L’ACQUITTEMENT POUR INSUFFISANCE DES MOYENS À CHARGE DANS LE CONTEXTE DE LA JUSTICE PÉNALE INTERNATIONALE
L’ACQUITTEMENT POUR INSUFFISANCE DES MOYENS À CHARGE DANS LE CONTEXTE DE LA JUSTICE PÉNALE INTERNATIONALE.
RÉFLEXIONS DE DROIT COMPARÉ
Caterina Zomer, chercheuse associée à l’IiRCO
INTRODUCTION
Début septembre 2017, la Chambre des Appels de la Cour Pénale Internationale a rendu son jugement sur l’appel présenté par la Défense de M. Ntaganda contre la décision de la Chambre VI, lui ayant refusé l’autorisation d’avoir recours à la procédure dite de « no case to answer ». Il s’agit d’un mécanisme procédural typique de la common law, qui permet d’acquitter l’accusé à un stade intermédiaire de la phase du jugement, dès lors que les preuves à charge ne paraissent pas susceptibles de soutenir une condamnation. Profondément enracinée dans la tradition accusatoire, et notamment dans le modèle du procès par jury, cette procédure n’est pas prévue par les instruments normatifs de la Cour pénale internationale, contrairement à ce qui en fut pour les juridictions ad hoc. L’absence d’une prévision explicite dans les sources normatives de la Cour n’est pas la seule circonstance qui rendait la tâche de la Chambre des Appels tout autre qu’anodine. La question soulevée par la Défense de M. Ntaganda portait en effet sur l’application de l’un des précédents peut-être parmi les plus inconfortables de la jurisprudence de la jeune juridiction : il s’agissait, pour elle, de se prononcer sur la compatibilité avec le cadre juridique de la Cour de la même procédure ayant été à la base de l’abandon des charges en l’affaire Ruto et Sang.
Rift Valley, Kenya, 2007. Au lendemain des élections, une vague de violences se déclenche, qui bouleverse la région en causant la mort de plus de 1000 personnes et le déplacement de plus de 350000 autres. Suite à l’initiative motu proprio du Procureur, la Chambre Préliminaire II autorise, en mars 2003, l’ouverture d’une enquête, qui conduit à la poursuite de William Samoi Ruto, vice-président de la République du Kenya, Joshua Arap Sang, journaliste et activiste politique, et Henry Kiprono Kosgey, important leader politique, pour crimes contre l’humanité. Les charges sont confirmées en janvier 2012 pour Ruto et Sang, dont le jugement s’ouvre le 10 septembre 2010 dans un contexte difficile. Les relations entre l’ONU et les Pays de l’Union Africaine n’ont jamais été aussi tendues, alors que les initiatives se multiplient, au Kenya, de la part des protagonistes de la vie économique et politique du pays, au soutien d’une campagne de presse particulièrement virulente aux égards de l’action ainsi entamée, et plus généralement du système de la justice internationale[1]. À plusieurs reprises, le Procureur de la CPI signale les difficultés auxquelles ses investigations se heurtent, le danger que des pressions indues soient exercées sur les témoins, la présence d’un climat créé à dessin qui décourage de mille manières la collaboration de la société civile avec les organes de la Cour, avilie les victimes, entrave la reconstruction des faits. Entre septembre 2010 et septembre 2013, le Procureur arrive, bien ou mal, à prôner sa cause. En vain. Le 12 février 2016, la Chambre des Appels, saisie sur initiative de la Défense des deux accusés, annule la décision par laquelle la Chambre de première instance V(A) avait admis des preuves cruciales pour le succès des poursuites. Privée de ses témoins-clé, la thèse accusatoire s’écroule. Lacunes, mensonges, réticences, contradictions : du réseau par lequel les deux accusés auraient dirigé les attaques visant à expulser l’ethnie rivale de la Rift Valley ne reste plus que la mémoire douloureuse des victimes, et une théorie délabrée, face à laquelle la justice reste impuissante.
L’impact politique de l’affaire Ruto et Sang n’est que la conséquence la plus visible, et la plus débattue, de cet épilogue amère[2]. Une autre, plus insidieuse, risque d’affaiblir davantage la crédibilité de la CPI, la « normalisation » de la procédure dite de « no case to answer » devant la Cour pouvant avoir des conséquences imprévisibles. Étrangère à la tradition continentale, et chargée de l’héritage inconfortable que l’expérience des juridictions ad hoc lui a légué, elle peut raviver les tensions entre les deux âmes du Statut, et rendre plus précaire encore l’équilibre entre les deux modèles processuels dont il se voudrait le fruit. La Chambre des Appels s’est orientée dans le sens de l’admissibilité de cette procédure. Sans vouloir contester ses conclusions, des réflexions peuvent être entamées, sur la leçon à tirer de l’affaire Ruto et Sang, et des questions que la décision de la Chambre V (A) a permis à la Défense de soulever en l’affaire Ntaganda : toute solution dans l’abstrait compatible avec un cadre juridique culturellement hybride n’est pas forcément la plus cohérente avec les buts qu’il poursuit ; il y en a qui, extrêmement connotées par l’environnement d’origine (I), ne sauraient y être intégrées qu’aux prix d’une perte sèche pour l’efficacité d’ensemble du système (II).
I.- LA PROCÉDURE DITE DE NO CASE TO ANSWER » DANS LES SYSTÈMES DE COMMON LAW
« No case to answer » est la formule par laquelle les juristes de common law définissent, en langage courant, la parenthèse procédurale ouverte par les requêtes, que la défense est admise à présenter au cours du jugement, allant sous le label technique de « motions for judgment of acquittal » ou « motions for directed verdict »[3]. Elles visent, avant que la procédure ne soit arrivée au stade de la délibération finale, à obtenir l’acquittement de l’accusé dont l’innocence peut déjà se dire établie, en l’absence d’éléments à charge assez solides pour justifier une condamnation. Il s’agit d’un mécanisme tout à fait inconnu de la tradition continentale, à laquelle manquent jusqu’aux mots pour le dire. Littéralement, « no case to answer » signifie qu’il n’y a pas, ou plus, lieu de répondre. Et, en effet, « acquittement pour insuffisance des moyens à charge, la défense n’ayant pas lieu de répondre » correspond à la traduction que le « no case to answer » a reçue, dans la version française de certains des arrêts rendus par les tribunaux ad hoc en la matière[4]. Elle ne rend que partiellement l’idée de ce que les « no case to answer motions » représentent, dans l’économie d’ensemble de la procédure anglo-américaine : le régime auquel elles sont soumises (A) ne peut être expliqué qu’à la lumière du modèle processuel auquel elles appartiennent (B).
A.- LE RÉGIME DES NO CASE TO ANSWER MOTIONS
La procédure d’acquittement pour insuffisance des moyens à charge a été efficacement décrite comme une contingence procédurale permettant au juge de se prononcer sur les preuves à charge à un stade intermédiaire des débats, en vue de déterminer s’il en existe qui, si elles étaient acceptées, pourraient soutenir une condamnation[5]. Si un juriste continental cherchait un engrenage analogue dans le cadre de son propre système, il pourrait peut-être songer à l’examen que les juges intervenant à la fin de la phase préparatoire conduisent sur les éléments avancés à l’appui d’une requête de renvoi en jugement. Mais force serait pour lui de constater que les deux situations ne sont pas, en réalité, véritablement comparables : le « jugdment of acquittal » n’est pas prononcé avant la phase du jugement, comme il le pourrait une ordonnance de non-lieu, mais au beau milieu des débats, sur la base de preuves qui ne sont guère celles que les parties ont recueillies pendant la phase préparatoire, et par une décision qui aura, formellement, la même vocation à devenir définitive qu’aurait un acquittement prononcé au stade final de la procédure. Après ce constat, notre juriste songeur se demanderait fort légitimement pourquoi il y aurait besoin d’acquitter, sans attendre la fin du procès, un accusé aux égards duquel un juge avait déjà établi qu’il y a matière pour instaurer les débats. La réponse doit être recherchée dans l’esprit à la fois protecteur et pragmatique de la justice pénale de common law : on ne saurait contraindre un accusé à se défendre d’accusations dont la discussion a mis en relief la fragilité, plus que l’on ne saurait engager du temps et des ressources dans l’examen d’affaires insusceptibles de déboucher sur une condamnation[6]. La procédure dite de « no case to answer » permet donc, dans la perspective de common law, de sauvegarder le principe de la présomption d’innocence[7], au même temps qu’elle assure l’économie des moyens procéduraux[8]. Et si le juriste continental peut bien voir ces buts, sans pour autant reconnaître la voie que ses collègues de common law empruntent pour les poursuivre, c’est qu’elle passe par des sentiers que la sensibilité de civil law peine à suivre. Particulière pour la procédure qu’elle déclenche (1), la « no case to answer motion » l’est davantage pour les critères auxquels doit répondre la définition de la question qu’elle soulève (2).
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LA PROCÉDURE
Quoi que développée à l’origine dans le cadre des procès par jury, la procédure dite de « no case to answer » s’applique aussi, en common law, dans le cadre de la summary jurisdiction, là où le juge professionnel préside et définit, seul, la cause[9]. La présence du jury a, comme on le verra d’ici peu, d’importantes implications pour l’application des règles qui dictent au juge la manière dont il doit envisager la preuve à ce stade ; son absence n’en a aucune, en revanche, pour l’application des règles qui en gouvernent le déroulement. Cela est dû essentiellement à l’uniformité, dans les deux contextes, du schéma procédural selon lequel les débats de common law s’organisent[10]. Trois aspects essentiels peuvent être considérés : le stade du jugement auquel les « no case to answer motions » peuvent être présentées ; les effets que la décision du juge peut avoir sur la suite de la procédure ; enfin, les voies de recours qui s’ouvrent à la Défense pour en attaquer le rejet.
Dans les procédures sur indictement, les débats s’ouvrent après qu’une audience préliminaire à été tenue, censée permettre au juge de trancher sur les requêtes probatoires des parties, et donc sur la recevabilité des preuves qu’elles se proposent de produire. Il s’agit d’une phase qui vise à préparer l’instruction probatoire à laquelle on procédera lors des débats, en assurant une première sélection des éléments probatoires sur la base desquelles les parties fondent leur allégations. Dans le cadre des procédures sur indictment, ces audiences ont un caractère contradictoire, mais se tiennent sans la participation du jury, les questions touchant à la recevabilité des preuves relevant de la compétence exclusive du juge. Après la déclaration d’ouverture des débats, et les propos introductifs par lesquels les parties exposent leur thèses et indiquent les moyens de preuve sur lesquels elles entendent se fonder (« opening statements »)[11], la procédure se poursuit avec l’audition des témoins appelés par le Procureur, et ensuite, une fois la présentation des moyens à charge terminée, par l’audition des témoins appelés par la Défense. Qu’ils déposent à charge ou à décharge, les témoins sont toujours entendus selon les mêmes règles : la partie qui a appelé le témoin au soutien de sa thèse l’interroge la première (« examination-in-chief »), l’adversaire étant admis ensuite à le questionner à son tour (« cross-examination ») ; le dernier mot appartient à la partie qui a cité le témoin (« re-examination »), l’adversaire pouvant, exceptionnellement, répliquer (« re-cross-examination). À des conditions exceptionnelles, le Procureur peut être admis à produire des témoins ultérieurs, là où des questions imprévisibles soulevées pendant la présentation des témoins à décharge le justifie (« evidence in rebuttal ») ; en ce cas, et aux mêmes conditions, la Défense peut être admise à produire des témoins en réplique (« evidence in rejoinder ») [12]. Le juge surveille le déroulement des interrogatoires, en assurant qu’ils se développent de façon loyale et dans le respect de l’égalité des armes. Une fois l’examen des témoins terminé, les parties sont admises à leurs réquisitoires et plaidoiries conclusives[13]. Lorsque l’affaire relève de la compétence du jury, une procédure particulière est suivie à ce stade, censée permettre au juge de résumer les éléments essentiels de l’instruction probatoire à laquelle les jurés viennent d’assister (« summing-up »)[14] : il leur indiquera les passages fondamentaux des arguments des parties, le contenu des preuves produites et discutées, les critères sur la base desquelles ils sont censés en apprécier la valeur. Après quoi, le jury se retirera pour la délibération.
La procédure dite de « no case to answer » peut variablement s’insérer dans le cours du procès. La doctrine de common law distingue en effet, entre « half-time motions » et « full-time motions »[15]. Les premières sont celles que la Défense est admise à soumettre à la fin de la présentation des moyens à charge ; c’est sur celles-ci que notre analyse va plus particulièrement se concentrer, car ce sont les seules connues aussi par la justice pénale internationale. Mais, pour être complet, il convient d’indiquer que la common law admet aussi les « full-time motions », que la Défense peut présenter à la fin de l’instruction probatoire considérée dans son ensemble, y compris, donc, la discussion des moyens à décharge. Le régime auquel les « full-time motions » sont soumises varie d’un système à l’autre, selon l’ampleur avec laquelle la Défense est légitime à soulever la question de la suffisance des moyens à charge (avant que le jury ne se retire pour délibérer, voire après qu’il a rendu son verdict)[16]. C’est le cas, par exemple, de la procédure américaine, où la possibilité est aussi reconnue que le juge saisi d’une « half-time motion » réserve sa décision pour un stade ultérieur de la procédure. Il faut pourtant remarquer que, en ces cas, la base probatoire de la décision sera toujours constituée par l’ensemble des preuves administrées au moment où la requête fut présentée[17]. Il se peut qu’il arrive au lecteur, au cours de ces réflexions, de songer aussi à cette deuxième forme de « no case to answer motion » : il lui faudra alors garder à l’esprit que, même là où le juge se prononce après l’achèvement de l’instruction probatoire, sa décision demeure juridiquement distincte de la décision sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, et c’est pour cette raison qu’elle peut répondre à la même logique qui inspire la décision sur les requêtes présentées au stade intermédiaire des débats.
En prenant celles-ci pour modèle, et en considérant la suite que le juge qui en est saisi est susceptible de donner à la procédure, deux alternatives sont envisageables, selon le contenu de sa décision. Lorsqu’il estime que la thèse accusatoire n’est pas suffisamment étayée, il prononce l’acquittement, s’il préside seul la cause, ou invite les jurés à le prononcer, si l’affaire relève des procédures sur indictement. En ce deuxième cas, la décision ne reste que formellement un acte du jury, celui-ci n’ayant pas le droit de désavouer l’ordre du juge (et c’est pour cette raison que l’on parle de « directed verdict »)[18]. Si le juge estime, en revanche, que la preuve à charge est susceptible de soutenir la condamnation, il rejette la requête et invite la Défense à prôner sa cause. Il faut d’ores et déjà remarquer que l’accusé n’a aucune obligation en ce sens : le rejet d’une « no case to answer motion » laisse intacte sa liberté de choisir comment conduire sa défense. Qu’il s’agisse d’une procédure sur indictment ou d’une procédure relevant de la summary jurisdiction, l’accusé de common law n’a jamais aucun devoir de collaborer à l’établissement processuel, pouvant s’abstenir de toute contribution probatoire[19]. Que la défense appelle ou pas des témoins, le rejet d’une « no case to answer motion » rend donc, pour ainsi dire, la procédure à son cours ordinaire, et va sans préjudice pour la décision de l’affaire sur le fond. On touche là à l’aspect peut-être le plus particulier des « no case to answer proceedings » : lorsque la Défense n’a pas exercé ses prérogatives probatoires, et que le juge ou le jury s’oriente, lors de la délibération, dans le sens d’un acquittement, celui-ci sera prononcé sur la base des mêmes preuves.
La décision par laquelle le juge rejette la requête d’acquittement est susceptible d’appel. Dans deux cas celle-ci peut être annulée : là où la Cour d’Appel trouve que la preuve à charge n’était pas suffisante à soutenir une conclusion de culpabilité ; ou là où elle trouve que celle-ci s’est fondée sur des preuves que la Défense n’aurait pas autrement présentées[20]. Il faut en effet garder à l’esprit que, si l’accusé n’est pas tenu, d’un point de vue juridique, de déployer ses moyens de défense, il peut arriver qu’il le soit d’un point de vue pratique, son choix relevant en ce cas d’une question de stratégie processuelle. Si la common law perçoit cette éventualité comme étant intrinsèquement déloyale, cela est dû à sa façon de concevoir la charge de la preuve dans le contexte de la procédure pénale : il est tout simplement inacceptable, selon cette perspective, que le Procureur puisse tirer argument des preuves produites à décharge si celles produites à charge apparaissent en elles-mêmes défaillantes. Autrement dit, la preuve à décharge ne saurait combler les lacunes de la thèse accusatoire. Cette approche correspond d’ailleurs tout à fait au régime général de l’admissibilité de l’appel, propre au système de common law[21]. Dans le cas où le juge rejette à tort une « no case to answer motion », en considérant suffisante une preuve qui en réalité ne l’est guère, l’erreur que l’appel vise à remédier est une erreur de fait, la condamnation encourant le risque de frapper un innocent (« unsafe verdict »). Mais ce n’est pas le seul cas où la condamnation serait injuste, le principe d’équité s’appliquant aussi au coupable : lorsque le juge rejette à tort une « no case to answer motion », il commet aussi une erreur de droit si la décision pourrait être influencée par les résultats d’une défense maladroite ; quoique coupable, l’accusé aurait été, en ce cas, irrégulièrement condamné (« unproperly convicted »)[22]. Dans l’une comme dans l’autre hypothèse, une application incorrecte aurait été faite des critères régissant l’examen de la suffisance de la preuve à ce stade.
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LES CRITÈRES DE LA DÉCISION
En dictant les règles pour l’examen de la preuve à charge au stade des « no case to answer motions », la common law part du principe que le juge n’est pas appelé à apprécier la valeur démonstrative des éléments produits par le Procureur ; il doit plus simplement vérifier qu’ils suffisent à soutenir la condamnation. Or, cette notion de preuve suffisante à soutenir une condamnation est peut-être l’une des plus difficiles à saisir, pour un esprit continental. Cela dépend du caractère extrêmement analytique du droit des preuves anglo-américain, qui consacre l’autonomie de certianes dimensions de la décision judiciaire que la civil law tend à abriter indistinctement, si l’expression est permise, sous le grand parapluie du principe de l’intime conviction du juge[23]. C’est le cas notamment de la distinction, que le droit probatoire anglo-américain opère sur le plan conceptuel, entre la preuve en tant que moyen (« evidence ») et la preuve en tant que résultat (« proof »)[24]. Or, si une série de règles ont trait à la manière dont le juge doit apprécier le caractère plus ou moins concluant de chacun des moyens de preuve pris isolément (« evaluation of evidence »)[25], il y en a qui s’adressent plutôt à l’effet persuasif que les moyens de preuve doivent pouvoir dégager dans leur ensemble, en vue d’une décision donnée (« standards or proof »)[26]. On pourrait dire que dans le premier cas il s’agit pour le juge de mesurer la preuve, alors que dans le second il s’agit pour la loi de mesurer la croyance[27]. De ce point de vue, on peut convenir que le degré auquel le juge peut croire la culpabilité ou l’innocence de l’accusé varie, selon les stades de la procédure, parce que les informations à sa disposition varient aussi. Une cause sera toujours plus élucidée à la fin du procès qu’au début des investigations. Ce n’est pas une réalité dont la procédure continentale ne tient pas compte, tout au contraire ; ce qui change entre les deux systèmes c’est plutôt la circonstance que l’approche continentale ne permet pas de concevoir que le juge puisse se dire plus ou moins persuadé de l’innocence ou de la culpabilité de l’accusé, sans avoir apprécié la valeur probante des moyens qui lui sont soumis. Qu’il s’agisse pour lui de dire qu’il y a des éléments capables de justifier un mandat, un renvoi en jugement, ou une condamnation, il se penchera toujours sur la crédibilité d’un témoin, ou l’authenticité d’un document. Il n’en est pas ainsi pour le juge de common law : celui-ci aussi est appelé à mainte reprises à trancher sur des questions probatoires, au cours de la procédure ; mais ce n’est qu’au stade de la délibération finale qu’il pèsera les preuves qui sont devant lui. Cela vaut aussi pour la décision qu’il prend sur une « no case to answer motion », dont le critère ne dicte pas une règle d’appréciation probatoire mais ce que, pour rendre cette distinction étrangère à la culture de civil law, on pourrait définir de règle de jugement[28]. Une règle, c’est à dire, qui fixe une condition à la décision, non pas eu égard au caractère plus ou moins concluant des éléments sur lesquels elle se fonde, mais au degré auquel le juge pourrait se dire persuadé de la plausibilité de la thèse accusatoire qu’ils permettent de bâtir. Comme la théorie des preuves permet de garder distinctes ces deux dimensions, il devient concevable que les deux opérations, celle consistant à établir la valeur de tel ou tel élément et celle consistant à établir leur effet sur la persuasion, puissent ne pas forcément coïncider. Le lecteur nous pardonnera, à ce point de nos réflexions, ce qui pourrait lui paraître autrement relever d’un goût pour les divagations pédantes : la notion de preuve suffisante à soutenir une condamnation, dans le cadre d’un « no case to answer proceeding » (2.2) ne saurait se comprendre sans avoir à l’esprit le jeu des « standards of proof » au cours de la procédure de common law (2.1).
2.1. Du « prima facie case » au « reasonnable doubt »
La doctrine de common law envisage souvent la procédure du point de vue de la connaissance qu’elle produit[29]. L’intérêt pour la dimension épistémique du procès se reflète d’ailleurs dans la production scientifique ayant pour objet la preuve, qui est beaucoup plus développée que sur le Continent, et qui peut se revendiquer d’une bien longue tradition[30]. Le caractère très technique de ce droit probatoire se soude ainsi à l’élaboration de théories extrêmement sophistiquées, qui se laissent volontiers contaminer par les acquis que les sciences humaines ont atteint dans d’autres domaines. C’est ce qui arrive notamment lorsque le juriste de common law réfléchit à la preuve du point de vue logique[31].
S’agissant de reconstruire un événement du passé, il est clair que le procès ne saurait tendre à obtenir une certitude absolue. Tout ce que l’on saurait lui demander c’est une reconstruction des faits vraisemblable, à la lumière des données que la procédure à permis de recueillir. Et comme la quantité de ces données s’accroît, tout comme leur qualité s’améliore, au fur et à mesure que la procédure avance, on peut imaginer que nos certitudes progressent aussi, depuis le moment initial où nous ne savons que très peu, au sujet des faits qu’il faut établir, à celui où le procès se conclut, où nous en savons tout ce qui nous est octroyé, humainement, d’en savoir. Les critères de jugement saisissent ce dynamisme. Ils sont souvent décrits comme fixant les degrés de la persuasion, depuis la certitude qu’aucun crime n’a été commis, jusqu’à la certitude – bien évidemment, relative comme toute autre chose humaine – que l’accusé l’a commis[32]. Selon la manière dont la doctrine de common law appréhende la logique probatoire, la reconstruction des faits procède ainsi par exclusion : ce que les activités probatoires qui ont lieu au cours de la procédure devraient permettre de faire consiste à exclure d’une façon progressive les hypothèses logiquement compatibles avec l’innocence de l’accusé ; tant que les faits peuvent s’expliquer autrement que par sa culpabilité, on ne saurait dire que celle-ci est établie. C’est le corollaire logique du principe de la présomption d’innocence, de la même manière que la distribution de la charge de la preuve entre les parties en est le corollaire procédural[33]. Si le but des efforts probatoires de la partie poursuivante est d’exclure toute explication des faits alternative, qui soit logiquement compatible avec l’innocence de l’accusé, on comprend bien que l’on ne saurait lui demander de l’atteindre d’un seul coup. Cela dépendra, justement, du stade de la procédure. Le critère de jugement appliqué au stade du « no case to answer proceeding » est donc intermédiaire par rapport aux deux autres qui, saisissant cette progression de l’établissement processuel, posent les conditions, respectivement, de la décision de renvoi en jugement (« prima facie case ») et de la condamnation (« proof beyond reasonnable doubt »).
Tout comme il en est pour la tradition continentale, en common law aussi le système organise, au bénéfice de l’accusé, un contrôle juridictionnel sur la légitimité des poursuites. Ce contrôle a pourtant une nature bien différente que celle caractérisant la parenthèse juridictionnelle qui s’ouvre, sur le Continent, à la fin de la phase préparatoire. Si, ici aussi, la décision sur le renvoi en jugement demande évidemment moins que celle sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, et peut donc être définie de « sommaire », elle l’est dans un autre sens qu’en common law. Les « committal hearings » se déroulent en effet selon une procédure écrite et, surtout, non contradictoire (« ex parte proceeding ») [34]: le juge qui se penche sur les résultats des investigations ne le fait pas pour en apprécier le caractère plus ou moins concluant, mais dans le but d’établir s’il y a matière qu’il vaudrait la peine d’approfondir. On pourrait dire qu’il vérifie qu’il y a un commencement de preuve, à la condition pourtant de redéfinir cette notion ; en réalité, le caractère sommaire de son jugement dérive plutôt de ce qu’il porte sur une reconstruction des faits unilatérale. Le « prima facie case » que le Procureur doit établir à ce stade est ainsi défini comme une preuve qui, si non contredite par la défense, pourrait justifier une condamnation[35]. Cela est une manifestation de la théorie des « standards of proof » : si prouver la culpabilité de l’accusé signifie exclure toute explication des faits alternative, logiquement compatible avec son innocence, le juge ne saurait le faire à ce stade, pour la simple raison que la Défense n’a pas encore avancé la sienne. La décision sur le renvoi en jugement relève donc d’un pronostic, et cela s’explique à partir de la manière dont la common law conçoit les rapports entre les phases de la procédure.
Il faut en effet garder à l’esprit que le procès anglo-américain est axé sur un principe de concentration[36] : il s’identifie avec la seule phase du jugement, organisé selon une unité de temps et d’espace ; l’instruction probatoire se déroule exclusivement à l’audience, la phase préparatoire visant plutôt à trouver les sources des preuves qui seront présentées lors des débats. Le principe de la séparation entre les stades du procès a donc une signification différente que sur le Continent[37]. Alors que dans le modèle continental il indique essentiellement une incompatibilité de fonctions, en common law il pose un principe, peut-être le principe par excellence, du droit des preuves : le jugement est tabula rasa, il n’existe pas de dossiers de la procédure, et le juge qui le préside ne connaît, au sujet des preuves que les parties présenteront au cours des débats, que les aspects touchant à leur recevabilité[38]. La centralité que la phase du jugement revêt dans ce schéma fait comprendre ainsi qu’il devient concevable, aussi d’un point de vue pratique, que la thèse accusatoire que le juge du renvoi a trouvée potentiellement prometteuse puisse ne plus le paraître au stade intermédiaire des débats. Lorsque le juge s’exprime, dans le cadre des « committal hearings », sur les hypothèses que le Procureur entend cultiver, tout, en un sens, doit encore advenir : les preuves qu’il annonce au soutien de ses allégations n’ont pas encore été admises, et les témoins qu’il entend présenter n’ont pas encore été mis à l’épreuve du contre-interrogatoire de la Défense. Le « prima facie case » connote donc une situation probatoire provisoire, qui reste exposée, quoique plausible rebus sic stantibus, aux aléas qui caractérisent si particulièrement les débats de common law, et qui dépendent essentiellement de la circonstance que la phase préparatoire ne permet pas de fixer une connaissance. Elle est plutôt vouée à construire, pour ainsi dire, des simples hypothèses de travail.
À l’extrémité opposée de cette chaine idéale, le critère de la preuve au-delà de tout doute raisonnable connote, en revanche, une situation probatoire achevée. En phase de délibération, il s’agit pour le juge de vérifier si les preuves présentées et discutées aux cours des audiences arrivent effectivement à prouver la culpabilité de l’accusé, en excluant toute explication des faits alternative, logiquement compatible avec son innocence[39]. On comprend alors pourquoi le critère auquel le juge doit orienter son jugement sur une « no case to answer motion » demande un peu moins, que celui fondant la décision finale : on ne saurait exclure toute hypothèse alternative à la culpabilité, sans avoir entendu la totalité des preuves ; surtout, on ne saurait l’exclure sans avoir apprécié leur valeur probante, à la lumière de tous les éléments disponibles, pouvant la confirmer ou démentir.
Le jugement sur une « no case to answer motion » est, donc, doublement intermédiaire : il l’est eu égard à la phase de la procédure à laquelle il intervient -entre le renvoi en jugement et la décision finale – et il l’est eu égard au degré auquel le juge peut se dire persuadé de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé – entre le « prima facie case » et la conviction au-delà de tout doute raisonnable. Cette nature intermédiaire du critère de jugement sur les « no case to answer motions » est traduite, dans la jurisprudence de common law, par le principe selon lequel, pour que la requête de la Défense soit rejetée, le Procureur doit présenter des preuves non pas d’ores et déjà capables de vaincre le doute incompatible avec la condamnation, mais susceptibles de le faire. Autrement dit, si la culpabilité de l’accusé doit certainement être une explication plausible des faits, elle n’a pas à être la seule[40].
Le sens de cette distinction ressort bien de la jurisprudence en matière d’appréciation, au stade intermédiaire de la procédure, de la preuve indiciaire. En l’affaire Regina v. Jebber[41], la Cour d’Appel précisa que, lorsque le Procureur se fonde sur un faisceau d’indices, ces derniers n’ont pas besoin de soutenir une conclusion qui serait la seule possible pour tout esprit raisonnable ; d’une façon moins contraignante, il s’agit pour le juge de se demander qu’est-ce qu’un esprit raisonnable serait légitimé à conclure. Dans une autre affaire, portant sur un épisode de fraude, la Cour d’Appel annula la décision par laquelle le juge avait accueilli la requête de la Défense et ordonné l’acquittement de l’accusé[42]. Il avait estimé que les preuves produites par le Procureur n’auraient pas consenti d’établir que les dirigeants de la compagnie mise en cause étaient au courant des pratiques illégales de leurs employés. Ce critère fut jugé trop strict : à ce stade de la procédure, le Procureur aurait dû seulement viser à démontrer que la connaissance, de la part des dirigeants, des comportements illicites, était une hypothèse plausible ; elle n’avait pas besoin d’identifier d’ores et déjà les dirigeants qui auraient été, selon sa thèse, effectivement au courant des faits en cause.
Comme tout milieu, la règle de jugement prévue pour l’examen des « no case to answer motions » partage quelque chose avec les deux critères applicables, respectivement, au stade qui précède et au stade qui suit : elle fixe la condition d’une décision ayant, comme celle du renvoi en jugement, la nature d’un pronostic, l’instruction probatoire étant encore partielle, même si elle a déjà pu être contradictoire ; elle fixe néanmoins cette condition en guettant la décision finale, et le critère à laquelle elle obéit, les preuves produites à charge devant en tout cas être susceptibles de fonder une condamnation ; à savoir, de convaincre le juge de la culpabilité de l’accusé, au-delà de tout doute raisonnable.
Dès lors que nous avons vu ce que la notion de preuve suffisante à soutenir une condamnation n’est pas, nous pouvons voir ce qu’elle est, et comment peut-il se faire que le juge n’apprécie point sa valeur, tout en étant appelé à s’exprimer sur sa capacité à prouver.
2.2. La notion de « preuve suffisante à soutenir une condamnation »
Le régime auquel l’appréciation des preuves est soumise dans le contexte procédural qui nous occupe a été construit à partir des procès par jury. Il vise par conséquent, d’un côté, à garantir que, en décidant de la suffisance de la preuve à charge à ce moment, le juge n’usurpe pas les fonctions que le système réserve aux jurés et, de l’autre, à éviter que ceux-ci ne soient exposés à des preuves qu’ils ne seraient pas en mesure d’évaluer correctement[43]. Cela explique pourquoi la common law a dû concevoir des adaptations, pour les cas où les « no case to answer motions » sont présentées dans le contexte d’affaires relevant de la summary jurisdiction : le jury étant absent, les deux exigences que la règle de jugement vise à satisfaire ne se posent visiblement pas.
