Virginie Saint-James et Emeline Broussard, Compte-rendu de la Journée d’études « Les nouveaux fondements du recours à la force : éthiques, juridiques et stratégiques »
Compte-rendu de la Journée d’études du 6 avril 2016, CECOJI-UP
Les nouveaux fondements du recours à la force : éthiques, juridiques et stratégiques
Faculté de Droit et des Sciences sociales de Poitiers
Virginie Saint-James, Maître de conférence HDR en droit public, IiRCO-OMIJ, Université de Limoges
Emeline Broussard, Doctorante en droit public, IiRCO-OMIJ, Université de Limoges
La demi-journée d’études qui s’est tenue ce 6 avril à Poitiers était originale à deux titres. D’abords parce qu’elle était le fruit d’échanges antérieurs entre les participants sur les réseaux sociaux, débouchant sur une forte envie de débats juridiques. Ensuite, parce que le format en trois tables rondes successives a permis justement de conserver la vivacité des points de vue sans sacrifier la qualité de l’argumentation juridique.
Les organisateurs sont partis de l’idée selon laquelle :
« La montée en puissance de l’organisation de l’État islamique (DAECH) et l’intervention militaire de la France en Syrie au nom de la légitime défense collective, avant même les attentats du 13 novembre, ont relancé le débat sur la pertinence des règles et principes de sécurité collective hérités de la Seconde Guerre mondiale et inscrits dans la Charte des Nations Unies. Ceux-ci ne semblent plus nécessairement adaptés aux nouvelles menaces. »
Le propos a été consacré successivement à trois notions : la légitime défense en droit international, la responsabilité de protéger et le « terrorisme de guerre ».
Faut-il repenser la légitime défense en droit international ?
Sous la présidence de Régis BISMUTH , Professeur à l’Université de Poitiers
Rapport introductif : Aurélie TARDIEU, Maître de conférences à l’Université de Caen
avec :
Olivier CORTEN, Professeur à l’Université libre de Bruxelles
François DUBUISSON, Professeur à l’Université libre de Bruxelles
Julian FERNANDEZ, Professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas
Jean-Baptiste JEANGENE-VILMER, Maître de conférences associé à Sciences-Po Paris et Chargé de mission « Affaires transversales et sécurité » au Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie (CAPS) du ministère des Affaires étrangères
Anne LAGERWALL, Professeur à l’Université libre de Bruxelles
La légitime défense en droit international, sans doute la notion la plus « classique », a été mise sur la sellette. Il a été rappelé qu’elle est essentiellement visée aujourd’hui par l’article 51 de la Charte des Nation Unies et que son emploi a été précisé par la jurisprudence, notamment quant à son application exclusivement interétatique ; ce qui pose évidemment un problème face à des groupes tels que DAECH. De même, des questionnements se sont fait jour en ce qui concerne les conditions coutumières de mise en œuvre de la légitime défense, que sont les impératifs de nécessité et de proportionnalité.
Selon les orateurs, il existe trois conceptions différentes issues de la pratique de certains États et permettant d’envisager de manière nouvelle le concept. À la lumière du cas syrien, une première conception reposerait sur l’idée qu’une intervention est possible sur le territoire d’un État qui ne veut ou ne peut juguler des menaces (théorie résumée par l’expression « unwilling or unable »), une deuxième idée serait encore plus large et reprendrait pour fondement la légitime défense collective contre un groupe armé non étatique et la troisième reposerait sur l’idée que le peuple syrien est victime de son propre gouvernement et doit recevoir de l’aide.
Aucune de ces propositions n’a véritablement semblé convaincre les orateurs, qui insistent dans l’ensemble sur la force de l’impératif du consentement de l’État en matière d’intervention sur son territoire, mais aussi sur la difficulté de percevoir une évolution du droit dès lors que ces pratiques restent minoritaires ; cette absence de consensus constituant un obstacle particulier face à une norme qui relève du jus cogens.
Peut-on encore invoquer la notion de responsabilité de protéger ?
Sous la présidence de Anne-Thida NORODOM, Professeur à l’Université de Rouen
Rapport introductif : Nabil HAJJAMI, Maître de conférences à l’Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense
avec :
Olivier CORTEN, Professeur à l’Université libre de Bruxelles
François DUBUISSON, Professeur à l’Université libre de Bruxelles
Nicolas HAUPAIS, Professeur à l’Université d’Orléans
Jean-Vincent HOLEINDRE, Professeur à l’Université de Poitiers
Jean-Baptiste JEANGENE-VILMER, Maître de conférences associé à Sciences Po Paris et Chargé de Mission « Affaires transversales et sécurité » au Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie (CAPS) du ministère des Affaires étrangères
Anne LAGERWALL, Professeur à l’Université libre de Bruxelles
La notion de responsabilité protéger, établie en 2001 et introduite dans le droit onusien en 2005, peut sembler plus récente. Toutefois, le consensus qui l’a entourée semble avoir été affecté par des dérives qui auraient eu lieu à l’occasion de son application à la Lybie par la résolution 1973 du Conseil de Sécurité. La question a essentiellement tourné autour du discrédit éventuel dont a fait l’objet cette notion, alors qu’elle a été mentionnée 40 fois depuis 2011. Les orateurs ont dans l’ensemble douté de son application possible face aux exactions commises par DAECH sur le sol syrien. De plus, une partie de la doctrine considère que la notion n’est pas aussi novatrice qu’on le prétend parfois, car elle ne fait qu’entériner l’interprétation large que le Conseil de Sécurité peut faire, depuis les années 1990, de la notion de « menace contre la paix ». Il est même possible de considérer qu’elle restreint les possibilités d’intervention aux hypothèses de commissions des crimes internationaux, réduisant ainsi les possibilités d’utiliser le Chapitre VII.
Quel droit appliquer au « terrorisme de guerre » ?
Sous la présidence de Bérangère TAXIL, Professeur à l’Université d’Angers
Rapport introductif : Catherine MAÏA, Professeur à l’Université Lusophone de Porto
avec :
Olivier CORTEN, Professeur à l’Université libre de Bruxelles
François DUBUISSON, Professeur à l’Université libre de Bruxelles
Anne LAGERWALL, Professeur à l’Université libre de Bruxelles
Philippe LAGRANGE, Professeur à l’Université de Poitiers
Raphaël Van STEENBERGHE, Professeur à l’Université catholique de Louvain
La notion de terrorisme de guerre n’est pas à proprement parler un concept de droit international. Le terme a été utilisé essentiellement par le Président F. Hollande dans son discours devant le Congrès après les attentats du 13 novembre 2015.
Le but de cette expression avait vocation à placer l’action internationale de la France dans le cadre des conflits armés, mais surtout d’agir sur les pouvoirs de crise en droit interne. La Président relevait en effet que l’article 16 et l’article 36 de notre actuelle constitution ne s’avéraient pas adaptés. La question de l’évolution des droits internes face au terrorisme semble ne pas se limiter à la France ainsi qu’en témoigne l’exemple de la Belgique.
En définitive, cette notion laisse apparaître un double constat. D’abord, elle ne semble finalement exister que pour justifier les dérogations aux législations existantes, ce qui est préoccupant en démocratie. Ensuite, elle devrait essentiellement relever du champ pénal, mais on s’aperçoit qu’elle mobilise bien des aspects du droit, or cette parcellisation qui accompagne l’idée d’exceptionnalité est aussi un sujet de préoccupation.
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