risque de mettre en cause la légitimité de la Cour » : « comment les populations concernées pourront-elles apprécier un jugement dont les fondements sont cachés ? », s’interroge Pascal Vanderveeren, président du Barreau pénal international (BIP) à l’occasion du Séminaire de l’Union internationale des avocats (UIA) qui s’est tenu à Biarritz du 10 au 12 septembre 2009[50]. Au regard des dispositions sur l’anonymat des victimes, l’exemple est également pris par M. Vanderveeren de l’affaire Lubanga devant la CPI, où sur cent-neuf victimes constituées, vingt seulement ont révélé leur identité à la défense. Au cours du même évènement, l’avocate Natacha Fauveau-Ivanovic a déclaré pour sa part que « c’est au détriment de la défense que la gestion du temps s’opère ».

Les droits de la défense constituent donc un premier obstacle à une application pleine et effective des garanties devant être accordées aux victimes. Celles-ci ne sauraient, en effet, prendre le pas sur les principes qui fondent le droit à un procès équitable, significatif d’une justice véritable.

D’autres facteurs, cette fois-ci externes, peuvent également entrer en conflit avec certains droits accordés aux victimes.

2. Les facteurs externes : la coopération des États et les manques de moyens financiers

Certains obstacles à une mise en œuvre idéale des droits des victimes se retrouvent en dehors du statut et du règlement des juridictions pénales internationales, et peuvent prendre source dans des problématiques bien plus terre-à-terre, en particulier des ressources financières limitées. C’est évidemment vrai et perceptible de façon directe pour la mise en place du droit à réparation du préjudice subi, mais c’est aussi le cas en ce qui concerne la rémunération des personnels de la Cour qui peuvent être amenés à prendre en charge les victimes qui souhaitent participer aux procédures. Leur protection, conseil, et souvent, l’aide juridictionnelle, tout a un coût.

Dans l’affaire Lubanga, les premiers doutes apparaissent relativement à l’exécution des ordonnances de réparation, quelques mois après la condamnation de l’accusé en première instance. Qui doit payer ? Qui peut être bénéficiaire ? Comment ? La décision du 7 août 2012 précitée[51] a été l’occasion pour la Cour de se confronter aux difficultés liées à une application réaliste des droits des victimes consécutivement à une condamnation. Si l’on s’en tient au Statut de Rome, seules les victimes ayant souffert d’un crime pour lequel l’accusé a été condamné sont théoriquement susceptibles d’être éligibles à une indemnisation. Dans le cas d’espèce, cela signifierait donc que seuls les enfants enrôlés dans l’armée de l’Union des patriotes congolais pourraient obtenir une réparation ; mais la CPI I a décidé, pour élargir le « champ indemnitaire », d’y intégrer les victimes directes et indirectes. Phil Clark, maître de conférences en politique internationale comparée à l’Université d’études orientales et africaines de Londres, a estimé à cette occasion que le Fonds pour les victimes devrait « jouer un jeu extrêmement diplomatique » pour s’assurer que les réparations ne deviennent pas trop discriminatoires en privilégiant un groupe par rapport à un autre. Il a également déclaré que le manque d’argent disponible pour les indemnisations sera probablement un facteur limitatif et que toutes les victimes ne pourront pas bénéficier des programmes du Fonds[52].

Mais les mécanismes de la Cour pénale internationale ne sauraient être les seuls à assurer une réparation effective des victimes de Thomas Lubanga ; les États parties à la CPI, en tant que premiers donateurs de la juridiction, sont également sollicités par la Cour afin que ces mécanismes de garantie des droits des victimes fonctionnent correctement. Cependant, il était attendu que ceux-ci fassent preuve d’une certaine frilosité à cet égard. Les États, en s’engageant pour la création d’une juridiction pénale internationale permanente, ont accepté certaines obligations qu’il devient fréquemment nécessaire de leur rappeler[53]. Plusieurs observateurs estiment que le gouvernement congolais a une part de responsabilité à prendre dans le traitement des victimes de Thomas Lubanga Dyilo. Le directeur du Fonds pour les victimes, Pieter de Baan, a déclaré que « la coopération du gouvernement de RDC est extrêmement importante, notamment en termes d’accès à l’information et pour s’assurer que la mise en œuvre des réparations se fera dans les meilleures conditions possibles ». Pourtant, de son côté, les autorités de Kinshasa semblent réticentes à une collaboration plus poussée ; le porte-parole du gouvernement Lambert Mendé rétorque que « la contribution la plus importante du gouvernement de RDC est d’avoir arrêté Lubanga et de l’avoir envoyé devant la CPI. Si les réparations sont indispensables, nous pensons qu’il appartient à la personne coupable des crimes d’en prendre la responsabilité ». Une mentalité similaire est observable au sein du gouvernement cambodgien, d’après l’avocat Kim Suon Hong. Enfin, Robert Carranza, directeur du programme de recherche sur la Justice restaurative du Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ, New York), a estimé pour sa part que le gouvernement congolais avait, au-delà des dispositions du Statut de Rome, un rôle à jouer dans la reconnaissance des souffrances des victimes, notamment par d’autres moyens de coopération qu’une contribution financière. Ce peut être par exemple la création de mémoriaux sur les lieux des drames, ou l’enregistrement de noms des victimes dans des fichiers.

