Pierre Truche. « Un magistrat citoyen »
Pierre Truche. « Un magistrat citoyen[1] »
Le samedi 5 juin 2021 se tenait à Lyon au musée des Confluences une journée d’hommage à Pierre Truche organisée par le Musée – Pierre Truche avait été le premier président du Conseil scientifique international chargé de la préfiguration de l’établissement[2] – et l’Association Française pour l’Histoire de la Justice qui conduit de nombreuses études sur la magistrature et archive plusieurs entretiens avec de grandes personnalités de la justice.
Après une introduction d’Hélène Lafont-Couturier, directrice du musée des Confluences, qui a rappelé combien Pierre Truche appréciait cet établissement qu’il visitait régulièrement, la journée s’est ouverte par la diffusion d’un entretien de Mireille Delmas-Marty réalisé par l’AFHJ. Celle-ci revient dans cette interview sur sa rencontre avec Pierre Truche, sur le travail mené en commun au sein de la Commission Justice pénale et Droits de l’homme. Le calme et la modération de Pierre Truche ont, selon elle, joué un rôle déterminant dans le dégagement d’une certaine unanimité de décision alors même que les opinions de chacun au sein de la Commission étaient extrêmement divergentes. Elle estime que c’est à Pierre Truche que l’on doit le fait d’avoir placé en tête du code de procédure pénale les principes directeurs. Mireille Delmas-Marty se souvient aussi d’une collaboration judiciaire entre la France et la Chine dans laquelle il joua un rôle clé montrant toutes ses qualités d’ « intelligence collective et d’écoute réciproque ». Enfin, l’interviewée insiste sur le fait que Pierre Truche était attaché au principe de l’«anhumanité », principe développé dans certains de ses travaux[3]. Après Mireille Delmas-Marty qui conclut sa prise de parole avec une formule appropriée : « Pierre Truche était l’homme des confluences », Robert Badinter évoque, lors d’un entretien, la jeunesse de ce grand magistrat. La Seconde Guerre mondiale et les scènes dont il fut témoin enfant structureront sa vie, ses ambitions et sa sensibilité. Selon lui, la volonté de montrer un visage exemplaire de la justice française explique le choix qu’il fit de le nommer dans l’affaire Barbie. Jeune, mais « de taille pour le rôle », il donna à sa fonction « un caractère moral » et l’ancien ministre évoque leur convergence d’opinions.
S’ouvre ensuite une première table ronde « La culture d’un magistrat humaniste » dans laquelle interviennent Bruno Cotte, président honoraire de la chambre criminelle de la Cour de cassation, Robert Guillaumond, avocat au Barreau de Paris et François Molins, procureur général à la Cour de cassation, table ronde animée par Denis Salas, président de l’AFHJ. Denis Salas introduit le débat en évoquant des souvenirs et des anecdotes ; Bruno Cotte insiste sur le fait que Pierre Truche était un humaniste à l’écoute des autres, veillant à respecter la dignité de chacun de ses interlocuteurs quels qu’ils soient. Innovant, ennemi de la routine, c’est aussi ce que dit Robert Guillaumond qui revient sur l’expérience des échanges franco-chinois en rappelant l’implication personnelle de Pierre Truche. Selon lui, c’est grâce à ce magistrat qu’un certain nombre de principes et de règles du droit français ont été introduits en Chine y compris les définitions légales des délits et des peines, ainsi que la création d’un second degré de juridiction devant la Cour suprême de Chine permettant de réduire l‘usage de la peine de mort ; cette position est encore portée aujourd’hui en Chine par un courant abolitionniste. François Molins décrit le grand professionnel qu’était Pierre Truche, avec une très haute vision de la justice et une anticipation des réformes nécessaires de celle-ci[4]. Il affirme par ailleurs que dans le cas du procès Barbie, « il n’y a jamais eu autant d’adéquation entre un magistrat et une affaire, ce procès n’aurait pas été le même sans Pierre Truche ».
