Former les enseignants et CPE novices à la coopération : un enjeu pour l’école de demain Training novice teachers and CPEs in cooperation: a challenge for the school of tomorrow
La coopération des équipes en EPLE (établissement public local d’enseignement) est un des enjeux majeurs de la réussite de tous les élèves. S’agissant de compétences professionnelles qui ne sont pas innées mais construites tout au long de la carrière des enseignants et CPE (conseiller principal d’éducation), il paraît incontournable de s’y intéresser dès la formation initiale, au moment même où de jeunes enseignants et CPE novices construisent puis développent leur posture éducative au travers de l’apprentissage de gestes professionnels complexes et interreliés. Cet article expose une démarche de formation et d'évaluation des compétences de coopération dans l'enseignement supérieur à travers une expérimentation menée depuis cinq ans à l’INSPÉ de Limoges. Au-delà du compte-rendu, il invite à une réflexion approfondie sur le design pédagogique à élaborer en formation initiale pour répondre aux enjeux de formation et aux défis scolaires.
The cooperation of teams in EPLE (local public educational establishment) is one of the major challenges for the success of all students. Concerning professional skills which are not innate but built throughout the career of teachers and CPE (principal education advisor), it seems essential to take an interest in them from initial training, at the very moment when young people Novice teachers and CPEs build and then develop their educational posture through learning complex and interrelated professional gestures. This article presents an approach to training and evaluating cooperation skills in higher education through an experiment carried out over five years at the INSPÉ in Limoges. Beyond the report, it invites in-depth reflection on the educational design to be developed in initial training to respond to training issues and academic challenges.
Introduction : Faire coopérer les équipes pédagogiques en EPLE : utopie ou réalité ?
La collaboration et la coopération sont instituées dans les textes officiels, notamment depuis 2013 dans la Loi de refondation de l’école : « Pour garantir la réussite de tous, l’école se construit avec les parents. […] Elle s’enrichit et se conforte par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative ». Le référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation y fait également largement mention, instaurant des compétences communes et transversales liées au travail en équipe. Citons par exemple : “Coopérer au sein d’une équipe” ou encore “Coopérer avec les parents d’élèves” ou enfin “Coopérer avec les partenaires de l’école” (Compétence commune n° 9 dans le Référentiel des compétences des métiers du professorat et de l’éducation, 2013). Ces nouvelles compétences professionnelles affirment donc la nécessité pour tous les enseignants et tous les conseillers principaux d’éducation (CPE) de trouver des modalités de coopération entre pairs, entre les élèves, avec des partenaires internes et externes et y compris avec les parents d’élèves, pour garantir la réussite de leurs élèves. Il est donc légitime que la formation initiale s’y intéresse et vise ces compétences de coopération entre tous les acteurs de l’École (Buhot & Cosnefroy, 2011).
Dans le même mouvement, la création des ESPE puis des INSPE et la masterisation des parcours renforcent l’idée d’une professionnalisation des formations initiales enseignantes, notamment par le recours aux outils de réflexions sur la pratique (Lapostolle, 2013), notamment liés aux compétences du travail en équipe qui s’acquièrent sur le terrain, mais aussi en formation initiale. La coopération est au cœur de la professionnalisation des enseignants et des CPE novices, elle est un de ses principaux “corollaires” ainsi que l’affirme Philippe Perrenoud (2013). Il s’agit là d’un des enjeux majeurs de la formation des novices, en cela qu’elle est le moyen de développer avec ses pairs, de véritables habiletés coopératives à mobiliser dans des contextes familiers puis de véritables compétences professionnelles mobilisables en contexte inédit et complexe (Le Boterf, 2018). Un des objectifs de la formation initiale est donc de permettre le développement de compétences professionnelles de coopération pour des enseignants et des CPE novices qui s’inscrivent dans un parcours de formation complexe, d’autant qu’il est doublé d’une préparation au concours du 2nd degré dont les objectifs ne sont pas toujours compatibles avec cette professionnalisation.