Mais la mauvaise volonté des États parties dans la réalisation des programmes de réparation n’est pas exclusive à l’affaire Lubanga. En Sierra Leone, la mission de maintien de la paix des Nations Unies a établi un programme visant à assurer les indemnisations des victimes de la guerre civile ; mais le directeur du Center for Accountability and Rule of Law, Ibrahim Tommy, s’inquiète également du manque de ressources fournies par l’État sierra-léonais.

Sans être précisément à l’origine de ces réticences, des rapports de la Cour à l’Assemblée des États parties montrent toutefois que le Greffe, dans sa mission de mettre en œuvre les mécanismes de participation des victimes, fait face à beaucoup de difficultés parmi lesquelles un manque cruel de ressources pour traiter les nombreuses demandes en temps et en heure de façon synchrone avec le déroulement des procédures. Les États parties, avec de tels arguments, se retrouvent aujourd’hui persuadés que le système de participation des victimes est bancal et cherchent à faire réviser les affectations budgétaires afférentes[54].

Or, les coupes budgétaires successives réalisées et encore envisagées par les États parties au Statut de Rome mettent en danger les principes qu’ils se sont pourtant accordés à garantir avec la signature dudit statut. Il est toutefois rappelé qu’un investissement dans la justice constitue une économie réalisée pour l’avenir, le but étant de restaurer un ordre public et une cohésion sociale souvent fragiles après un conflit armé[55].

Mais si le rôle des États dans l’instauration d’une justice transitionnelle et restaurative n’est pas en question, il est cependant permis de s’interroger sur l’adaptation réelle de la justice pénale internationale aux besoins des victimes des crimes graves qu’elle a pour premier objectif de juger.

B. Des doutes persistants sur l’adaptation de la justice pénale internationale aux besoins des victimes

Le sentiment « d’injustice face à la justice » exprimé par les victimes n’est pas nouveau ; il est observable depuis longtemps devant les juridictions nationales, et les caractéristiques qui sont celles des crimes jugés par les juridictions pénales internationales ne font qu’accentuer ce phénomène. En effet, ces infractions entraînent souvent des milliers de décès, encore plus de blessés et affectent, par répercussion, un nombre considérable de personnes qui se trouvent face à une institution qu’ils ne connaissent pas pour guérir des maux dont la teneur émotionnelle est difficilement appréciable.

Face à ce constat, certains experts, victimologues, juristes ou psychologues, se sont intéressés à la question de l’inadaptation éventuelle de l’appareil judiciaire international à leurs attentes profondes.

S’il est aujourd’hui encore impossible d’apporter une réponse claire à ces interrogations en raison de l’existence trop récente des juridictions, il convient tout de même d’analyser la problématique en identifiant d’abord les besoins des victimes, puis en prenant connaissance des résultats observés à partir des expériences acquises jusqu’à aujourd’hui.

1. Les besoins identifiables des victimes de graves crimes internationaux

Xavier Pin, maître de conférences à la Faculté de droit de Grenoble, classe les victimes en deux catégories : les victimes indignées, qui recherchent la justice et passent par les voies judiciaires à ces fins ; puis, les victimes résignées, qui elles, ne souhaitent pas ester en justice. Mais quelle que soit la classification dans laquelle celles-ci se rangent, il constate avant tout que les victimes, plus qu’une réparation matérielle, « ont toujours réclamé une réparation symbolique ou morale ». Les réparations accordées sous forme d’indemnisation figurent évidemment parmi les besoins identifiables chez les victimes de crimes graves internationaux ; cependant, le terme de « réparation » s’entend ici davantage dans son sens premier. L’obligation de réparer qui incombe au droit ne se situe donc plus au niveau du préjudice de la victime mais bien de cette dernière[56]. Certains considèrent même que le statut de victime, de par la « concurrence » qu’il inspire à ceux qui s’en réclament, est devenu un bien[57]. C’est pourquoi on peut observer que le droit des victimes, de façon générale, « irrigue désormais l’ensemble des phases du procès pénal et dépasse même le temps du procès pour s’exprimer au stade de l’application des peines »[58]. Les besoins des victimes identifiés par les victimologues et les juristes ont ainsi opéré un véritable « glissement de terrain » du droit vers une plus grande prise en considération des victimes.

a. Un combat individuel…

Mais l’intégration progressive des victimes au sein de la procédure pénale signifie nécessairement que celles-ci vont en attendre davantage. Ces attentes ont été identifiées au nombre de cinq par le docteur Heather Strang, de l’Institut de criminologie de l’Université de Cambridge. Les victimes souhaitent faire entendre leur voix, participer au traitement de leur affaire, être traitées avec respect et justice, obtenir des informations sur le déroulement et le résultat de l’affaire, et obtenir une réparation matérielle et émotionnelle[59].

