Ouvrage reçu – 8 – Florence Bellivier, Marina Eudes, Isabelle Fouchard Droit des crimes internationaux Paris, PUF, 2018
Florence Bellivier, Marina Eudes, Isabelle Fouchard, Droit des crimes internationaux
Paris, PUF, 2018
Les Presses Universitaires de France viennent de publier, dans la collection Thémis et sous la plume de Florence Bellivier, Marina Eudes et Isabelle Fouchard, un ouvrage remarquable en matière de justice pénale internationale. L’étude, portant le titre de Droit des crimes internationaux, est de celles qui peuvent marquer une étape importante dans la réflexion juridique autour de ce thème, appréhendé d’une façon qui tranche sur les approches dominantes dans la production scientifique.
Les auteurs partent d’un constat : les analyses des juristes qui se sont penchés jusqu’ici sur les mécanismes de la justice pénale internationale ont trop souvent souffert des clivages qui existent entre les différentes branches du droit et de la recherche juridique. Les phénomènes se reliant à la criminalité internationale et de masse, ainsi que les instruments à disposition pour la poursuite et la punition des coupables, ont par conséquent été envisagés dans la plupart des cas soit sous l’angle du droit pénal interne – pour tout ce qui relève de la criminalité transfrontalière et de l’entre-aide judiciaire – soit sous l’angle du droit international public – avec le regard tourné vers les mécanismes conventionnels de répression et punition des crimes de masse. Les auteurs ne remettent pas en cause la valeur scientifique des acquis de ces approches traditionnelles, mais elles mettent en relief ce qui, à leurs yeux, en représente la limite : le fait de ne pas saisir un double mouvement à l’œuvre dans le droit contemporain, d’internalisation des droits pénaux nationaux et de pénalisation du droit international public, dont la conséquence majeure consiste dans la ré-modulation, via la dialectique entre ces deux dimensions, de la notion fondamentale, au carrefour des tendances évolutives des deux ordres juridiques, national et international, de la souveraineté étatique. Les objectifs que les auteurs se donnent – et qu’elles parviennent pleinement à atteindre – sont donc très ambitieux : offrir à l’analyse une perspective intégrée, capable de montrer non plus ce qu’il y a d’un côté ou de l’autre de cette frontière, mais ce qui en détermine la porosité, en la transformant, de cette ligne de démarcation qu’elle était, en un espace ouvert à des multiples interactions et interconnexions.
Le premier des défis était donc celui d’une redéfinition des notions (première partie). En reprenant les intuitions de Claude Lombois, et en ayant à l’esprit ce double mouvement, la catégorie juridique du « crime international » est donc reformulée, pour comprendre les infractions présentant un élément d’extranéité – les crimes transnationaux – et les atrocités de masse – les crimes supranationaux. Les premiers, traduisant l’internationalisation du droit pénal interne, se caractérisent par le fait de toucher à des standards communs, dont la protection demande désormais une coordination interétatique impliquant la révision des catégories propres au droit pénal classique, pour mieux prendre en compte la dimension transfrontalière des phénomènes criminels. Les deuxièmes, fruit du mouvement de pénalisation du droit international public, concernent les atteinte à des valeurs universelles, dans lesquelles la communauté internationale toute entière se reconnaît, et pour la protection desquelles elle s’active directement. Il ne s’agit pas seulement d’une différence technique dans les sources du droit puisque les crimes transnationaux s’enracinent encore dans le droit interne, quoi que sous l’impulsion du droit international conventionnel, les crimes supranationaux tirant leur origine directement du droit international ; il s’agit plus précisément d’une articulation différente de la souveraineté étatique, dont les diverses modulations peuvent être saisies encore plus clairement sur le terrain des nouvelles catégories émergentes : entre les crimes transnationaux et les crimes supranationaux, des hybrides existent, qui reflètent un glissement progressif, dans le cadre axiologique de référence, du commun à l’universel. C’est le cas non seulement de la torture ou du phénomène des disparitions forcées, faisant désormais l’objet d’incriminations spécifiques aux niveaux transnational et supranational, mais aussi d’infractions qui, prévues par certains droits internes, pourront demain accéder à la dimension supranationale, comme celles liées aux thématiques environnementales, ou encore relevant de la cybercriminalité. Dans ces cas, l’incrimination dépend, précisément, de l’implication des États et de leur sensibilisation pour certaines valeurs, dont dépendra directement leur détermination à renoncer à des portions de souveraineté.
Cette même dynamique peut être reconnue aussi sur le terrain de la construction des critères d’attribution de la responsabilité (deuxième partie). Tout comme les différentes catégories de crime international impliquent une différente articulation de la souveraineté étatique, des secteurs existent où des obstacles politiques apparemment incontournables s’opposent aux mouvements à l’œuvre dans le droit contemporain, notamment sur le plan de la configuration de la responsabilité de l’État ; ailleurs, l’analyse permet d’enregistrer des avancées comme dans le secteur de la responsabilité des personnes morales autres que l’État et de souligner des acquis en particulier sur la responsabilité individuelle des agents de l’Etat, secteur dans lequel, surtout pour les crimes supranationales, l’engagement pour la protection des droits fondamentaux a permis de dépasser les obstacles interposés à la poursuite et à la répression par les théories classiques de l’immunité. Loin de sous-estimer la portée éminemment politique de ces questions, la perspective choisie par les Auteurs permet d’enrichir l’analyse, et d’offrir à la réflexion un terrain fertile à la mise en valeur de la particularité des catégories émergentes en droit international en ce qui concerne les modes d’attribution de la responsabilité individuelle, par rapport aux catégories classiques du droit pénal interne.
L’ouverture d’un espace théorique apte à permettre la considération des interactions entre la dimension nationale et la dimension internationale a, sur le plan scientifique, la conséquence majeure de faire ressortir mieux qu’auparavant la centralité que les juridictions internes ont acquise dans la mise en œuvre de ce système composite (troisième partie). Il s’agit peut-être du volet le plus innovant de cette recherche, parce qu’il se tourne vers le domaine qui plus s’est ressenti, jusque-là, du cloisonnement entre les différentes branches du droit. En dépassant à la fois la perspective uniquement pénaliste, dans laquelle les juridictions internationales restent à l’arrière-plan et comme en pénombre, et la perspective exclusivement internationaliste, qui risque d’alimenter de ces dernières une image faussée de protagonistes exclusives du système, les auteurs se mettent à l’écoute du dialogue, discret mais incessant, entre les deux, capté par le prisme d’une lecture novatrice des deux principes classiques de la compétence universelle et de la complémentarité. En ressort un tableau remarquablement plus riche de la réalité du système de la justice pénale internationale, qui donne compte des répercussions croisées que les interactions entre les deux ordres juridiques, interne et international, ont sur les formes de la procédure, y compris celles, hybrides, des juridictions mixtes, et sans négliger l’apport que d’autres mécanismes de protection des droits de l’homme peuvent assurer à ces développements.
Il est peut-être trop tôt pour répondre à la question, que les Auteurs soulèvent en conclusion de leur réflexion, de savoir si l’on va vers un système global de justice pénale internationale. Certainement, pourtant, elles auront œuvré pour une appréhension globale des thématiques qui s’y relient et, de par leur style clair, pédagogique et très agréable à la lecture, les auront rendues accessibles à un bien plus vaste public que celui des seuls spécialistes.
Caterina Zoemer (IiRCO)
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