L’après-midi a débuté avec Casério, une représentation théâtrale de la pièce de Claire Truche[5] et s’est poursuivie par une deuxième table ronde, « Pédagogie, jeunesse, droits de l’enfant : la part de la transmission » avec Philippe Meirieu, professeur émérite à l’Université Lumière-Lyon-II, Pierre-Jérôme Biscarat, historien, ancien directeur pédagogique de la Maison d’Izieu, Jean-Louis Nadal, ancien procureur général honoraire près la Cour de cassation, Liliane Daligand, professeure émérite de médecine légale et de droit de la santé à l’Université Lyon I, psychiatre des hôpitaux au CHU. Cette table ronde animée par Sylvie Humbert, secrétaire générale de l’AFHJ, professeure d’histoire du droit à l’Université Catholique de Lille, s’ouvre sur les propos de Jean Louis Nadal, lequel évoque des affaires qu’a eu à traiter Pierre Truche (incendie du 5-7 et affaire des fausses factures). Mais tous s’attachent à démontrer l’importance pour lui de la transmission, que ce soit lors des formations (Jean-Louis Nadal qui parle de l’ENM) ou des hauts-lieux de mémoire tel Izieu (Pierre-Jérôme Biscarat). Liliane Daligand rappelle combien Pierre Truche était sensible à la question de la condition des mineurs victimes et délinquants. Philippe Meirieu clôt cette table ronde en définissant la position de Pierre Truche en matière de pédagogie par trois mots : « indignation », « exigence » et « lucidité ».
La journée d’hommage s’achève par la table ronde « Pierre Truche et les cultures : le partage du sensible » dans laquelle interviennent Jean-Philippe Aubanel, artiste peintre, Isabelle Doré-Rivé, directrice du Centre d’Histoire, de la Résistance et de la Déportation (CHRD), Nicolas Bonnal, conseiller à la chambre criminelle de la Cour de cassation, Myriam Picot, vice-présidente du musée des Confluences. Cette dernière introduit un versant plus intime de Pierre Truche, notamment son appétence à échanger et à partager la culture et les arts qu’il affectionnait. Elle rappelle la place qu’il a laissée à sa vie personnelle malgré des activités de magistrat très prenantes dans lesquelles il exerçait pleinement ses fonctions. Jean-Philippe Aubanel rappelle d’abord « l’éloquence muette » dont faisait preuve Pierre Truche, ainsi que la chance qu’il a eu de le fréquenter. Nicolas Bonnal, ayant côtoyé Pierre Truche dans le milieu de la magistrature, insiste sur le temps pris par celui-ci à la compréhension des « grandes boutiques » [affaires et tribunaux] dont il était responsable. Pierre Truche habitant près du CHRD, Isabelle Doré-Rivé l’a beaucoup fréquenté et mentionne ses qualités de visiteurs, payant toujours son billet d’entrée et assistant à toutes les inaugurations.
Cette journée se conclue par les remerciements d’Hélène Lafont-Couturier, qui reprend les formules des intervenants à propos de Pierre Truche, « un homme aux multiples facettes, un géant, un homme doux et fort, hors-normes, un homme des confluences ».
Une approche sensible d’un très grand magistrat[6] à compléter par les entretiens réalisés par l’Association française d’histoire de la justice et une communication d’hommage réalisée par Pascal Plas dans le dernier numéro de l’Annuaire de Justice transitionnelle 2020.
Compte rendu de la journée d’études consacré à Pierre Truche, Lyon, musée des Confluences, 05/06/2021, réalisé par : Desbordes Marie, Jumeau Fanny, Messant Julie, Meunier Valentine, stagiaires à l’IiRCO sous la direction de Pascal Plas.
[1] Titre même du colloque qui s’est tenu à Lyon et dont on présente le visuel de communication.
[2] La journée d’étude a d’ailleurs commencé par une petite vidéo d’un entretien de Pierre Truche dans laquelle il s’exprime sur tout l’intérêt qu’avait pour lui cet établissement, tant dans le domaine muséal qu’en matière de transmission du savoir.
[3] TRUCHE Pierre, Le magistrat et le pouvoir scientifique, Vers la confrontation à l’ « anhumain », In Juger, être jugé. Le magistrat face aux autres et à lui-même, Paris, Fayard, 2001, 192 p. « Avec les clones et les chimères, on est ni dans l’humain, ni dans l’inhumain mais dans l’ «anhumain », car il faut bien nommer autrement ce qui est différent fondamentalement ».
[4] Voir aussi le discours de François Molins à la Cour de cassation, Pierre Truche 1929-2020 Hommage rendu le 28 septembre 2020, en ligne sur le site de la Cour de cassation, de même que le discours de Madame Chantal Arens, Première présidente de la Cour de cassation.
[5] Voir sur ce spectacle l’article du journal Les trois coups du 2 mars 2017, portrait réalisé par Michel Dieuaide sous le titre Savamment populaire.
[6] A regarder sur la chaîne YouTube du musée des Confluences.
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