Pour Robert Cario, ces besoins sont regroupés dans un objectif, prioritaire selon lui, de la Cour pénale internationale, et qui est celui de la « restauration globale de la victime ». Celle-ci comprend plusieurs dimensions (juridique, symbolique, psychologique et sociale) dont la coordination pluridisciplinaire doit être prise au sérieux, sous la forme d’une stratégie, dans une structure telle que la CPI. Plus globalement, il s’agit pour ces personnes d’être acteurs de leur propre restauration, de se réapproprier leurs propres affaires[60]. Pour que la victime s’approprie réellement le combat qui est le sien, et se réapproprie ses affaires, sa vie, il apparaît essentiel pour elle d’être active dans le processus de reconnaissance de ses maux. La souffrance des victimes, dans la plupart des cas, mue de la douleur physique à la frustration extrême de ne pouvoir en témoigner aux yeux de la société. Et même lorsque l’occasion leur est donnée de faire part de leur expérience, la disproportion entre l’expérience vécue et les possibilités de récit agit comme une frustration supplémentaire[61]. Il s’agirait alors d’un travail personnel, presque individuel ; pourtant, cet effort ne peut être exercé par les victimes seules.

b. … Ne devant être mené individuellement

La plupart des auteurs s’accordent sur un besoin primordial de prise en charge et de soutien. Celui-ci s’avère même plus important encore en justice pénale internationale, notamment en raison du « niveau élevé de violence, de l’étendue des victimations et de la nature politique [des] crimes »[62]. Ceux-ci sont très souvent motivés par des motifs religieux ou ethniques, et les conséquences à cela s’observent plusieurs décennies durant, dans un contexte social difficile où les populations restent souvent opposées par les stigmates des conflits qui jadis les ont décimées. S’il n’est pas explicite parmi les attentes des victimes, le besoin d’un retour à la cohésion sociale de leur nation apparaît comme une nécessité absolue à leur réparation effective. La transmission de la victimation d’une génération à une autre constitue une menace au retour à la paix ; l’essentiel est pour elles de comprendre pour quelles raisons le groupement humain dont elles font partie a été violenté par un autre, et comment l’absurdité de ces attaques doit être laissée au pardon.

Les victimes, qui par leur entrée sur la scène de la justice pénale, doivent souvent être amenées à côtoyer leurs bourreaux et revivre leurs supplices au cours des témoignages, ne sauraient être abandonnées à leur propre sort devant des prérogatives qu’elles connaissent mal. Celles-ci se trouvent dans un état d’esprit fragile, mêlant les espoirs du procès aux craintes qui l’entourent, et leur accueil doit être assuré par des personnes professionnellement compétentes pour leur expliquer les potentialités réelles des démarches entreprises. Une grande part de la frustration exprimée par certaines victimes vis-à-vis de la justice provient avant tout d’attentes démesurées qu’il est nécessaire, pour le personnel de prise en charge, de tempérer par le biais d’un dialogue approfondi[63].

C’est ce dialogue qui permettra notamment aux victimes d’obtenir le respect et la dignité qu’elles souhaitent obtenir dans leurs démarches ; l’écoute et la considération constituent la base d’une reconnaissance de la souffrance qu’elles expriment.

Les besoins des victimes au cours des procès devant la justice pénale internationale sont donc très marqués par le caractère massif des violations à l’origine du préjudice subi par les victimes ; de même, la dimension internationale et souvent exogène de l’institution à laquelle celles-ci doivent confier leur sort ne fait qu’accentuer les craintes et la désorientation auxquelles elles doivent faire face. Le maître mot est donc ici « accompagnement ».

Cependant, certains auteurs se demandent aujourd’hui si la justice pénale internationale est à même de prodiguer, sous sa forme actuelle, les soins nécessaires à une réparation véritablement effective des victimes.