Si la coopération au sein de la formation initiale s’inscrit dans une logique institutionnelle et professionnelle, il est également pertinent de la considérer dans une logique pédagogique et didactique. En effet, les études scientifiques montrent que les équipes qui coopèrent font mieux réussir les élèves (Gibert, 2018). Elles permettent le développement des relations interpersonnelles positives, un soutien social et une meilleure estime de soi. Conjointement, les études portant sur les bénéfices scolaires de la coopération entre élèves mettent l’accent sur le rôle capital de la collaboration des équipes (Connac, 2018). L’enjeu est donc de faire réussir tous les élèves en mobilisant l’intelligence collective de tous les personnels des EPLE. La coopération contribue visiblement à construire l’identité des équipes pédagogiques et a un impact important sur l’effet établissement (Perrenoud, 1993) dont l’effet sur la réussite des élèves est notable dès lors que les équipes ont une culture commune de la collaboration, qu’elles sont engagées dans une posture collective réflexive permettant des ajustements pour atteindre les objectifs fixés (Gather-Thurler & Perrenoud, 2005).
Cependant, peu d’équipes pédagogiques s’engagent réellement dans le développement professionnel collectif et la formation continue offre peu d’opportunités de se former aux pratiques coopératives (Gather-Thurler, 1996). La plupart des activités de collaboration ou de coopération sont informelles, se déroulent devant la machine à café sans être instituées. De nombreux enseignants sont formés dans l’idée d’une responsabilité individuelle, celle de gérer leur classe, de mener à bien leur programme disciplinaire. Les problèmes rencontrés ne peuvent être solutionnés dans cette dynamique, même avec des entraides occasionnelles ou des “trucs” qu’on se transmet oralement. Le mythe de “l’individualisme efficace” (Ibid.) perdure alors même que les gestes professionnels propices aux apprentissages dépendent en grande partie du collectif et de la capacité des uns à coopérer avec les autres, à s’inscrire dans un système d’interdépendance positive. Si beaucoup reconnaissent le bien-fondé de travailler collectivement à la réussite des élèves, ils se heurtent à de nombreuses difficultés dans sa mise en œuvre. Coopérer devient alors une gageure.
Toutes ces raisons nous ont conduits à empoigner cette problématique dès la formation initiale et à essayer de penser le développement des compétences de coopération pour favoriser le travail en équipe des futurs titulaires. Missionnés pour assurer la formation transversale des étudiants de Master MEEF 2nd degré, nous avons un terreau favorable pour expérimenter des dispositifs de formation et pour évaluer leur pertinence : des étudiants de tous les parcours de formation inscrits dans un travail collectif similaire à celui d’une équipe pédagogique en EPLE. Depuis cinq années, nous avons rencontré et formé près de sept-cent étudiants. C’est le fruit de ce travail que nous présentons ici.
1. Développer des compétences de coopération par la coopération
Un des premiers axiomes de notre travail qui perdure depuis le début de l’expérimentation est de construire la formation transversale autour de groupes pluridisciplinaires d’étudiants. Il s’agit de faire en sorte que les enseignants et CPE novices se rencontrent, qu’il y ait une véritable hétérogénéité dans des équipes construites dans la durée, autour d’une dynamique collective et avec un but commun (Baudrit, 2007). Parmi les critères de constitution des équipes se trouvent pêle-mêle la mixité, la nécessité d’une représentation de plusieurs disciplines, ou encore des rôles que chacun pense pouvoir assumer au sein du collectif. Très vite, l’enjeu est de passer d’une logique de groupe à une logique d’équipe, d’une logique de collaboration à une logique de coopération. Ce cadre constitue les prémices de dispositifs de formation dédiés au développement des compétences que nous voulions cibler, même si la dynamique de la coopération repose sur bien d’autres aspects. Faire vivre ensemble, puis faire travailler ensemble pour enfin faire apprendre ensemble, tels ont été les leitmotiv de notre démarche.
