Suite à la pandémie de la Covid-19, un effort considérable est actuellement déployé, tant dans la recherche académique que dans le secteur industriel, pour élaborer des revêtements capables de protéger les surfaces contre les microorganismes et ainsi limiter leur temps de résidence, leur développement et par suite leur transmission. Dans le cadre d’une collaboration interdisciplinaire IRCER, E2Lim et Sanodev, ce travail s’intéresse à la fonctionnalisation d’une surface par le biais d’un revêtement biocide non toxique et photocatalytique capable d’inhiber la croissance des microorganismes. Dans ce but, les potentielles propriétés bactéricides vis-à-vis de Escherichia coli de différents revêtements élaborés par projection plasma (photocatalytiques et non photocatalytiques) ont été évaluées.
Due to the Covid 19 pandemic, an extensive effort is currently staged in both academic and industrial sectors in order to develop cost-effective coatings against microorganisms, thus limiting their growth and transmission. As part of an interdisciplinary collaboration IRCER, E2Lim and Sanodev, this work focuses on the possibility of functionalizing a surface with non-toxic biocidial and photocatalytic materials capable of inhibiting the growth of microorganisms. For this purpose, the potential bactericidal properties against Escherichia coli of different coatings produced by plasma spraying (photocatalytic and non-photocatalytic) were evaluated.
Introduction
De nombreux travaux de recherche se focalisent sur la conception de matériaux ou de traitements de surface innovants, afin de prévenir ou, tout du moins, de limiter l’adhésion de virus ou de bactéries [1-2]. Les métaux et les alliages métalliques ont été démontrés comme candidats prometteurs pour le développement de surfaces antibactériennes [3]. Le cuivre, dont les propriétés antimicrobiennes sont aujourd’hui reconnues, apparaît comme un métal tout à fait intéressant en termes de performances et d’intégration dans des systèmes divers, en tenant toujours compte de sa toxicité et de son impact environnemental [4]. La « photocatalyse » est un mécanisme de dégradation d’un composé à la surface d’un semiconducteur photosensible activé, par le biais de réactions d’oxydo-réduction surfaciques. La vitesse de ces réactions chimiques, thermodynamiquement possibles, augmente sans intervention du photocatalyseur dans l'équation bilan de la réaction sous l'action de la lumière. Les premières mentions de la photocatalyse datent de 1911 avec le chercheur allemand Alexander Eibner qui a observé la décoloration d’une solution foncée d’un colorant à la surface de l’oxyde de zinc (ZnO) [5]. De plus, dans le milieu des années 90, au Japon, le secteur de la construction s’est intéressé à l’utilisation potentielle des matériaux photocatalytiques pour l’aspect esthétique (brillance et blanchiment), les propriétés de dépollution (traitements de l’eau), les propriétés antibuée et autonettoyante comme le verre PilkingtonTM. Ce n’est que quatre ans plus tard que l’Europe a initié ce type de recherche. Plusieurs semiconducteurs comme le Fe2O3, le WO3, le SnO2, le ZnO et le TiO2 sont des candidats photocatalytiques potentiels pour des utilisations dans le domaine des senseurs, de l’énergie ou de la purification de l’air ou de l’eau [6-9]. Dans le cadre de cette étude, le photocatalyseur employé est le dioxyde de titane (TiO2) en raison de sa disponibilité, de son faible coût, de son inertie chimique et biologique et de sa photo-stabilité dans l’air et dans l’eau [10]. De très nombreux travaux de recherche sont consacrés à l’amélioration des performances du dioxyde de titane, en visant soit une amélioration de ses propriétés de porosité et d’adsorption, soit l’augmentation de son efficacité sous lumière visible [11]. L’intérêt de la photocatalyse réside dans son caractère hétérogène, basé sur un matériau réutilisable et non pas une molécule ou un complexe métallique de transition comme en catalyse homogène [12]. L’objectif de cette étude est d’évaluer l’intérêt d’associer les propriétés antimicrobiennes d’un revêtement de cuivre à l’activité photocatalytique du TiO2. Dans ce but, des dépôts de cuivre sur acier inoxydables ont été élaborés par une technique en voie sèche : la projection plasma, avec et sans TiO2. Une telle approche permet de s’affranchir du Cu massif toxique et des problèmes de filtration des catalyseurs en poudre. Les propriétés antibactériennes des revêtements ont ensuite été évaluées avec et sans exposition à la lumière pulsée, en présence d’une souche de référence, Escherichia coli.
1. Matériels et méthodes
Dans un premier temps, la surface d’un disque en acier inoxydable de type 316L d’un diamètre d’environ 2 cm est revêtue d’un dépôt de cuivre par projection plasma de poudre à pression atmosphérique. Dans une deuxième approche, et afin d’étudier l’effet de l’addition d’un matériau photocatalytique sur les performances antibactériennes du matériau, du TiO2 préparé en suspension est co-projeté avec la poudre de cuivre, au cours du procédé.