2. Le procès pénal international : un traitement erroné pour la victime ?

Les dernières décennies ont été marquées par les nombreuses revendications d’associations de victimes et d’organisations non gouvernementales pour la promotion des droits des victimes devant les juridictions pénales internationales. Après l’expérience douce-amère des juridictions ad hoc pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, ce combat a fini par aboutir à la consécration de la victime en tant que « quasi-partie civile » devant la Cour pénale internationale. Celles-ci bénéficient désormais d’une reconnaissance importante qui leur confère un droit statutaire à participer aux procès, à bénéficier d’une protection ainsi que d’une réparation du préjudice subi. Ce progrès fulgurant dans l’octroi de garanties qui entoure le sort des victimes est évidemment une bonne nouvelle, en ce que celles-ci ne doivent pas rester l’instrument de l’accusation, ou une statistique pour les historiens : leur reconnaissance à titre individuel est ce qu’elles désirent avant tout.

a. La dangereuse assimilation à la thérapie

Cependant, des doutes ont été mis en lumière par certains quant à la satisfaction effective ressentie par ceux et celles qui, pour répondre à leurs attentes de réparation personnelle, ont confié la lourde tâche aux juridictions pénales de les aider à reconquérir leur existence.

Tout d’abord, des observations ont été faites sur les résultats obtenus dans les rapports qu’entretiennent les victimes avec la justice. Si le combat pour « humaniser » les victimes dans l’échiquier de la justice pénale en général depuis plusieurs décennies est mené dans une intention qui se leur veut profitable, toutes les victimes n’expriment pas les mêmes attentes, et ne réagissent pas de la même façon face à la douleur. Ces différences peuvent s’expliquer notamment par la nature des préjudices subis. Ainsi, certaines ne cherchent pas nécessairement une implication dépassant le stade du simple partage de point de vue au cours de la procédure. Jean Michel Chaumont, à propos de certaines catégories de victimes souhaitant ne pas se voir attribuer de statut particulier en tant que telles, donne une vision assez sévère de ce mouvement global « d’aspiration » de toutes les victimes au sein de la catégorie éponyme : « une société dans laquelle pour certaines personnes l’unique porte de sortie d’un état victimaire […] est l’entrée dans un statut de victime jette un éclairage cruel sur la vulgate psychologique prétendant que la reconnaissance du statut de victime est la condition sine qua non de l’évolution des personnes traumatisées vers la reconquête de l’autonomie […] s’il y a autant de victimes aujourd’hui, c’est qu’elles sont littéralement suscitées, aspirées par une offre de statuts agrémentés de bénéfices symboliques ou matériels… »[64]. Ce « modèle » de traitement de la victimation par l’acquisition d’un état déterminé peut donc interférer avec les objectifs que certaines victimes se fixent pour surmonter leur traumatisme.

Il n’est pourtant pas question en ces propos de faire marche arrière. Les besoins identifiés précédemment, notamment par Robert Cario, expriment quelque chose de très réaliste : un traitement négligeant de la victime par la justice pénale contribuerait à une seconde victimation et un sentiment de frustration toujours plus fort. Le législateur européen l’a bien compris pour la rédaction de la directive du 25 octobre 2012, en déclarant dans son préambule que : « La criminalité est un dommage infligé à la société et une violation des droits individuels des victimes. À ce titre, les victimes de la criminalité devraient être reconnues et traitées avec respect, tact et professionnalisme, sans discrimination d’aucune sorte fondée sur des motifs tels que la race, la couleur, l’origine ethnique ou sociale, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, l’opinion politique ou autre, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, le handicap, le sexe, l’expression et l’identité du genre, l’orientation sexuelle, le statut de résident ou la santé ». Le fait est que pourtant, le système pénal n’a pas été conçu à l’origine pour assurer l’octroi de garanties aussi poussées. Selon Julian Fernandez, « la justice n’est nullement équivalente à une thérapie individuelle ou collective. Elle n’en a pas les moyens et ce n’est pas sa raison d’être »[65]. L’inadéquation existant potentiellement entre les attentes des victimes et ce qu’un tribunal peut leur offrir peut s’avérer plus grande encore si la justice leur est présentée comme « thérapie ».

b. L’inadéquation du modèle rétributif aux nouvelles garanties pour les victimes

Mina Rauschenbach et Damien Scalia font, quant à eux, état de l’existence d’un effet négatif de la procédure sur le ressentiment des victimes : celles qui sont passées par une procédure s’exprimeraient de façon davantage critique à cet égard que celles dont la plainte n’a pas abouti. Les victimes auraient-elles tendance à attraper le bras quand on leur tend la main ? Pas sûr ; tout dépend de quelle main on leur tend, puisque les mêmes auteurs affirment que le soutien social, obtenu dans l’entourage ou par le biais de personnes compétentes, offrent aux victimes un sentiment de satisfaction bien supérieur[66].