Pour ce qui concerne les procès par jury, le précédent jurisprudentiel de référence fut fixé en 1981, en l’affaire Regina v. Galbraith[44]. Selon les principes établis par Lord Lane CJ, deux sont les cas où une « no case to answer motion » devrait être accueillie.
Une première situation est celle où il n’y a aucune preuve que l’accusé a commis le crime. Rappelons la structure de la procédure de common law, et notamment les caractères de la décision de renvoi en jugement : que le Procureur se trouve sans preuve lors des débats peut être dû, par exemple, à la circonstance qu’un témoin se désavoue pendant le contre-interrogatoire mené par la défense ; s’il avait affirmé aux enquêteurs avoir vu l’accusé commettre le crime, mais sous la pression de la défense il finit par admettre que ce n’est pas le cas, à moins que le Procureur ne se fonde sur d’autres éléments on peut bien dire qu’il n’y a aucune preuve de la culpabilité de l’accusé. On peut, encore, songer aux situations dans lesquelles le témoin à charge se rend introuvable : le ouï-dire étant en principe irrecevable, l’accusation serait dépourvue de tout fondement.
La deuxième situation est celle où la thèse accusatoire peut se dire fondée sur une pluralité de preuves, mais celles-ci paraissent encore trop fragiles. Cette fragilité (« tenous charcter ») peut être due à un défaut intrinsèque des moyens en question – par exemple, une identification opérée dans des circonstances de temps et de lieu particulièrement défavorables – ou à la contradiction avec d’autres moyens produits au soutien de la thèse accusatoire – par exemple, deux témoignages non concordants -. Dans cette situation, le juge doit accueillir la « no case to answer motion » s’il considère que la preuve est telle que, même à vouloir lui attribuer toute sa valeur démonstrative (« taken at its highest »), un jury averti – à savoir, un jury ayant reçu des consignes appropriées pour la correcte appréciation de la preuve – ne pourrait pas légitimement (« properly ») condamner. Là où, en revanche, la preuve est telle que sa force ou sa faiblesse dépendent de la crédibilité des témoins, ou d’autres questions qui relèvent de la compétence des jurés, et si une possibilité reste ouverte que celui-ci puisse légitimement conclure à la culpabilité de l’accusé, le juge doit rejeter la « no case to answer motion », et laisser que le jury tranche. Plusieurs aspects méritent d’être mis en exergue.
Tout d’abord, la tâche à laquelle le juge est appelé, nous l’avons vu, ne consiste pas à apprécier les preuves produites à la charge de l’accusé. Dire si un témoin est sincère, ou si les contradictions existant entre sa déposition et celles d’autres témoins peuvent être résolues, ou encore si une série d’éléments indiciaires légitiment telle ou telle conclusion, c’est la prérogative des jurés. Le juge professionnel ne saurait donc substituer son opinion des preuves à celle du juge populaire : tant que celui-ci peut correctement apprécier le bien-fondé de la thèse accusatoire, le juge doit laisser que la procédure se poursuive, abstraction faite de sa propre conviction.
Nous avons vu aussi que la circonstance que ce jugement puisse ne pas porter sur le caractère plus ou moins concluant des preuves à charge, tout en portant néanmoins sur leur suffisance à soutenir une condamnation, dépend de la nature du critère appliqué – un « standard of proof » – et de la nature de l’examen que le juge opère – un pronostic -. C’est en ce sens qu’il faut entendre la référence, que Lord Lane fit en l’affaire Galbraith, au devoir du juge de considérer la preuve à charge sous son jour le plus favorable : cela veut dire que, même à vouloir en croire chaque mot, les informations dont le jury disposerait seraient encore trop exigües pour qu’il puisse se déterminer dans le sens de la culpabilité de l’accusé. La jurisprudence de common law a donc pu préciser que le « no case to answer proceeding » a trait aux situations dans lesquelles le minimum de preuves nécessaires à la décision n’a pas été produit ; autrement dit, même si toutes les preuves présentées contre l’accusé étaient crédibles, les juges du fait en sauraient néanmoins encore trop peu pour trancher[45].
Cela conduit à un troisième aspect qui vaut la peine d’être remarqué. Si un juriste continental peine à saisir la notion de suffisance de la preuve dans le contexte de cette procédure, c’est que, lorsqu’il songe à un examen sur certaines données probatoires qui n’impliquerait pas l’appréciation de leur valeur démonstrative, la seule alternative que sa culture lui laisse concevoir est que la question touche à leur quantité. La thèse accusatoire serait alors insuffisamment étayée, parce que la cause n’aurait pas été suffisamment instruite. Bien sûr que le juge pourrait conclure à l’insuffisance de la preuve aussi en raison de sa qualité ; mais alors il s’agirait d’un défaut de valeur probante, qu’il ne pourrait constater qu’en l’appréciant.
Un excellent exemple de cette superposition, typique de l’approche de common law, entre la dimension qualitative et quantitative des éléments probatoires, est offert par l’appréciation, dans le contexte des « no case to answer proceedings », de la preuve par ADN[46]. En l’affaire Regina v. Doheney[47] le principe fut établi selon lequel la fragilité inhérente à la preuve statistique est telle que la condamnation ne saurait se fonder exclusivement sur ses résultats ; des éléments ultérieurs suffisants sont par conséquent nécessaires pour pouvoir établir un lien entre l’accusé et le crime. Dans un cas où la seule preuve à charge était constituée par l’ADN de l’accusé trouvé sur une cigarette abandonnée sur le lieu du crime, la Cour d’appel annula la condamnation prononcée suite au rejet de la « no case to answer motion » présentée par la Défense, en raison de l’absence d’autres éléments capables de corroborer la preuve scientifique (Regina v. Lashley[48]). Or, la règle selon laquelle la preuve par ADN doit être corroborée constitue certainement une règle d’appréciation de la preuve. La perspective dans laquelle cette question se pose dans le contexte d’une « no case to answer motion » est pourtant différente : les preuves à charge seront insuffisantes à soutenir une condamnation si le Procureur n’a pas été en mesure de présenter ces autres éléments à l’appui, abstraction faite de savoir s’ils auraient effectivement pu la corroborer en l’espèce. Même en envisageant cette preuve sous le jour le plus favorable à l’accusation, à savoir, même en tenant par acquis qu’il n’y ait aucune raison de douter de la fiabilité du test ADN, elle est telle qu’un jury averti ne saurait proprement y fonder une condamnation puisque la preuve par ADN ne peut pas être correctement appréciée en l’absence d’autres éléments qui la confirment.
Un dernier aspect de la manière dont le juge doit envisager les preuves à charge au stade des « no case to answer motions » tient à la manière dont la common law qualifie la nature de la question dont il est saisi, en la reliant aux opérations qu’il est censé conduire à ce stade dans son examen des preuves à charge. La jurisprudence anglo-américaine insiste beaucoup sur le fait que les « no case to answer motions » soulèvent une question de droit, et non une question de fait[49]. On verra en quel sens, et à quel point, cela est dû à la distribution des compétences entre le juge professionnel et le juge populaire dans les juridictions de première instance. En ne voulant, pour l’instant, considérer que la notion de preuve suffisante à soutenir une condamnation, dire que le juge est saisi, à ce stade, d’une question de pur droit signifie qu’il doit se demander si un jury pourrait, non pas condamner tout court, mais condamner légitimement. Tantôt, la condamnation ne serait pas légitime parce qu’elle s’est fondée sur une preuve qui, pour ses caractères intrinsèques, n’était pas susceptible d’une appréciation correcte de la part du jury. En l’affaire Regina c. Lashley que l’on vient de rappeler, la condamnation fut annulée précisément parce que le juge avait permis au jury de se pencher sur la preuve par ADN alors que le Procureur n’avait pas produit les éléments dont la loi prescrit la présence en vue de sa corroboration. Ailleurs, le souci provient plutôt de ce que la condamnation est inéquitable. Ce n’est pas forcément la preuve considérée en elle-même qui la rend telle, mais plutôt la manière dont elle a été administrée au cours de la procédure. Dans l’affaire Regina v. Ogden[50], le Procureur avait en effet produit des éléments capables de corroborer la preuve par ADN ; mais, malheureusement, les échantillons sur lesquels le test avait été conduit avaient été trouvés sur un élément matériel accidentellement détruit. Cette infortune avait empêché la Défense de le faire examiner à son tour. La Cour d’Appel annula la condamnation prononcée suite au rejet de la « no case to answer motion », parce que le juge n’aurait pas dû laisser le jury apprécier une preuve potentiellement décisive, dont l’administration n’avait pas pour autant consenti une garantie adéquate des droits de la défense.
Ainsi définie la notion de preuve suffisante à soutenir une condamnation dans le contexte des procès par jury, il n’est pas difficile de comprendre que la common law ait du mal, lorsqu’il s’agit de dire comment elle devrait être appliquée dans le contexte de la summary jurisdiction. Nous avons vu que les « no case to answer motions » sont admises aussi en ce cas, mais l’impression du comparatiste c’est qu’il s’agit d’une réaction instinctive : conçue pour les procès par jury, la notion que l’on vient de décrire s’accommode en réalité très mal de son absence. Ainsi, si le droit, pour l’accusé, de contester la suffisance de la preuve à charge aussi au stade intermédiaire de la procédure qui se déroule devant le seul magistrat n’a jamais été mis en cause, le critère auquel sa décision devrait répondre a été en revanche vivement discuté. Si parfois on affirme que les principes à appliquer sont toujours ceux qui furent affirmés en l’affaire Galbraith[51], ailleurs on admet que le juge puisse apprécier la preuve, étant irréaliste de lui demander d’oublier l’impression que la discussion à laquelle il a assisté a produit sur son esprit[52]. En effet, dans ce contexte, il profiterait des mêmes droits qu’un jury, en étant par conséquent légitime à acquitter l’accusé, dès lors que la preuve à charge lui paraît inacceptable, soit parce qu’elle est contradictoire, soit parce qu’elle est contredite lors de la « cross-examination » conduite par la Défense. Et pourtant, ni l’une ni l’autre de ces solutions ne paraît apaiser les inquiétudes des juristes de common law.
Un premier aspect de la question touche à la rationalité d’une règle qui, comme nous venons de le voir, demande au juge de réfléchir à la légitimité des conclusions qu’un jury pourrait tirer des preuves. Il est clair que lorsque la décision sur le fond lui revient aussi, cela n’a pas de sens de lui demander de spéculer sur ce qu’un jury pourrait croire ou ne pas croire à partir des preuves à charge[53]. Cette difficulté pourrait être dépassée en pensant qu’il s’agira plutôt pour le juge, en ces cas, de se demander qu’est-ce qu’il pourrait, lui-même, légitimement déduire des preuves entendues jusqu’à ce moment. Une fois que la common law en arrive là, elle se heurte pourtant à un problème beaucoup plus épineux, touchant à la possibilité pour le juge d’apprécier la valeur démonstrative des éléments à charge dont il s’agit d’établir la suffisance en vue de la condamnation. Or, qu’il s’en abstienne n’aurait non plus particulièrement de sens, si cette réserve ne se justifie qu’à partir de la nécessité qu’il n’usurpe pas les fonctions du jury. À vrai dire, les adaptations que la jurisprudence de common law a essayées pour traduire la procédure dite de « no case to answer » dans la langue de la summary jurisdiction répondent à un autre souci, qui n’est pas de la moindre importance.
Si l’on acceptait que le juge apprécie la valeur probante des éléments à charge au stade d’une « no case to answer motion », l’acquittement de l’accusé n’en serait que plus justifié, mais le rejet de sa requête soulèverait un risque de préjugé : étant donné que le juge doit vérifier que la preuve à charge est capable de soutenir une condamnation – c’est-à-dire, de le persuader au-delà de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé – il serait très difficile de concevoir que, en ayant rejeté la requête de la Défense, il puisse en conclure différemment lors de la délibération finale. Gardons aussi à l’esprit que l’éventualité est toujours possible que la Défense ne présente aucune preuve à décharge : force est de constater que, en ce cas, la preuve à charge serait appréciée deux fois.
La common law cherche de surmonter cette impasse de deux manières.
La première solution s’appuie sur la théorie des « standards of proof ». Nous avons vu que ce qui caractérise les règles de jugement est la circonstance que, du fait qu’elles ne portent pas directement sur la valeur démonstrative des preuves, elles permettent de concevoir que, si la décision que le juge est appelé à prendre se situe à un stade précédant celui de la délibération finale, leur effet persuasif soit envisagé séparément, en partant du principe que les preuves à charge sont crédibles ; cela n’empêche pas pour autant que les deux opérations coïncident. C’est d’ailleurs ce qui arrive lorsque la règle de jugement à appliquer est celle de la preuve au-delà de tout doute raisonnable. La solution consistant à dire que le juge saisi d’une « no case to answer motion » apprécie la preuve n’exclut donc pas qu’il soit appelé à ce faire non pas pour vérifier si elle arrive à éliminer, logiquement, toute explication des faits alternative à la culpabilité de l’accusé, mais, d’une manière moins contraignante, pour vérifier si elle permet de dire que la culpabilité est l’une des explications possibles. Cette distinction permet à la common law de laisser ouverte la possibilité, pour la Défense, de plaider sa cause et soulever le doute raisonnable qu’il reviendra au Procureur d’exclure ; et de maintenir que, même là où l’accusé décidait de ne présenter aucune preuve à décharge, le rejet de la « no case to answer motion » irait sans préjudice pour la délibération finale : le critère de jugement à appliquer n’est pas le même.
Si cette solution paraît déjà artificielle à un esprit continental, l’autre lui le paraîtra davantage : elle consiste à dire que le juge n’apprécie la preuve, au stade d’une « no case to answer motion » que pour résoudre une question de droit[54]. Selon cette approche, le juge envisagerait la preuve à charge d’abord pour vérifier si elle pourrait légalement soutenir une condamnation – question de droit -, ensuite, lors de la délibération finale, pour vérifier si elle arrive à le faire effectivement – question de fait -. La difficulté demeure pourtant entière : lorsque la même personne tranche au stade intermédiaire et au stade final, la différence entre les deux décisions qu’elle prend, l’une en droit et l’autre en fait, si elle peut être théorisée, reste difficile à saisir sur le plan pratique. En dernière analyse, pour qu’une condamnation soit légitime, il faut qu’elle le soit en droit et en fait. Si l’on peut concevoir qu’une décision légitime en fait ne le soit pas en droit – par exemple, parce que la preuve sur laquelle elle se fonde a été irrégulièrement obtenue – il est beaucoup moins concevable qu’elle puisse paraître légitime en droit, sans considérer si elle le serait en fait. Autrement dit, il est très difficile de concevoir que droit et fait ne se mêlent pas inextricablement, lorsque la question porte sur la suffisance de la preuve et que la décision au stade intermédiaire de la procédure et la délibération finale ne sont pas confiées à deux organes différents.
La vérité est que la common law ne peut pas ne pas admettre la procédure dite de « no case to answer » aussi dans les procès où le juge tranche seul sur le fond de l’affaire, même si ces hésitations montrent bien qu’elle est parfaitement consciente que la règle de jugement à laquelle cette procédure est soumise naît de la présence du jury. Pour saisir les raisons de cet apparent paradoxe, nous avons besoin d’ouvrir un peu plus notre perspective, de prendre du recul, et de nous tourner vers les facteurs institutionnels qui caractérisent, plus généralement, le style probatoire anglo-américain.
B.- LE MODÈLE DES « NO CASE TO ANSWER MOTIONS »
Le régime que nous venons de décrire invite à quelque réflexions provisoires.
L’un des aspects peut-être le plus étonnant, aux yeux d’un continental, de la procédure dite de « no case to answer » consiste dans le décalage qui existe entre la nature, extrêmement sophistiquée, des opérations mentales que le juge est appelé à conduire, et le caractère, extrêmement vague, des critères qui sont censés le guider.
On peut comprendre que cela a du sens, d’organiser un contrôle sur le bien-fondé de la thèse accusatoire à un stade intermédiaire du jugement, en ayant à l’esprit la manière dont la common law agence les rapports entre les phases et conçoit la fonction des « committal hearings ». Ad adiuvandum, on peut aussi considérer que la procédure dite de « no case to answer » est une manifestation, parmi d’autres, de la foi que la common law cultive dans la dialectique processuelle : la contradiction n’est pas conçue comme une simple critique ex post de la mémoire probatoire fixée dans un dossier, mais comme une contribution active à la création du savoir processuel[55]. Il est donc logique que la procédure tienne compte des résultats de la discussion contradictoire des preuves à charge, en ouvrant la possibilité de mettre d’ores et déjà un terme aux poursuites qui, mises à l’épreuve des débats, s’écroulent, pour ainsi dire, sous le poids de leur propre faiblesse.
Il est déjà un peu plus difficile d’admettre que ce contrôle, qui a à objet la plausibilité des allégations portées contre l’accusé, ne passe pas par l’appréciation des éléments sur lesquels elles se fondent. Mais on peut concevoir que, se reliant à la fonction de cette parenthèse dans l’économie d’ensemble de la procédure, ce jugement puisse se traduire par un pronostic portant, plutôt que sur la valeur effective des preuves à charge, sur leur valeur potentielle. Et si la common law nous dit que tout cela relève du droit et non pas du fait, nous pouvons même décider de lui faire confiance.
Ce qui est vraiment difficile pour un esprit continental, c’est d’admettre que cette preuve suffisante à soutenir une condamnation, dont le juge doit vérifier la présence, puisse se définir comme la preuve sur la base de laquelle, « en lui attribuant toute sa valeur », un jury « averti » pourrait « légitimement » conclure à la culpabilité de l’accusé au-delà de tout doute raisonnable, la condamnation étant autrement « risquée » ou « irrégulière ». Ce sont visiblement des critères qui ne sauraient satisfaire aux conditions de la légalité la plus élémentaire, telle que la culture juridique continentale l’entend.
Nous n’allons pas évoquer ici la théorie, magistralement démontrée par d’autres, selon laquelle ce genre de critères sont typiques d’une organisation paritaire du pouvoir juridictionnel, où le manque d’une bureaucratie hiérarchisée est la racine du développement de techniques de décision puisant dans le sens commun de l’environnement de référence[56]. Quoi qu’il en soit, toujours est-il que ce paradoxe – un droit très technique axé sur des concepts intolérablement indéfinis -, traverse toutes les règles du droit probatoire anglo-américain, et se relie intimement à la fonction qu’elles se voient confier dans le cadre du modèle accusatoire. La procédure dite de « no case to answer » ne fait pas exception : elle est fonctionnelle à un système où le juge et le jury décident séparément sur le droit et sur le fait (1), et où la contradiction incarne une conception compétitive de l’établissement processuel (2).
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JUGE ET JURY DANS L’EXAMEN SUR LA SUFFISANCE DE LA PRUVE À CHARGE
Selon une idée plutôt répandue, l’approche des preuves qui est typique de la common law serait liée à l’exigence de protéger l’accusé des aléas intrinsèques d’une décision prise par des néophytes[57]. On dit ainsi généralement que le juge populaire, qui participe una tantum à l’administration de la justice et qui n’a ni les compétences ni la capacité de recul d’un juge professionnel rompu à la routine et aux misères humaines, est moins à même d’apprécier la preuve d’une façon objective. Cette idée comporte une part de vérité, mais elle est partielle. Ce qui conditionne beaucoup plus le droit probatoire de common law est la circonstance que ses règles ne s’adressent pas à la personne qui tranchera l’affaire sur le fond. De ce point de vue, elle répondraient à la même logique aussi là où le jury serait composé par des juges professionnels[58].
Il a été ainsi démontré que beaucoup des règles touchant à la preuve ne deviennent applicables qu’en raison de la nette différenciation des compétences que la common law attribue, respectivement, à la cour et au jury, dans le cadre des juridictions de première instance[59]. Ce conditionnement est si vrai que l’introduction du système du jury populaire sur le Continent, au lendemain de la Révolution Française, n’a pas donné lieu à un droit probatoire comparable : sauf pendant une très brève parenthèse, les juges professionnels et les juges populaires prirent très vite l’habitude à décider ensemble sur toutes les questions pertinentes pour la définition de la cause[60]. Cela eut deux implications majeures : le besoin fut moins ressenti de concevoir une méthode permettant d’organiser et rationaliser au préalable leur raisonnement probatoire, celui-ci se prêtant à trouver un guide dans la prudence du juge professionnel lors de la délibération ; et l’exigence put se faire moins urgente de protéger par les règles probatoires le droit de l’accusé à ne pas être jugé de façon arbitraire[61].
Cette organisation des rapports entre le juge et le jury a comme conséquence immédiate de faire plus que justifier certaines options typiques de l’approche de common law : elles les rend concrètement praticables. Beaucoup des aspects si caractéristiques de la procédure dite de « no case to answer » peuvent s’expliquer selon cette perspective. Tout d’abord, les pouvoirs de contrôle confiés au juge au stade intermédiaire de la procédure s’inscrivent plus généralement dans les prérogatives qui lui reviennent en vue de surveiller les juges populaires. Les « no case to answer motions » partagent donc cette nature avec d’autres mécanismes dont la mise en oeuvre appartient en voie exclusive au juge, tels que le contrôle qu’il exerce sur la recevabilité des preuves ou les indications qu’il lui appartient de donner aux jurés lors du « summing up »[62]. Ensuite, la possibilité pour lui de se pencher sur la thèse accusatoire indépendamment du jury, et donc indépendamment de ce que celui-ci pourra percevoir de l’instruction probatoire, a, comme beaucoup d’autres règles typiques de la common law, la fonction primaire de consentir aux parties de contrôler en amont la genèse, et donc en dernière analyse la légitimation, d’une décision dont le caractère non motivé empêche tout contrôle en aval[63]. Encore, ce n’est qu’en raison de la circonstance que celui qui tranche sur une « no case to answer motion » n’est pas celui qui tranche sur le fond de l’affaire que l’on peut comprendre la perspective dans laquelle la preuve à charge est envisagée à ce stade, et que l’on peut concevoir que la règle de jugement à appliquer en ce contexte ait pu être définie comme nous l’avons vu.
Ces réflexions nous amènent à considérer un deuxième aspect, qui touche à ces distinctions qui sont à la base de la notion de suffisance de la preuve à charge, entre, d’un côté, valeur des preuves et plausibilité de la thèse accusatoire, et, de l’autre, appréciation en droit et appréciation en fait. Ce n’est pas par hasard que, comme nous l’avons montré, la common law peine à tel point à adapter la règle de jugement sur une « no case to answer motion » en dehors des procès par jury. C’est la même difficulté que la culture continentale rencontre à imaginer qu’un jugement ayant pour objet la suffisance de la preuve soit dépourvu de toute évaluation, ou soulève une question de pur droit. Ce n’est pas la différence qui attire ici l’attention du comparatiste, mais l’analogie : si les deux systèmes partagent cette difficulté, c’est qu’ils ont raison tous les deux. Le jugement sur la suffisance d’une preuve en vue d’une décision donnée implique toujours une composante d’évaluation, et mêle inévitablement droit et fait. Ce qui permet à la common law la distinction inaccessible à la civil law n’est donc pas dans la nature des choses, mais dans les titulaires de la décision. Des exemples tirés de l’admissibilité des preuves illustreront bien ce constat.
Des deux côtés de la Manche, on dit que le critère essentiel de l’admissibilité des preuves est la pertinence (« relevance »)[64]. Pourtant, ce n’est que de l’un de ces côtés que la valeur probante de l’élément à admettre en est une composante, d’un point de vue conceptuel. La définition de la pertinence accueille en common law la qualifie comme étant la relation qui s’installe entre deux faits, telle que l’existence de l’un rend plus ou moins probable l’existence de l’autre[65]. La valeur probante (« probative value ») peut être annexée à la notion de pertinence logique en raison de cette référence au degré de l’intensité par laquelle les deux faits – celui qui prouve et celui à prouver – sont liés[66]. Le juge de common law considère donc, à la différence que son collègue de civil law, la capacité démonstrative de l’élément dont la partie demande l’admission. Pour que celui-ci soit pertinent il doit avoir une valeur probatoire potentielle que le juge doit pouvoir percevoir déjà au stade du jugement sur la recevabilité des preuves. Si la common law peut dire que ce jugement n’a pas de composantes d’ appréciation et qu’il ne s’agit que de trancher sur une question de droit, c’est parce qu’elle le confie au juge et non aux jurés. Ce qui n’arrive pas sur le Continent, où la pertinence de la preuve ne se mesure que sur le plan logique, et non pas par degrés, mais par alternatives nettes ; et où, en effet, juge et jurés décident ensemble sur le fait et sur le droit[67]. Deuxième exemple : prenons la règle d’exclusion selon laquelle le juge peut écarter la preuve autrement admissible, dès lors que son effet préjudiciable dépasse sa valeur probante[68]. Que ce jugement implique une appréciation de la capacité démonstrative de l’élément en question est in re ipsa ; le juge doit faire encore plus : une fois qu’il a établi les potentialités probatoires de l’information que l’on demande à admettre, il doit les soupeser en raison des effets négatifs qui pourraient dériver de son admission. Or, il est vrai que la perspective dans laquelle il doit envisager la preuve a toujours cette nuance pronostique que nous avons vu caractériser ses décisions aussi à d’autres endroits de la procédure ; mais il reste qu’il s’agit toujours aussi de questions qui mêlent le fait et le droit, et que ces deux dimensions peuvent continuer à être conçues comme étant séparées exclusivement en raison de la distribution des compétences entre les deux composantes, professionnelle et populaire, de la cour de première instance[69].
La règle de jugement prévue pour la décision sur les « no case to answer motions » présuppose ce même cadre logique : dire que le juge n’apprécie pas la crédibilité des preuves en vue d’établir si elle sont suffisantes, s’agissant pour lui de trancher une question de pur droit, peut paraître vrai seulement dans ce contexte, où la séparation entre les compétences respectives du juge et des jurés vient en aide aux distinctions très subtiles sur lesquelles les théories probatoires de common law se fondent. Cela vaut notamment pour la théorie des « standards of proof », sur laquelle pèse, en plus, le fonctionnement du jury anglo-américain[70].
Nous avons remarqué que la notion de preuve au-delà de tout doute raisonnable est un point de repère indispensable pour comprendre à quelle tâche le Procureur est appelée au stade des « no case to answer motions ». Et nous avons aussi eu l’occasion de rappeler la définition que la doctrine en a donnée : persuader un juge au-delà de tout doute raisonnable signifie apporter des preuves capables d’exclure toute explication alternative des faits, logiquement compatible avec l’innocence de l’accusé. Il est généralement admis que le critère de la preuve au-delà de tout doute raisonnable est une autre manière de formuler le principe in dubio pro reo, appliqué en droit continental. Quoi que certainement très proches, ces deux notions ne sont pas pour autant tout à fait identiques[71]. D’un point de vue continental, on pourrait même dire que, dans le cadre épistémique du procès pénal, ce ne serait pas raisonnable de ne pas douter. Cette réaction peut s’expliquer à partir de la manière, différente, dont les deux systèmes appréhendent la formation de la conviction judiciaire lors de la délibération.
Il a été très pertinemment remarqué que le principe de l’intime conviction n’existe pas, en tant que tel, dans la culture de common law, et que, ainsi formulé, il n’est même pas un terme de l’art[72]. Cette circonstance a été reconduite à la tendance, typique du droit probatoire anglo-américain, à structurer l’analyse des preuves, intimement liée, à son tour, à un système où les jurés tranchent seuls sur les questions de fait, et rendent un verdict non motivé[73]. On a donc pu parler à cet égard d’une exigence de rationalisation des informations et de leur élaboration, qui ne pourrait s’accomplir qu’avant qu’ils ne se retirent pour délibérer. Beaucoup des règles qui indiquent au juge la manière dont il devrait procéder lors du « summing up » viseraient ainsi à donner aux jurés des pistes, utiles à orienter la discussion dans laquelle ils s’engageront lors de la délibération. La règle de la preuve au-delà de tout doute raisonnable partagerait aussi cette nature[74].
Selon les indications que le juge doit adresser aux jurés, cette notion est conçue comme une précision du principe de la présomption d’innocence, et la preuve au-delà de tout doute raisonnable est définie comme la preuve qui rend les jurés sûrs de la culpabilité de l’accusé[75]. Ce n’est pas exactement la même chose que de dire que le doute doit lui profiter. Cela est dû au caractère pour ainsi dire relationnel et inter-subjectif de la règle de common law, qui fait de la sorte que le doute raisonnable est celui qui peut être justifié par des arguments rationnels vis-à-vis des autres interlocuteurs, qui participent aussi à la décision[76]. Ce trait ferait défaut au principe in dubio pro reo, en raison de la nature plus … intime de la conviction judiciaire. Les juges continentaux doivent chercher le doute pouvant profiter à l’accusé dans le secret de leur conscience, et se demander s’ils sont intimement, à savoir, subjectivement, convaincus de sa culpabilité[77]. La conséquence majeure de cette appréhension, différente, de la conviction judiciaire consiste dans une majeure disponibilité du système de common law pour des critères impersonnels, axés sur le sens commun, qui ont pour point de repère ce qu’une personne raisonnable pourrait conclure à partir des informations disponibles[78].
Il est maintenant peut-être un peu plus clair que le juge saisi d’une « no case to answer motion » se demande si un jury correctement dirigé pourrait correctement condamner sur la base de la preuve à charge. Non seulement le juge de common law est à l’aise, pour la culture à laquelle il appartient, lorsque le point de repère de sa décision est ce qu’un esprit raisonnable pourrait croire, sur la base des mêmes preuves, mais surtout, diriger correctement un jury lors du « summing-up » vise à lui consentir d’élaborer sa décision. La preuve suffisante à soutenir une condamnation est une preuve qui doit pouvoir se laisser raisonner, pour que toute explication alternative à celle que le Procureur prône puisse être exclue, en éliminant les doutes qui empêchent de se sentir sûrs, vis-à-vis de l’autre, de la culpabilité de l’accusé.
Il est aussi peut-être un peu plus clair que la règle de jugement prévue pour le « no case to answer proceeding » dans le contexte des procès par jury peine à s’adapter au contexte des affaires qui relèvent de la summary jurisdiction. Si elle y est néanmoins appliquée, c’est parce que cette procédure s’appuie aussi sur un autre pilier, également fondamental, du modèle processuel de common law.
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SUFFISANCE DE LA PREUVE ET « TWO CASES APPROACH »
La procédure dite de « no case to answer » est conçue, dans la culture juridique anglo-américaine, comme une implication du principe de la présomption d’innocence, au sens fort du terme : la possibilité d’être acquitté sans avoir à plaider sa cause relève d’un droit de l’accusé, dont la présomption d’innocence est le fondement[79]. Et jamais droit ne fut plus imbriqué dans le style d’une procédure, comme celui-ci dans le style accusatoire : le modèle « adversary » façonne en effet la conception même du principe de la présomption d’innocence, avec d’importantes répercussions sur la définition de la charge de la preuve et sur la perception des rôles respectifs des parties et du juge dans l’établissement des faits.
