Témoignage : Norberto Labrador, chercheur

« L’Université est la dernière muraille contre l’oppression »

Depuis quelques mois, l’Université de Limoges accueille un chercheur d’origine vénézuélienne, Norberto Labrador, spécialisé dans les matériaux. Sa venue s’est réalisée dans le cadre du Programme national d’aide à l’Accueil en Urgence des Scientifiques en Exil (PAUSE). Destiné à venir en aide aux chercheurs et scientifiques en situation d’urgence, ce programme est une opportunité pour les acteurs du monde académique et scientifique de participer à la préservation des réseaux de connaissances et de savoirs internationaux. Pour l’Université de Limoges, dont la stratégie internationale infuse de nombreux projets, l’accueil de M. Labrador est d’autant plus significatif que ce chercheur y a effectué sa thèse en 1998. A l’heure où l’université fête ses 50 ans, retour aux sources pour cet ancien étudiant devenu chercheur.

 

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Je viens du Venezuela où j’ai fait des études en ingénierie métallurgique à l’Universidad Central de Venezuela (UCV). J’ai obtenu une bourse du gouvernement vénézuélien pour réaliser mon doctorat en France, portant sur les Matériaux Céramiques et Traitement de surface à l’Université de Limoges entre 1993 et 1998. Depuis, j’étais retourné au Venezuela pour enseigner et faire de la recherche en génie des matériaux à l’Universidad Simón Bolívar, une des meilleures universités en Amérique latine. Mais, ces dix dernières années, nous avons dû arrêter la recherche à cause de problèmes économiques, sociaux et politiques surtout.

 

Quels sont les spécificités de vos domaines de recherche et de travail ?

Mon domaine de recherche s’articule autour de l’obtention de nano-poudres. Cela consiste à faire la synthèse de matériaux céramiques, notamment des composés comme le nitrure d’aluminium, en utilisant un procédé assez particulier qu’est le plasma-thermique. Le nitrure d’aluminium a une très haute conductivité thermique, il travaille comme une pompe à chaleur que l’on peut intégrer dans des circuits électroniques. On peut aussi utiliser le nitrure d’aluminium pour déposer des couches très minces, utilisées pour des filtres solaires. On s’appuie aussi sur des matériaux composites de nitrure d’aluminium et de carbure de silicium, pour réaliser de subtils découpages. C’est un domaine de recherche très important pour tout ce qui concerne la miniaturisation des circuits électroniques.

A Limoges, il est très intéressant de noter comment on classe les matériaux céramiques dans deux domaines différents : le classique le et décoratif – qui est très important mais qui reste dans le domaine public -, et le domaine industriel. Sans les propriétés électriques, magnétiques, thermiques et optiques des matériaux céramiques industriels, on ne pourrait pas arriver à des niveaux technologiques avancés, à des applications concrètes comme ce qui compose nos téléphones portables par exemple.

 

Vous êtes revenu à Limoges via le programme PAUSE. Comment l’Université vous a-t-elle aidé dans vos démarches ? 

J’ai constitué mon dossier avec les collègues de l’IRCER, puis le Bureau d’Accueil International m’a pris en charge et a fait les démarches pour organiser mon arrivée, gérer les démarches administratives, comme la sécurité sociale et l’OFII. Je suis très reconnaissant envers l’état français, l’Université de Limoges et l’IRCER de m’avoir accueilli. C’est un partenariat. Il y a une considération politique assez importante dans ce dossier, mais la partie académique prévaut. Cela permet à la France de bénéficier de mon savoir-faire. Ma vie a changé : j’étais persécuté politiquement, maintenant je vais pouvoir travailler avec l’Université et obtenir des résultats scientifiques intéressants.

 

Qu’est-ce qui a changé depuis votre premier passage à Limoges ?

La plus grande présence d’étudiants internationaux. A l’IRCER, on peut entendre de l’anglais, de l’italien, du portugais, de l’espagnol, de l’arabe… Cela développe les échanges culturels et scientifiques. C’est un paradigme qui a changé au niveau mondial. A mon époque, nous étions une cinquantaine de thésards et une dizaine d’étrangers, maintenant la moitié des doctorants sont des étrangers ! Je suis un scientifique mais je travaille beaucoup les rapports humains, c’est très important. Je parlais souvent de cela à mes étudiants : il ne faut pas être coincé dans le milieu professionnel, il faut aller chercher ailleurs et développer aussi la partie humaine.

 

Votre retour en France vous permet-il de sauver vos recherches et de les développer ?

En revenant à Limoges, j’espère pouvoir sauver et reprendre ma recherche et améliorer mon niveau technologique. Depuis 10 ans, au Venezuela, on n’a plus l’accès aux moyens électroniques, aux magasins spécialisés, aux revues scientifiques… je suis arrivé à l’institut il y a un mois, et depuis, j’apprends des applications incroyables dans mes domaines de recherche. Avec les collègues de l’IRCER, on envisage par exemple maintenant de travailler sur le nitrure de bore. C’est un matériau céramique qui permet des applications thermomécaniques très importantes, c’est à dire qui peut subir de hautes contraintes thermiques. On réfléchit aussi aux domaines d’application de nos recherches : application technologique ou recherche pure autour des phénomènes qui se passent dans les matériaux.

 

Est-il envisageable de revenir au Venezuela ?

L’idée est de pouvoir revenir au Venezuela avec un niveau de connaissance plus élevé, car il va falloir tout reconstruire. C’est toute la vie quotidienne qui est impactée par les problèmes politiques. Quatre millions de personnes sont parties du Venezuela. Ce sont des gens avec des niveaux d’éducation et professionnels assez élevés, qui ont l’espoir de revenir pour rebâtir le pays. Avec les connaissances que j’ai acquises ici, je pourrai reconstruire la vie quotidienne, la vie d’un professeur, et donner des possibilités aux étudiants. Ici, à l’IRCER, il y a trois autres vénézuéliens : l’un vient de finir sa thèse et fait un post-doctorat, et deux sont en thèse. Ils ont fait leurs études au Venezuela pendant une période très difficile. Ils sont venus en France et réussissent dans leurs études : on se sent fiers de ça. C’est un moyen de garder espoir. L’Université est la dernière muraille contre l’oppression. Dans les universités, on croit à la liberté de penser, à la liberté de l’être humain, aux valeurs de la démocratie et des droits de l’Homme.