Le problème est ici identifié par Ezzat A. Fattah comme étant celui d’une justice traditionnellement tournée vers un aspect rétributif : « le but premier du droit pénal devrait être de restaurer la paix, guérir les blessures et réparer. Sa principale fonction devrait être de parvenir à une conciliation, non pas à une vengeance ; de régler des conflits humains, et non de les perpétuer ; et de rapprocher les parties opposées au lieu de les diviser »[67]. Le fait est qu’aujourd’hui, la justice pénale internationale est essentiellement axée sur la poursuite et le jugement de criminels de guerre, et les efforts des enquêteurs et des procureurs vont en majorité dans le sens d’une issue punitive pour les accusés. Ne parle-t-on pas de lutte contre l’impunité ?

Le Procureur peut être amené à aménager ses tâches en fonction des besoins des victimes, ce qui n’aide pas vraiment leurs intérêts à converger[68]. À côté de cela, on offre une plus grande marge de manœuvre aux victimes : il n’est pas étonnant de déceler certains décalages de visions entre les aspirations vindicatives de certains et la volonté de restaurer l’ordre chez les autres. Ce décalage peut également s’observer, indirectement, par le biais des statistiques concernant la proportion d’accusés qui plaident coupable devant la justice pénale internationale. Placés nez-à-nez avec leurs responsabilités, beaucoup réfutent aveuglement leur implication dans des crimes de masse, accentuant alors l’incompréhension dans laquelle leurs victimes se trouvent.

c. La nécessité de varier les réponses

Ces « échecs » de la justice pénale internationale dans le traitement du sort des victimes trouvent souvent leurs solutions dans les modes « alternatifs » de règlement des conflits. Ceux-ci privilégient notamment le dialogue et la restauration des liens sociaux. On le sait, la plupart des juridictions pénales internationales constituent pour les victimes un monde inconnu, dont les pratiques ne sont pas toujours adaptées aux réalités et particularismes socio-culturels auxquelles elles sont habituées. Leurs attentes étant souvent calquées sur une expérience ou une vision de la justice qui leur est propre, il peut arriver que les résultats obtenus à l’issue d’une procédure internationale ne provoquent pas la satisfaction qu’ils espéraient. Au Rwanda, la peine de mort avait été à l’origine exigée par le gouvernement comme condition à la création du Tribunal pénal international onusien chargé de juger le génocide de 1994. La peine capitale allant à l’encontre des principes revendiqués par les Nations Unies, le gouvernement rwandais s’est montré frileux au moment de la création de la juridiction. À cela s’ajoutent les inconvénients d’une justice hors-sol (le Tribunal pénal international pour le Rwanda siège à Arusha, en Tanzanie). Les tribunaux Gacaca, issus des traditions rwandaises de résolution des conflits, ont été à l’occasion modernisés afin de juger un certain nombre d’affaires qui devaient normalement être traitées par le TPIR, dans un souci de rapprochement culturel avec les populations. Si la nouvelle mouture de ces juridictions est sujette à débats quant à sa « rénovation », elle peut constituer une réponse mesurée aux inadaptations et lacunes dont souffre la justice pénale internationale de nos jours. C’est dans ce sens que la résolution n° 60/147 adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 2005 mentionne, dans son neuvième paragraphe, des modes de réparation du préjudice subi qui sortent du modèle rétributif classique ; notamment par des mesures tendant à la manifestation de la vérité (excuses publiques, commémorations), ainsi que l’ensemble des garanties de non-répétition qui proposent un encadrement et un accompagnement des normes, pouvoirs et autorités nationales dans un souci de les préserver des dérives du passé.

La directive européenne du 25 octobre 2012 prend acte de ces observations en définissant notamment la notion de justice réparatrice dans son article 2, en tant que « tout processus permettant à la victime et à l’auteur de l’infraction de participer activement, s’ils y consentent librement, à la solution des difficultés résultant de l’infraction pénale, avec l’aide d’un tiers indépendant ».

 

Conclusion

Les victimes ont, à travers la seconde moitié du Vingtième siècle, acquis un nouveau statut, et sont passées d’objets de droit à sujets de droit. Cependant, ce changement ne s’est pas fait immédiatement, ni uniformément.

Ainsi, les Tribunaux Militaires de Nuremberg et de Tokyo n’offraient aucune mesure progressiste vis-à-vis des victimes, qui n’étaient que de simples témoins pour l’accusation.

Les deux tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, malgré leur création postérieure à l’adoption de certains textes faisant la promotion de droits nouveaux, n’ont amorcé qu’une infime amélioration de la condition des victimes en accentuant les efforts réalisés pour leur protection et le respect de leur dignité.