Nos réflexions à ce sujet peuvent s’enchaîner à partir de la distinction que la doctrine anglo-américaine dresse entre les notions de « one case approach » et de « two cases approach »[80]. On pourrait la traduire par la distinction que la doctrine continentale opère entre les modèles processuels inquisitoire et accusatoire, en se souvenant pourtant que la perspective de common law est un peu plus ciblée : le point de vue à partir duquel elle construit cette démarcation est celui de l’allocation des pouvoirs d’impulsion sur la procédure, en alternative confiés au juge (« one case approach ») ou aux parties (« two cases approach »)[81]. Le « one case approach » serait alors le principe directeur des procédures axées sur le modèle du procès avec instruction ; le « two cases approach » le serait, des procédures concentrées, où le procès s’identifie avec la seule phase du jugement.
Dans le premier modèle, la procédure est conçue comme une enquête officielle, dont la responsabilité est confiée au fonctionnaire public et dont le but consiste à établir si un crime a été commis en vue de l’application d’une sanction. Par cela, la common law n’entend pas du tout dire que la vocation à la punition du coupable ne serait l’apanage que de la justice de civil law ; elle entend plutôt mettre l’accent sur l’importance que la complétude de l’établissement factuel se voit reconnaître dans l’économie d’ensemble du système, comme étant le facteur ultime de légitimation du pouvoir punitif de l’État[82] : le lien fonctionnel existant entre la vérité et la sanction explique, selon cette perspective, que l’établissement des faits ne soit pas tout à fait laissé à l’initiative des parties, comme le serait – et comme il l’est, en effet – dans le cadre de procédures portant sur des intérêts disponibles. La découverte de la vérité assume ainsi une dimension institutionnelle : non seulement les informations acquises en dehors du cadre de la procédure officielle sont regardées avec méfiance, comme provenant d’activités insusceptibles de garantir l’impartialité nécessaire à en assurer l’objectivité ; mais même là où les parties sont admises à apporter leur contribution à la construction du savoir processuel, le juge garde des pouvoirs de vérification, et surtout d’intégration, autonomes, qui répondent à l’exigence de lui fournir les moyens nécessaires à combler d’éventuelles lacunes qui pourraient compromettre le bien-fondé de la décision[83]. Ce même souci pour la complétude de l’établissement factuel et cette même confiance dans la possibilité d’une reconstruction objective et impartiale de la vérité expliqueraient, d’ailleurs, la fonction que les systèmes continentaux reconnaissent au dossier de la procédure ; et, dans le même sens, l’idée serait aussi que les preuves administrées au cours du procès, depuis son déclenchement jusqu’à la clôture des débats, perdent tout lien avec la partie les ayant introduites, pour devenir patrimoine de la cour[84].
Sur le front opposé, le « two cases approach » caractérise les procédures dans lesquelles tout pouvoir d’impulsion appartient aux parties, et dans un sens si radical que l’élément indispensable au déclenchement du procès est le conflit qui les oppose. La procédure viserait alors moins à établir les faits en vue de la sanction qu’à les établir en vue de régler le différend dont ils font l’objet, et la décision serait moins un jugement sur les faits qu’un jugement entre deux adversaires[85]. Les parties délimitent l’ampleur de la cause, choisissent la procédure par laquelle elle sera définie, sélectionnent les informations qui seront portées à la connaissance du juge, conduisent l’instruction probatoire. L’importance des pouvoirs de contrôle qu’elles exercent sur le développement de la procédure implique une nette polarisation des activités touchant à la preuve[86]. Les modalités de sa présentation lors des débats en témoignent : par rapport aux procédures continentales, où l’instruction probatoire suit un développement unitaire, les jugements de common law séparent formellement l’administration des preuves à charge de l’administration des preuves à décharge[87]. Chaque partie prône ainsi sa cause de façon autonome, et l’ampleur avec laquelle elle reste maîtresse de sa stratégie processuelle relègue le juge à un rôle passif, qui est celui d’un gardien de la loyauté de la dispute plutôt que celui d’un garant de l’objectivité de l’établissement. Cela ne veut pas dire que la common law est indifférente à la qualité des conclusions factuelles que le procès est susceptible d’atteindre ; plutôt, elle a recours à d’autres moyens pour la garantir, qui passent par un système très stricte de règles d’exclusion et par une discipline très sévère du comportement processuel des parties. Selon cette reconstruction, en effet, le modèle « adversary », avec les espaces qu’il laisse aux initiatives et aux choix des parties concernant la conduite de la procédure, si comparé au modèle continental trahirait un mineur engagement pour la découverte de la vérité[88]. Nous ne sommes pas tout à fait d’accord : il se peut aussi que la différence se situe plutôt sur le terrain des moyens que le procès se donne pour l’atteindre[89]. Quoi qu’il en soit, il reste vrai que, dès lors que l’on conçoit la procédure comme une confrontation entre deux adversaires, et l’établissement des faits comme une compétition entre deux thèses, les règles du jeu finissent par légitimer de façon autonome la décision, au même titre, si non plus, que la vérité de ce qu’elle affirme[90]. C’est une circonstance qui pèse lourd sur la manière dont la procédure est agencée, et explique pourquoi on ne saurait dire que l’accusé est présumé innocent là où il était appelé à se défendre d’accusations chancelantes.
Cela signifierait, tout d’abord, admettre que le Procureur peut se dérober de ses tâches. La première implication d’une conception compétitive de l’établissement processuel est en effet une appréhension différente qu’ailleurs de la charge de la preuve incombant aux parties. Dans les systèmes de common law, on admet que la charge de la preuve puisse glisser sur la Défense, à certaines conditions[91]. Cela est dû à la distinction, absente sur le Continent, entre la charge de la persuasion (« légal » ou « persuasif burden of proof »), et la charge de la production de la preuve, ou charge de la preuve strictement entendue (« evidential burden of proof »)[92]. La charge de la persuasion pèse sur le Procureur tout au long de la procédure, et l’engage à convaincre le juge, au-delà de tout doute raisonnable, de la culpabilité de l’accusé. L’ « evidential burden of proof » pèse sur chacune des parties, et les engage à produire les preuves nécessaires à soutenir leur allégations. Il peut glisser sur la Défense, lorsque, par exemple, elle ne se borne pas qu’à nier l’existence des faits affirmés par le Procureur, mais oppose un alibi. En ce cas, elle devra produire une preuve capable de le confirmer. Ce qui change par rapport à la tâche de son adversaire est le « standard of proof » : la Défense n’a pas à démontrer que l’alibi est fondé au-delà de tout doute raisonnable, comme il revient à le Procureur de faire, pour chaque élément constitutif de l’infraction poursuivie ; il suffit qu’elle soulève le doute quant à la véracité de l’alibi, en faisant passer sur le Procureur le devoir de le démentir[93].
Ce jeu de la charge de la preuve implique pourtant une garantie renforcée de la présomption d’innocence, parce que le Procureur n’est pas seulement tenu, dans le système de common law, à persuader le juge du bien-fondé de sa thèse ; il doit encore présenter des preuves suffisantes, pour leur qualité et pour leur quantité, à l’étayer. Ce mécanisme se laisse mieux comprendre si l’on l’envisage du point de vue de ses conséquences. À la différence de ce qui a cours sur le Continent, le Procureur peut perdre sa cause deux fois : lorsque ses preuves ne sont pas concluantes, à savoir capables de vaincre le doute incompatible avec la condamnation ; et lorsque ses preuves, même à les présumer concluantes, laissent sa thèse insuffisamment plausible. Dans le premier cas, elle n’aurait pas satisfait au « persuasif burden of proof » ; dans le deuxième, elle aurait manqué à l’ « evidential burden of proof ». La procédure dite de « no case to answer » enregistre cette deuxième éventualité : le Procureur est la partie qui se heurte la première à la charge de la preuve qui lui incombe, car la procédure de jugement s’ouvre par la présentation et la discussion des preuves à charge ; et la charge de la preuve qui pèse sur lui l’oblige tout d’abord à produire des éléments suffisants à soutenir une condamnation ; s’il faillit, l’accusé ne peut pas être appelé à une défense, car cela impliquerait un renversement de l’ « evidential burden of proof ». Il s’agit d’une solution obligée pour un système accueillant une conception compétitive des activités probatoires : pour revenir à notre exemple, la Défense n’aurait aucune raison de produire un témoin en mesure de situer l’accusé ailleurs au moment de la commission du crime, si le Procureur n’en produit pas un en mesure de rendre du moins plausible qu’il s’y trouvât.
Ce lien entre la procédure dite de « no case to answer » et la distinction entre l’ « evidential burden of proof » et le « persuasif burden of proof » devient encore plus évident lorsque l’on considère le modèle continental[94]. Le « one case approach » qui le caractérise laisse toujours coexister la charge de la preuve qui pèse sur le Procureur et les pouvoirs d’initiative probatoire dont le juge profite de façon autonome[95]. L’accent que la tradition continentale met sur la complétude de l’établissement factuel, comme facteur essentiel de légitimation de la décision, implique la possibilité qu’un organe impartial intervienne pour combler les lacunes, et cette intervention n’est pas perçue comme portant potentiellement préjudice à l’équité de la procédure[96]. Face à un déficit d’information, la réaction naturelle du système consiste à chercher à le remédier : les preuves n’appartenant pas à l’une ou à l’autre partie, mais à la cour, il est logique que celle-ci puisse en solliciter ultérieurement si celles que les parties lui ont soumises ne la mettent pas en condition de trancher. La garantie que le système assure à la présomption d’innocence se joue plutôt, et encore une fois, sur le terrain de leur appréciation.
D’autres raisons empêchent la common law de considérer que la présomption d’innocence serait garantie si l’accusé devait être contraint de se défendre d’accusations insuffisamment étayées. L’une des caractéristiques peut-être les plus frappantes aux yeux d’un juriste continental est le lien très marqué qui s’établit entre la preuve et la partie qui la produit[97]. La séparation de la procédure de jugement en deux moments distincts, respectivement visant à la présentation des preuves à charge et à décharge, accentue un emploi partisan des informations. Des règles très rigides brident par conséquent le comportement processuel des parties, en visant à limiter les répercussions que leur stratégie pourrait avoir sur la qualité de l’instruction probatoire. Les règles d’exclusion inspirées du principe dit de « best evidence » en sont un exemple, poussant les parties à produire la preuve douée de la meilleur qualité du point de vue épistémique, parmi celles dont elles peuvent disposer[98]. Mais le modèle « adversary » a aussi une autre importante implication, qui se reflète sur l’étendue de la protection accordée au principe nemo tenetur se detegere : le droit de l’accusé à ne pas s’auto-incriminer n’implique pas uniquement le droit à garder le silence lors de l’interrogatoire, mais, plus radicalement, le droit de choisir d’y consentir[99]. Le fait de témoigner à sa propre décharge représente ainsi un important moyen de défense. Il serait par conséquent inconcevable qu’il puisse être instrumentalisé dans la poursuite de buts probatoires qui lui seraient étrangers : non seulement l’accusé subirait un renversement de la charge de la preuve ; mais aussi la position d’égalité que les deux parties doivent pouvoir conserver devant le juge en sortirait bouleversée si l’une d’elle pouvait utiliser l’autre comme source de preuve. Il a été en effet remarqué à ce sujet qu’une grande distance sépare les systèmes de common law et les systèmes de civil law, en ce qui concerne l’attitude des enquêteurs à l’égard de l’accusé. Il serait plus facile, dans la tradition continentale, qu’il se transforme dans une source du savoir processuel, même si avec des garanties visant à le protéger du risque d’auto-incrimination[100]. L’attitude différente qui caractérise la culture anglo-américaine dérive du lien qui ne cesse d’exister, au cours de la procédure, entre la partie et ses preuves : le témoignage de l’accusé est une preuve à décharge ; il ne peut pas devenir une preuve à charge.
Cet agencement des droits de la défense explique la procédure dite de « no case to answer », en renforçant la relation fonctionnelle qu’elle entretient avec les mécanismes de la charge de la preuve : si le Procureur doit tout d’abord produire des éléments capables de soutenir une condamnation, il est clair qu’il ne saurait produire comme tel le témoignage de l’accusé, qui est un moyen à décharge par excellence. Selon cette perspective, le rejet d’une « no case to answer motion » expose l’accusé à l’éventualité de déposer ; et comme il s’agit d’un choix à la fois libre et grave, il doit pouvoir s’exercer dans le respect des règles du jeu, tout comme un duel commanderait, pour avoir lieu, que l’adversaire soit dûment provoqué à se battre. Lorsque la preuve à charge ne paraît pas suffisante à soutenir une condamnation, cette provocation fait défaut ; la partie n’ayant pas le droit d’utiliser l’autre comme une source probatoire, la seule alternative cohérente à la logique du système est l’acquittement.
La polarisation de l’établissement processuel propre au modèle « adversary » a une incidence remarquable aussi sur le rôle que le juge se voit confier, pendant l’instruction probatoire. Si l’on considère les différents passages à travers lesquels celle-ci se déroule, on constate que les pouvoirs dont le juge profite pour diriger les débats s’affaiblissent de manière progressive : s’il jouit de prérogatives très larges, lorsqu’il s’agit de trancher sur la recevabilité des éléments proposés par les parties, en pouvant les exclure aussi discrétionnairement, ses possibilités d’intervention sont déjà beaucoup plus limitées pendant l’administration des preuves admises, en se bornant essentiellement à un contrôle sur le respect des règles qui régissent la discussion contradictoire des différents éléments. À la fin des débats, et lorsque l’affaire relève de la compétence du jury, il ne lui reste que la possibilité résiduelle de donner des indications utiles à la délibération, sur laquelle pourtant il n’a aucun pouvoir. Cela s’explique à partir de ce que l’initiative probatoire appartient exclusivement aux parties : la law of evidence elle-même est historiquement contemporaine du développement du rôle des avocats dans la procédure anglaise, et naît, de ce point de vue, comme un ensemble de règles de conduite, visant à faire contrepoids aux pouvoirs que ceux-ci étaient en train d’acquérir sur l’établissement processuel[101]. Il a été aussi soutenu que la passivité du juge de common law se relie à une option épistémologique concevant la connaissance comme une oeuvre éminemment dialectique, ce qui amènerait avec soi la tendance à accentuer la valeur attribuée à la neutralité de l’organe juridictionnel[102]. Si la vérité ne peut être connue que par la confrontation entre les points de vue par définition opposés et irréductibles de deux adversaires, ce que l’on demande au juge c’est l’équidistance, plutôt que l’impartialité. Une intervention autonome du juge en matière probatoire serait perçue comme une immixtion abusive dans les stratégies des parties, et comme un aide déloyal porté à l’une, au détriment de l’autre. Même si la common law réitère inlassablement que ses juges peuvent admettre les preuves aussi d’office, il s’agit d’une éventualité bien rare, parce qu’intrinsèquement incompatible, d’un point de vue culturel, à la perception qu’ils ont de leur rôle.
Mais il y a aussi une autre raison, qui rend le juge de common law institutionnellement inapte à exercer des pouvoirs probatoires autonomes. Dans les procédures concentrées, qui s’identifient et se résument dans la seule phase du jugement et où la totalité des opérations probatoires se déroule à l’audience, le juge qui préside les débats est tout à fait ignorant des faits de la cause[103]. La phase préparatoire ne vise pas à construire un dossier qui lui sera transmis, et les actes qui ont été accomplis par les parties à ce stade n’ont aucune valeur pour la délibération finale. Par rapport à ses collègues continentaux, qui sont à même de construire leur propres hypothèses sur la base des résultats des investigations, et d’intégrer, si de besoin, les informations soumises par les parties, les juges de common law ne peuvent pas disposer d’un savoir autonome. Ils dépendent des parties pour leur information, ce qui rend difficilement concevable qu’ils puissent jamais être en mesure d’exercer pertinemment le pouvoir d’intégration probatoire que la common law leur reconnaît néanmoins en théorie[104]. Établir les faits n’est pas leur affaire. Ils ne peuvent, de ce point de vue, qu’enregistrer les résultats de la dispute. C’est cela, à bien y regarder, que le juge de common law est appelé à faire, lorsqu’il est saisi d’une « no case to answer motion » : qu’il puisse réagir à la lacune probatoire par son intégration est une solution qui se pose tout à fait en dehors de la logique du système, comme le ferait un acquittement anticipé de l’accusé, dans un modèle inspiré d’une conception non compétitive de l’établissement factuel.
Et si le modèle était mixte ? La réponse est nuancée : conditionnées par l’esprit du procès par jury et si profondément imprégnées du style « adversary », les « no case to answer motions » peuvent être plus ou moins fonctionnelles, ailleurs, selon l’élément – accusatoire ou inquisitoire – qui prédomine. L’application de cette procédure dans le contexte de la justice pénale internationale démontre qu’elle devient progressivement moins fonctionnelle, au fur et à mesure que l’élément accusatoire se dilue.
II.- LA PROCÉDURE DITE DE « NO CASE TO ANSWER » DANS LE CONTEXTE DE LA JUSTICE PÉNALE INTERNATIONALE
Pour A.- se pencher sur les applications que la procédure dite de « no case to answer » a reçues devant les juridictions pénales internationales, certaines précisions peuvent être utiles, sur le plan méthodologique.
L’analyse jusqu’ici conduite s’est appuyée sur une approche analytique des modèles processuels[105]. Celle-ci est un acquis somme tout assez récent de la science juridique comparée, dominée, jusqu’au début des années 1970, par l’approche historique. On construisait alors les paradigmes de la procédure pénale à partir d’une généralisation des caractères, estimés être les plus significatifs, connotant les systèmes ayant réellement existé aux différentes époques dans les différents pays. En raisonnant ainsi, la doctrine – surtout continentale – put élaborer les modèles accusatoire (dans ses deux versions, irrationnelle – antiquité, Haut Moyen Âge – et rationnelle -époque classique, Révolution Française, common law) et inquisitoire (Ancien Régime). La même approche fut à la base de l’élaboration du modèle mixte (Restauration, civil law moderne) et est aujourd’hui la source de la construction d’un modèle hybride (procès équitable européen, justice pénale internationale). Les éléments censés caractériser ces modèles peuvent varier selon les auteurs et leur culture juridique d’appartenance, mais une constante revient partout : l’avertissement selon lequel les modèles n’existeraient pas, dans la réalité, à leur état pur. Ces paradigmes ne seraient donc autre chose que des abstractions, utiles à décrire l’évolution de la procédure pénale, mais dépourvues de tout caractère contraignant[106].
Cette admission n’est pas qu’une preuve, certes louable, d’honnêteté intellectuelle ; elle répond aussi à une exigence théorique : en procédant par généralisation, l’approche historique n’arriva en effet jamais à esquiver tout à fait la critique d’un certain arbitraire, dans la sélection des éléments attribués au modèle ; elle se vit donc contrainte, en quelque sorte, de constater qu’ils ne se retrouveraient jamais tous réunis au même temps, pour ne pas se heurter constamment à une démentie[107].
Ce n’est que l’une des plusieurs raisons à la base de ce qui constitue peut-être l’un des débats les plus fascinants de la pensée juridique comparée, débouchant sur la proposition d’une méthode alternative destinée à élargir d’une manière impensable auparavant le champ de sa recherche. L’approche analytique renversa la logique et, au lieu de partir d’une généralisation de l’existant, elle élabora dans l’abstrait des modèles purs, auxquels la vie concrète des ordres juridiques, telle qu’elle parut aux différentes époques et aux différentes latitudes, fut ensuite comparée. Libérée des contingences, la réflexion put se tourner vers les relations qui existent entre les éléments du modèle, en observer les interactions, en considérer le contexte, non plus seulement juridique, mais aussi politique, institutionnel, culturel. L’ouverture ainsi offerte aux études comparées a été directement proportionnelle à l’impulsion donnée aux approfondissements qui allaient suivre, et dont l’un des domaines le plus prometteurs devint précisément la justice pénale internationale[108].
La raison en est vite expliquée : l’approche analytique permit notamment de démontrer qu’un lien existe entre les formes du procès et les formes du pouvoir, entre les formes du pouvoir et les buts de la procédure, entre les buts de la procédure et les règles de la preuve[109]. Le recours à la méthode fondée sur la construction de modèles idéaux, dans lesquels ces interactions peuvent théoriquement être poussées à l’extrême, ne démontra pas seulement l’existence de ce lien, mais aussi, et peut-être surtout, sa nature : aucun élément ne se lie aux autres par une implication nécessaire, et c’est bien pour cela que la réalité dévoile une possibilité aussi inépuisable de combinaisons ; mais certains choix relèvent d’une tendance naturelle, car l’absence d’implications nécessaires ne veut pas encore dire absence de toute implication ; qu’un élément en implique un autre dépend de la fonction qu’il acquiert dans le cadre d’un modèle donné, à son tour fonctionnelle à la conception du procès et des rapports entre l’autorité et l’individu qui s’y reflètent. La portée de cette intuition ne peut paraître que davantage évidente, dans un contexte, tel que celui de la justice pénale internationale où la procédure doit être construite de toute pièce : la conscience acquise par l’approche analytique des imbrications possibles entre les différents éléments d’un modèle donné peut guider concrètement les choix touchant à la procédure ; et si certains solutions ne découleront jamais comme un choix obligé à partir de telle ou telle autre option, il y en aura toujours de plus aptes, de plus cohérentes, en un mot, de plus fonctionnelles, eu égard au modèle de référence et eu égard, plus généralement, aux buts spécifiques du système.
Nous avons évoqué les liens fonctionnels qui existent entre la procédure dite de « no case to answer » et la procédure accusatoire. L’acquittement de l’accusé au stade intermédiaire du jugement poursuit la protection de la présomption d’innocence dans un modèle sans instruction, où la preuve incombe aux parties, le droit au juge, le fait aux jurés et où la procédure est un facteur autonome de légitimation de la décision. Lorsque l’un de ces éléments s’affaiblit ou vient à manquer, son application connaît des apories. C’est bien le cas, lorsque les « no case to answer motions » sont examinées dans le contexte des procès sans jury : ce n’est, alors, que l’approche compétitive de l’établissement processuel propre à la structure accusatoire de la procédure qui explique leur maintien. D’où, un double constat : l’absence du jury n’aurait pas pu faire obstacle à l’intégration de la procédure dite de « no case to answer » devant les juridictions internationales (A) ; des soucis plus sérieux se posent, en revanche, lorsque des facteurs excentriques interviennent, en présence desquels la tension accusatoire du procès s’estompe (B).
A.- LA TRANSPOSITION DE LA PROCÉDURE DITE DE « NO CASE TO ANSWER » DEVANT LES JURIDICTIONS PÉNALES INTERNATIONALES
Si l’on voulait repérer des affinités entre le régime des « no case to answer motions » tel qu’il est prévu dans le système de common law et les principes qui gouvernent la procédure devant les juridictions pénales internationales, la pensée pourrait recourir tout naturellement aux valeurs qu’un tel mécanisme est censé protéger dans son contexte d’appartenance. Les tribunaux ad hoc et la CPI partagent sans doute l’exigence d’assurer le respect de la présomption d’innocence et le souci pour un agencement du procès en mesure de garantir l’économie des moyens procéduraux[110]. À cela s’ajoute la circonstance que, dans les deux contextes, la jurisprudence joue un rôle crucial, pour le développement des solutions plus adaptées à la poursuite de l’un et de l’autre de ces buts. On ne saurait donc être étonné que l’application de la procédure dite de « no case to answer » ait pu trouver dans l’oeuvre jurisprudentielle de ces cours un terrain fertile dans lequel puiser ses racines et que, de ce point de vue, le silence des textes n’ait pas pu représenter une raison suffisante pour l’en empêcher.
La présomption d’innocence et la rapidité de la procédure sont deux des composantes majeures du procès équitable. La jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’homme a amplement démontré qu’il s’agit de valeurs transversales au clivage entre les modèles processuels : la garantie de ces droits – comme de beaucoup d’autres non moins importants – définit désormais, et dans n’importe quelle tradition, la condicio sine qua non de l’exercice légitime de la juridiction[111].
Il s’agit d’une remarque particulièrement précieuse pour introduire nos réflexions autour de la manière dont la justice pénale internationale s’est emparée de cette procédure. Elle permet de remarquer d’emblée que sa transposition dans ce cadre a en réalité quelque chose de pavlovien : si le respect de la présomption d’innocence et la garantie du droit à être jugé dans un délai raisonnable sont bien des composantes nécessaires d’un procès qui puisse être qualifié d’équitable, ni l’un ni l’autre ne demandent à être nécessairement traduits par la possibilité pour l’accusé d’être acquitté au stade intermédiaire des débats. Que le lecteur garde donc à l’esprit, en parcourant les pages qui vont suivre, que les raisons ayant conduit à l’introduction des « no case to answer motions » dans le contexte de la justice pénale internationale ne sont pas juridiques, mais culturelles : c’est la prééminence de l’esprit de common law, qui domine le système depuis ses origines[112], qui a poussé les avocats et les juges à se tourner vers la procédure dite de « no case to answer », ce qui explique aussi que les efforts déployés entretemps dans la recherche d’un modèle autonome pour la procédure pénale internationale en fassent, en quelque sorte, un choix en contre-tendance. Deux aspects attirent plus particulièrement l’attention du comparatiste, lorsqu’il s’engage dans la reconstruction – à vrai dire, pas toujours aisée – de ce développement.
Tout d’abord, il existe dans la jurisprudence des juridictions internationales comme une contradiction latente entre, d’une part, la revendication de l’indépendance de ses interprétations vis-à-vis du droit interne dont cette procédure est tirée, et, de l’autre, la tendance à se replier sur une application somme toute plutôt passive des précédents de common law.[113] Si l’affirmation revient systématiquement de l’exigence de construire le régime des « no case to answer motions » à la lumière des Statuts des juridictions internationales et en accord avec les objectifs que ceux-ci poursuivent[114], ce même régime est concrètement bâti à partir des principes élaborés par la jurisprudence anglo-américaine et, ce qui compte plus encore, par la jurisprudence anglo-américaine développée dans le cadre du trial by jury[115]. En restant constamment en équilibre sur le fil de ce double discours, la jurisprudence internationale finit ainsi par entreprendre une voie beaucoup plus accidentée qu’elle aurait pu l’être, si un véritable effort de re-élaboration avait effectivement suivi l’indépendance ainsi affichée.
Cela amène à considérer un deuxième aspect, strictement lié au paradoxe que nous venons de souligner. Loin de pouvoir fonder des options interprétatives originelles, capables éventuellement d’apporter à la procédure dite de « no case to answer » les modifications nécessaires à une intégration harmonieuse au nouveau contexte, l’introjection des reflexes de common law qui, comme nous l’avons vu, la caractérisent aussi profondément, a fini par faire hériter les juridictions internationales de toutes les difficultés que le système d’origine typiquement rencontre, dès qu’elle se trouve appliquée dans le cadre de la summary jurisdiction[116]. Si l’encadrement des « no case to answer motions » ne s’en ressentit pas spécialement, en raison de l’affinité des valeurs que cette procédure protège (1), un tout autre discours doit être fait pour la définition du critère de la décision : si la question a pu faire couler tant d’encre, c’est que les apparences sont parfois trompeuses (2).
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L’ENCADREMENT DES « NO CASE TO ANSWER MOTIONS » PAR LA JURISPRUDENCE PÉNALE INTERNATIONALE
En abordant la traduction que l’acquittement pour insuffisance des moyens à charge a reçu au sein du système de la justice pénale internationale, une différence doit être soulignée, qui distingue le système des tribunaux ad hoc et le système de la CPI. Cette différence touche à l’approche de l’élaboration des règles de procédure et de preuve, qui relève, pour les juridictions ad hoc, à la compétence des juges et qui est en revanche réservée, pour la CPI, à l’Assemblée des États Parties[117]. Cette circonstance explique certains traits de la jurisprudence que nous sommes sur le point d’analyser, notamment en ce qui concerne l’attention qu’elle a pu porter au fondement juridique de la procédure dite de « no case to answer ». Le fait que le Règlement de Procédure et de Preuve relève de la compétence des juges semblerait susciter en effet une exigence moindre de justifier la compatibilité, avec les cadres juridiques ainsi définis, des développements imprévus.
Le Statut du TPIY, et celui du TPIR auquel le premier servit de modèle, n’esquissent que les traits essentiels de la procédure à suivre. En confiant aux juges la tâche de l’intégrer par le RPP, ils reconnaissent dès le départ la possibilité que la jurisprudence non seulement précise les principes qui s’y trouvent affirmés, mais aussi comble les lacunes, à l’aune de la pratique et au fur et à mesure que celle-ci se développe et s’établit. Plusieurs amendements ayant intéressé les règles des procédure et de preuve appliquées devant les tribunaux ad hoc ont répondu à cette logique, de telle sorte que le fonctionnement concret de ces juridictions a pu procéder de rectifications successives[118]. Le régime auquel les « no case to answer motions » furent soumises en représente une, parmi beaucoup d’autres, ainsi que les amendements ultérieurement apportés à sa formulation initiale.
Le système de la CPI a accueilli une approche radicalement différente, en ôtant aux juges le pouvoir d’élaborer d’eux-mêmes les règles de leur propre travail. L’effort pour la recherche de solutions le plus possible partagées, le souci pour une légitimité plus solide de l’action de la Cour, ainsi que la volonté d’ouvrir le processus d’élaboration de la procédure à une plus grande transparence, sont des raisons tout à fait louables de ce qui peut paraître, à juste titre, comme étant une avancée certaine, dans l’évolution du système de la justice pénale internationale. Dans la perspective, plus circonscrite, de ces réflexions, ce choix soulève pourtant un doute, auquel les juges de la Cour ont dû se mesurer, et qui ne se posa pas à leur homologues.
Aucun des instruments normatifs des juridictions pénales internationales n’a prévu, à l’origine, la procédure dite de « no case to answer ». Les différences que nous venons de souligner n’ont donc pas trait à l’apport que la jurisprudence peut assurer à l’évolution des textes, mais plutôt à la portée de leur silence. Or, dans le cadre des tribunaux ad hoc, l’absence de toute référence à la possibilité d’acquitter l’accusé au stade intermédiaire des débats ne paraît pas une lacune plus significative que d’autres, destinées à être comblées par l’adoption des règles dont le travail des juges a montré la nécessité ou l’opportunité, et qu’il revient aux juges de fixer formellement. Mais dans le cadre de la CPI, l’absence d’une prévision spécifique peut ne pas être une simple lacune, et répondre en revanche à la volonté politique qui est source à la fois du Statut et du RPP. Il est vrai que les exemples pourraient se multiplier, de dispositions, statutaires et réglementaires, dont la formulation reflète l’impossibilité de trouver une médiation politique, et donc le choix de laisser à la pratique de la Cour le soin de démêler les noeuds irrésolus[119] ; et pourtant, si cela vaut certainement pour la parole – les cas où les textes adoptent une terminologie vague et indéterminée – cela vaut – il pour le silence aussi ? Ubi lex voluit, dixit est un brocard si universellement connu, qu’il n’y a pas besoin de l’évoquer. Quoi qu’il en soit, les commentateurs – de common law – qui se sont penchés sur l’application de la procédure dite de « no case to answer » devant les tribunaux ad hoc ont très souvent estimé significatif que les instruments normatifs de la CPI n’en fassent pas mention[120]. Il s’agit d’une des interprétations possibles : elle n’implique pas encore que cette procédure ne doive pas trouver sa place aussi devant la Cour ; mais elle a été peut-être plus que présente à l’esprit de ses juges (2) ayant mené, pour la justifier, un discours très différent que celui de leurs collègues des tribunaux ad hoc (1)[121].
1.1. Le régime des « no case to answer motions » selon le modèle du TPIY
L’évolution que le régime de l’acquittement pour insuffisance des moyens à charge a connu devant le TPIY est particulièrement instructive pour avoir un aperçu des difficultés que l’application d’une telle procédure peut impliquer dans le contexte international. En témoignent non seulement les incertitudes ayant caractérisé ses premières définitions, mais aussi les remaniements dont les textes introduits pour la régir ont fait l’objet[122].