1.1. Élaboration des dépôts : la projection plasma en quelques mots
Les dépôts sont élaborés par une sous-classe de projection thermique : le plasma. En effet, la projection thermique fait partie des procédés industriels de traitements de surface par voie sèche. Plusieurs types de projection thermique sont distingués comme l’arc-fil, la flamme, la suspension et le plasma. Ce dernier est utilisé pour l’élaboration des dépôts antibactériens étudiés dans ce travail. Un jet plasma haute vitesse et haute température (10000 °C-12000 °C) est généré entre deux électrodes par arc électrique. Un gaz ou un mélange de gaz porteurs (dans ce cas un mélange binaire argon/hydrogène) injecté véhicule ensuite les particules précurseurs du revêtement qui fondent à haute température et se déposent en ‘lamelles’ à la surface d’un substrat plus froid. L’originalité de la procédure de dépôt dans ce travail est la combinaison de la projection plasma de poudre (Cu) et de suspension (TiO2). Le montage expérimental est présenté dans la Figure 1.
Figure 1 : Photos du montage expérimental de la projection plasma de poudre/suspension au Hall Techno de l’IRCER a) buse avec plasma et b) porte-substrats tournant.
Afin d’étudier l’éventuel bénéfice de la photocatalyse dans l’amélioration des performances bactéricides des revêtements en cuivre, trois supports ont été testés : les disques en acier inoxydable (témoin négatif), les disques de cuivre massif (Cu) et les disques de TiO2 co-projeté avec le cuivre (Cu/TiO2). Dans ce dernier cas, le TiO2 est préparé dans une suspension d’éthanol. En effet, la taille nanométrique des particules de TiO2 implique des débits énormes de gaz porteur pour projeter la poudre. De ce fait, il a été préparé en suspension dans un solvant facile à évaporer (l’éthanol) et pouvant facilement brûler. Le choix des substrats en acier inoxydable est crucial afin d’éviter des déformations ou fusions éventuelles à haute température et toute corrosion de contact avec les solutions des tests antibactériens.
1.2. Exposition à la lumière pulsée
Les différents dépôts ont été placés sous lumière pulsée afin de photo-sensibiliser le TiO2. Le système d’exposition est la LP Box (Sanodev). Il est préprogrammé sur une tension de 4000V à la fréquence de 3 flashs par seconde. Trois modes sont directement accessibles au niveau du tableau de bord de la machine : le mode normal, silencieux et performant. Lorsque l’échantillon à décontaminer est placé au centre, sous la lampe de la LP box, la fluence reçue par flash est de 37 mJ.cm-². Avec le mode utilisé dans cette étude, la dose de traitement appliquée à chaque échantillon est de 1,85 J.cm-2. Les différentes conditions de traitement testées dans ce travail sont synthétisées dans le Tableau 1.
Tableau 1 : Récapitulatif des différentes conditions testées avec photos des échantillons.
1.3. Protocole d’analyses microbiologiques
Les propriétés antibactériennes des différents dépôts, avec et sans exposition à la lumière pulsée, ont été évaluées sur une suspension d’Escherichia coli (souche CIP 52.172), suivant la norme ISO 22196 :2011.
La souche est cultivée à partir d’une colonie mise en culture dans un milieu « Tryptic Soya Broth » (TSB, 3 % m/v ; Merck KGaA Laboratoire). La pré-culture est ensuite incubée pendant 17 à 18 heures à 37°C sous une agitation à 120 rpm. Les bactéries sont prélevées en phase stationnaire de croissance. A partir de cette pré-culture, les propriétés antimicrobiennes des différentes conditions sont évaluées par techniques culturales selon le protocole décrit sur la Figure 2. Les dénombrements sur gélose sont réalisés en duplicata et chaque essai est répété trois fois afin de valider la reproductibilité des essais.
Figure 2 : Protocole du test d’évaluation des propriétés antibactériennes des différents substrats, réalisé à E2Lim.
2. Résultats et discussion
2.1. Caractérisations physico-chimiques des dépôts
Le TiO2 est un matériau photocatalytique qui possède trois phases cristallines : l’anatase, le brookite et la rutile. Jusqu’à présent, l’activité photocatalytique de la brookite n’est pas systématiquement définie dans la littérature. Cependant, la rutile et l’anatase sont deux phases du TiO2 qui ont présenté des propriétés photocatalytiques intéressantes. L’anatase est une phase métastable qui se transforme en rutile stable à haute température, souvent supérieure à 600 °C [13]. Suite à une meilleure mobilité des paires électrons-trous ainsi qu’une densité surfacique de groupements hydroxyles (OH-) élevée, l’anatase TiO2 est considérée comme le polymorphe le plus actif en photocatalyse [14-15]. En revanche, le TiO2 Evonik Degussa P25 industriel, qui est un mélange d’une majorité d’anatase et d’un plus faible pourcentage de rutile, est le composé qui a présenté les meilleures performances photocatalytiques comparées à celles des phases pures [16]. Pour cette raison, cette poudre constitue la référence à laquelle sont comparées les activités des matériaux photocatalytiquement actifs.