Ce n’est qu’avec l’adoption en 1998 du Statut de Rome instituant la future Cour pénale internationale que le combat des associations de victimes et organisations aboutit enfin à une réalisation concrète. Le Statut de la Cour ainsi que son règlement mentionnent expressément les principes qui sous-tendent à la protection des victimes, leur participation aux procès ainsi qu’à leur droit de prétendre à une réparation du préjudice subi. La juridiction, bien que permanente, n’en reste pas moins récente et la mise en application de ces garanties reste soumise à une nécessité d’observer leur évolution au gré des pratiques.

Enfin, les tribunaux pénaux « internationalisés » comportent de façon variable plusieurs ou parfois toutes les prérogatives susmentionnées, sans qu’il soit réellement possible d’en apprécier l’homogénéité. On peut toutefois retenir une primauté accordée aux mesures de protection de la victime.

En définitive, les victimes sont entrées de plain-pied sur la scène de la justice pénale internationale depuis deux décennies. Leurs premiers pas sont encourageants, mais l’équilibre reste fragile : seul l’avenir et la pratique permettront de confirmer réellement leur prise en main de ce nouveau statut de sujet de droit.

Les doutes sont aujourd’hui encore permis, tant les enjeux psychologiques et personnels sont importants. La justice pénale internationale a-t-elle réellement le pouvoir de guérir des blessures aussi profondes ? Les droits des victimes doivent-ils passer avant ceux des accusés ?

Si de nombreux auteurs s’interrogent aujourd’hui sur l’adéquation avec les attentes des victimes de la justice pénale au sens général, et plus particulièrement au niveau international, il est encore trop tôt pour avoir des réponses claires. Toutefois, il est déjà possible d’entrevoir des obstacles concrets à une satisfaction totale de ces attentes devant les juridictions pénales internationales. Tout d’abord, la victime n’est pas seule partie au procès, et l’accusé, malgré la nature des crimes jugés dans ce type d’espèces, conserve des droits qui s’imposent à l’accusation. D’autre part, les caprices géopolitiques qui animent les États participant à cette justice n’offrent souvent que peu de latitude aux organes chargés de mettre en œuvre les garanties auxquelles ils s’étaient pourtant engagés. Enfin, il apparaît aujourd’hui nécessaire de ne pas confier l’intégralité du travail de réparation aux seules juridictions, et de développer des mécanismes périphériques permettant d’assurer le suivi et le soutien des victimes de façon extrajudiciaire.


[1] Julian Fernandez, Variations sur la victime et la justice pénale internationale, in AMNIS, Revue de civilisation contemporaine Europes/Amériques – 6 | 2006 – La guerre et ses victimes, p. 5.

[2] Robert Cario, « Les droits des victimes devant la Cour pénale internationale », A.J. Pénal, 2007-6, pp. 261-26 ; d’après V.D. El Kenz (dir.), Le massacre, objet d’histoire, Ed. Gallimard, Folio Histoire, 2005, p.9 et s. ; J. Sémelin, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Le Seuil, coll. « La couleur des idées », 2005, p. 491 ; M. Osiel, Juger les crimes de masse : la mémoire collective et le droit, Le Seuil, coll. « La couleur des idées », 1997/2006, p. 456 ; M.C. Bassiouni, « Reconnaissance internationale des droits des victimes », in G. Doucet (dir.), Terrorisme, victimes et responsabilité pénale internationale, Ed. Calmann-Lévy, 2003, p. 136.

[3] Gustave Moynier, cofondateur et président du Comité International de la Croix Rouge entre 1964 et 1910, avait en effet soumis, en 1872, l’idée d’un tribunal destiné à juger les graves violations du droit international humanitaire. Par la suite, de nombreuses tentatives ont été faites ou envisagées, toujours sans succès du fait d’un contexte international instable (notamment pendant la Guerre froide).

[4] Mina Rauschenbach et Damien Scalia, « Victims and International criminal justice: a vexed question? », sous la direction de Christian-Nils Robert, Université de Genève, International Review of the Red Cross, vol. 90, n° 870.

[5] Julian Fernandez, op. cit., p. 5.

[6] Robert Cario, op. cit., p. 3.

[7] Organisation des Nations Unies, préambule de la résolution 40/34 du 29 novembre 1985.

[8] Organisation des Nations Unies, Annexe de la résolution 40/34 du 29 novembre 1985, points A et B.

[9] Décision-cadre 2001/220/JAI.

[10] Directive 2012/29/UE du Parlement Européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil.

[11] Article 1er de la directive.

[12] Robert Cario, op. cit., p. 5.

[13] Jeanne Sulzer, « Le statut des victimes devant la justice pénale internationale émergente », Archives de politique criminelle, 2006/1, n° 28, p. 30.