Le schéma procédural selon lequel les débats devant les tribunaux ad hoc se sont organisés suit le rythme des débats de common law : la présentation des preuves est en effet coupée en deux moments distincts, permettant tout d’abord la discussion des preuves à charge, et ensuite celle des preuves à décharge. On verra quelle fut l’influence que cette approche put avoir, sur l’enracinement de la procédure dite de « no case to answer » dans ce cadre. Pour le moment, il suffit de souligner que ce fut justement en raison de cette organisation qu’une parenthèse put s’ouvrir, faisant espace à la présentation, de la part de la Défense des accusés et à l’issue de la discussion des moyens à charge, de requêtes mettant en cause, en vue du prononcé d’un jugement d’acquittement, la prétendue faiblesse de la thèse accusatoire. La première caractéristique de cette évolution réside, comme nous l’avons anticipé, dans le fait que la question concernant la compatibilité de cette procédure avec le cadre normatif des tribunaux, et par cela la recherche d’un fondement juridique capable de la reconduire aux garanties prévues pour les droits de l’accusé, ne fit pas l’objet de développements particuliers. On éprouve par conséquent le sentiment que, au-delà, bien sûr, de l’exigence d’enraciner le pouvoir des Chambres de considérer de telles requêtes, la légitimité du recours à ce mécanisme procédural fut, en quelque sorte, tenue par acquise.
Initialement, les « no case to answer motions » furent admises devant le TPIY sur la base de deux fondements : le pouvoir général reconnu aux juges et aux chambres de première instance de prendre, d’office ou à la demande d’une des parties, les mesures nécessaires à la conduite de la procédure, prévu par l’article 54 du RPP[123] ; ou la théorie des pouvoirs implicites, selon laquelle toute organisation profite des pouvoirs nécessaires à son fonctionnement[124]. Et pourtant, à son tout début, la nature juridique d’une telle pratique n’avait pas encore des contours très nets. En l’affaire Delalič, par exemple, la Défense des accusés avait formulé ses demandes dans les termes d’une alternative[125] : en partant toujours de l’allégation selon laquelle les preuves produites par le Procureur n’auraient pas suffi à établir des charges dont les accusés auraient eu raison de se défendre, elle proposa à la Chambre soit de prononcer un jugement d’acquittement (« judgment of acquittal »), soit de prononcer le rejet de l’acte d’accusation (« dismissal of indictement »). En se penchant sur la question, la Chambre remarqua que la différence entre les deux avait trait à la suite qu’elle aurait dû donner à la procédure en cas de rejet de la requête. Dans la première hypothèse, elle aurait été appelée à se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, la Défense ayant opté pour acquiescer, en vue de la présentation de sa cause, au matériel probatoire produit par le Procureur ; cela étant, le rejet de la demande d’acquittement fondée sur l’insuffisance dudit matériel aurait impliqué le prononcé de la condamnation, la Défense ayant perdu la possibilité de plaider sa cause. Dans la deuxième hypothèse, en revanche, le rejet de la demande présentée par la Défense lui aurait garanti le droit de présenter les preuves à décharge, car le « dismissal of indictement » n’aurait pas saisi la Chambre d’une question touchant à la culpabilité ou à l’innocence de l’accusé : la décision sur la suffisance des moyens à charge aurait donc pu aller sans préjudice pour la décision finale. En l’absence d’ultérieures précisions de la part de la Défense, la Chambre laissa en effet cette question indéterminée. Elle se borna à constater que les deux requêtes portaient sur le point de savoir si « sur le plan du droit, il existe pour chaque composante des infractions visées, des moyens de preuve qui, s’ils étaient acceptés, conduiraient tout tribunal rationnel à prononcer un jugement de culpabilité ». En estimant que de telles preuves étaient présentes en l’espèce, la Chambre rejeta les requêtes de la Défense, sans rien ajouter de plus.
Au vu de son laconisme, l’interprétation de cette décision relève à vrai dire de la spéculation. Le « dismissal of indictement » semblerait en effet répondre, en common law et là où il est prévu, à une toute autre logique que le « no case to answer proceeding », s’agissant d’une mesure d’extrema ratio qui permet de mettre un terme à la procédure là où des graves irrégularités, et notamment l’impossibilité d’assurer un jugement dans un délai raisonnable, menacent d’en compromettre l’équité[126]. Quoi qu’il en soit, il serait peut-être possible d’entrevoir, dans les considérations de la Chambre à propos des conséquences envisageables au cas d’un rejet d’une requête d’acquittement, l’écho d’une jurisprudence de common law concernant l’application de la procédure dite de « no case to answer » dans les affaires qui ne prévoient pas la participation du jury. Là où la jurisprudence permet au juge d’apprécier les preuves à charge, elle admet en effet qu’il prononce la condamnation contextuellement au rejet de la « no case to answer motion » présentée par la Défense. Ce fut pourtant la seule occasion pour laquelle une telle solution fut envisagée par la jurisprudence du TPIY, le principe s’affirmant très tôt selon lequel les « no case to answer motions » ne touchent surtout pas à la culpabilité ou à l’innocence de l’accusé[127].
Une impulsion décisive à cette évolution vint de la codification que cette pratique, consistant à contester la solidité de la thèse accusatoire au stade intermédiaire des débats, reçut en 1998[128]. Devenue quasi systématique, l’article 98 bis fut introduit, portant sur la « demande d’acquittement » (« motion for judgment of acquittal ») : selon le texte de la disposition ainsi adoptée, la chambre de première instance pouvait dorénavant prononcer l’acquittement, à la demande de l’accusé ou d’office, relativement aux crimes pour lesquels les éléments de preuve présentés n’auraient pas suffi à justifier une condamnation. Quoi qu’en ne précisant pas le régime procédural auquel de telles requêtes allaient être soumises, la disposition eut néanmoins l’effet de leur offrir un fondement spécifique : l’option s’établissait ainsi pour le modèle axé sur le « no case to answer proceeding » de common law, en permettant de les distinguer d’autres solutions alternatives, que la règle 54 du RPP, formulée, comme elle l’était, dans des termes très généraux, aurait consenti de poursuivre. Il en fut ainsi en l’affaire Blaskič[129]. La Défense de l’accusé avait saisi la chambre d’une requête visant au rejet de certains chefs d’accusation (« motion of dismissal ») ; pour ce faire, elle avait explicitement invoqué l’article 54 RPP, à exclusion de l’article 98 bis RPP. En reconnaissant que la Défense tendait par sa requête à obtenir une modification de l’acte d’accusation, de manière à en réduire drastiquement la portée et à lui permettre de profiter pleinement du temps nécessaire à préparer sa cause, la Chambre opéra une distinction entre les « motions of dismissal » fondées sur l’article 54, et les « motions for judgment of acquittal » soumises désormais à l’article 98 bis. En principe, la loi spéciale dérogeant à la loi plus générale, l’introduction de cette dernière disposition aurait eu comme conséquence de rendre impossible d’en écarter l’application. Cela valait d’autant plus que le recours aux pouvoirs généraux reconnus aux Chambres de première instance dans la conduite de la procédure avait servi justement pour pallier l’absence d’une prévision explicite des « no case to answer motions ». En l’espèce, pourtant, la Chambre, en prenant note que le Procureur ne s’y opposait pas, fut disponible à considérer la requête présentée par la Défense sous l’angle de l’article 54 RPP ; mais elle précisa qu’elle aurait pu fonder sa décision de manière exclusive sur ce dernier, à la seule condition de conclure que « le Procureur a manqué à ce point à ses obligations de partie poursuivante à l’encontre de l’accusé, qu’il n’est même plus nécessaire, dès ce stade du procès, d’examiner les moyens de preuve de la Défense sur les chefs concernés par la requête »[130], ce qui impliquait une restriction sensible du champ d’application de la norme : à savoir, l’application d’un standard probatoire moins contraignant, dans l’examen de la suffisance des moyens à charge, qu’il l’aurait été dans le cadre d’une « motion for judgment of acquittal » fondée sur l’article 98 bis. Les bases étaient ainsi posées, pour une distinction entre les « no case to answer motions » – dont l’admission implique une preuve à charge insuffisante à justifier une condamnation – et les « motions for dismissal » – limitées aux cas où les chefs d’accusation, dirait-on en civil law, paraissent manifestement dépourvus de fondement.
Il convient de souligner que la superposition entre les domaines d’application respectifs de l’article 54 et de l’article 98 bis du RPP fut par la suite une question dont les Chambres de première instance n’eurent plus à connaître. Cela peut être dû à l’ultérieure reformulation de l’article 98 bis qui, grâce à un amendement intervenu en 1999, encadra d’une manière beaucoup plus explicite les requêtes visant à faire valoir la fragilité de la thèse accusatoire à ce stade intermédiaire de la procédure. Le nouveau texte prévoyait en effet la possibilité, pour l’accusé, d’introduire une demande d’acquittement relativement à une ou plusieurs infractions figurant dans l’acte d’accusation, dans le délai de sept jours à compter de la fin de la présentation des moyens à charge ou, en tout cas, avant la présentation des moyens à décharge, là où les éléments de preuve ainsi produits ne suffisent pas à justifier la condamnation. Même si aucune modification n’avait intéressé le critère de la décision, les requêtes visant à un acquittement total ou partiel de l’accusé étaient reconduites à des limites temporels précises, en excluant ainsi la possibilité d’avoir recours, au stade de la procédure ainsi délimité, à d’autres formes d’abandon ou modification des charges. Ce changement permit à la jurisprudence d’acquérir une certaine stabilité, du moins en ce qui concerne la qualification juridique de la procédure ainsi intégrée au cadre normatif du tribunal : comme nous le verrons, l’attention se déplaça à partir de cette époque sur la définition du critère de la décision ; mais le point de départ des réflexions qui s’en suivirent fut précisément la reconnaissance désormais pacifique que l’article 98 bis régit les mêmes procédures connues en common law sous le label de « no case to answer proceeding »[131]. Ce qui ne simplifia pas pour autant la tâche des juges qui en furent saisis.
Il apparut en effet très vite que la possibilité reconnue à la Défense de contester la suffisance des moyens à charge, outre qu’elle soulevait des problèmes plutôt épineux sur le plan de la définition de cette notion, tendait à compliquer sensiblement le déroulement du procès[132]. D’où l’expression d’un certain malaise à l’égard d’un mécanisme procédural à tel point enraciné dans une tradition juridique spécifique, et l’expression, de plus en plus fréquente, de doutes au sujet de son effective utilité dans le contexte de la justice pénale internationale[133]. Le problème dérivait de ce que, très souvent, les requêtes introduites sur la base de l’article 98 bis tendaient à contester la suffisance de la preuve à charge à démontrer non pas tel ou tel chef d’accusation considéré dans son ensemble, mais les épisodes isolés ou les événements particuliers le composant. Cela compliquait sensiblement l’examen des demandes, en raison aussi du caractère écrit de la procédure. De manière désormais systématique, les Chambres se trouvaient ainsi engagées, à la fin de la présentation des moyens à charge, dans l’étude de requêtes et mémoires en réponse longues, lourdes et très articulées, les entraînant dans des analyses minutieuses d’une quantité de questions probatoires extrêmement détaillées[134]. En remarquant les retards que le recours aux « no case to answer motions » était en train de déterminer pour le cours des procès, les juges rappelaient de plus en plus souvent que la nature des « no case to answer proceedings » consistait, dans les systèmes d’origine, à permettre une meilleure protection des droits de l’accusé en passant, justement, par la réalisation de l’économie des moyens procéduraux. Le but de l’introduction de l’article 98 bis avait été de permettre de conclure le procès pour cause de charges insusceptibles de déboucher sur une condamnation, et non celui de donner une occasion à la Défense pour chercher à mettre un terme à la procédure en raison d’une simple fragilité, plus ou moins discutable, de la thèse accusatoire[135].
C’est ainsi que l’article 98 bis fit l’objet d’un ultérieur amendement en 2004, dans le cadre d’une révision plus ample du RPP inspirée d’un souci de promotion de la rapidité et de l’efficacité de la procédure. Dans le but de mettre en valeur l’utilité des « no case to answer motions » dans la poursuite de procès plus ciblés, quatre changements furent introduits : la décision prise sur la base de l’article 98 bis fut rendue obligatoire pour les chambres de première instance ; le délais de 7 jours octroyé à la Défense pour présenter ses requêtes fut supprimé ; la procédure devint orale ; et enfin, le critère de la décision fut reformulé[136]. Dans sa version finale, l’article 98 bis prévoyait donc qu’à la clôture de la phase dédiée à l’administration des preuves à charge, et en ayant entendu les arguments oraux des parties, la chambre se prononçait oralement sur l’acquittement de l’accusé de tout chef d’accusation pour lequel il n’existait pas de preuves susceptibles de justifier la condamnation.
Il est difficile de juger de l’efficacité concrète de ces modifications. Les « no case to answer motions » continuèrent en effet, même après 2004, à engager la jurisprudence des tribunaux ad hoc dans des décisions complexes, parfois attaquées devant la Chambre des Appels, et qui très rarement allèrent dans le sens de leur admission. Selon une opinion, cela serait dû à la circonstance que les cas sont en effet très rares, dans le contexte de la justice pénale internationale, où l’on peut dire qu’il n’y a aucune preuve capable de soutenir les charges formulées contre un accusé, ce qui rend véritablement exceptionnelle l’éventualité que de telles requêtes aient, même partiellement, succès[137]. Il y aurait, de ce point de vue, une disproportion certaine entre la grande fréquence avec laquelle on eut recours à cette procédure devant le TPIY, et son efficacité à garantir concrètement les droits qu’elle est censée protéger : une circonstance qui légitime à se demander si la Chambre V (A) de la CPI n’aurait finalement pu mieux profiter du silence de ses textes de référence.
1.2. Le « no case to answer proceeding » devant la CPI
A la différence que devant les tribunaux ad hoc, où la question du droit, pour la Défense, de ne pas se voir contrainte à plaider sa cause si le Procureur n’a pas établi un dossier probatoire crédible fut soulevée dès la première affaire, devant la CPI un lapse de temps s’écoula, avant que l’éventualité d’introduire un tel mécanisme procédural fût envisagée. Il s’agit d’une différence remarquable. En effet, dans ce cadre aussi les chambres de première instance jouissent du pouvoir de prendre toute mesure nécessaire à la conduite de la procédure, y compris la façon dont les preuves seront administrées devant elles. On aurait pu s’attendre, en partant de ce seul principe, à ce que la coutume des requêtes visant à l’acquittement de l’accusé au stade intermédiaire des débats, là où un tel moment fût prévu, ne tardasse pas à s’établir. Il n’en fut rien, en revanche, et ce ne fut que lors que l’affaire Ruto et Sang arriva au stade du jugement que la Chambre V (A), constituée pour en connaître, aborda ce thème.
En s’alignant sur la pratique, bien établie, consistant, pour les chambres de première instance et dès le commencement du procès, dans l’adoption de décisions indiquant les règles qui seront suivies, dans chaque affaire, pour la conduite de la procédure, la Chambre V (A) en adopta une première, le 9 août 2013, dans laquelle elle admettait la possibilité, pour la Défense, de la saisir d’une « motion for judgment of acquittal » à l’issue de la présentation des moyens à charge. On verra comment ce choix put se relier à l’option pour une organisation des débats très proche de celle prévue devant les tribunaux ad hoc : encore une fois, la séparation de l’instruction probatoire en deux tranches, respectivement vouées à la présentation des moyens à charge et des moyens à décharge, ouvrit, concrètement, l’espace nécessaire à faire droit à la présentation de telles requêtes. Ce qui attire plutôt l’attention – et il s’agit d’un aspect sur lequel nous aurons l’occasion de revenir – est la circonstance que cette même option avait était constamment suivie aussi devant les autres chambres de première instance, sans pour autant justifier l’adoption d’une procédure de « no case to answer ».
Pourquoi ?
L’une des réponses possibles tient aux conditions dans lesquelles se tint le jugement Ruto et Sang. Le climat dans lequel le Procureur avait conduit ses enquêtes n’avait pas été des plus favorables, ce qui avait en effet ajouté aux difficultés auxquelles généralement la collecte des preuves se heurte, dans le domaine de la justice pénale internationale. Même si la Chambre Préliminaire avait confirmé les charges contre deux des trois accusés[138], en estimant donc qu’il existait à leur égard des éléments probatoires suffisants à justifier le jugement, toujours est-il que le spectre d’une ingérence indue, d’ores et déjà avérée, étendait son ombre sur le cours ultérieur de la procédure. Dans ces conditions, on peut songer à ce que l’ouverture vers l’admissibilité d’un mécanisme permettant une clôture anticipée de la procédure, en cas d’échec probatoire de la thèse accusatoire, répondait à un souci de prudence et à une mise en balance des exigences opposées de répression et équité. L’attitude de la Chambre VI, qui nia à la Défense de présenter une « no case to answer motion » dans l’affaire Ntaganda, soutenue en cela par la Chambre d’Appel, semble confirmer l’impression d’une mesure exceptionnelle, destinée à rester telle en raison des circonstances exceptionnelles l’ayant dictée[139].
Quoi qu’il en soit, au moment où cette première décision que nous avons évoquée vint à admettre la possibilité d’avoir recours au « no case to answer proceeding », le régime procédural censé la régir ne fut pas précisé. La Chambre se réserva en effet le droit d’y revenir ultérieurement, au cours du procès. Et c’est ce qu’elle fit le 3 juin 2014, par la Décision numéro 5 sur la conduite de la procédure[140].
La lecture de ce document montre bien comment le premier souci de la Chambre a consisté à rechercher la discussion la plus ample possible autour de l’adoption de cette solution, en sollicitant les parties et les participants à lui soumettre leur avis sur ce point. Comme nous l’avons dit, la recherche des appuis juridiques pouvant justifier la procédure d’acquittement pour insuffisance des moyens à charge prend une place majeure dans l’économie d’ensemble de l’argumentation. Les parties avaient en effet évoqué plusieurs dispositions pouvant être appliquées. Selon le Procureur, la compétence de la Chambre à connaître de ce type de requêtes aurait pu s’appuyer sur l’article 64 (3) (a) – prévoyant le pouvoir général des chambres de première instance de prendre toute mesure utile à la conduite équitable et diligente de la procédure – ou sur les articles 64 (2) et 64 (6) (f) – qui, respectivement, engagent la chambre à veiller à ce que le procès se déroule de façon équitable et rapide, dans le respect des droits de l’accusé et eu dument égard aux intérêts des victimes, et lui reconnaissent le pouvoir de statuer sur toute question pertinente qui devait se poser au cours de la procédure –[141]. La Défense des accusés soutint que la chambre aurait été fondée à examiner la question sur la base de ses pouvoirs implicites, qu’elle déduisait, outre des dispositions indiquées par le Procureur, des articles 64 (6) (e) – imposant aux chambres de première instance le devoir d’assurer la protection de l’accusé, des témoins et des victimes – 64 (8) (b) – prévoyant le pouvoir général du Président de la chambre de donner des instructions en matière de conduite de la procédure et présentation des preuves – et 67 – reconnaissant les droits fondamentaux de l’accusé-. Elle évoquait aussi la règle 134 du RPP, selon laquelle les chambres de première instance ont le pouvoir de trancher sur toute question pertinente au déroulement de l’instance. Par ailleurs, on soulignait que l’absence d’une prévision textuelle de la procédure dite de « no case to answer » n’avait pas empêché de l’adopter devant le TPIY, s’agissant d’un mécanisme susceptible de protéger les droits de l’accusé et de promouvoir la rapidité de la procédure[142].
En prenant acte du fait que les parties et les participants étaient d’accord à l’admission des « no case to answer motions » dans le cadre de la procédure en cours, la chambre affirma d’emblée que l’origine de common law de cette procédure, ainsi que son application devant les tribunaux ad hoc, ne sauraient la soustraire à son devoir d’en construire le régime sur la seule base du cadre juridique de la Cour, conjuguant des éléments de common law et de civil law, et à l’aune des buts auxquels elle devrait tendre dans son contexte normatif et opérationnel. Et pourtant, tout comme il en avait été devant le TPIY, la lecture des normes du Statut qui suivit cette revendication d’autonomie relève de la common law à l’état pur.
C’est ainsi que la chambre rattacha l’essence du « no case to answer proceeding», fondé sur le principe selon lequel l’accusé ne devrait pas être appelé à se défendre si la preuve à charge est insuffisante à le justifier, au principe de la présomption d’innocence – article 66 (1) -, au droit à être jugé dans un délai raisonnable – article 67(1) -, et à l’agencement de la charge de la preuve – qui implique que l’accusé n’ait pas à se défendre là où le Procureur n’y a pas satisfait. Les dispositions indiquées par les parties comme constituant un possible fondement juridique de la procédure dite de « no case to answer » devant la CPI purent ainsi être retenues ad adiuvandum. Tout comme dans le système de common law, la possibilité d’un acquittement au stade intermédiaire du jugement s’inscrivit automatiquement dans le principe de la présomption d’innocence et dans le droit à être jugé dans un délai raisonnable. Ce rattachement amena inévitablement avec lui une appréhension très common law du régime de la charge de la preuve. Le schéma binaire de présentation des preuves au stade du jugement offrit pratiquement, enfin, le contexte utile à conduire, à ce stade intermédiaire, l’examen sur la suffisance des moyens à charge à soutenir la condamnation. D’où, d’une façon très logique, le régime auquel la chambre allait soumettre les requêtes que la Défense était admise à présenter, axé sur le modèle de l’article 98 bis RPP appliqué devant le TPIY dans sa version de 1999 : les « no case to answer motions » allaient être examinées à la clôture de la phase vouée à la présentation et à la discussion des preuves produites par le Procureur et avant l’ouverture de la phase de présentation et discussion des preuves à décharge, dans le cadre d’une procédure écrite[143]. La seule concession que la Chambre fit au caractère hybride de la procédure devant la CPI fut de reconnaître – et elle n’aurait pas pu faire autrement – que le Statut et le RPP, s’ils permettent une organisation accusatoire de l’administration de preuves, ne l’imposent pas. Cela impliqua, d’un côté, l’affirmation du caractère discrétionnaire du recours aux « no case to answer motions », comme découlant de la liberté reconnue aux chambres de première instance de définir les modalités de l’instruction probatoire au cas par cas et, de l’autre, l’exclusion de tout automatisme dans l’application du régime que la Chambre V (A) venait de définir, dans l’affaire en cours. L’admission de la possibilité, pour la Défense, d’introduire une requête d’acquittement au stade intermédiaire du jugement fut en effet conçue comme une pure éventualité, la Chambre n’ayant pas retenu le devoir, prévu en revanche par l’article 98 bis, de procéder d’office[144].
Ces deux éléments – une approche très common law de l’interprétation du Statut, et cette sorte de garde-fou représenté par le caractère discrétionnaire de la décision touchant à l’adoption du « no case to answer proceeding » devant la CPI -, jouèrent tous les deux un rôle déterminant dans l’affaire Ntaganda, la Défense poussant le premier à ses extrêmes conséquences, les juges de la Cour se cramponnant au deuxième comme des naufragés le feraient aux dernières planches du bateau.
Le 2 juin 2015, la Chambre VI, saisie de l’affaire, prononça sa Décision sur la conduite de la procédure[145]. Dans cette décision, la possibilité fut envisagée, pour la Défense, de présenter une requête d’acquittement pour insuffisance des moyens à charge au stade intermédiaire des débats. La Chambre réserva pourtant la décision d’admettre ou non ce genre de requête, en indiquant que la Défense aurait dû demander l’autorisation de les présenter, au plus tard dans 5 jours à compter de la clôture de la présentation des moyens à charge[146]. La Défense le fit, le 25 avril 2017[147] : la Chambre nia cette autorisation oralement, en faisant suivre ses motivations écrites le 1er juin 2017[148].
Sur le fond, la Défense de l’accusé soutenait que le Procureur n’avait présenté aucune preuve suffisamment crédible relativement à une pluralité de charges ; elle demandait donc d’être admise à développer ses arguments, en vue du prononcé d’un jugement d’acquittement partiel. La Chambre, en se prévalant de son pouvoir discrétionnaire de se prononcer sur ce point, répondit qu’elle n’estimait pas opportun d’autoriser d’activer ce mécanisme en l’espèce : non seulement les conditions très spéciales dans lesquelles la Chambre V (A) avait admis le « no case to answer proceeding » n’étaient pas présentes en l’espèce, mais une telle procédure, au vu de l’engagement de temps et ressources qu’elle implique, ne saurait, en principe, être autorisée que si elle permettait de garantir la rapidité et l’efficacité de la procédure, auquel cas la Chambre pourrait même l’initier[149]. La réaction de la Défense ne se fit pas attendre. Le 27 juin 2017 elle interjeta appel[150], en se fondant sur deux moyens : selon le premier, la Chambre avait violé la présomption d’innocence, piétiné le privilège contre l’auto-incrimination, et renversé la charge de la preuve, en appelant l’accusé à se défendre sans avoir d’abord établi qu’il y avait un « case to answer » ; selon le second, elle avait refusé discrétionnairement d’examiner une requête que, dans la mesure où elle concernait les droits fondamentaux de l’accusé, elle aurait dû examiner même d’office . Présumer un accusé innocent signifie qu’il ne peut être contraint de contribuer à sa propre incrimination ; qu’aucune interférence n’est donc admissible dans l’exercice de son droit au silence, notamment concernant le choix, qui lui revient souverainement, de témoigner ou ne pas témoigner à décharge ; que le Procureur ne peut pas espérer de lui les preuves à charge qu’elle est tenue de produire ; et que, enfin, si l’on adopte, comme en l’espèce, un régime d’administration probatoire axée sur le « two cases approach », on ne peut pas ne pas appliquer toutes les garanties qui y vont avec – et cela est tellement vrai que, dans les systèmes de common law, la procédure dite de « no case to answer » est admise aussi dans les procès sans jury[151]. Cela étant, la Chambre ne saurait discrétionnairement décider de se passer de vérifier s’il y a une preuve suffisante à justifier une défense, parce que les droits fondamentaux de l’accusé, prééminents dans la poursuite de l’équité de la procédure, ne sont pas négociables, même pas dans la perspective d’en contenir les délais[152]. Il était difficile, en effet, de lui donner tort.
La Chambre des Appels y parvint sur la base de deux principes[153] : même si le Statut et le RPP ne la prévoient pas, la procédure dite de « no case to answer » est admissible devant la CPI, et relève du pouvoir discrétionnaire des chambres de première instance[154] ; mais l’exercice de ce pouvoir n’est conditionné ni par les Droits de l’Homme, dont le droit au silence relève, ni par la structure accusatoire de la procédure choisie pour la présentation des preuves. Sous le premier rapport, la Chambre des Appels souligna que, fondée sur les pouvoirs que l’article 64 (6) (f) du Statut et la règle 134 du RPP reconnaissent aux chambres de première instance sur la conduite de la procédure, la décision touchant à l’éventualité d’examiner la requête de la Défense est par nature discrétionnaire, étant liée, comme toute autre décision du même ordre, au devoir, qui leur incombe, de veiller à ce que le procès se déroule d’une façon équitable et rapide, à l’aune des circonstances spécifiques de chaque affaire. Sous le deuxième rapport, elle reconnut que la procédure dite de « no case to answer » se relie, d’un côté et dans le contexte du Statut, au droit au silence posé par l’article 67 (1), et trouve, de l’autre, son terrain d’élection dans la structure accusatoire éventuellement adoptée par les chambres de première instance pour l’organisation de l’instruction probatoire. Et pourtant, ni l’une ni l’autre de ces deux circonstances ne saurait en imposer l’adoption, tant que l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont il est question reste conforme aux garanties prescrites par le Statut. Celui-ci, en combinant des éléments propres à la tradition de civil law et à la tradition de common law, poursuit à sa propre manière l’équité de la procédure, et, même si dans son texte ne sont pas présents certains mécanismes censés en revanche protéger l’accusé dans les ordres juridiques internes, les garanties qu’il prescrit assurent que, devant la CPI, tout accusé profite, globalement, d’un procès équitable[155].
On mesure là la portée du précédent établi par la Chambre V (A), et qui dérive de ce qu’elle donna des dispositions du Statut une lecture culturellement orientée : que la présomption d’innocence implique nécessairement le droit pour l’accusé de ne pas être appelé à se défendre avant qu’il soit établi qu’il y a raison de le faire n’est vrai que dans la perspective d’une culture processuelle accusatoire ; mais dans cette perspective, il est vrai, forcément. Les argumentations de la Défense Ntaganda relèvent, de ce point de vue, d’une nécessité logique. Or, il est évident que les « no case to answer motions » sont compatibles avec le Statut ; et il est aussi évident qu’une chose est de permettre, une autre chose d’imposer. La vraie question porte sur le point de savoir si une construction véritablement autonome d’un modèle processuel hybride saurait jamais se traduire par l’installation d’une sorte d’interrupteur, à l’entrée des salles d’audience, utile à le placer sur le mode common law ou le mode civil law à la discrétion des chambres de première instance. Abstraction faite des exigences basiques de prévisibilité, de certitude juridique et d’égalité de traitement que cette interprétation soulève, la version « discrétionnaire » du « no case to answer proceeding » vers laquelle la CPI semble s’orienter ne résout en rien la question de savoir si l’examen des « no case to answer motions » serait sensé là où les chambres exercent leur pouvoir pour les admettre. Les conclusions de la Chambre des Appels éludent cette question, ce qui est particulièrement décevant compte tenu des critères auxquels répondrait, en ces cas, leur décision.
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L’ADAPTATION PAR LES JURIDICTIONS INTERNATIONALES DU CRITÈRE DE LA DÉCISION SUR LES « NO CASE TO ANSWER MOTIONS »
Comme nous l’avons vu, l’un des piliers sur lesquels, dans le système de common law, la procédure qui nous occupe repose est la présence du jury. Et nous avons aussi vu que le lien qui la soude à la présomption d’innocence est tellement fort qu’elle ne saurait ne pas être admise aussi dans le cadre des affaires relavant de la summary jurisdiction. Il n’est pas étonnant, de ce point de vue, que l’absence du jury dans le système de la justice pénale internationale n’ait pas fait obstacle à son introduction. Seulement, cette circonstance eut dans ce contexte des conséquences particulières : elle ne se borna pas à soulever les difficultés précédemment évoquées relatives à la définition de la notion de preuve suffisante à soutenir une condamnation dans les ordres juridiques internes, lorsque le magistrat professionnel est appelé à trancher à la fois au stade intermédiaire et au stade final de la procédure ; la définition de ce standard probatoire entraîna en plus les juridictions internationales, et notamment les tribunaux ad hoc, dans une analyse excessivement compliquée des rapports qui s’installeraient entre le critère de décision sur les « no case to answer motions » et le critère de la preuve au-delà de tout doute raisonnable. Dans la logique qui est propre au style probatoire de common law, ce dernier critère est certes pertinent, pour la définition de la suffisance des preuves à charge à soutenir une condamnation ; mais qu’il ne s’agit pas, pour le Procureur, d’établir la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable au stade intermédiaire des débats est un principe que l’on peut tenir par acquis.
Plusieurs facteurs peuvent avoir joué dans la création de cette situation, parmi lesquels, certainement, la différence qui court entre la taille des violations dont les juges connaissent, respectivement, dans les deux contextes. La logique probatoire de common law est un outil sophistiqué à employer, dont le caractère analytique se prête très peu à gérer une masse d’informations comparables à celle que les juridictions internationales sont appelées à traiter. Il devient alors extrêmement difficile de mettre en pratique les consignes que la common law a imaginées pour faire en sorte que le juge n’usurpe pas les fonctions du jury, ou que le magistrat décidant seul sur le fond de l’affaire puisse éviter, là où il est saisi d’une « mid-trial motion », tout risque de préjugé.