Dans un procédé de dépôt comme la projection plasma où les températures sont excessivement élevées, la conservation de la phase anatase s’avère très difficile. Cette phase métastable tend à se transformer en rutile. La Figure 3 est un diffractogramme des Rayons X des revêtements Cu/TiO2.
Figure 3 : Diffractogramme Rayons X des revêtements Cu/TiO2 préparés à l’IRCER.
La diffraction des rayons X est une technique qui permet de mettre en évidence les phases présentes. Chaque pic est caractéristique d’une orientation dans une phase. Les pics du cuivre sont les plus intenses puisqu’il s’agit de la matrice métallique majoritaire. Les intensités des pics de TiO2 sont nettement plus faibles puisqu’il s’agit d’un additif à la matrice. Il est remarquable que, malgré les températures élevées, un certain pourcentage d’anatase est conservé. Cependant, la quantité de rutile reste légèrement plus importante. L’effet de la coexistence de ces deux phases est à prendre en considération. Afin de mieux visualiser les revêtements, la Figure 4 est un cliché de microscopie électronique à balayage d’un dépôt élaboré par projection plasma.
Figure 4 : Section de microscopie électronique à balayage des revêtements faits à l’IRCER.
Les dépôts de projection plasma font environ 150-200 µm d’épaisseur sachant qu’un minimum de 80 µm est requis pour combler l’état de surface du substrat et avoir une surface continue. Il faudrait déposer un peu plus que le minimum afin de tenir compte des pertes éventuelles par érosion du revêtement au cours des analyses.
2.2. Comparaison des propriétés antibactériennes des dépôts Cu /TiO2 et du cuivre massif
Les propriétés antibactériennes des dépôts Cu/TiO2 ont été évaluées et comparées à celles du cuivre massif. Les résultats obtenus sont présentés sur la Figure 5.
Figure 5 : Comparaison des propriétés antibactériennes des disques Cu/TiO2 et cuivre massif.
Les résultats obtenus montrent que le cuivre massif et les dépôts de Cu/TiO2 présentent tous les deux des propriétés antibactériennes. Toutefois, il est intéressant de noter que dans le cas des dépôts Cu/TiO2, ces effets sont moins importants. Il est probable que les propriétés de surface des dépôts de Cu/TiO2, telles que la rugosité, l’épaisseur ou le niveau d’oxydation du cuivre induisent de telles observations. Toutefois, d’autres investigations sont nécessaires pour étayer ces hypothèses. Un autre point à mentionner tourne autour des écart-types faibles observés dans ces tests. Ceci implique une reproductibilité élevée des tests effectués.
2.3. Caractérisation des effets antibactériens après activation des dépôts par lumière pulsée
Les mêmes substrats (Cu/TiO2 et cuivre massif) ont été exposés à la lumière pulsée après le dépôt de la suspension bactérienne afin de mettre en évidence d’éventuelles propriétés photocatalytiques couplées aux performances bactéricides initiales du cuivre. Les résultats sont présentés sur la Figure 6.
Figure 6 : Comparaison des propriétés antibactériennes des différents substrats (cuivre massif, Cu/TiO2 et acier inoxydable) avec et sans exposition à la lumière pulsée.
Les résultats obtenus montrent des effets bactéricides largement supérieurs lorsque les dépôts sont exposés à la lumière pulsée puisque le log d’abattement augmente de 0,69 à 2,23 après exposition. Toutefois, les résultats obtenus avec le témoin (acier inoxydable) montrent des taux d’abattement équivalents. L’augmentation du taux d’abattement ne peut donc être attribuée qu’aux propriétés bactéricides de la lumière pulsée seule et ne permet pas de mettre en évidence des effets photocatalytiques ajoutés aux effets bactéricides initialement présents. La reproductibilité des tests est cependant, encore une fois, remarquée.
Conclusion et perspectives
L’objectif de ce travail était de caractériser les propriétés antibactériennes d’un dépôt de cuivre, après l’ajout du TiO2 photocatalytique, avant et après activation à la lumière pulsée, dans le cadre du développement de revêtements de surface bactéricides. Les résultats obtenus ont permis de mettre en évidence des effets bactéricides des dépôts élaborés en raison de la présence de cuivre dont les propriétés antimicrobiennes sont connues. Cependant, à ce stade, aucun effet photocatytique bactéricide n’a pu être mis en évidence. Une perspective intéressante à ce travail serait d’optimiser le protocole d’exposition à la lumière pulsée, car un effet d’ « écrantage » du substrat par la suspension bactérienne est probable. Une optimisation des techniques de dépôt du substrat Cu/TiO2 pourrait également être envisagée afin de doper le cuivre en conditions contrôlées. En complément, le pourcentage anatase/rutile dans le revêtement reste à approfondir. Un dernier point concerne la granulométrie de la poudre de TiO2 ajoutée. En effet, les poudres utilisées dans cette étude font quelques centaines de nanomètres mais il existe des poudres plus fines qui pourraient induire des surfaces spécifiques plus importantes et augmenter ainsi l’effet photocatalytique dans le revêtement.