[14] R. Maison, La place de la victime, in H. Ascensio, E. Decaux et A. Pellet, Droit international pénal, pp. 779-784 ; voir aussi Frédéric Mégret, Recueil des recherches sur les victimes d’actes criminels, n° 5, Ministère de la justice du Canada, 18 mai 2012 ; Julian Fernandez, op. cit. p. 5 et 6 ; Carsten Stahn, Hector Olasolo, Kate Gibson, « Participation of Victims in the Pre-Trial Proceedings of the ICC », Journal of International Criminal Justice, vol. 3, 2005.

[15] Mina Rauschenbach, Damien Scalia, op. cit., p. 9.

[16] FIDH, Les droits des victimes devant la CPI, Chapitre 1 : L’évolution de l’accès des victimes à la justice, p. 26, d’après Zappala S., Human Rights in International Criminal Proceedings, 2003, Oxford University Press, p. 222.

[17] Luc Walleyn, « Victimes et témoins de crimes internationaux : du droit à une protection au droit à la parole », RICR, mars 2002, vol. 84, n° 845, p. 59.

[18] Jeanne Sulzer, op.cit., p. 30.

[19] Luc Walleyn, op. cit., pp. 59-62.

[20] Article 23 (3) du Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda, article 105 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

[21] Frédéric Mégret, op. cit., p. 1.

[22] Fédération Internationale des Droits de l’Homme, op. cit., p. 28.

[23] Patricia M. Wald, “Dealing with Witnesses in War Crime Trials: lessons from the Yugoslav tribunal”, Note from the field, Yale Human Rights and Development Law Journal, vol. 5, 2002, p. 221 : “Even at the present level, the VWS is understaffed and depends in part on donations from individual countries and the European Commission”.

[24] Statut du TPIR, article 21 ; Statut du TPIY, article 22.

[25] Cour pénale internationale, décision ICC-01/04-101 du 17 janvier 2006, §78.

[26] Le principe ne bis in idem (littéralement « pas deux fois pour la même chose ») est un principe ancien de procédure pénale largement reconnu dans le monde, et selon lequel une personne ne peut être jugée ou poursuivi à plusieurs reprises pour un fait déjà jugé définitivement.

[27] Cour pénale internationale, décision ICC-01/04-101 du 17 janvier 2006, §94.

[28] Cour pénale internationale, décision ICC-01/04-101 du 17 janvier 2006, §59 et §63.

[29] Ibid, §65.

[30] Julian Fernandez, op. cit., p. 7.

[31] Règlement de procédure et de preuve de la Cour pénale internationale, règle n° 88, alinéa 3, -c), -e).

[32] Règlement de procédure et de preuve de la Cour pénale internationale, règle n° 88, alinéa 3, -d).

[33] Robert Cario, op. cit., p. 9.

[34] Statut de la Cour pénale internationale, article 68, alinéa 4.

[35] FIDH, Les droits des victimes devant la CPI, Chapitre VII : Réparation et le Fonds au profit des victimes, p. 22.

[36] Cour pénale internationale, décision ICC-01/04-01/06, 7 août 2012.

[37] Le 13 août 2012, la défense de Thomas Lubanga a formulé une demande d’autorisation pour faire appel de la décision du 7 août, autorisation qui fut accordée pour quatre des huit moyens invoqués le 29 août suivant. Le Bureau du Conseil Public pour les Victimes a également fait appel de cette décision le 24 août, de même que le représentant légal des victimes dans l’affaire le 3 septembre 2012.

[38] Cour pénale internationale, décision n° ICC/01/04-01/06 A 2 A3 OA 21 sur l’admissibilité des appels contre la décision établissant les principes et procédures à appliquer aux réparations, 14 décembre 2012.

[39] Photini Pazartzis, « Tribunaux pénaux internationalisés : une nouvelle approche de la justice pénale (inter)nationale ? », in Annuaire français de droit international, XLIX – 2003, volume 49, CNRS Editions, Paris, p. 642.

[40] Guerres et Histoire, juin 2012, n° 7, p. 18.

[41] FIDH, Les droits des victimes devant la CPI, Chapitre I : L’évolution de l’accès des victimes à la justice, p. 33, d’après le Règlement ATNUTO n° 20001/25 du 14 septembre 2001.

[42] Présentation du Programme d’étude sur le génocide cambodgien, Université de Yale, http://www.yale.edu/cgp/francais/index.html

[43] FIDH, Les droits des victimes devant la CPI, Chapitre I : L’évolution de l’accès des victimes à la justice, p. 32, d’après le rapport FIDH, L’adaptation du droit cambodgien au statut de la Cour pénale internationale, mars 2006, n° 443/2.

[44] FIDH, 5 décembre 2012, Les droits des victimes devant les CETC : Bilan en demi-teinte pour les parties civiles.