Un autre facteur qui peut avoir alimenté ce débat dépend de l’attitude des avocats[156]. Ceux-ci, visant à anticiper le plus possible le prononcé d’un jugement d’acquittement, du moins partiel, ont très souvent prôné l’application, au stade intermédiaire de la procédure, du critère de la preuve au-delà de tout doute raisonnable, soit directement, soit indirectement, en soutenant le devoir pour le juge d’apprécier la crédibilité et la fiabilité des preuves à charge. Cela a inévitablement engagé les juges dans l’analyse des différences qui courent, entre le jugement sur les « no case to answer motions » et la décision finale : cette distinction, qui signale les difficultés auxquelles cette jurisprudence se heurta dans l’adaptation des critères de common law, devint très tôt la prémisse obligée de tout raisonnement autour du standard probatoire à appliquer au stade intermédiaire du jugement, visant en dernière analyse à réduire les conséquences de l’absence du jury. Il est clair, en effet, que si une chambre saisie d’une « no case to answer motion » devait apprécier la preuve à charge dans le but de vérifier si elle démontre au-delà de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé, le rejet de la requête, tout comme devant les magistrats de common law, trahirait l’opinion des juges concernant la culpabilité de l’accusé et, ce qui plus est, contraindrait la Défense à développer sa cause, en la mettant face à un renversement de la charge de la preuve[157]. Il serait alors très difficile pour la Chambre de revenir sur ses conclusions au stade finale de la procédure sur la base des mêmes preuves et la Défense serait contrainte de présenter les siennes, en essayant de soulever ce doute raisonnable que le jugement sur la « no case to answer motion » aurait exclu.
La question, ayant occupé les chambres de première instance des tribunaux ad hoc depuis l’introduction de l’article 98 bis, fut définitivement tranchée par la Chambre des Appels du TPIY en 2001, en l’affaire Jelisič[158] : la décision attaquée avait prononcé un acquittement partiel du chef de génocide, le Procureur n’ayant pas démontré au-delà de tout doute raisonnable l’existence d’un dolus specialis[159]. La Chambre des Appels, en éclairant les incertitudes qui étaient dérivées d’une série de formulations maladroites du critère de décision des « no case to answer motions », souligna que la notion de suffisance probatoire et celle de preuve au-delà de tout doute raisonnable sont liée, mais différentes : lorsque la chambre considère la preuve à charge au stade intermédiaire du jugement, elle est forcément appelée à vérifier, en envisageant son aptitude à soutenir une condamnation, qu’elle permet de se persuader de la culpabilité de l’accusé au-delà de tout doute raisonnable, parce que ce n’est qu’en ce cas qu’une condamnation peut être légitimement prononcée. Pourtant, la question dont les chambres sont saisies dans le cadre des « no case to answer proceedings » ne porte pas sur le point de savoir si elles arriveraient effectivement à une telle persuasion, mais si elles le pourraient. Autrement dit, la suffisance de la preuve à charge connote une situation probatoire dans laquelle la condamnation possible, et non pas nécessaire, en raison, justement, de la différence qui existe entre la décision prise au stade intermédiaire de la procédure, qui ne porte pas sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, et la décision finale[160]. Sur la base d’une telle prémisse, et aussi dans la jurisprudence postérieure, la notion de preuve suffisante à soutenir une condamnation fut définie comme une preuve sur la base de laquelle, si elle était acceptée, et à la considérer sous son jour le plus favorable, une chambre raisonnable pourrait légitimement condamner, i.e. être persuadée au-delà de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé[161]. C’est la même notion que la Chambre V (A) allait accueillir, pour la décision des « no case to answer motions » devant la CPI : en s’appuyant sur la jurisprudence établie par le TPIY, et sur la distinction qu’elle avait tracée entre la décision intermédiaire et la décision finale, elle définit la preuve suffisante comme « la preuve sur la base de laquelle, si elle était acceptée, une chambre raisonnable pourrait condamner »[162]. Cela ayant été établi, tout n’était pas encore dit, sur la manière dont les chambres devraient apprécier la preuve à ce stade, pour ne pas en excéder les limites. La lecture de la jurisprudence des juridictions internationales laisse entrevoir au moins trois types d’arguments visant à assurer – on dirait, à tout prix – que la décision sur une « mid-trial motion » ne se transforme surtout pas en une décision sur le fond de l’affaire.
Le premier argument consiste, comme dans le système de common law, à dire que la Chambre n’est appelée, dans le cadre du « no case to answer proceeding », qu’à trancher sur une question de droit.
Devant les tribunaux ad hoc, et avant l’introduction de l’article 98 bis du RPP, le critère de la décision fut défini comme impliquant le devoir, pour le juge, de tendre à savoir si, sur le plan du droit, il existe, pour chacun des chefs d’accusation, des preuves qui, si elles devaient être acceptées, pourraient légalement justifier une condamnation[163]. Après l’introduction de l’article 98 bis du RPP, et sans que les amendements de 2004 eussent de conséquences particulières à ce sujet, la notion de suffisance de la preuve à soutenir une condamnation put s’établir autour d’une définition plus précise. Son élaboration s’appuya notamment sur la distinction entre le plan du droit et le plan du fait, étant admis que l’absence du jury ne saurait l’annuler : les juges professionnels des tribunaux internationaux furent censés être en mesure de séparer leurs fonctions en tant que juges du droit et juges du fait, en laissant les questions relevant du fait – notamment, celles touchant à la crédibilité et à la fiabilité des preuves – pour la délibération finale[164]. La notion de preuve suffisante à soutenir une condamnation fut ainsi définie comme une preuve sur la base de laquelle, à la considérer sous son jour le plus favorable, et en partant du principe qu’elle soit crédible si non manifestement indigne de foi, une chambre raisonnable pourrait légitimement condamner[165]. Dans la Décision numéro 5 sur la conduite de la procédure, la Chambre V (A) de la CPI ne prit pas une position explicite sur ce point ; mais un écho de cette approche peut se lire dans l’opinion séparée du juge Eboe-Osuji, jointe à la décision sur les demandes d’acquittement qui marqua la fin du procès Ruto et Sang[166] : en se démarquant – pour des raisons sur lesquelles nous reviendront bientôt – des conclusions atteintes par le juge Fremr, le juge Eboe-Osuji souligna que, pour l’avenir, une correcte application du standard probatoire à appliquer dans le cadre du « no case to answer proceeding » ne devrait pas oublier que, dans la jurisprudence aussi bien nationale qu’internationale, il s’agit toujours pour le juge de se demander si la preuve est de nature à pouvoir légitimement (« properly ») fonder une condamnation.
Le deuxième argument utilisé en vue de délimiter la tâche des juges dans le contexte des procédures dites de « no case to answer », et qui découle directement du premier, consiste à dire qu’il ne s’agit pas, pour une chambre, de dire si elle-même se déterminerait dans le sens de la culpabilité de l’accusé, mais si une chambre raisonnable pourrait le faire[167]. Il s’agit d’une conséquence inévitable du principe selon lequel la preuve présentée par le Procureur n’a pas à être telle que la Chambre devrait condamner, mais qu’elle le pourrait. De toute évidence, une chambre qui se trouverait à se demander, à elle-même, si elle-même pourrait condamner sur la base des preuves à charge finirait par trahir – c’est le moins que l’on puisse dire – un certain penchant à être persuadée au-delà de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé. Mieux donc qu’elle spécule généralement sur ce qu’une chambre raisonnable pourrait conclure sur la base des mêmes preuves, en faisant pourtant très attention à ne pas se questionner sur ce que toute chambre raisonnable finirait par conclure, ou, pire encore, sur ce qu’aucune chambre raisonnable ne saurait conclure, si elle était à sa place[168].
Telle est la teneur – et la clarté – des arguments qui divisèrent les opinions des juges devant les tribunaux ad hoc et les poussèrent, devant la CPI, non seulement à se diviser, mais encore à se contredire[169]. C’est logique : une fois que le procès se déroule sans la participation du jury, le critère de jugement axé sur la perception que les jurés pourraient avoir des preuves perd tout son sens. Les juridictions internationales n’ont pas été réceptives à la leçon que les difficultés posées par l’application de cette procédure en dehors du trial by jury auraient dû leur apprendre ; elles se sont par conséquent retrouvées prises au même piège que les magistrats des summary jurisdictions de common law : là où la décision sur une « no case to answer motion » et la décision finale reviennent à la même personne, si l’on ne veut pas admettre le risque de préjugé, il ne reste qu’à admettre celui de l’opération mentale surréaliste. Cela ressort bien des réflexions développées à ce sujet par les juges dissidents des tribunaux ad hoc : à quoi bon la chambre devrait-elle faire continuer la procédure, si elle voit déjà, au stade intermédiaire, qu’elle ne pourra pas s’orienter dans le sens de la condamnation, et cela sur la base de la seule raison qu’une autre chambre pourrait en raisonner différemment [170] ? Restée sans véritables réponses devant les tribunaux ad hoc, cette question arriva dans les mêmes termes devant la CPI, où elle fut la sources d’ultérieures apories. La Décision numéro 5 sur la conduite de la procédure adoptée en l’affaire Ruto et Sang s’appuya sur la jurisprudence des tribunaux ad hoc accueillant le critère selon lequel la preuve à charge doit être considérée dans la perspective de ce qu’une chambre raisonnable pourrait conclure, quant à la responsabilité de l’accusé[171]. Le juge Fremr, pourtant, précisa, lors de la décision sur les requêtes d’acquittement présentées par la Défense, que l’adoption de ce critère ne devrait pas empêcher la Chambre de se fonder sur ses propres conclusions, justement en raison de ce que la procédure ne devrait pas continuer au-delà du moment où les juges se rendent compte qu’aucune condamnation au-delà de tout doute raisonnable ne pourrait s’en suivre[172]. La question fut reprise par le juge Eboe-Osuji, dans son opinion séparée[173] : en analysant la jurisprudence de common law touchant à l’application de la procédure dite de « no case to answer » dans les affaires relevant de la compétence du seul magistrat professionnel, il fit état du courant qui permet au juge de mettre à tout moment un terme à la procédure, dès qu’il est convaincu que la thèse accusatoire ne saurait justifier une condamnation, peu importe si l’éventualité reste ouverte, qu’un autre juge puisse en décider autrement.
Nous en venons ainsi au troisième argument qui a été avancé pour définir le critère de la suffisance de la preuve de façon à éviter que la décision prise au stade intermédiaire de la procédure se substitue à la délibération finale. Il est clair que si l’on admet que le juge tranche sur cette question en ayant comme point de repère sa propre opinion des preuves, il serait inacceptable que celle-ci se fonde sur un examen superficiel de leur portée probatoire. Réciproquement, si l’on veut que le juge ne trahisse pas son opinion des preuves, on n’admettra surtout pas qu’il en apprécie la valeur. C’est la conclusion que les juridictions ad hoc retinrent, en limitant le pouvoir des chambres de première instance de considérer la crédibilité et la fiabilité des preuves à charge, à l’issue de leur présentation. Ce faisant, elles appliquèrent la jurisprudence de common law au pieds de la lettre, en la traduisant par la règle selon laquelle la chambre doit envisager la preuve présentée par le Procureur sous son jour le plus favorable, et partir du principe qu’elle est crédible, sauf si elle est manifestement indigne de foi. L’appréciation de la crédibilité et de la fiabilité des éléments à charge ne fut donc admise que dans des cas exceptionnels, là où les lacunes probatoires de la thèse accusatoire sont tellement graves, en raison de contradictions intrinsèques ou suite aux questions touchant à la crédibilité et à la fiabilité soulevées par la Défense lors des contre-interrogatoires, à un tel point sérieuses que l’on peut dire que le Procureur est restée sans arguments[174]. Nul doute qu’il s’agit d’une dérogation exceptionnelle : cette règle dit que le juge ne peut apprécier la valeur de la preuve à charge que là où elle n’en a visiblement aucune. Le lien entre ce principe et l’autre, selon lequel la preuve à charge est insuffisante si elle est telle qu’une chambre raisonnable ne pourrait condamner, ressort de la définition de la preuve manifestement indigne de foi : c’est bien la preuve qu’aucune chambre raisonnable ne saurait croire ou, qui est la même chose, que toute chambre raisonnable trouverait incroyable de tout point de vue[175].
Les deux aspects sont à ce point imbriqués, que le second ne pouvait pas ne pas soulever les mêmes débats que le premier. Bien que la jurisprudence des tribunaux ad hoc eût fini par se stabiliser autour des principes que nous avons évoqués, la question de la latitude dont les chambres auraient pu profiter, en examinant ce genre de requêtes, pour apprécier la crédibilité et la fiabilité de la preuve à charge dégagea un contentieux considérable entre les parties. La CPI hérita de ce débat, et la Chambre V (A) rendit sur ce point une décision extrêmement ambigüe, qui ne laisse en effet rien entrevoir de la pratique à venir. La Décision numéro 5 sur la conduite de la procédure avait exclu toute appréciation de la crédibilité et fiabilité des preuves à ce stade, s’agissant de questions qui, touchant plutôt à la qualité de la preuve qu’à son existence, doivent être laissée pour la délibération finale. La chambre n’allait donc pas les aborder, sauf là où la preuve serait tout à fait incapable de mériter la confiance de toute chambre raisonnable[176]. Lors de l’application de ces critères, pourtant, chacun des trois juges de la chambre prit, à sa façon, ses distances avec les principes qu’ils avaient initialement accueillis à l’unanimité. Le juge Fremr, après avoir conduit, sur les preuves à charge, un examen très articulé, affirma que, même s’il avait respecté le critère indiqué par la Décision numéro 5, les chambres de première instance devraient, à l’avenir, pouvoir apprécier la valeur des preuves à charge au-delà des cas exceptionnels où elle paraissent manifestement indignes de foi ; et cela, si non dans le cadre du régime qu’elles arrêteront pour l’examen des « no case to answer motions », sur la base de leur pouvoir générale d’assurer l’équité de la procédure, établi par l’article 64 (2), qui ne saurait se trouver limité par les décisions éventuellement prises sur la conduite des débats[177]. Le juge Eboe-Osuji, dans son opinion séparée, tira argumentde l’indivisibilité des fonctions des juges devant la CPI, qui sont à la fois juges du droit et juges du fait, et de la possibilité, pour les chambres, d’apprécier la preuve à charge, dans le contexte du régime qu’elles adopteront pour les « no case to answer proceeding ». La question du risque de préjugé qu’une telle appréciation pourrait induire en cas de rejet de requêtes présentée par la Défense pourrait se résoudre par la limitation de sa motivation[178]. Enfin, le juge Carbuccia, dissidente, estima que la Décision numéro 5 interdisait à la chambre de procéder à une évaluation de la crédibilité et de la fiabilité des preuves, car l’examen à conduire au stade intermédiaire du jugement consiste dans une analyse prima facie de l’ensemble des éléments que le Procureur a présenté – suffisants en l’espèce, à son avis, à justifier la continuation de la procédure[179]. Trois juges, trois lectures différentes : et pourtant, que le « no case to answer proceeding » risque de causer des frictions, dans un système autre que celui qui est le sien, peut ne pas relever que de l’opinion.
A.- « NO CASE TO ANSWER MOTIONS » ET MODÈLES DU PROCÈS PÉNAL INTERNATIONAL
À ce point de nos réflexions, ce qu’il nous reste à faire, pour tenter d’apprécier le sens que la procédure dite de « no case to answer » peut continuer d’avoir, dans le contexte de la procédure pénale internationale, est d’élargir le champ d’observation, comme nous l’avons fait, en regardant ce qui l’entoure, pour saisir sa logique dans le système d’origine. Or, quoi que la question touchant à la définition du modèle processuel de la justice pénale internationale ait occupé – et continue à occuper – une place majeure dans le débat doctrinaire, force est de constater qu’elle est encore loin d’avoir trouvé des solutions unanimes[180]. Il serait donc de très peu d’intérêt d’essayer de décrire le modèle dans lequel les « no case to answer proceedings » s’insèrent au niveau international pour le comparer ensuite au modèle dont ils tirent leur origine : les contours de l’un de termes de la comparaison sont pour le moment encore trop flous, pour qu’un tel exercice puisse se révéler fructueux. Ce qui est beaucoup plus intéressant de faire – et que l’approche analytique des modèles processuels permet, en effet, de faire – est plutôt, en partant de la connaissance que nous avons acquise des liens fonctionnels courant entre cette procédure et les autres composantes du système auquel elle appartient, d’essayer de voir combien ceux-ci continuent à opérer aussi dans le nouveau contexte. Nous allons donc entamer une sorte de chemin à rebours qui, depuis ce qui existe immédiatement à proximité de ce mécanisme, nous conduira à ce qui l’entoure progressivement de moins près ; ce mouvement démontrera que les liens fonctionnels, envisageables entre cette procédure et d’autres éléments du système, perdent graduellement en intensité et en netteté, si l’un de ces éléments change par rapport au système d’origine, au fur et à mesure que l’on s’éloigne, pour ainsi dire, du centre de ce mécanisme vers sa périphérie. Qu’il en soit ainsi, nous avons déjà pu le constater pour l’un de ce liens fonctionnels : la jurisprudence internationale portant sur la définition du critère censé régir la décision sur les « no case to answer motions » montre ce qui se passe au cœur de cette procédure, lorsque la nature change, par rapport au modèle d’origine, de l’organe qui est appelé à en connaître. Deux autres pas en arrière nous permettront de considérer ce qui se passe immédiatement autour du « no case to answer proceeding » – au stade du jugement ( 1) – et un peu plus loin – dans l’articulation des phases de la procédure (2)-, lorsque des éléments excentriques viennent à embrouiller la pureté du « two cases approach ».
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« NO CASE TO ANSWER » ET SÉQUENCE PROBATOIRE DE LA PHASE DU JUGEMENT
Comme nous l’avons indiqué, l’approche compétitive de l’établissement factuel se prête à décrire, d’un point de vue général, une procédure axée sur le schéma de deux enquêtes autonomes et parallèles, dont les résultats se mesureront au stade du jugement, devant un juge-spectateur. Pourtant, le « two cases approach » est aussi synonyme, d’un point de vue plus circonscrit, d’une organisation binaire des activités qui se déroulent, au stade des débats, en vue de la présentation des preuves[181]. Sur ce plan, des différences très intéressantes peuvent être constatées, entre les modèles adoptés, respectivement, devant les tribunaux ad hoc, notamment devant le TPIY, et devant la CPI. Ces différences touchent à deux aspects essentiels : la séquence probatoire et les modalités d’audition des témoins.
La structure de la phase des débats devant le TPIY ressort de la lecture combinée des articles 20 (3) du Statut et des articles 84 à 87 du RPP. Le jugement s’organise autour de quatre moments : ouverture des débats, administration des preuves, clôture des débats et délibéré (sur la culpabilité et sur la peine). L’article 20 (3) du Statut établit que la chambre de première instance, après avoir donné lecture de l’acte d’accusation et vérifié que le jugement a été instauré dans le respect des droits de l’accusé et que celui-ci a bien compris les chefs dont il est poursuivi, fixe la date du procès. Les débats s’ouvrent par les déclarations liminaires des parties (« opening statements » ; article 84 RPP) et, éventuellement, par une déclaration spontanée de l’accusé (« statement of the Accused » ; article 84 bis RPP). Cette phase épuisée, le moment vient de la présentation des moyens de preuve (« presentation of evidence » ; article 85 RPP), dont la séquence est ainsi conçue : présentation des preuves du Procureur (« evidence for the Prosecutor ») ; présentation des preuves de la défense (« evidence for the Defence ») ; réplique du Procureur (« evidence of the Prosecutor in rebuttal »); duplique de la Défense (« evidence of the Defence in rejoinder ») ; moyens de preuve éventuellement disposés d’office par la chambre de première instance sur la base de l’article 98 RPP, ainsi que toute autre information utile à la définition de la cause, notamment en ce qui concerne la détermination de la peine. La phase de présentation des preuves est suivie par les réquisitoires et les plaidoiries, respectivement de le Procureur et de la Défense (« closing arguments » ; article 86 du RPP) ; après quoi, la chambre déclare la clôture des débats et se retire pour délibérer (article 87 du RPP).
Les modalités de l’interrogatoire des témoins présentés par les parties sont prévues par l’article 85 (B) : on y retrouve l’interrogatoire principal (« examination-in-chief ») qui revient à la partie l’ayant appelé à la barre ; le contre-interrogatoire (« cross-examination ») auquel a droit l’adversaire ; et l’interrogatoire supplémentaire (« re-examination ») traduisant le droit, pour la partie à faveur de laquelle le témoin dépose, d’avoir le dernier mot dans son examen. L’article 90 du RPP, fixant le régime du témoignage, prévoit, aux lettres F et H, les limites des rôles respectivement confiés aux juges et aux parties au cours des auditions. Celles-ci, selon l’article 90 (F), se déroulent sous la surveillance de la chambre, qui garantit des modalités efficaces pour l’établissement de la vérité, et capables d’éviter tout délai inutile. Selon les prescriptions de l’article 90 (H), l’interrogatoire principal fixera les limites thématiques de la déposition. Pendant le contre-interrogatoire, l’adversaire ne sera admis à poser que deux sortes de questions : celles visant à mettre en doute la crédibilité du témoin, et celles visant à en obtenir des informations utiles à sa cause, à la condition, pourtant, de lui demander compte des contradictions entre sa déclaration et les éléments dont elle dispose, et qu’elle devra lui indiquer clairement. En tout cas, le contre-interrogatoire devra se borner, sauf autorisation de la chambre, aux points sur lesquels aura porté la déposition rendue au cours de l’interrogatoire principal[182].
L’esprit accusatoire de ce régime est patent. Non seulement la jurisprudence du TPIY le reconnut ouvertement, mais en en faisant l’application elle put l’intégrer des principes que la tradition de common law a développés, pour discipliner les parties dans l’exercice de leur droits probatoires[183]. Ainsi, la portée des questions admises respectivement lors de l’interrogatoire principal et lors du contre-interrogatoire fut définie selon les mêmes critères pratiqués par les juridictions anglo-américaines : exclues pendant l’ « examination-in chief », pour ne pas compromettre la crédibilité du témoin, les questions suggestives furent permises pendant la « cross-examination », visant justement à la mettre à l’épreuve ; la possibilité pour la partie d’interroger une dernière fois le témoin de l’adversaire après l’interrogatoire supplémentaire (« re-cross-examination ») – que les textes n’avaient pas prévue – fut consentie, mais en voie exceptionnelle. Quant à la possibilité pour la chambre d’interroger les témoins, que l’article 85 (A) du RPP reconnaissait à n’importe quel moment de l’audition et de la séquence probatoire, elle fut cantonnée à la fin des examens conduits par les parties, et limitée aux seules questions pouvant servir à éclairer des aspects de la déposition rendue par le témoin, sans que la chambre puisse sortir de la ligne d’interrogatoire déterminée par les parties[184]. Des règles plus souples furent admises seulement pour l’audition des témoins cités par la chambre d’office, sur la base du pouvoir que lui reconnaissait l’article 98 du RPP, mais il s’agit d’une éventualité rare : dans la pratique du TPIY, les chambres exercèrent leur pouvoirs probatoires avec beaucoup de retenue, les parties pouvant y voir – tout comme dans les questions posés aux témoins – une ingérence indue dans leur stratégie processuelle, les juges admettant les limites auxquels il se heurtait, dans le cadre d’un système qui ne leur reconnaissait pas des pouvoirs d’investigation correspondant[185].
La procédure dite de « no case to answer » put en effet s’intégrer dans cet agencement sans rencontrer de résistances particulières. L’organisation de la présentation des preuves par blocs opposés lui offrit un terrain familier, ainsi que la logique d’ensemble qui inspirait les règles prévues pour l’examen des témoins, et pour la distribution des rôles respectifs des parties et des juges dans le contrôle et le développement de l’instruction probatoire. Non seulement la technique alternée dans la présentation des informations pertinentes assura la polarisation de l’établissement processuel que nous avons vu être caractéristique du style de common law ; mais aussi la gestion que les chambres eurent de la séquence probatoire créa pour le « no case to answer proceeding » un environnement favorable dans lequel mettre racines. La jurisprudence du TPIY suivit en effet les principes typiques de la common law dans la délimitation des espaces que le RPP avait prévus pour la présentation des preuves en réplique (« rebuttal ») et en duplique (« rejoinder »)[186]. Nous avons vu qu’il s’agit de deux moments procéduraux censés intervenir à la fin de la présentation des moyens à charge et des moyens à décharge, et qui permettent au Procureur et à la Défense de produire des preuves ultérieures à celles initialement visées par leur cause. Dans la tradition de common law, inspirée du principe de concentration, il est en règle générale exclu que la partie poursuivante puisse présenter des preuves supplémentaires après la clôture de son « case ». Cette restriction s’explique en raison de ce que les débats sont le seul lieu où l’accusé aura finalement une connaissance complète du dossier du Procureur, et compte tenu du fait que c’est sur la base de cette connaissance qu’elle pourra finalement décider si et comment se défendre. Le principe vaut, donc, selon lequel le Procureur est tenu de présenter toutes les preuves disponibles lors de la présentation de sa cause, n’étant pas admissible, selon cette logique, qu’il profite des «evidences in rebuttal » pour remédier aux faiblesses de sa thèse, que la Défense aura éventuellement fait jaillir en plaidant la sienne. Moins encore elle saurait en profiter pour prendre la Défense au dépourvu. D’où, la règle, appliquée aussi devant les tribunaux ad hoc, selon laquelle les preuves en réplique ne sont admises que là où la nécessité de les produire résulte des arguments développés par la Défense lors de la présentation des moyens à décharge, et que si elles sont douées d’une force probante particulièrement significative. Aux mêmes critères doit répondre la duplique à laquelle la Défense est éventuellement admise[187]. Les limites posées ainsi au « rebuttal » dérivent en réalité de la même logique justifiant le mécanisme du « no case to answer proceeding », en se reliant, comme en cascade, à la présomption d’innocence, qui détermine à son tour la charge de la preuve : le Procureur a une, et une seule, occasion de soulever un « case » auquel la Défense a raison de répondre ; il ne peut pas espérer trouver dans les preuves à décharge une opportunité pour ajouter des arguments à charge, qu’il n’aurait pas avancés quand il l’aurait dû. Dans le procès « adversary », la rime est obligée : il n’y a pas d’espaces pour les vers libres.
Un discours bien différent doit être fait pour la CPI. Les auteurs qui ont pu approfondir ce thème ont toujours rendu compte des débats très vifs que le sujet de l’organisation de l’instruction probatoire lors des débats souleva pendant les négociations du Statut et du RPP[188]. Il s’agit en effet d’une question sur laquelle les appartenances culturelles se prêtent particulièrement à diviser les esprits. Une entente restant impossible, les efforts des rédacteurs se vouèrent à l’élaboration de textes susceptibles de poser des garanties minimales, tout en laissant ouverte la possibilité, pour les chambres, d’agencer les débats qui allaient se dérouler devant elles de la manière la plus apte à assurer un procès équitable et rapide et, qui plus est, en évitant tout recours à une terminologie trop connotée. Il en résulta un régime particulièrement souple, tant sur le plan de la séquence probatoire que sur le plan des règles à appliquer dans l’audition des témoins. Et pourtant, en se référant à la seule lettre de ces normes, on peut d’emblée constater un élément, qui manquait du régime prévu par les sources des juridictions ad hoc, et qui représente en revanche un caractère spécifique à la procédure devant la CPI : la participation des victimes, susceptible de troubler la polarisation de l’établissement processuel si typique du style probatoire de common law, d’autant plus en raison de la valorisation qu’elle allait connaître dans la jurisprudence de la Cour.
L’essentiel des pouvoirs des chambres de première instance sont prévus par l’article 64 du Statut[189]. Celui-ci, après avoir énoncé qu’elles sont appelées à veiller à ce que le procès soit équitable et efficace, et qu’il se déroule dans le plein respect des droits de l’accusé et de manière à garantir la protection des victimes et des témoins (article 62 (2)), établit, au paragraphe 3 (a), qu’elles peuvent consulter les parties « et adopter toutes procédures utiles à la conduite équitable et diligente de l’instance ». Toujours l’article 64 prévoit, au paragraphe 6 (f), que les chambres statuent « sur toute autre question pertinente ».
Dans le cadre de ces pouvoirs s’insère la tâche que le Statut confie aux Présidents des chambres de première instance en matière d’organisation des débats. L’article 64 (8) (b) prévoit qu’ils peuvent donner des instruction sur la conduite de la procédure, censées encadrer les activités probatoires. La norme ajoute en effet que, sous réserves des instructions déterminées par le Président de la chambre, et toujours dans le respect du Statut, les parties pourront soumettre les éléments de preuve dont elles souhaitent l’admission. Le régime de l’instruction probatoire qui se déroule au stade du jugement est intégré par les dispositions pertinentes du RPP. La règle 134 (3) dispose que, après l’ouverture du procès, la chambre peut connaître, d’office ou sur la demande des parties, de toute question qui se pose au cours de la procédure. Au-delà de ce pouvoir général, la règle 140 précise les modalités des débats et de la présentation et audition des témoins. Lorsque la chambre ne s’est pas prévalue des pouvoirs que le Statut lui reconnaît de donner d’instructions sur la conduite de la procédure, l’ordre et les modalités de présentation des preuves peuvent faire l’objet d’un accord entre les parties ; à défaut, le Président doit statuer sur ce point. En évitant soigneusement tout terme qui pourrait renvoyer trop directement à un imaginaire de common law, la règle 140, au paragraphe 2, revient sur les modalités d’interrogatoire des témoins, en revisitant à sa manière l’alternance, que nous avons vu à l’œuvre devant les tribunaux ad hoc, entre « examination-in-chief » et « cross-examination ». Sous réserve, d’une part, des pouvoirs dont les Chambres disposent, sur le fondement de l’article 64 (9) et 69 (4) du Statut, pour statuer sur l’admissibilité des preuves, et, de l’autre, de leur obligation de veiller à ce que les examens des témoins se déroulent dans le respect de leur dignité ainsi qu’il est prévu par la règle 88 (5), les auditions des témoins peuvent s’organiser ainsi : la partie qui a cité le témoin a le droit de l’interroger la première (règle 140 (2) (a)) ; le Procureur et la Défense peuvent l’interroger sur le points qui ont trait à sa crédibilité et à la fiabilité de sa déposition, comme sur toute autre question pertinente (règle 140 (2) (b)) ; la Défense a le droit d’interroger le témoin la dernière (règle 140 (2) (d)). Rien de plus précis n’est dit concernant l’ordre de présentation des témoins, le texte de la disposition ne laissant pas entrevoir une organisation forcément binaire, par blocs, des preuves à charge et des preuves à décharge ; mais la règle 140 (2) (c) permet à la chambre de poser ses questions au témoin avant ou après l’interrogatoire conduit par les parties. Il faut aussi relever que, comme cela était prévu devant les tribunaux ad hoc, la Chambre peut exercer des pouvoirs probatoires d’office, en demandant aux parties de produire des preuves supplémentaires utiles à l’établissement de la vérité (article 69 (3) du Statut).