[45] Laurence Sinopoli, Les droits de la défense, in H. Ascensio, E. Decaux et A. Pellet, Droit international pénal, Paris, Pédone, 2000, pp. 791-805 ; cité par Gregory Berkovicz, op. cit., p. 102.

[46] Arrêts Szwabowicz c/ Suède du 30 juin 1959, Stuppat c/ RFA en 1968, Delcourt c/ Belgique du 17 janvier 1970.

[47] Article 21 du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, article 20 du Tribunal pénal international pour le Rwanda.

[48] Article 67.1,-e) du Statut de la Cour pénale internationale.

[49] TPIY, IT-94-1-T, Le Procureur contre Duško Tadić, Opinion séparée du Juge Stephen sur la décision relative à la requête de l’accusation aux fins de production de dépositions de témoins, 27 novembre 1996.

[50] Philippe Currat, La défense devant les juridictions pénales internationales : quelques notes, propos recueillis au cours du Séminaire de l’UIA à Biarritz du 10 au 12 septembre 2009.

[51] Voir supra, p. 19.

[52] L’ensemble des propos des praticiens concernant les réticences des États à coopérer davantage en matière de réparation des victimes ont été recueillis et traduits de l’anglais pour cette sous-partie à partir de l’article Making reparations work in Congo, Institute for War & Peace Reporting (IWPR), par Blake Evans-Pritchard et Mélanie Gouby, 10 octobre 2012.

[53] Le Procureur de la CPI ainsi que différentes ONGs multiplient régulièrement les appels à une plus grande coopération des États parties. Notamment, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme en France a récemment publié des recommandations à l’attention de l’État français (http://www.cncdh.fr/IMG/pdf/Avis-CPI-23-10-2012.pdf), et Fatou Bensouda a rappelé les États à leurs obligations le 6 octobre 2012 à l’occasion d’une conférence à Nuremberg. Alors que s’ouvrait le mercredi 14 novembre suivant à La Haye (Pays-Bas) la onzième assemblée des États Parties au Statut de Rome instaurant la Cour pénale internationale (CPI), plusieurs ONGs ont émis des recommandations, adressées directement aux États : Human Rights Watch (HWR) souhaiterait une coopération accrue des États, notamment pour l’exécution des mandats d’arrêt, la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH) craint quant à elle que des coupes budgétaires n’affectent le sort des victimes et l’indépendance de la Cour. La Coalition pour la CPI a répertorié ces doléances émanant d’entités dont il faut rappeler qu’elles ont joué un rôle majeur dans la création de la Cour.

[54] Rapport de l’ONG REDRESS, The participation of Victims in International Criminal Court Proceedings, A review of the practice and consideration of options for the future, Octobre 2012, pp. 6-7 : http://www.redress.org/downloads/publications/121030participation_report.pdf.

[55] “Victims need more from International Criminal Court investigation in Côte d’Ivoire”, The Huffington Post, 17 octobre 2012.

[56] Xavier Pin, « Les victimes d’infractions – Définitions et enjeux », Archives de politique criminelle, n° 28, 2006/1, pp. 49-72.

[57] Jean-Michel Chaumont, « Celles qui ne voulaient plus être des victimes », Revue d’histoire Suisse, 2007, vol. 57, n° 1, p. 2.

[58] Xavier Pin, op. cit., p. 53.

[59] Traduit de l’anglais dans l’article de Mina Rauschenbach et Damien Scalia, op. cit., d’après Heather Strang, Repair and Revenge: Victims and Restorative Justice, Oxford, Oxford University Press, 2002.

[60] Robert Cario, op. cit., p. 12.

[61] Julian Fernandez, op. cit., p. 3.

[62] Mina Rauschenbach et Damien Scalia, op. cit.

[63] Robert Cario, explique notamment que « ce sont précisément les victimes qui n’ont pas pu, pour diverses raisons, bénéficier d’une telle stratégie de prise en charge – précoce, globale et évolutive – qui « s’accrochent » à la peine et revendiquent des quantum et des conditions d’exécution à la hauteur de leurs souffrances exacerbées », op. cit., p. 3.

[64] Jean-Michel Chaumont, op. cit., p. 12.

[65] Julian Fernandez, op. cit., p. 4.

[66] Mina Rauschenbach et Damien Scalia, op. cit., p. 4.

[67] Ezzat A. Fattah, traduit de l’anglais dans une citation de l’article de Martin Wright, The paradigm of Restorative Justice, Victim Offender Mediation Association (VOMA), Research and Practice, 2002.

[68] Julian Fernandez, op. cit., p. 7, note n° 38 à propos de la délicate obligation du Procureur de faire des compromis dans la diligence de ses enquêtes en fonction du nombre de victimes et de la teneur de leurs demandes.

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