Le moins que l’on puisse dire est qu’aucun modèle ne ressort de ces dispositions, qui orienterait l’organisation des débats vers la civil law plutôt que vers la common law[190]. Et pourtant, un élément assurément étranger au « two cases approach » propre à la deuxième fait son apparition à la règle 91 (3) (a) : à condition que la chambre l’autorise, le représentant légal des victimes dont on ait admis la participation à la procédure peut, à son tour, interroger les témoins, y compris les experts et les accusés. Selon le paragraphe 3 (b) de cette disposition, la chambre, en statuant sur la requête d’autorisation, prend en considération la phase à laquelle la procédure se trouve, ainsi que les droits de l’accusé et les exigences d’un procès équitable, conduit d’une manière diligente et impartiale. En renvoyant à l’article 68 (3) du Statut, qui prévoit les conditions auxquelles les victimes sont admises, devant la CPI, à exprimer leurs « vues et préoccupations », la règle 91 (3) (b) implique que l’interrogatoire des témoins de la part du représentant ne peut en tout cas être préjudiciable ou contraire aux droits de la défense et à l’équité et à l’impartialité de la procédure. Cette possibilité, reconnue au représentant des victimes, de prendre une part active à l’instruction probatoire au stade des débats constitue un élément très intéressant à prendre en considération, dans les cadre de nos réflexions. Elle a déterminé une organisation particulière de la présentation des preuves devant la CPI, qui l’éloigne des schémas typiques d’une procédure strictement accusatoire, et insère une troisième voix dans la dialectique processuelle qui la caractérise[191].
Un regard sur les décisions relatives à la conduite de la procédure par lesquelles les chambres ont donné une structure concrète aux indications délibérément ouvertes du Statut et du RPP montre que, en ce qui concerne l’activité probatoire des parties, la jurisprudence de la CPI s’est orientée vers une approche de common law[192]. À compter de l’affaire Lubanga, la présentation des preuves des parties a été partagée en deux tranches, vouées respectivement à l’administration des preuves à charge et à celle des preuves à décharge, les preuves éventuellement disposées par la chambre étant examinées à la fin[193]. Une terminologie de common law a très tôt été employée, pour préciser les façons de ces interrogatoires que la règle 140 avait soigneusement évité de définir : on retrouve le mouvement de l’ « examination-in-chief », de la « cross-examination » et de la « re-examination », avec ceci de particulier que, tout comme le RPP le prescrit, la « re-cross-examination » est toujours garantie à la Défense, celle-ci ayant le droit de parler en dernière. Le choix pour le style « adversary » d’examen des témoins amena avec soi, tout naturellement, l’exigence de circonscrire la portée et la nature des questions admises, respectivement, pendant l’interrogatoire principal, pendant le contre-interrogatoire et pendant l’interrogatoire supplémentaire[194]. Des règles furent par ailleurs dictées, pour définir les conditions de la recevabilité de la preuve en réplique et en duplique, très semblables à celles ayant gouverné les mêmes mécanismes devant les tribunaux ad hoc[195]. On ne s’étonnerait pas spécialement de voir s’insérer dans ce cadre la procédure dite de « no case to answer » si la jurisprudence de la CPI n’avait pas mis en valeur, et au-delà des limites découlant des textes, la participation des victimes pendant les débats. Cela impliqua un écart non négligeable du modèle de common law, notamment en ce qui concerne la séquence probatoire.
Comme nous l’avons vu, l’article 68 (3) du Statut parle généralement de la possibilité, pour les victimes, d’exprimer leur vues et préoccupations ; la règle 90 (3) du RPP envisage la possibilité pour leur représentant de poser des questions aux témoins ; mais la lettre du texte laisse à penser qu’il ne peut croire s’agir que des témoins appelés par les parties, d’autant plus que c’est aux « parties » et non pas aux « participants » que l’article 69 (3) reconnaît le droit de présenter les preuves pertinentes à l’affaire. La jurisprudence de la CPI se fonda néanmoins sur les deux premières dispositions pour consacrer le droit des victimes à déposer en tant que témoin et, en outre, à présenter des preuves à leur tour[196]. En adoptant une interprétation particulièrement créatrice des textes, les chambres estimèrent que l’initiative probatoire du représentant des victimes était cohérente avec le cadre normatif de la CPI : elle aurait été une manière de leur consentir d’exprimer leurs vues et préoccupations, ainsi que l’article 68 (3) du Statut le prévoit, et elle aurait été tout à fait compatible avec la possibilité que le RPP lui donnait d’interroger les témoins, qui n’avaient pas à être forcément les témoins appelés par les parties. L’article 69 (3) ne se borne pas à prévoir les droits des parties de présenter des preuves ; il reconnaît aussi à la chambre des pouvoirs probatoires autonomes en vue de l’établissement de la vérité. Les prérogatives probatoires des représentants des victimes furent reliées au pouvoir, général et tout à fait autonome, des chambres d’intervenir pour assurer la complétude de l’instruction[197].
La séquence probatoire se modifia donc, non seulement par rapport à la pratique appliquée devant les tribunaux ad hoc, mais aussi par rapport aux schéma binaire de common law, pour faire place à cette troisième voix qui peut se lever devant la CPI[198]. Entre la présentation des preuves à charge et la présentation des preuves à décharge, un moment fut conçu pour la présentation des preuves du représentant des victimes, celui-ci ayant le droit, tout comme les parties, de conduire l’interrogatoire principal et de re-examiner le témoin après le contre-interrogatoire de la part de le Procureur et de la Défense ; le droit lui fut octroyé d’interroger les témoins des parties, tout de suite après l’interrogatoire principale ou le contre-interrogatoire conduits par le Procureur, selon qu’il s’agisse d’un témoin à charge ou à décharge. La portée et la nature des questions que le représentant fut admis à poser furent, parfois minutieusement, définies et, même si en règle générale, et en vue de garantir le droit de l’accusé à ne pas se trouver à affronter plusieurs accusateurs, il fut établi que l’interrogatoire par le représentant des victimes aurait dû être conduit de façon neutre, des exceptions furent consenties le rapprochant fortement d’un contre-interrogatoire en style pleinement accusatoire[199].
Il est clair que cet agencement ne permet pas, en soi, de dire que le « no case to answer proceeding » n’aurait aucune légitimité devant la CPI, ni de dire qu’il n’aurait, non plus, aucune raison d’être. Les chambres de première instance ont eu soin de souligner que l’espace donné aux initiatives probatoires du représentant des victimes ne fait pas de celles-ci des parties, et moins encore une sorte d’accusateur supplémentaire[200]. Leur contribution à l’établissement processue, qui n’est permise que dès lors que les intérêts personnels des victimes sont en jeu, vise donc à soutenir la chambre dans sa tâche d’assurer la manifestation de la vérité, en lui offrant utilement une perspective de compréhension et d’évaluation des preuves présentées par les parties. Toutefois, ce lien avec les pouvoirs probatoires de la chambre embrouille la netteté du « two cases approach » sur lequel la procédure d’acquittement pour insuffisance des moyens à charge repose dans sa tradition d’origine[201]. Il se peut que les espaces que la jurisprudence a reconnus à la contribution probatoire des participants ne leur permettent pas encore de présenter leur « case » ; mais certainement, ils leur permettent de soulever leur thème. Ce troisième regard, qui vise une cause sans la plaider techniquement, suffit à briser la tension parfaitement bipolaire du style probatoire accusatoire et se pose sur un autre plan que celui des stratégies processuelles des parties. En ouvrant une nouvelle perspective aux juges, il renforce leur rôle dans l’établissement des faits. Il est vrai que dans l’affaire Ruto et Sang, les représentants des victimes n’avaient pas demandé à présenter de preuves, ce qui permit à la chambre d’examiner les « no case to answer motions » à un stade véritablement intermédiaire de la procédure[202]. Mais là où cette éventualité devait se poser, et étant donné que la présentation des preuves demandées par les participants se place entre la phase vouée à l’administration des preuves à charge et celle vouée l’administration des preuves à décharge, cette procédure perdrait son ancrage dans la séquence probatoire, et avec quelles conséquences, il est facile de le voir : une fois que l’on admet que les victimes expriment leurs vues et préoccupations par les preuves, il serait inéquitable de subordonner leur présentation à la suffisance de la preuve à charge à soutenir une condamnation. De ce point de vue, il serait alors logique de s’attendre à ce que les « no case to answer motions » soient examinées à la fin de la présentation de leurs preuves ; et pourtant, en ce cas, les participants n’étant pas des parties, la question se poserait de comment les évaluer, dans le cadre de cette décision : la ratio du « no case to answer proceeding » est que le Procureur ne peut pas espérer de s’appuyer, pour soutenir sa thèse, sur des preuves que la Défense n’avait pas raison de présenter. Pourrait-elle s’appuyer sur celles présentées par le représentant des victimes ? Qu’adviendrait-il, alors, de la charge de la preuve qui lui incombe ? Ou devrait-on penser que les participants en portent une, eux aussi ? Qu’en serait-il, dans ces conditions, de l’équité de la procédure, dès lors qu’ils n’ont pas les mêmes droits que les parties sur le terrain probatoire ?
Ce ne sont les conséquences que de l’un des éléments susceptibles d’interférer avec la logique de l’approche compétitive de l’établissement processuel. D’autres, mêmes plus marquées, peuvent dériver des variations dans le jeu des standards probatoires qu’elle implique.
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« NO CASE TO ANSWER » ET RAPPORTS ENTRE LES PHASES DU PROCÈS PÉNAL INTERNATIONAL
Nous avons vu comment, en se reliant au « two cases approach » et auprincipe de concentration qui en est une expression, la théorie des « standards of proof » qui est propre à la common law détermine le rapports entre les phases de la procédure. Et nous avons vu aussi que, dans ce contexte, le « prima facie case » nécessaire au renvoi en jugement est quelque chose de moins que le « case to answer » nécessaire à la présentation des preuves à décharge, et celui-ci quelque chose de moins que le « case beyond reasonnable doubt » nécessaire à la condamnation. L’analyse des rapports que la procédure dite de « no case to answer » entretient avec la structure du procès dans le cadre de la justice pénale internationale montre à quel point cette articulation peut dérailler, si l’on remonte la barre de la décision de renvoi en jugement. Ce n’est pas par hasard que, devant les juridictions ad hoc, et notamment dans la jurisprudence du TPIY, la définition du critère gouvernant la décision sur les « no case to answer motions » a si longuement engagée les chambres de première instance à réfléchir à ses rapports avec le critère de la preuve au-delà de tout doute raisonnable, sans jamais les pousser à réfléchir aux différences qui auraient dû le démarquer de la règle de jugement applicable à la confirmation de l’acte d’accusation. Comme ce n’est pas par hasard si cet aspect, ignoré par la jurisprudence des tribunaux ad hoc, a retenu, en revanche, l’attention des juges de la CPI. Des différences remarquables courent en effet entre les deux contextes, ayant des implications directes sur le plan des rapports entre les phases du procès, et par conséquent sur celui de l’articulation des standards probatoires.
Le régime essentiel de la confirmation de l’acte d’accusation devant le TPIY ressort de la lecture combinée des articles 18 et 19 du Statut[203]. À l’issue des investigations, et dès lors qu’il est convaincu qu’il y a lieu d’engager des poursuites, le Procureur établit l’acte d’accusation et le transmet au juge de la chambre de première instance désigné pour son examen ; celui-ci peut le rejeter ou confirmer ; s’il le confirme, il décerne les mandats nécessaires à assurer la remise de l’accusé au tribunal. Dans le texte français de ces dispositions, on lit que le Procureur établit l’acte d’accusation, et le juge saisi de son examen le confirme, lorsque « au vu des présomptions », il y a lieu d’engager des poursuites. Le texte anglais du Statut donne pourtant une indication beaucoup plus claire, de la base probatoire légitimant le Procureur à agir : l’acte d’accusation est établit par le Procureur sur la base de la persuasion qu’un « prima facie case » existe, et c’est le même standard probatoire que le juge appliquera lors de son examen, en vue de sa confirmation. L’article 47 du RPP définit la signification que la notion de « prima facie case » assume devant le TPIY : à la lettre (B), il est prévu que le Procureur transmettra au juge désigné à cette fin l’acte d’accusation et les éléments qui le soutiennent, dès lors qu’il sera persuadé de l’existence d’une preuve suffisante pour « soutenir raisonnablement », dans la version français, pour « donner des motifs raisonnables de croire », dans la version anglaise (« reasonable grounds for believing ») que le suspect a commis une infraction relevant de la juridiction du Tribunal. Que le « prima facie case » qui apparaît dans la version anglaise du Statut fût le standard probatoire de la confirmation de l’acte d’accusation, et que celui-ci pût se définir comme indiquant la présence d’éléments suffisants à donner des motifs raisonnables de croire que le suspect a commis un crime dont le Tribunal doit connaître, ressort clairement de la lettre (E) de l’article 47 du RPP : en définissant la tâche du juge à ce stade, cette disposition renvoie en effet littéralement au standard probatoire établi par l’article 19 du Statut.
L’interprétation du critère de jugement du « prima facie case » ne donna pas de problèmes particuliers à la jurisprudence du TPIY. Il fut défini, selon des concepts que nous avons vu à l’œuvre dans le système de common law, comme un dossier crédible qui, si non contredit par la défense, serait une base suffisante pour la condamnation[204] ou, d’une manière plus articulée mais essentiellement identique, comme impliquant une preuve sur la base de laquelle, si elle était acceptée et non contredite par la Défense, un tribunal du fait raisonnable pourrait être persuadé au-delà de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé[205]. L’adoption d’un « standard of proof » assimilable à celui que les juges de common law appliquent lors des « committal hearings » se posa comme une solution naturelle, non seulement en raison de l’identité des termes employés, dans l’un et l’autre contexte, pour le nommer, mais aussi en raison d’affinités procédurales touchant à la nature de l’examen conduit par le juge sur le bien-fondé de l’acte d’accusation. La procédure de confirmation fut une procédure ex parte et écrite : tout comme dans le modèle de la procédure accusatoire, le juge n’entendit ni la Défense, en raison de la nature non contradictoire de l’examen que les sources normatives du TPIY lui confièrent, ni des témoins, aucune instruction probatoire n’étant prévue à ce stade de la procédure.
Lorsque l’on se tourne vers la structure du procès devant la CPI, on s’aperçoit tout de suite, à la simple lecture des textes, que ce schéma n’est pas réitérable : le « milieu de la certitude » n’est plus fixé au stade intermédiaire des débats, mais au stade de la confirmation des charges, le « prima facie case » constituant désormais la condition de l’adoption des mesures nécessaires à la remise du suspect à la Cour, qui ne suivent pas la phase de la confirmation des charges, comme il en fut devant les tribunaux ad hoc, mais la précèdent[206]. C’est bien l’articulation qui ressort de la lecture combinée des articles 58, 61 (5) et (7), et 66 (3) du Statut.
La première disposition prévoit que la Chambre Préliminaire, saisie à ces fins par le Procureur, peut délivrer, à tout moment après l’ouverture des investigations, et sur la base des éléments probatoires qu’il présente, un mandat d’arrêt ou une citation à comparaître, dès lors qu’il y a « des motifs raisonnables de croire » (« reasonable grounds to believe ») que la personne concernée a commis le crime qui lui est imputé ; l’article 61 (5)et (7) du Statut définissent la tâche qui attend le Procureur lors de l’audience de confirmation des charges : en vue d’obtenir le renvoi en jugement de l’accusé, il doit parvenir à étayer sa thèse par des preuves suffisantes à donner « des motifs substantiels de croire » (substantial grounds to believe ») que la personne concernée a commis le crime dont il l’accuse ; enfin, l’article 66 (3), prévoit, comme un corollaire de la présomption d’innocence et de l’imposition au Procureur de la charge de la preuve, que la Chambre de première instance doit, pour prononcer la condamnation, être persuadée de la culpabilité de l’accusé au-delà de tout doute raisonnable (« convinced of the guilt of the accused beyond reasonable doubt »). Sur la base de cet agencement, la doctrine qui s’est occupée de ces thèmes a pu soutenir que la règle de jugement que le Statut prévoit pour la décision de confirmation des charges est plus contraignante que celle prévue pour la confirmation de l’acte d’accusation devant les tribunaux ad hoc[207]. Cette conclusion découlerait d’une façon obligée non seulement du décalage qui existe, dans les deux contextes, dans sa formulation – des « motifs substantiels de croire » au lieu que des « motifs raisonnables de croire » – mais aussi de la place que l’audience de confirmation de charges assume dans la structure d’ensemble de la procédure, dont témoignent les règles qui en régissent le déroulement. L’article 61 du Statut organise à ce stade une procédure contradictoire, au cours de laquelle la Défense est admise à présenter ses allégations, y compris ses allégations probatoires. Quoi que l’audition des témoins ne soit pas indispensables, le Procureur pouvant présenter ses preuves sous forme de simples résumés, les critères sur la base desquels la Chambre les appréciera sont, pour prévision expresse de la règle 63 (1) du RPP, les mêmes que celles qui valent pour les chambres de première instance, ainsi que prévus, notamment, par l’article 69 (4) du Statut et la règle 63 (2) du RPP : la chambre statue librement sur l’admissibilité et la pertinence des éléments qui lui sont présentés, en tenant compte de leur valeur probante et du préjudice que leur admission peut éventuellement impliquer pour l’équité de la procédure ou l’évaluation équitable des témoignages[208]. Il suffit de lire n’importe laquelle des décisions de confirmation des charges adoptée par les Chambres Préliminaires de la CPI pour se rendre très vite compte que l’examen qu’elles conduisent sur le matériel probatoire soumis par les parties à ce stade est loin de constituer l’analyse « prima facie » à laquelle les juges de common law procèdent à l’occasion des « committal hearings », ou à laquelle les juges des tribunaux ad hoc se livraient lors de la procédure de confirmation de l’acte d’accusation. La portée de cet examen est d’ailleurs confirmée par la jurisprudence des chambres de première instance, qui n’ont pas hésité à reconnaître l’aptitude de la décision de confirmation des charge à délimiter le périmètre du jugement, notamment sur le plan probatoire. Même si le passage au stade du jugement implique que leur revienne, entière, toute détermination touchant à l’admissibilité et à la pertinence des preuves que les parties souhaitent présenter au cours des débats, elles ont reconnu pouvoir s’en tenir aux conclusions atteintes à ce sujet par les chambres préliminaires, tant qu’elles ne trouvent pas des raisons spécifiques justifiant l’exigence de s’en éloigner[209].
Que le critère de jugement sur lequel la décision de confirmation des charges se fonde soit plus exigeant que le « prima facie case » adopté devant les tribunaux ad hoc résulte aussi clairement de la jurisprudence élaborée en application 61 (7) du Statut. À partir de l’affaire Lubanga, il fut systématiquement affirmé que le Statut prévoit trois seuils probatoires, du stade du mandat d’arrêt au stade de la délibération finale, en passant par la confirmation des charges[210]. Les « motifs substantiels de croire », qui identifient donc dans ce contexte le critère intermédiaire entre le « prima facie case » et la preuve au-delà de tout doute raisonnable, furent définis comme indiquant des éléments concrets et tangibles au soutien de chacune des charges formulées par le Procureur, susceptible d’étayer clairement le raisonnement probatoire développé au soutien de la thèse accusatoire[211]. Et cette définition fut strictement reliée aux finalités que l’audience de confirmation des charges doit poursuivre, dans le cadre juridique de la CPI, et qui consistent à permettre de protéger l’accusé de poursuites dépourvues de fondement, tout en assurant l’économie des moyens procéduraux. L’examen que la chambre préliminaire opère sur le bien-fondé des charges à ce stade aparaît donc comme un corollaire de la présomption d’innocence, et comme une garantie d’une définition rapide et équitable de la cause. Il permet que le renvoi en jugement ne soit prononcé que pour les affaires qui reposent sur un dossier assez solide[212].
Il est patent que l’identité des buts que l’audience de confirmation des charges vise avec ceux qui sont typiquement poursuivis par le « no case to answer proceeding » ne suffirait pas, à elle seule, à dire que les Rédacteurs du Statut de Rome ont délibérément voulu substituer le deuxième par la première. Si cette interprétation a pu être soutenue, comme elle l’a été[213], c’est justement à partir du lien fonctionnel qui s’établit, logiquement, entre ces buts et le niveau de preuve requis pour le renvoi en jugement devant la CPI et qui reflète la nature, contradictoire et orale, de la discussion qui se tient à ce stade devant les chambres préliminaires. Cela est tellement vrai, que c’est bien le critère de jugement prévu par l’article 61 (7) du Statut qui a eu besoin, devant la CPI, d’être défini en opposition au critère de jugement auquel répond la délibération finale, pour que la décision de confirmation des charges ne se transforme en une décision sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé ; tout comme, devant les tribunaux ad hoc, la notion de preuve suffisante à soutenir une condamnation dans le cadre des « no case to answer proceeding » avait eu besoin d’être définie en opposition au critère de la preuve au-delà de tout doute raisonnable. Cela est d’autant plus vrai, que l’adoption de cette procédure devant la CPI a obligé les juges, contrairement à ce qui avait cours devant les tribunaux ad hoc, à justifier sa distinction non seulement par rapport à la condamnation, mais aussi en ce qui concerne la confirmation des charges.
Il faut remarquer d’emblée que les arguments déployés pour fonder la compatibilité de la procédure dite de « no case to answer » avec la structure du procès devant la CPI auraient eu besoin d’un tout autre approfondissement, sans compter qu’ils méconnaissent l’attitude que les chambres préliminaires ont eue dans l’interprétation de leur rôle. Nul ne saurait douter, aujourd’hui, que la phase de la confirmation des charges a pris une importance tout à fait remarquable dans l’économie d’ensemble de la procédure, ce qui se reflète dans la portée désormais reconnue à la décision de confirmation des charges pour la délimitation de l’objet du jugement devant les chambres de première instance. Les chambres préliminaires de la CPI n’hésitent pas à exercer les pouvoirs dont le Statut les investit, y compris sur le plan probatoire[214]. Si cette évolution ne signifie pas encore que le stade du jugement a perdu la centralité qui est typique de l’agencement « adversary » de la procédure, il est néanmoins indéniable qu’il n’est pas le seul lieu dans lequel le procès devant la CPI se construit. C’est la raison pour laquelle les raisonnements avancés par ses juges, pour admettre le recours aux « no case to answer motions », ne vont pas sans susciter une profonde perplexité.
La décision numéro 5 sur la conduite de la procédure prise par la Chambre V (A) en l’affaire Ruto et Sang passa très vite sur la question : la procédure dite de « no case to answer » fut jugée compatible avec la fonction de filtrage assignée à la procédure de confirmation des charges, en raison de la prévision, à ce stade, d’un critère de jugement moins contraignant, de sa portée probatoire limitée et des règles probatoires différentes qui s’y appliquent, par rapport au stade du jugement[215]. Cette démarche est pour le moins étonnante : non seulement chacune de ces affirmations peut trouver, comme nous venons de le voir, une jurisprudence en mesure de la démentir, mais que les « motifs substantiels de croire » fixent une condition moins contraignant que la notion de preuve suffisante à soutenir une condamnation est, précisément, ce que la chambre aurait dû démontrer. Or, sur ce plan, il est extrêmement difficile de comprendre serait, concrètement, la différence entre la présentation, de la part du Procureur, d’éléments tangibles et concrets en mesure d’étayer clairement le raisonnement probatoire avancé au soutien de chacune des charges, de manière à ce que le renvoi en jugement ne concerne que les affaires qui le méritent – à savoir, qui paraissent susceptibles de déboucher sur une condamnation- et des preuves qui, si elles étaient acceptées, et à les présumer crédibles sauf si manifestement indignes de foi, pourraient conduire une chambre raisonnable à conclure, au-delà de tout doute raisonnable, à la culpabilité de l’accusé, de telle sorte que la Défense ait raison de prôner sa cause – comme si le renvoi en jugement n’en lui donnait aucune. Sur un point on peut être d’accord : là où la chambre remarque que le cadre probatoire peut changer dans les deux contextes, le Procureur n’étant pas obligé de présenter, lors de la confirmation des charges, l’intégralité de son dossier[216]. L’article 61 (5) lui donne en effet la possibilité de présenter ses preuves sous forme de simples résumés, sans être tenu de citer les témoins qu’il entende interroger au stade du jugement, ni de produire la totalité des éléments dont il dispose. Et pourtant, la Chambre sous-estima l’évolution connue par la procédure de confirmation des charges devant la CPI : les chambres préliminaires appliquent l’article 69 du Statut, et les décisions qu’elles adoptent fixent en principe les paramètres de la cause qui sera discutée devant les chambres de première instance, ce qui ne peut qu’exiger, de la part du Procureur, la présentation, déjà à ce stade, d’un dossier le plus solide possible[217]. Ce sont surtout deux, les aspects par rapports auxquels le discours de la Chambre V (A) apparaît, de ce point de vue, très peu convaincant : selon l’article 61 (6) du Statut, la Défense peut contester les charges, contester les preuves produites pour les soutenir, en présenter à son tour ; même si dans la perspective qui est la leur et qui ne saurait se confondre avec un jugement sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, les chambres préliminaires apprécient la valeur probante des éléments présents devant elles, et peuvent considérer, l’audience étant contradictoire, les preuves à charge à la lumière des preuves à décharge. Sous ce rapport, l’examen conduit à ce stade de la procédure peut même passer pour être plus sévère et concret que celui que les chambres de première instance seraient censées conduire au stade intermédiaire des débats, sur une requête d’acquittement anticipé de l’accusé.
Ce fut l’objection que le Procureur souleva en l’affaire Ntaganda, en répondant, le 10 juillet 2017, à l’appel que la Défense interjeta contre la décision de la Chambre VI n’ayant pas fait droit à sa requête d’examiner les « no case to answer motions » qu’elle souhaitait présenter[218]. La Défense avait soutenu que la phase de la confirmation des charges n’aurait pas pu remplacer les garanties assurées à la présomption d’innocence par la procédure en question, dans le cadre de débats organisés selon le « two cases approach »[219]. En prenant position sur ce point, le Procureur soutint que la procédure de confirmation des charge est conçue d’une telle manière, devant la CPI, qu’elle offre à la Défense des garanties importantes, voire majeures, la décision de la chambre préliminaire étant largement suffisante à fixer un « case » auquel la Défense ait lieu de répondre. En rappelant les différences qui courent entre les prévisions du Statut et la procédure adoptée devant les tribunaux ad hoc, il souligna que l’audience de confirmation des charges constitue une occasion robuste pour l’exercice des droits de la Défense, et que les pouvoirs dont la chambre préliminaire profite pour apprécier les preuves à ce stade garantissent que la thèse accusatoire est assez solide pour justifier une condamnation. Les écarts qui restent possibles dans le matériel probatoire présenté aux deux stades de la procédure ne constituent pas un motif suffisant à imposer d’avoir recours au « no case to answer proceeding » en toute circonstance, en privant les chambres de première instance du pouvoir de juger, de façon discrétionnaire, de son opportunité au cas par cas, et au vue des circonstances spécifiques de chaque affaire[220].
Saisie d’un tel argument, et ne pouvant pas dire que la procédure de confirmation des charges se substitue, devant la CPI, à la procédure dite de « no case to answer », dont elle venait par ailleurs d’affirmer la compatibilité avec le cadre normatif de la Cour, la Chambre des Appels déplaça la question sur un autre plan, plus apte à lui permettre d’éluder la question : la procédure de confirmation des charges constitue un mécanisme caractéristique de la protection des droits de l’accusé devant la CPI, qui n’empêche en rien l’exercice des pouvoirs discrétionnaires que le Statut reconnaît aux chambres de première instance dans la conduite de la procédure, y compris l’examen, si elles l’estiment opportun, de la suffisance de la preuve à charge au stade intermédiaire des débats[221]. Ce qui laisse tout à fait sans réponse, comme nous l’avons vu pour le critère de la décision, la question de savoir ce qu’il en serait, de la cohérence d’ensemble de l’articulation des « standards of proof » accueillie devant la CPI, au cas où une telle procédure devait être adoptée. Devant les tribunaux ad hoc, la procédure d’acquittement pour insuffisance des moyens à charge put compter sur un agencement des phases du procès cohérent avec les implications probatoires du « two cases approach » : l’examen de la plausibilité de la thèse accusatoire, mise à l’épreuve par la contradiction avec la Défense, absente lors de la confirmation de l’acte d’accusation, put impliquer, pour le Procureur, le devoir de satisfaire à un seuil probatoire plus contraignant, que celui que sa thèse devait atteindre pour l’instauration du jugement. Malgré les difficultés que la jurisprudence rencontra dans sa définition, cette procédure put se présenter comme une garantie ultérieure des droits de la défense, et comme un développement pertinent du principe de la présomption d’innocence. Devant la CPI, elle risque en revanche d’introduire un « standard of proof » ultérieur, auquel les rédacteurs du Statut n’ont visiblement pas songé, lorsqu’ils ont établi la structure du procès, et dont l’application deviendrait très difficile : ne pouvant pas poser des conditions moins exigeantes que celles demandées par la confirmation des charges, il ne saurait, à l’inverse, en poser d’aussi contraignantes que celles demandées par la condamnation. Même en admettant que les preuves considérées dans le cadre d’une « no case to answer motion » ne soient pas tout à fait celles qui justifient la confirmation des charges, le seuil probatoire que leur examen impliquerait forcément devant la CPI, contraint qu’il le serait entre les « motifs substantiels de croire » d’un côté et la preuve au-delà de tout doute raisonnable de l’autre, viserait la notion de suffisance de la preuve à charge que ce mécanisme n’a jamais connue, dans son système d’origine. Tout peut être envisagé, certes, dans la perspective d’un système en devenir : mais peut-être pas encore le choix d’y intégrer un élément exogène, pour l’appliquer d’une façon incongrue, eu égard à la logique qui lui est propre.
CONCLUSIONS
La longue promenade que nous venons d’achever dans les territoires exotiques de la procédure dite « de no case to answer » invite à se poser une question : dans l’affaire Ruto et Sang, existait-il des alternatives, qui auraient pu éviter d’avoir recours à cette solution, tellement connotée par ses origines, tellement chargée de l’expérience des juridictions ad hoc, tellement en dysharmonie, enfin, avec .la partition du procès devant la CPI ? La réponse à cette question oblige à revenir sur les circonstances très exceptionnelles qui se créèrent lors de cette affaire, pour mesurer le choix de la Chambre V (A) à l’aune des problèmes spécifiques auxquels elle se trouva confrontée.
Les pressions que la classe dirigeante du Kenya fut capable d’exercer sur l’opinion publique et sur la société civile eurent comme conséquence majeure de compromettre la collaboration avec les organes de la Cour de la part des témoins potentiels[222]. Beaucoup d’entre eux, après avoir comparus à la barre, se rétractèrent, en refusant de confirmer, en tout ou en partie, les déclarations qu’ils avaient faites lors des investigations, ou reconnaissant même carrément d’avoir menti, au Procureur ou à la chambre. Lors des débats, le Procureur demanda plus particulièrement, et obtint, l’admission des déclarations préalablement enregistrées de cinq témoins, dont la déposition aurait été cruciale pour la survie de ses stratégies probatoires[223]. Une question très épineuse se posa alors aux juges, concernant la possibilité d’appliquer à la procédure en cours un amendement ayant modifié, en novembre 2013, le régime d’admissibilité des déclarations préalablement enregistrées, établi par la règle 68 du RPP, pour y insérer les hypothèses où la défaillance du témoin est due à des pressions impropres. En écartant que le recours à cette disposition pût impliquer une application rétroactive de la règle en question – s’agissant d’une question procédurale, elle échappait au principe de non rétroactivité prévu par l’article 24 (2) du Statut en matière de questions substantielles[224] -, et en affirmant que, même à vouloir penser à une application rétroactive, celle-ci aurait néanmoins pu se faire dans le respect des droits de l’accusé – ainsi que permis par l’article 51 (4) du Statut, qui l’admet tant qu’elle ne va pas à détriment des droits de la Défense[225]– la Chambre accueillit la requête du Procureur. Pourtant, saisie par les accusés, la Chambre des Appels revint sur cette interprétation, et par une décision des plus difficiles à comprendre[226] : elle établit que les juges avaient fait une application rétroactive de la nouvelle règle 68 du RPP, en violation de l’article 54 (1) du Statut, l’admission des déclarations préalablement enregistrées de témoins censés déposer à charge ne pouvant qu’aller, selon elle, à détriment de la situation processuelle des accusés. Peu importe d’aborder ici la question de savoir si cette décision fut discutable, et si oui, combien : ce qu’il importe de souligner, c’est que ce ne fut que pour cette raison, purement technique, qui touchait à l’application rétroactive d’une norme à laquelle le Procureur aurait pu, autrement, avoir légitimement recours, les conditions de fond qu’elle prévoit étant pleinement remplies en l’espèce, que la chambre V (A) fut contrainte d’exclure ces déclarations, qui auraient pu suffisamment étayer la thèse accusatoire au stade intermédiaire des débats, comme elles l’avaient suffisamment étayée lors de la confirmation des charges. C’est ce qui fait la particularité de la décision qui mit un terme à la procédure, les trois juges composant la chambre ayant donné trois déterminations différentes, toutes fondées, d’une manière ou d’une autre, sur l’exceptionnalité de la situation. Le juge Fremr, en déclarant l’insuffisance des moyens à charge à soutenir une condamnation, et en prononçant ainsi l’acquittement sur la base de la procédure dite de « no case to answer », telle qu’établie par la Décision numéro 5 sur la conduite de la procédure, déclara que, à la différence de ce qui devrait se passer d’ordinaire, sa décision n’impliquait pas un acquittement définitif et laissait ouverte la possibilité de nouvelles poursuites, à l’avenir, dans l’hypothèse où le Procureur serait en mesure de se pourvoir de nouvelles preuves[227]. Le juge Eboe-Osuji, dans sa longue opinion séparée, se dit en principe d’accord avec l’introduction de cette procédure devant la CPI, mais insista sur l’exigence de la cantonner à l’avenir aux seuls cas où elle devait servir à mettre un terme aux procédures où la fragilité de la thèse accusatoire peut à juste titre être imputée à une action inefficace ou maladroite du Procureur. Dans un cas comme celui dont la chambre avait eu à connaître, le recours à la procédure dite de « no case to answer » aurait pu se retourner contre la Cour, en laissant passer le message que les manœuvres d’obstruction et d’entrave, quoi que non directement imputables aux accusés, peuvent avoir des effets sur la conduite des procès devant elle : les intérêts de la justice, dans une situation capable de mettre sérieusement en péril la crédibilité de la cour, et l’exigence, conséquente, de stigmatiser nettement l’attitude exécrable du gouvernement du Kenya, le poussèrent donc à opter pour la déclaration de la nullité du procès (« mistrial »), sans préjudice pour la possibilité de reprendre les poursuites à l’avenir[228]. Le juge Carbuccia, dans son opinion dissidente, prit les distances des conclusions atteintes par le juge Fremr dans son analyse des preuves : en déclarant sa conviction que la procédure aurait dû pouvoir se poursuivre, il tint à souligner que le principe du procès équitable devrait pouvoir s’interpréter d’une manière compréhensive, en ayant dument égard aux intérêts de toutes les parties et les participants, y compris, donc, le Procureur et les victimes : dans l’intérêt de la justice, des communautés frappées par des crimes ausi atroces et graves que ceux relevant de la compétence de la CPI, et en vue d’une meilleure protection des droits de l’Homme, les juges internationaux devraient à l’avenir se rappeler des pouvoirs que le Statut leur confie, et ne pas se borner à vérifier – passivement, a-t-on l’envie de dire – le bien-fondé de ce que les parties leur demandent[229].
La spécificité de l’affaire Ruto et Sang, admise dans des termes si francs par chacun des juges qui eurent à s’en occuper, ne maqua pas d’être évoquée aussi en l’affaire Ntaganda. Elle fit son apparition parmi les arguments avancés par la Chambre pour expliquer son refus d’examiner la « no case to answer motion » que la défense demandait à présenter[230], et elle fut présente à l’esprit des juges de la Chambre des Appels, lorsqu’il s’est agit pour eux de reconduire ce mécanisme aux pouvoirs discrétionnaires des chambres de première instance en matière de conduite de la procédure[231]. Même à vouloir penser que la Chambre des Appels ait voulu, ainsi, contenir la portée du précédent établi en l’affaire Ruto et Sang, force est de constater qu’il s’agit en quelque sorte d’un remède de fortune : l’expérience des tribunaux ad hoc nous apprend à quel point la Défense pourra avoir tendance à se battre pour que les décisions sur la conduite de la procédure continuent de prévoir, à l’avenir, le recours aux « no case to answer motions », sans que le pouvoir discrétionnaire reconnu aux juges puisse véritablement les décourager. Une solution plus juste, et aussi plus efficace, consisterait à chercher des solutions qui, plus en accord avec la lettre et l’esprit des textes, pourraient mieux servir les objectifs que le Statut entend poursuivre, en ne pensant pas seulement aux cas exceptionnels, mais plutôt au travail ordinaire de la CPI. Nous nous bornerons à en indiquer deux, à titre d’exemple, et pourquoi pas, de suggestion, pour ceux qui voudront approfondir ces thèmes.
La première, plus circonscrite, consiste dans la mise en valeur des pouvoirs probatoires que le Statut reconnaît à ses juges, et qui n’ont pas connu, jusqu’ici, une application systématique, du moins au stade du jugement. Nous ne souscrivons pas à l’opinion du juge Carbuccia, suivant laquelle le recours à l’article 69 (3) du Statut aurait pu servir, en l’affaire Ruto et Sang, pour admettre les déclarations préalablement enregistrées que la Chambre des Appels avait exclues[232]. Quoique fondée sur une interprétation très particulière des principes que le Statut établit en matière d’application rétroactive des règles de procédure et de preuve, une décision de la Chambre des Appels déclarant l’irrecevabilité d’une preuve ne saurait être contournée sur la base d’un pouvoir probatoire que le juge pourrait exercer d’office. Mais il reste que le juge Fremr, en motivant sa décision d’acquittement pour insuffisance des moyens à charge, donna de ce pouvoir une interprétation très « adversary » : il affirma en effet être conscient que le Statut prévoit cette éventualité, mais qu’il ne voyait, sur la base des preuves présentées par le Procureur, aucune indication d’une preuve ultérieure qui aurait valu d’être admise d’office[233]. Cette question, des limites dans lesquelles un pouvoir judiciaire d’intégration probatoire pourrait être exercé – si dans le stricte périmètre des hypothèses explorées par la partie, ou pour en explorer d’autres, dont la plausibilité ressort de l’instruction qui se déroule au stade des débats – pourrait ne pas être vouée à déchirer les esprits. La possibilité, pour les juges des juridictions internationales, de construire des hypothèse alternatives, non pas pour cultiver leur propre vision des faits, mais pour combler les lacunes des informations soumises par les parties qui les empêchent de s’en faire une, a été soutenue, et par des arguments très persuasifs, par des voix de common law[234]. L’exercice d’un tel pouvoir, tout à fait cohérent avec les tâches que le Statut confie aux chambres dans l’établissement de la vérité, pourrait ne pas forcément impliquer l’exigence de leur ouvrir l’accès au dossier de la phase préparatoire. Il faut garder à l’esprit que les juges de la CPI connaissent des questions probatoires que les parties visent à produire, ne fût-ce qu’en raison des pouvoirs de gestion qu’ils ont en matière de « disclosure »[235]. Il découle de cette situation que, dès aujourd’hui, ils arrivent à l’audience beaucoup moins ignorants de la cause que ne le sont les juges de common law, et sont donc vraisemblablement plus à même d’exercer consciemment leur pouvoirs probatoires[236].
La deuxième solution impliquerait en revanche une réflexion plus ample, mettant en cause la recherche de nouveaux équilibres pour le procès devant la CPI. Il a été remarqué que la justice pénale internationale s’est donnée des objectifs très ambitieux, qui vont de la lutte contre l’impunité à la promotion de la paix et des droits de l’Homme, en passant par la protection des droits de la Défense, l’assouvissement des besoins de justice des victimes, la construction d’une mémoire historique[237]. Ce n’est pas tellement l’ambition ferait problème, mais plutôt la conflictualité intrinsèque à ses valeurs, qui se prêteraient peu à être atteintes toutes au même temps[238]. Il s’agirait alors pour la justice pénale internationale d’établir des priorités, susceptibles d’être mieux composées avec l’exigence, irréductible, de construire les conditions nécessaires à la garantie d’un procès équitable[239]. On a pu ainsi remarquer que le « two cases approach », traditionnellement censé offrir la protection la plus ample aux droits de la Défense, peut ne pas être la solution optimale, dans le contexte de la justice pénale internationale, en se révélant insatisfaisant même dans la poursuite de ce but, qui lui serait propre[240]. L’importance des affaires et les difficultés dans la collecte des preuves ne sont que deux des éléments, les plus intuitifs, pouvant être évoqués à ce sujet, auxquels s’ajoute l’incapacité de ce modèle, inspiré d’une logique binaire, à permettre une participation effective des victimes au processus d’élaboration d’une mémoire collective que le procès pénal international serait censé favoriser. À côté de ceux qui en déduisent la nécessité d’accentuer les caractères de civil law que le modèle hybride de la justice pénale internationale contient déjà, ce qui passerait forcément, en ce qui concerne la CPI, par un renforcement du rôle des chambres préliminaires capable de faire glisser la procédure vers un « one cases approach »[241], il est envisageable et sans doute même souhaitable de se tourner vers la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, et la conception participative de la procédure qu’elle a construite sur la base de la notion de procès équitable, consacrée par l’article 6 de la Convention EDH. Il s’agirait alors de renforcer les garanties de participation de la Défense au stade des investigations, pour dépasser la polarisation actuelle et intensifier ainsi les occasions de contradiction, sous la supervision et le contrôle des chambres préliminaires : ce qui consentirait d’assouplir les conditions de recevabilité, au stade du jugement, des preuves recueillies pendant la phase de l’investigation et la phase de la confirmation des charges, tout en assurant la protection des droits de la Défense[242].
Ces suggestions soulèvent des questions auxquelles il est certainement impossible de répondre d’une façon tranchante. Mais l’application que la procédure dite de « no case to answer » a reçue dans le contexte de la justice pénale internationale offre un exemple de ce qui peut arriver, lorsque la recherche de la solution la plus apte est réduite au choix entre civil law et common law. Ni l’une ni l’autre de ces deux traditions n’a le monopole des procédures équitables et efficaces, et ni l’une ni l’autre ne poursuit les buts que la justice pénale internationale, et notamment la CPI, s’est donnés. Partant, il est quasiment sans intérêt d’identifier laquelle, de ces deux âmes, devrait prévaloir dans l’interprétation du Statut. Il serait beaucoup plus intéressant que celui-ci puisse trouver la sienne. Et pour le dire avec Mirjan Damaska, entre le blanc du lait et le noir du café, un cappuccino peut avoir d’innombrables nuances[243].
[1] Pour un aperçu de la perception de l’ation de la Cour au Kenya, voir Lekha Sriram C., Brown S., Kenya in the Shadow of the ICC : Complementarity, Gravity, Impact, International Criminal Law Rev., vol. 12, 2 (2012) p. 219.
[2] L’ambivalence de ce précédent a été bien souligné par Maman Aminou A. Kundy, L’abandon des charges dans l’affaire relative à la situation au Kenya : affaiblissement ou opportunité pour la Cour Pénale Internationale, La Revue des Droits de l’Homme, 11, 2016 (URL : http://revdh.revues.org/2783).
[3] Roberts P., Zuckerman A., Criminal Evidence, Oxford University Press, 2004, p. 73 et ss.
[4] TPIY, Chambre d’Appel, IT-95-10-A, Le Procureur c/ Goran Jelisić, 5 juillet 2001 ; TPIY, Chambre de Première Instance I, IT-95-14-2, Le Procureur c/ Dario Kordić et Mario Cerkez, 6 avril 2000.
[5] Niv A., The Schizophrenia of the “No Case to Answer Test” in International Criminal Tribunals, Journal of International Criminal Justice, 14 (2016), p. 1121.
[6] Roberts P., Zuckerman A., Criminal Evidence, cité, p. 74 ; pour un aperçu général de la procedure pénale de common law, voir Ashworth A. Redmaine M., Criminal Process, Oxford University Press, 2010 ; Ashworth A., The Criminal Process. An Evaluative Study, Oxford University Press, 1998 ; Lacey N., Wells C., Reconstructing Criminal Law. Critical Perspectives on Crime and Criminal Process, London, Butterworth, 1998.
[7] Sur le principe de présomption d’innocence selon la perspective de common law, voir : Morton J. C., Hutchinson S. C., The Presumption of Innocence, Toronto, Carswell, 1987 ; Stumer A., The Presumption of Innocence. Evidential and Human Rigths Perspectives Oxford-Portland, Hart Publisher, 2010.
[8] Sur le droit à être jugé dans un délai raisonnable selon la perspective de common law, voir Moules R., The Right to Trial within a Reasonable Time, Cambridge Law Journal, 2004, Vol. 63, Issue 2, p. 265 ; Vennard J., Court Delay and Speedy Trial Provisions, Criminal Law Rev., 1985, vol. 61, Issue 112, p. 73 ; Herman, S., The Right to a Speedy and Public Trial. A Reference Guide to the United States Constitution, Westport, Greenwod Publishing Group, 2006.
[9] Roberts P., Zuckerman A., Criminal Evidence, cité, p. 10 ; M. Fitzgerald, System of Justice : an Introduction to The Criminal Justice System in England and Wales, Oxford, Blackwell, 1983.
[10] L’analyse qui suit se base sur le modèle anglais, comme étant représentatif des traits essentiels de la procédure de common law. Il faut donc prévenir le lecteur que des variations existent, selon les spécificités des différents ordres juridiques appartenant au système. Pour un approfondissement, voir en particulier Ashworth A., Redmaine M., Criminal Process, cité, pp. 323 et ss. ; pour une intéressante comparaison entre le système anglais et le système américain, voir en particulier Shamsi N., The Search for Truth : a Comparative Look at Criminal Jury Trials in the United States and England, U.C. Davis Journal of International Law & Policy, 2016, vol. 22, Issue 2 , p. 203.
[11] Sur la technique et la fonction des “opening statements”, voir : Lipovski C., Storytelling in Legal Settings : A Case Study from a Crown Prosecutor’s Opening Statement, Australian Review of Applied Linguistic, 2017, vol. 40, Issue 1, p. 71 ; Brune S. E., Opening Statement. Taking Control of the Narrative, Litigation, Summer 2014, vol. 40, Issue 4, p. 38 ; Pollock J. M., Opening Statement : Setting the Stage, New Jersey Law Journal, March 20, 2017, vol. 223, Issue 12, p. 50.
[12] Sur la technique de l’ “interrogatoire croisé”, voir Wellman F.L., Frigo G., L’arte della cross-examination, Milano, Giuffré, 2009 ; Dennis I. H., The Law of Evidence, London, Sweet and Maxwell, 2002, p. 459 ; Kean A. L. B., The Modern Law of Evidence, Oxford University Press, 2011, p. 164.
[13] Sur l’emploi stratégique de la séquence “opening statements-closing arguments”, voir Spiecker S. C., Worthington D., The Infleunce of Opening Statement/Closing Arguments Organizational Strategy on Juror Verdict and Damage Awards, Law and Human Behavior, 27(4), 2003, p. 437.
[14] Ashworth A. Redmaine M., Criminal Process, cité, p. 339 ; Taylor G., Judicial Reflections in the Defence Case in the Summing Up, Australian Bar Rev., 2005, vol. 26, Issue 1, p. 270 ; Underhill G., Birch D.J., Summing Up – Failure to remind Jury of Evidence – Obligations of Trial Judge, Criminal Law Rev. 2000, p. 618.
[15] Roberts P., Zuckerman A., Criminal Evidence, cité, p. 78.
[16] Davis W.V., Put it in writing ? Effective Judgment of Acquittal Motions, Tennessee Bar Journal, 2011, Vol. 47, Issue 7 ; Pendelton A., Criminal Motions for Judgment of Acquittal, Bench & Bar of Minnesota, 2015, Vol. 72, Issue 5, p. 64 ; Saltzman A., Motions for Judgment of Acquittal, The Los Angeles Daily Journal, 1982, Vol. 95, p. 4.
[17] Rule 29, Federal Rules of Criminal Procedure ; Sauber R., Unlimited Power : Rule 29 (A) and The Unreviewability of Directed Judgments of Acquittal, American University Law Rev., 1994, Vol. 44, p. 433.
[18] Roberts P., Zuckerman A., Criminal Evidence, cité, p. 79.
[19] Sur le choix de l’accusé de témoigner à décharge, voir en particulier Dennis I. H., The Law of Evidence, cité, p. 125 et ss. et 433 et ss.
[20] Roberts P., Zuckerman A., Criminal Evidence, cite, p. 80
[21] Ashworth A. Redmaine M., Criminal Process, cité, p. 370 ; Jason-Lloyd L., A Guide to the Criminal Appeal Act 1995, Routledge, 2016 ; B. Benjamin, Judges, Juries and the History of Criminal Appeals, Law & History Rev., 2011, Vol. 29, Issue 1, p. 297.
[22] Il s’agit d’indications nécessairement sommaires, visant à indiquer la logique essentielle du mécanisme de l’appel en common law, qui n’est pas tout à fait superposable à celle qui est propre à l’appel dans la tradition de civil law.
[23] Pour un approfondissement, voir en particulier Nobili M., Il principio del libero convincimento del giudice, Bologna, Il Mulino, 1976.
[24] Dennis I. H., The Law of Evidence, cité, p. 3 et 23 et ss..
[25] Pour une lecture critique de la logique probatoire de common law, voir notamment Twining W., Rethinking Evidence, Oxford, Basil Balckwell Ltd., 1990.
[26] Dennis I. H., The Law of Evidence, cite, p. 369 ; Blom Cooper L.J., The Quantum of the Burden of Proof in a Criminal Trial, The Modern Law Rev., 32, 1969 p. 217.
[27] Pour un approfondissement de cette approche, voir en particulier Ho H.L., Re-Imagining the Criminal Standard of Proof : Lessons from the Ethics of Belief, International Journal of Evidence & Proof, 2009, Vol. 13, Issue 3, p. 198.
[28] C’est ainsi que la notion a été accueillie, par exemple, dans le système italien, sur lequel voir, particulièrement, Cacanese G., Le regole di giudizio tra archiviazione e proscioglimento, Roma, Edizioni Scientifiche Italiane, 2012.
[29] Il s’agit d’une approche très typique. Voir, parmi beaucoup d’autres : May R., Powels S., Criminal Evidence, London, Sweet and Maxwell, 2004 ; Smith J., Criminal evidence, London, Sweet and Maxwell, 2002 ; Andrews J.A., Hirst M., Criminal Evidence, London, Waterlow, 1987 ; Bex F., Arguments, Stories and Criminal Evidence. A Formal Hybrid Theory, Springer, 2011 ; Ofer M., Ronit L.S, When Procedure Takes Priority : A Theoretical Evaluation of the Contemporary Trends in Criminal Procedure and Evidence Law, Canadian Journal of Law & Jurisprudence, 2017, vol. 30, Issue 1, p. 187.
[30] Bentham J., Rational of Judicial Evidence, Especially Applied to English Practice, London, Hunt and Clark, 1827 ; Wigmore J. H., Treatise on the Anglo-American System of Evidence in Trials at Common Law, 1904.
[31] Twining W., Rethinking Evidence, cité.
[32] Voir, pour un exemple de cette sensibilité, Cohen L.J., The Probable and the Provable, Oxford University Press, 1977.
[33] Ainsi, par exemple, Illuminati G., La presunzione d’innocenza dell’imputato, Bologna, Zanichelli, 1979.
[34] Pour une approche comparée dans les systèmes de common law, voir Seymour J., Committal for Trial. An Analysis of the Australian Law Together with an Outline of British and American Procedures, Australian Institute of Criminology, 1978.
[35] Pour une approche historique de cette définition, voir Herlitz G. N., The Meaning of the Term « Prima Facie », Louisiana Law Rev., 1994, vol. 55, n. 2, p. 391.
[36] Damaska M., Il diritto delle prove alla deriva, Bologna, Il Mulino, 2003, p. 87 et ss..
[37] Pour un aperçu général de la portée protectrice que le principe de séparation peut assumer dans le contexte de la tradition continentale, voir par exemple Lestrade E., Les principes directeurs du procès pénal dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, Thèse, 2013.
[38] Une – très relative – connaissance des dossiers des parties peut pourtant dériver des opérations de « disclosure » en vue du jugement. Voir notamment à ce sujet Ashworth A. Redmaine M., Criminal Process, cité, p. 257 et ss.
[39] Pour une approche historique voir en particulier Sheppard S, The Metamorphoses of Reasonable Doubt. How Changes in the Burden of Proof Have Weakened the Presumption of Innocence, Notre Dame Law Rev., 2003, Vol. 78, Issue 4, p. 1165.
[40] Sur cette distinction, voir Shapiro B., Beyond reasonable Doubt and Probable Cause, University of California Press, 1991 ; Kneitel J., The Forgotten Dinner Guest. The Beyond Reasonable Doubt Standard in a Motion for a Judgment of Acquittal in a Federal Bench Trial, American Journal of Trial Advocacy, 2012, Vol. 36, p. 35.
[41] Regina v. Jabber, CA CD 2006, EWCA Crim 2964.
[42] Regina v. Ltd CA CD 2013 EWCA Crim 818.
[43] Roberts P., Zuckerman A., Criminal Evidence, cité, p. 76.
[44] Regina v. Galbraith, 1981, 1 WLR 1039, 1042 CA, Lord Lane CJ.
[45] Regina v. Barker 1975, 65 Cr App R 287 ; Regina v. Brown (Davina) EWCA Crim. 1961 (2002) 1Cr App r 46.
[46] Ashworth A. Redmaine M., Criminal Process, cité, p. 145 ; Gill P., Misleading DNA Evidence. Reasons for Miscarriages of Justice, Burlington, Academic Press, 2014 ; Graham R. A., The Presentation and Examination of DNA Evidence adduced during Adversarial Trials, University of Leeds, 2016.
[47] Regina v. Doheney, Adam CA CD 1996 EWCA Crim 728 (1997) 1 Cr App R 369.
[48] Regina v. Lashley, CA CD (2000) EWCA Crim 88.
[49] Friedman D. R., Standards of Persuasion and the Distinction between Fact and Law, University of Michigan Law School Scholarship Repository, 86 (1992), p. 916.
[50] Regina v. Odgen CACD (2013) EWCA Crim 1294.
[51] CPS v. S (2007) EWHC 3313 (Admin) ; The Queen on the Application of DPP v. (2005) WEHC 822 (Admis).
[52] Australia, Supreme Court, May v. O’Sullivan (1954) ALR 671 ; The Queen v. Prasad (1979) 23 SASR 161 ; Doney v. The Queen (1990) HCA 51.
[53] Niv A., The Schizophrenia of the “No Case to Answer Test” in International Criminal Tribunals, cité, p. 1134.
[54] Niv A., The Schizophrenia of the “No Case to Answer Test” in International Criminal Tribunals, cité, p. 135. Richardson P.J., Archbold. Criminal Pleading, Evidence and Practice, Sweet & Maxwell, 2010, §§ 4-296.
[55] Pour le lien entre le principe de contradiction et la conception dialectique de la preuve voir, par exemple, Walton D. N., Witness Testimony Evidence. Argumentation and the Law, Cambridge University Press, 2008.
[56] Damaska M., Structure of Authority and Comparative Criminal Procedure, The Yale Law Journal, 1975, p. 480 ; du même Auteur, I volti della giustizia e del potere. Analisi comparatistica del processo, Bologna, Il Mulino, 1991, p. 60 et ss.
[57] Damaska M., Il diritto delle prove alla deriva, cité p. 44 et ss.
[58] Ibidem.
[59] Ibidem, p. 77.
[60] Nobili M., Il principio del libero convincimento del giudice, cité.
[61] Damaska M., Il diritto delle prove alla deriva, cité, p. 80 ; du même Auteur : Evidentiary Barriers to Conviction and Two Models of Criminal Procedure. A Comparative Study, University of Pennsylvania Law Rev., 1973, p. 506 ; Of Hearsay and its Analogues, Minnesota Law Rev., 1992, vol. 76, Issue 3, p. 425 ; Understanding responses to hearsay : an extension of the comparative analysis, Minnesota Law Rev., 1992, Vol. 76, Issue 3, p. 459.
[62] Roberts P., Zuckerman A., Criminal Evidence, cité, p. 73.
[63] Damaska M., Il diritto delle prove alla deriva, cité ; du même Auteur, Epistemology and Legal Regulation of Proof, Law, Probability and Risk (2003), 2, p. 117 ; Truth in Adjudication, Hastings Law Journal, 1997, vol. 49, p. 289.
[64] Dennis I. H., The Law of Evidence, cité, p. 50 et ss.
[65] Stephen J.F.,Digest of the Law of Evidence, London, McMillan, 1986.
[66] Roberts P., Zuckerman A., Criminal Evidence, cité, p. 100.
[67] Damaska M., Evidentiary Barriers to Conviction and Two Models of Criminal Procedure. A Comparative Study, cité.
[68] Voir par exemple, pour le système anglais, la Section 78 PACE (Police and Criminal Evidence Act).
[69] Daniele M., Regole di esclusione e regole di valutazione della prova, Torino, Giappichelli, 2009.
[70] Damaska M., Il diritto delle prove alla deriva, cité, p. 58 et ss..
[71] Damaska M., Evidentiary Barriers to Conviction and Two Models of Criminal Procedure. A Comparative Study, cité, p. 540 et ss..
[72] Damaska M., Free Proof and Its Detractors, The American Journal of Comparative Law, vol. 43, n. 3, 1995, p. 343.
[73] Damaska M., Il diritto delle prove alla deriva, cité, 72 et ss..
[74] Damaska M., Evidentiary Barriers to Conviction and Two Models of Criminal Procedure. A Comparative Study, cité, p. 544.
[75] Voir par exemple la formulation indiquée, en Angleterre, par le Legal Studies Board : « The defendant is presumed innocent unless the prosecution has proved guilt beyond a reasonable doubt. Proof beyond reasonable doubt is proof that makes you sure of the defendant’s guilt”.
[76] Damaska M., Il diritto delle prove alla deriva, cité, p. 50 et ss..
[77] Voir, par exemple, la formulation de l’article 353 du code de procédure pénale français : « Avant que la cour d’assises se retire, le président donne lecture de l’instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères, dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations :
» Sous réserve de l’exigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d’assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : » Avez-vous une intime conviction ? « ”
[78] Damaska M., I volti della giustizia e del potere. Analisi comparatistica del processo, cité, p. 112 et ss..
[79] Voir supra, p. ; pour une réflexion sur l’évolution récente de ce principe, voir en particulier Ho L.H., The Presumption of Innocence as a Human Right, Roberts P., Hunter J., Criminal Evidence and Human Rights. Reimagining Common Law Procedural Traditions, Oxford- Portland, Hart Publishing, 2012., p. 259.
[80] Jackson J., The Effect of Human Rights on Criminal Evidentiary Process. Towards Convergence, Divergence or Realignments ?, The Modern Law Rev., 2006, p. 68.
[81] Damaska M, I volti della giustizia e del potere. Analisi comparatistica del processo, cité, p. 126 et ss..
[82] Ibidem, p. 249 et ss..
[83] Ibidem, p. 260 et ss. et p. 281 et ss..
[84] Damaska M., Evidentiary Barriers to Conviction and Two Models of Criminal Procedure. A Comparative Study, cité, p. 526.
[85] Damaska M., Il diritto delle prove alla deriva, cité, p. 111 et ss. ; du même Auteur, I volti della giustizia e del potere. Analisi comparatistica del processo, cité, p. 175 et ss. ; Damaska M., Presentation of Evidence and Factfinding Precision, University of Pennsylvania Law Rev., 1975, p.1083.
[86] Damaska M., Evidentiary Barriers to Conviction and Two Models of Criminal Procedure. A Comparative Study, cité, p. 544 et ss.
[87] Damaska M., Truth in Adjudication, cité ; du même Auteur, Evidentiary Barriers to Conviction and Two Models of Criminal Procedure. A Comparative Study, cité, p. 587 ; I volti della giustizia e del potere. Analisi comparatistica del processo, cité, p. 393 et ss..
[88] Damaska M., The Uncertain Fate of Evidentiary Transplants. Anglo-American and Continental Experiments, The American Journal of Comparative Law, 1997, Vol. 45, n. 4, p. 839.
[89] Grande E., Dances of Criminal Justice. Thoughts on Systemic Differences and Search for the Truth, Jackson J., Langer M, Tillers P., Crime, Procedure and Evidence in Comparative and International Context. Essays in Honor of Professor Mirjan Damaska, Oxford-Portland, Hart Publisher, 2008, p. 145.
[90] Cordero F., Tre studi sulle prove penali, Milano, Giuffré, 1963.
[91] Damaska M., Evidentiary Barriers to Conviction and Two Models of Criminal Procedure. A Comparative Study, cité, p. 546 et ss..
[92] Dennis I. H., The Law of Evidence, cité, p. 390.
[93] Epstein D.M., Advance Notice of Alibi, Journal of Criminal Law, Criminology & Police Science, 1964, vol. 55, Issue 1, p. 29 ; M. C.A., Crimes. Alibi. Instruction as to Particular Evidence, Michigan Law Rev., 1929, p. 563 ; Virginia Law Revue Association, Criminal Law. Evidence. Burden of Proving Alibi, Virginia Law Rev., 1930, p. 738.
[94] Damaska M., Evidentiary Barriers to Conviction and Two Models of Criminal Procedure. A Comparative Study, cité, p. 552 et ss..
[95] F. Vergine, Sistema delle Prove e interventi del giudice, Cacucci Editore, Bari, 2008.
[96] Grande E., Dances of Criminal Justice. Thoughts on Systemic Differences and Search for the Truth, cité, p. 153 et ss.
[97] Damaska M., The Uncertain Fate of Evidentiary Transplants. Anglo-American and Continental Experiments, cité, p. 841.
[98] Voir, pour un approfondissement, Nance D.A., The Best Evidence Principle, Iowa Law Rev. 1998, Vol. 73, p. 227.
[99] Voir notamment Choo A.L.T., The Privilege Against Self-Incrimination and Criminal Justice, Oxford, Hart Publishers, 2013.
[100] Marchetti P., Testis contra se. L’imputato come fonte di prova nel processo penale dell’età moderna, Milano, Giuffré, 1994 ; Damaska M., The Quest of Due Process in the Age of Inquisition, The American Journal of Comparative Law, 2012, p. 919 ; du même auteur, I volti della giustizia e del potere. Analisi comparatistica del processo, cité, p. 249 et ss..
[101] Stein A. Foundation of Law of Evidence, Oxford University Press, 2005.
[102] Grande E., Dances of Criminal Justice. Thoughts on Systemic Differences and Search for the Truth, cité, p. 156 ; Damaska M., Il diritto delle prove alla deriva, cité, p. 160.
[103] Ibidem.
[104] Sneed, J. T., Trial-Court Discretion. Its exercice by Trial Courts and Its Review by Appellate Courts, The Journal of appellate Practice and Process, 2012, Vol. 13, p. 201 ; pour une approche comparée, voir plus particulièrement Abraham H.J., Judicial Process. An Introductory Analysis of the Courts of the United States, England and France, 1980.
[105] Dont les bases furent posées par Mirjan Damaska, à partir des études, plusieurs fois évoquées, Evidentiary Barriers to Conviction and Two Models of Criminal Procedure. A Comparative Study, cité, et Structure of Authority and Comparative Criminal Procedure et Presentation of Evidence and Factfinding Precision, cité. La réflexion ainsi entamée atteignit sa pleine maturation avec la publication de l’ouvrage Faces of Justice and State Authority. A Comparative Approach to the Legal Process, New Haven-London, Yale University Press, 1986 dont la monographie Evidence Law Adrift, New Haven, Yale University Press, 1997 constitue une application particulière au droit probatoire anglo-américain (ouvrages rappelées, au cours de ces pages, dans leur traduction italienne). Les travaux successifs n’ont arrêté d’enrichir et perfectionner cette méthode, en en confirmant l’extrême expressivité scientifique, et une remarquable capacité explicative, que les lignes qui suivent ne sauraient de toute évidence prétendre d’épuiser.
[106] Damaska M., I volti della giustizia e del processo. Analisi comparatistica del processo, cité, p. 28 et ss.
[107] Pour une intéressante réflexion sur la portée innovante de l’approche analytique, on peut voir Taruffo M, Introduzione all’edizione italiana de Mirjan Damaska, I volti della giustizia e del potere. Analisi comparatistica del processo penale, Bologna, Il Mulino, 1991 ; Amodio E., Il diritto delle prove penali nel pensiero di Mirjan Damaska, Rivista Italiana di Diritto e Procedura Penale, 2007, vol. 50, n. 1, p. 10. Pour une reconnaissance de l’importance de la contribution de cet auteur pour l’évolution de la pensée du droit comparée, voir Jakson J., Langer M., Damaska in Comparative Law, Jackson J., Langer M, Tillers P., Crime, Procedure and Evidence in Comparative and International Contexte. Essays in Honor of Professor Mirjan Damaska, cité, p. 2 et ss..
[108] Voir notamment Van der Wilt H., Why International Criminal Lawyers Should Read Mirjan Damaska, Sthan C., Van de Herik, Future Perspectives on International Criminal Justice, Amsterdam, TMC Asser Press, 2010, p. 44 ; Jackson J., Summers S., The Internationalisation of Criminal Evidence. Beyond the Common Law and Civil Law Traditions, Cambridge University Press, 2012 ; Caianiello M., Law of Evidence at the International Criminal Court. Blending Accusatorial and Inquisitorial Models, North Carolina Journal of International Law and Commercial Regulation, 2011, n. 2, Article 3, p. 287 ; Delmas-Marty M., Comparative Criminal Law as a Necessary Tool for the Application of International Criminal Law, Cassese A., The Oxford Companion to International Criminal Justice, Oxford University Press, 2009, p. 97.
[109] C’est le cœur de l’analyse développée par Damaska dans son ouvrage I volti della giustizia e del processo. Analisi comparatistica del processo, cité.
[110] TPIY, article 21 du Statut ; CPI, articles 66 et 67 du Statut. Pour un premier commentaire de ces textes, voir, entre autres, Tochilovsky V., Jurisprudence of the International Criminal Courts and the European Court of Human Rights, Leiden-Boston Martinus Nijhoff Publisher, 2008, p. 269 et ss., et p. 295 et ss..
[111] Convention Européenne des Droits de l’Homme, article 6. Jackson J., Faces of Transnational Justice. Two Attempts to Build Common standards Beyond National Boundaries, Jackson J., Langer M, Tillers P., Crime, Procedure and Evidence in Comparative and International Context. Essays in Honor of Professor Mirjan Damaska, cité, p. 68.
[112] Voir en particulier, sur cette évolution, Calvo-Goller K., La procedure et la jurisprudence de la Cour Pénale Internationale, Gazette du Palais, 2012 ; Cassese A., From Nuremberg to Rome. International Military Tribunals and the International Criminal Court, Cassese A., The Rome Statute of the International Criminal Court. A Commentary, Oxford University Press, 2002, p. 3.
[113] Niv A., The Schizophrenia of the “No Case to Answer Test” in International Criminal Tribunals, cité, p. 1122 et ss. ; Cayley A.T., Orenstein A., Motion for Judgment of Acquittal in the Ad Hoc and Hybrid Tribunals. What Purpose if Any Does It Serve, Journal of International Criminal Justice 8 (2010), p. 575.
[114] TPIY, Chambre de Première Instance I, IT-95-14-2, Le Procureur c/ Dario Kordić et Mario Cerkez, cité.
[115] Voir, entre autres, TPIY, Chambre de Première Instance II, IT- 01-42-T, Le Procureur c/ Pavle Strugar, Décision relative à la demande d’acquittement présentée par la défense en application de l’arrticle 98 bis du Règlement, 21 juin 2004.
[116] Niv A., The Schizophrenia of the “No Case to Answer Test” in International Criminal Tribunals, cité, p. 1127 et ss..
[117] Fernandez de Gurmendi S.A., The Elaboration of the Rules of Procedure and Evidence, Lee R.S.(sous la direction de), The International Criminal Court. Elements of Crimes and Rules of Procedure and Evidence, Ardsley, NY, Transnational Publisher Inc., 2001, p. 235 ; Lee R.S.(sous la direction de), The International Criminal Court. Elements of Crimes and Rules of Procedure and Evidence, Ardsley, NY, Transnational Publisher Inc., 2001.
[118] Le régime du témoignage par ouï-dire est peut-être l’exemple le plus connu de ce développement. Voir sur ce point, Calvo-Goller K., La procedure et la jurisprudence de la Cour Pénale Internationale, cité, p. 215 et ss.
[119] Voir, entre autres, Boas G., Bischoff J.L., Reid N.L., Don Taylor III B., International Criminal Procedure, vol III, Cambridge University Press, 2011, p. 21 et ss..
[120] Voir, par exemple, May R., Wierda M., International Criminal Evidence, Ardsley, NY, Transnational Publishers Inc., 2002, p. 126 et ss..
[121] Notre analyse va abandonner ici, pour un instant, la comparaison par thèmes qui en constituera l’approche par la suite. Le choix se justifie en raison de la manière, très différente dans les deux contextes, dont la procédure dite de « no case to answer » a pu s’affirmer, et qui rend l’évolution devant le TPIY difficilement comparable à celle ayant marqué son introduction devant la CPI.
[122] Voir en particulier Robinson P.L., Rough Edges in the Alignment of Legal Systems in the Proceeding at the ICTY, Journal of International Criminal Justice, 3 (2005), p. 1037.
[123] TPIY, Trial Chamber I, IT-94-1, The Prosecutor c/ Dusko Tadić, Decision on Defence Request to Dismiss Charges, 13 septembre 1996.
[124] TPIY, Chambre de première instance, IT-96-21, Le Procureur c/ zejnil Delalic et al., Ordonnance relative aux requêtes de rejet de l’acte d’accusation à l’issue de la présentation des moyens du Procureur, 18 mars 1998.
[125] Ibidem.
[126] Ashworth A. Redmaine M., Criminal Process, cite, p. 273 et ss. ; Roberts P., Zuckerman A., Criminal Evidence, cité, p. 69.
[127] TPIY, Chambre de Première Instance II, IT- 01-42-T, Le Procureur c/ Pavle Strugar, 21 juin 2004, cité.
[128] Ibidem.
[129] TPIY, Chambre de première instance I, IT-95-14, Le Procureur c/ Tihomir Blaskić, Décision relative à la requête du Procureur aux fins de rejeter certains chefs d’accusation, 3 septembre 1998.
[130] Ibidem, § 2, deuxième Attendu.
[131] TPIY, Chambre de Première Instance I, IT-95-14-2, Le Procureur c/ Dario Kordić et Mario Cerkez, 6 avril 2000, cité.
[132] TPIY, Chambre de Première Instance II, IT- 01-42-T, Le Procureur c/ Pavle Strugar, 21 juin 2004, cité, § 29.
[133] Voir par exemple l’opinion dissidente du juge Robinson, en l’affaire Milosević (TPIY, Cambre de première instance, IT-02-54-T, Le Procureur c/ Slobodan Milosević, Décision relative à la demande d’acquittement, 16 juin 2004).
[134] TPIY, Trial Chamber II, IT-03-68, The Prosecutor c/ Naser Orić, Transcript, 4 mai 2005.
[135] TPIY, Chambre de Première Instance II, IT- 01-42-T, Le Procureur c/ Pavle Strugar, 21 juin 2004, cité.
[136] TPIY, Trial Chamber II, IT-03-68, The Prosecutor c/ Naser Orić, Transcript, 4 mai 2005, cité.
[137] Cayley A.T., Orenstein A., Motion for Judgment of Acquittal in the Ad Hoc and Hybrid Tribunals. What Purpose if Any Does It Serve, p. 589.
[138] CPI, Chambre Préliminaire II, ICC-01/09-01/11-337-FRA, Le Procureur v. William Samoei Ruto, Henri Kiprono Kogsey et Joshua Arap Sang, Décision relative à la confirmation des charges rendue en application des alinéas a) et b) de l’article 61-7 du Statut, 23 janvier 2012.
[139] ICC, Appeals Chamber, ICC-01/04-02/06, The Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Judgment on the Appeal of Mr. Bosco Ntaganda against the “Decision on Defence Request for leave to file a no case to answer motion”, 5 septembre 2017.
[140] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-847, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision No. 5 on the Conduct of Trial Proceedings (Principles and Procedure on “no case to answer” motions), 3 june 2014.
[141] ICC, Trial Chamber V (A), ICC-01/09-01/11-794, Prosecutor Submission on the Conduct of the Proceeding, 3 july 2013.
[142] ICC, Trial Chamber V (A), ICC-01/09-01/11-795, Defence submission on the Conduct of the Proceeding, 3 july 2013 ; ICC, Trial Chamber V (A), ICC-01/09-01/11-796, Sang Defence submission on the Conduct of the Proceeding, 3 july 2013.
[143] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-847, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision No. 5 on the Conduct of Trial Proceedings (Principles and Procedure on “no case to answer” motions), § 12.
[144] Ibidem, § 33 et ss.
[145] ICC, Trial Chamber VI, ICC-01/04-02/06-411-619, The Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Decision on the conduct of the proceedings, 2 june 2015.
[146] Ibidem, § 17.
[147] ICC, Trial Chamber VI, ICC-01/04-02/06-1879- Conf, The Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Request for leave to file motion for partial judgment of acquittal, 25 april 2017.
[148] ICC, Trial Chamber VI, ICC-01/04-02/06-1931, The Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Decision on Defence request for leave to file a “no case to answer” motion, 1 june 2017.
[149] Ibidem, §§ 26-27.
[150] ICC, Trial Chamber VI, ICC-01/04-02/06-1975, The Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Appeal from decision denying leave to file a “no case to answer motion”, 27 june 2017.
[151] Ibidem, § 11 et ss.
[152] Ibidem, § 19.
[153] ICC, Appeals Chamber, ICC-01/04-02/06, The Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Judgment on the Appeal of Mr. Bosco Ntaganda against the “Decision on Defence Request for leave to file a no case to answer motion”, cité.
[154] Ibidem,§ 42 et ss.
[155] Ibidem, § 52.
[156] Cayley A.T., Orenstein A., Motion for Judgment of Acquittal in the Ad Hoc and Hybrid Tribunals. What Purpose if Any Does It Serve, cité, p. 580.
[157] TPIY, Chambre de première instance II, IT-96-23 & 23/1, Le Procureur c/ Dragoljub Kunarac et al., Décision relative à la requête aux fins d’acquittement, 3 juillet 2000.
[158] TPIY, Chambre d’Appel, IT-95-10-A, Le Procureur c/ Goran Jelisić, Arrêt, 5 juillet, 2001.
[159] TPIY, Chambre de première instance I, IT-95-10-T, Le Procureur c/ Goran Jelisić, Jugement, 14 décembre 1999.
[160] Ibidem, § 36 et ss..
[161] Pour une synthèse, voir Tochilovsky V., Jurisprudence of the International Criminal Courts and the European Court of Human Rights, cité, p. 535 et ss.
[162] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-847, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision No. 5 on the Conduct of Trial Proceedings (Principles and Procedure on “no case to answer” motions), cité, § 23.
[163] TPIY, Trial Chamber I, IT-94-1, The Prosecutor c/ Dusko Tadić, Decision on Defence Request to Dismiss Charges, cité ; TPIY, Chambre de première instance, IT-96-21, Le Procureur c/ Zejnil Delalic et al.,Ordonnance relative aux requêtes de rejet de l’acte d’accusation à l’issue de la présentation des moyens du Procureur, cité.
[164] TPIY, Chambre de Première Instance I, IT-95-14-2, Le Procureur c/ Dario Kordić et Mario Cerkez, cité.
[165] TPIY, Chambre d’Appel, IT-95-10-A, Le Procureur c/ Goran Jelisić, Arrêt, cité. Voir aussi TPIY, Chambre d’Appel, IT-96-21-A, Le Procureur c/ Zeinil Delalić, Arrêt, 20 février 2001.
[166] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-2027-Red-Corr, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision on Defence Applications for Judgments of Acquittal, 5 avril 2016 – Motif du Juge Eboe-Osuji.
[167] TPIY, Chambre d’Appel, IT-95-10-A, Le Procureur c/ Goran Jelisić, Arrêt, cité.
[168] TPIY, Chambre de Première Instance I, IT-95-14-2, Le Procureur c/ Dario Kordić et Mario Cerkez, cité ; TPIY, Chambre d’Appel, IT-95-10-A, Le Procureur c/ Goran Jelisić, Arrêt, cité. Voir aussi TPIY, Chambre d’Appel, IT-96-21-A, Le Procureur c/ Zeinil Delalić, Arrêt, 20 février 2001 ; TPIY, Cambre de première instance, IT-02-54-T, Le Procureur c/ Slobodan Milosević, Décision relative à la demande d’acquittement, cité.
[169] Il y a en effet un décalage entre la Décision numéro 5 sur la conduite de la procédure, et la décision l’ayant appliquée pour prononcer l’acquittement des accusés.
[170] Voir l’opinion dissidente du juge Robinson en l’affiare Milosević (IT-02-54-T, Le Procureur c/ Slobodan Milosević, Décision relative à la demande d’acquittement, cité).
[171] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-847, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision No. 5 on the Conduct of Trial Proceedings (Principles and Procedure on “no case to answer” motions), cité, § 23.
[172] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-2027-Red-Corr, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision on Defence Applications for Judgments of Acquittal, cité, § 18.
[173] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-2027-Red-Corr, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision on Defence Applications for Judgments of Acquittal, 5 avril 2016 – Motif du Juge Eboe-Osuji, cité, § 108.
[174] TPIY, Chambre de Première Instance I, IT-95-14-2, Le Procureur c/ Dario Kordić et Mario Cerkez, cité.
[175] TPIY, Chambre d’Appel, IT-95-10-A, Le Procureur c/ Goran Jelisić, Arrêt, cité.
[176] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-847, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision No. 5 on the Conduct of Trial Proceedings (Principles and Procedure on “no case to answer” motions), cité, § 24.
[177] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-2027-Red-Corr, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision on Defence Applications for Judgments of Acquittal, cité, § 144.
[178] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-2027-Red-Corr, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision on Defence Applications for Judgments of Acquittal, 5 avril 2016 – Motif du Juge Eboe-Osuji, cité, § 7 et § 113.
[179] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-2027-Anx 1, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision on Defence Applications for Judgments of Acquittal, 5 avril 2016, opinion dissidente du juge Carbuccia, § 28.
[180] Ambos K., International Criminal Procedure. Adversarial, Inquisitorial or Mixed ?, International Criminal Law Rev., 3, 2003, p. 1 ; Bohlander M., Radbruch Redux. The Need for Revisiting the Conversation between Common and Civil Law at Root Level at the Example of International Criminal Justice, Leiden Journal of International Law, 24 (2011), p. 393 ; Fletcher G.P., The Influence of the Common Law and the Civil Law Traditions on International Criminal Law, Cassese A., The Oxford Companion to International Criminal Justice, Oxford University Press, 2009, p. 104 ; Kress C., The International Criminal Court as a Turning Point in the History of International Criminal Justice, Cassese A., The Oxford Companion to International Criminal Justice, Oxford University Press, 2009, 143 ; Orie A., Accusatorial v. Inquisitorial Approach in International Criminal Proceedings, Cassese A., The Rome Statute of the International Criminal Court. A Commentary, Oxford University Press, 2002, p. 1439 ; Roberts P., The Priority of Procedure and the Neglect of Evidence and Proof. Facing Facts in International Criminal Law, Journal of International Criminal Justice, 13 (2015), p. 479.
[181] Vasiliev S.V., International Criminal Trials. A Normative Theory, University of Amsterdam, 2014, p. 659 et ss. ; Klamberg M., Evidence in International Criminal Trials. Confronting Legal Gaps and the Reconstruction of Disputed Events, Leiden-Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2013, p. 423 et ss. ; May R., Wierda M., International Criminal Evidence, Ardsley, NY, Transnational Publishers Inc., 2002, p. 141 ; Tochilovsky V., Jurisprudence of the International Criminal Courts and the European Court of Human Rights, cité , p.319.
[182] Voir, pour un examen détaillé de la jurisprudence en matière, Vasiliev S. V., Victim Participation Revisited-What the ICC is Learning about Itself, Stahn C., The Law and Practice of the International Criminal Court, cité, p. 678 et ss.
[183] ICTY, Trial Chamber, IT-96-21, The Prosecutor c/ Zejnil Delalic et al.,Decision on the Prosecutor’s alternative Request to reopen Prosecution case, 19 august 1998.
[184] Voir, pour une analyse approfondie de cette jurisprudence, Vasiliev S.V., International Criminal Trials. A Normative Theory, cité, p. 680 et ss..
[185] TPIY, Chambre de première instance, IT-05-87, Le Procureur c/ Milan Multinović, Jugement, 26 février 2009.
[186]Vasiliev S.V., International Criminal Trials. A Normative Theory, cité, p. 665 et ss.
[187] TPIY, Chambre d’Appel, IT-96-21-A, Le Procureur c/ Zejnil Delalic et al., Arrêt, 20 février 2001.
[188] Bitti G., Article 64, Triffterer O., Commentary on the Rome Statute of the International Criminal Court, Baden-Baden, Nomos Verlagsgesellschaft, 1999, p. 809 ; Brady H., The System of Evidence in the Statute of the International Criminal Court, Lattanzi F., Schabas W.A., Essays on the Rome Statute of the International Criminal Court, Ripa Fagnano Alto (AQ), Il Sirente Ed., 1999, p. 279 ; Piragoff D., Evidence, Lee R.S.(sous la direction de), The International Criminal Court. Elements of Crimes and Rules of Procedure and Evidence, Ardsley, NY, Transnational Publisher Inc., 2001, p. 349 ; Piragoff D., Behrens H.J., Article 69, Triffterer O., Commentary on the Rome Statute of the International Criminal Court, Baden-Baden, Nomos Verlagsgesellschaft, 1999, p. 888.
[189] Terrier F., Powers of the Trial Chamber, Cassese A., The Rome Statute of the International Criminal Court. A Commentary, Oxford University Press, 2002, p. 1277.
[190] Vasiliev S.V., International Criminal Trials. A Normative Theory, p. 716 et ss..
[191] Safferling C.(sous la direction de), International Criminal Procedure, Oxford University Press, 2012, p. 164 et ss. ; Bitti G., Friman H., Participation of Victims in the Proceeding, Lee R.S.(sous la direction de), The International Criminal Court. Elements of Crimes and Rules of Procedure and Evidence, Ardsley, NY, Transnational Publisher Inc., 2001, p. 456 ; Vasiliev S. V., Victim Participation Revisited-What the ICC is Learning about Itself, Stahn C., The Law and Practice of the International Criminal Court, Oxford University Press, 2015, p. 1133 ; Donat-Cattin D., The Role of Victims in ICC Proceeding, Lattanzi F., Schabas W.A., Essays on the Rome Statute of the International Criminal Court, Ripa Fagnano Alto (AQ), Il Sirente Ed., 1999, p. 251 ; Garbett C., The Truth and the Trial. Victim’s Participation, Restorative Justice, and the International Criminal Court, Contemporary Justice Rev., 2013, Vol. 16, N. 2, p. 193.
[192] Vasiliev S.V., International Criminal Trials. A Normative Theory, p. 724 et ss.
[193] ICC, Trial Chamber I, ICC-01/04-01/06-1084, The Prosecutor v. Thomas Lubanga, Decision on the status before the Trial Chamber of the evidence heard before the Pre-Trial Chamber and decisions of the Pre-Trial Chamber in trial proceedings, and the manner in wich evidence shall be submitted, 13 december 2007.
[194] ICC, Trial Chamber II, ICC-01/04-01/07,The Prosecutor v. German Katanga and Mathieu Ngudjolo, Directions for the conduct of the proceedings and testimony in accordance with rule 140, 20 november 2009.
[195] ICC, Trial Chamber VI, ICC-01/04-01/06, The Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Decision on the conduct of the proceedings, 2 june 2015.
[196] ICC, Trial Chamber I, ICC-01/04-01/06-1084, The Prosecutor v. Thomas Lubanga, Decision on the status before the Trial Chamber of the evidence heard before the Pre-Trial Chamber and decisions of the Pre-Trial Chamber in trial proceedings, and the manner in wich evidence shall be submitted, cité ; ICC, Trial Chamber II, ICC-01/04-01/07,The Prosecutor v. German Katanga and Mathieu Ngudjolo, Directions for the conduct of the proceedings and testimony in accordance with rule 140, cité.
[197] ICC, Trial Chamber I, ICC-01/04-01/06-1119, The Prosecutor v. Thomas Lubanga, Decision on victims participation, 18 janvier 2008 ; ICC, Appeal Chamber, ICC-01/04-01/06-1432, The Prosecutor v. Thomas Lubanga, Judgment on the appeals of th Prosecutor and the Defence against the Trial chamber’s I Decision on Victims Participation, 11 july 2008.
[198] Vasiliev S.V., International Criminal Trials. A Normative Theory, cité, p. 728 et ss.
[199] Ibidem, p. 742 et ss..
[200] ICC, Trial Chamber I, ICC-01/04-01/06-1119, The Prosecutor v. Thomas Lubanga, Decision on victims participation, cité.
[201] Vasiliev S.V., International Criminal Trials. A Normative Theory, cité, p. 722 et ss. ; Friman H., The International Criminal Court and Participation of Victims. A Third Party to the proceedings ?, Leiden Journal of International Law, 2009, 22, p. 485.
[202] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-847, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision on the Conduct of Trial Proceedings (General Directions), cité.
[203] Tochilovsky V., Jurisprudence of the International Criminal Courts and the European Court of Human Rights, cité, p. 50 et ss..
[204] ICTY, Trial Chamber II, IT-01-45, The Prosecutor v. Gotovina, Decision on Prosecution’s Consolidated Motion to Amend the Indictment and for Joinder, 14 july 2006.
[205] TPIY, Chambre de première instance, IT-95-5/18-I, Le Procureur v. Ratko Mladić, Ordonnance autorisant le dépôt d’un acte d’accusation modifié et confirmant celui-ci, 8 novembre 2002.
[206] De Beco G., The Confirmation of Charges before the International Criminal Court. Evaluation and First Application, International Criminal Law Rev., 2007, Vol. 7, Issue 2, p. 469.
[207] Ambos K., Miller D., Structure and function of the Confirmation Procedure before the ICC from a Comparative Perspective, International Criminal Law Rev., 7 (2007), p. 335 ; Fourmy O., Powers of Pre-Trial Chambers, Cassese A., The Rome Statute of the International Criminal Court. A Commentary, Oxford University Press, 2002, p. 1207 ; Marchesiello M., Proceedings Before the Pre-Trial Chamber, Cassese A., The Rome Statute of the International Criminal Court. A Commentary, Oxford University Press, 2002, p. 1231.
[208] ICC, Chambre Préliminaire II, ICC-01/05-01/08-424-FRA, Le Procureur v. Jean-Pierre Bemba Gombo, Décision rendue en applicationdes alinéas a) et b) de l’article 61-7 du Statut de Rome, relativement aux charges portées par le Procureur à l’encontre de Jean-Pierre Bemba Gombo, 15 juin 2009. Maraniello T., Questioning the Standard of Proof. The Purpose of the ICC Confirmation of Charges Procedure, Journal of International Criminal Justice, 13 (2015), p. 579.
[209] ICC, Trial Chamber I, ICC-01/04-01/06-1084, The Prosecutor v. Thomas Lubanga, Decision on the status before the Trial Chamber of the evidence heard before the Pre-Trial Chamber and decisions of the Pre-Trial Chamber in trial proceedings, and the manner in wich evidence shall be submitted, cité. Friman H., Trial Procedures-With a Particular Focus on the Relationship between the Proceedings of the Pre-Trial and Trial Chambers, Stahn C., The Law and Practice of the International Criminal Court, Oxford University Press, 2015, p. 909.
[210] ICC, Chambre Préliminaire I, ICC-01/04-01/06, Le Procureur v. Thomas Lubanga, Décision sur la confirmation des charges, 29 janvier 2007.
[211] Ibidem.
[212] Klamberg M., Evidence in International Criminal Trials. Confronting Legal Gaps and the Reconstruction of Disputed Events, cité, p. 115 et ss. ; De Smet S., The International Criminal Standard of Proof at the ICC. Beyond Reasonable Doubt or Beyond Reason ?, Stahn C., The Law and Practice of the International Criminal Court, Oxford University Press, 2015, p. 861 ; Kinsch P., On the Uncertainties Surrounding the Standard of Proof In Proceedings Before International Courts and Tribunals, Venturini G., Bariatti S. (sous la direction de), Diritti individuali e giustizia internazionale. Liber Fausto Pocar, Milano, Giuffré, 2009, p. 427 ; Ramsden M., Chung C., Reasonable Grounds to Believe. An Unreasonably Unclear Evidentiary Threshold in the ICC Statute, (2015) 13(3), p. 555.
[213] Vasiliev S. V., Victim Participation Revisited-What the ICC is Learning about Itself, Stahn C., The Law and Practice of the International Criminal Court, cité, p. 760.
[214] Courtney J., Christodoulus Kaoutzanis, Proactive Gatekeepers. The Jurisprudence of the ICC’s Pre-Trial Chambers, Chicago Journal of International Law, 2015, Vol. 15, N. 2, Article 5, p. 518.
[215] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-847, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision No. 5 on the Conduct of Trial Proceedings (Principles and Procedure on “no case to answer” motions), cité, § 14.
[216] Ibidem.
[217] Nerlich V., The Confirmation of Charges Procedure at the International Criminal Court. Advance or Failure ?, Journal of International Criminal Justice, 10 (2012), p. 1339.
[218] ICC, Appeals Chamber, ICC-01/04-02/06-1982, The Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Response to Bosco Ntaganda’s Appeal against the decision denying leave to file a no case to answer motion, 10 july 2017.
[219] ICC, Appeals Chamber, ICC-01/04-02/06-1975, The Prosecutor v. Bosco Ntaganda,Appeal from decision denying leave to file a no case to answer motion, 27 juin 2017, § 18.
[220] ICC, Appeals Chamber, ICC-01/04-02/06-1982, The Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Response to Bosco Ntaganda’s Appeal against the decision denying leave to file a no case to answer motion, § 13.
[221] ICC, Appeals Chamber, ICC-01/04-02/06, The Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Judgment on the Appeal of Mr. Bosco Ntaganda against the “Decision on Defence Request for leave to file a no case to answer motion”, cité, § 53.
[222] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-2027-Red-Corr, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision on Defence Applications for Judgments of Acquittal, 5 avril 2016 – Motif du Juge Eboe-Osuji, cité, § 126 et ss.
[223] ICC, Trial Chamber V (A), ICC-01/09-01/11-1938, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision on Prosecution Request for Admission of Prior Recorded Testimony, 19 august 2015.
[224] Ibidem,§ 22.
[225] Ibidem, § 24.
[226] ICC, Appeals Chamber, ICC-01/09-01/11-2024, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Judgment on the appeals of Mr William Samoei Ruto et Mr. Joshua Arap Sang against the decision of Trial Chamber V (A) of 19 august 2015 entitled “Decision on Prosecution Request for Admission of Prior Recorded Testimony”, 12 february 2016.
[227] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-2027-Red-Corr, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision on Defence Applications for Judgments of Acquittal, cité, § 148.
[228] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-2027-Red-Corr, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision on Defence Applications for Judgments of Acquittal, Motif du juge Eboe-Osuji, § 182 et ss..
[229] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-2027-Anx 1, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision on Defence Applications for Judgments of Acquittal, 5 avril 2016, opinion dissidente du juge Carbuccia, § 28.
[230] ICC, Trial Chamber VI, ICC-01/04-02/06-1931, Decision on Defence request for leave to file a “no case to answer” motion, cité, § 28.
[231] ICC, Appeals Chamber, ICC-01/04-02/06, The Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Judgment on the Appeal of Mr. Bosco Ntaganda against the “Decision on Defence Request for leave to file a no case to answer motion”, cité, § 54.
[232] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-2027-Anx 1, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision on Defence Applications for Judgments of Acquittal, 5 avril 2016, opinion dissidente du juge Carbuccia, cité, § 29.
[233] ICC, Trial chamber V (A), ICC-01/09-01/11-2027-Anx 1, The Prosecutor v. William Samoei Ruto and Joshua Arap Sang, Decision on Defence Applications for Judgments of Acquittal, cité, § 24.
[234] Klamberg M., Evidence in International Criminal Trials. Confronting Legal Gaps and the Reconstruction of Disputed Events, cité, p. 12 et ss..
[235] Brady H., Disclosure of Evidence, Lee R.S.(sous la direction de), The International Criminal Court. Elements of Crimes and Rules of Procedure and Evidence, Ardsley, NY, Transnational Publisher Inc., 2001, p. 403.
[236] Zappalà S., Judicial Activism v. Judicial Restraint in International Criminal Justice, Cassese A., The Oxford Companion to International Criminal Justice, Oxford University Press, 2009, p. 216
[237] Statut de Rome, Préambule.
[238] Damaska M., What’s the Point of International Criminal Justice ?, Yale Law School Legal Scholarship Repository, 2008, p. 1573.
[239] Damaska M., The Competing Vision of Fairness. The Basic Choice for International Criminal Tribunals, North Carolina Journal of International Law and Commercial Regulation, 2011, vol. 36, n. 2, Article 5, p. 365.
[240] Damaska M., Problematic Features of International Criminal Procedure, Cassese A., The Oxford Companion to International Criminal Justice, Oxford University Press, 2009, p. 175,
[241] Damaska M., Reflexion on Fairness in International Criminal Justice, Journal of International Criminal Justice 10 (2010), p. 611.
[242] Jackson J., Faces of Transnational Justice. Two Attempts to Build Common standards Beyond National Boundaries, Jackson J., Langer M, Tillers P., Crime, Procedure and Evidence in Comparative and International Context. Essays in Honor of Professor Mirjan Damaska, Oxford-Portland, Hart Publisher, 2008, p. 221 ; du même auteur, Finding the Best Epistemic Fit for International Criminal Tribunals. Beyond the Adversarial-Inquisitorial Dichotomy, Journal of International Criminal Justice 7 (2009), p. 17
[243] Damaska M., I volti della giustizia e del processo. Analisi comparatistica del processo, cité, p. 395.
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