Une coopération porteuse d'apprentissage sous-entend le respect d’un certain nombre de conditions complémentaires mises en évidence par quatre modélisations. Celles-ci font référence aux communautés d’apprentissage professionnelles (CAP) évoquées dans le dossier de veille de l’IFé N° 124 (Gibert, 2018). Ces modèles permettent de repérer des dimensions fondamentales à prendre en compte pour déclencher, diriger, intensifier et favoriser la persistance de la motivation en direction d'un travail collectif (Viau, 1994).
1.1. L’interdépendance positive autour d’un objectif commun
L’interdépendance positive est un principe qui s’appuie sur les compétences individuelles de chacun des membres d’un groupe mises au service d’un objectif commun qui demande que chacun s’engage à assurer une part de la responsabilité collective. C’est l’une des caractéristiques des tâches complexes qui seront toujours résolues collectivement d’une manière plus efficace que ce que le meilleur des membres du groupe aurait produit seul (Abrami et al., 2000). En conséquence, les enseignants novices sont informés, dès le début de la formation, de l'objectif à atteindre en équipe, des compétences à mobiliser pour y parvenir et des modalités d'évaluation collective qui permettront de vérifier leurs compétences. De plus, ils reçoivent des commandes régulières, précises et concrètes à chaque étape du processus d'apprentissage et sont amenés à comprendre que l’atteinte de l’objectif commun passe par l’alliance de leurs forces individuelles. L’objectif est fixé de telle sorte qu’il soit en “décalage optimal” (Allal et al.1979) avec les possibilités d’une équipe de cinq personnes. Cette notion signifie que la tâche proposée correspond à un niveau supérieur par rapport aux possibilités individuelles d’un sujet mais que l’objectif peut être atteint si chacun apporte une contribution active au projet du groupe. Dialogue et concertation sont alors essentiels pour construire un consensus ainsi que la répartition des tâches. La co-construction s’effectue à partir de sources d'informations et l'utilisation de données à leur disposition qui sont nécessairement partagées. “L'interdépendance peut se créer par les ressources matérielles (...). On peut aussi la créer par l'expertise. Non pas que des personnes aient une expertise préalable à l'accomplissement de la tâche, mais on peut leur donner les moyens de devenir des experts. Il faut utiliser une structure de travail qui comporte des groupes de base d'où l'on retire un ou des étudiants, le temps qu'ils s'approprient certaines connaissances qui, lorsque ces étudiants regagneront leur groupe de base, feront d'eux des experts.” (Lavergne, 1996). Ainsi, nous alternons les temps de travail en équipe avec des temps en atelier où les membres de l’équipe se séparent en fonction de leurs appétences ou expertises préalables pour ensuite mettre en commun leurs découvertes. Par exemple, lors de l’intervention de formateurs experts de la prise en charge des adolescents (psychologues, sociologues, médecins, assistantes sociales…), le travail débute en équipe par une réflexion problématisée autour d’un cas d’étude repéré en établissement scolaire puis, dans un second temps, chaque membre part à la rencontre d’un expert pour une formation ciblée et enfin, dans un troisième temps toute l’équipe se retrouve pour synthétiser et sélectionner les éléments utiles pour répondre à la problématique posée.
Photographie 1 : répartition des tâches au sein de l’équipe
1.2. La responsabilité individuelle
L'interdépendance positive déclenche et génère la responsabilisation des membres de l’équipe, c'est-à-dire qu'ils sont amenés à faire des choix de tâches, puis à les assumer. Les novices saisissent à la fois l’intérêt d’apprendre pour soi, de s’impliquer activement dans la tâche, mais aussi de comprendre que leur rôle dans le groupe est essentiel. Assumer ses responsabilités impose d’avoir confiance en soi et en ses capacités. Pour faciliter les choix, une fiche des rôles (figure 1) sert de point de départ et de point de repère en fonction des tâches traversées pendant les séances de travail. Ainsi les rôles s’avèrent interchangeables, cumulables et dissociables en fonction des besoins de l’équipe et de l'avancée du projet. Nous insistons sur l'importance de former les membres de l’équipe à clarifier les rôles, leur répartition à un instant T et les permutations au fil du travail. Les rôles peuvent être définis socialement ou non (dans le dernier cas, on parlera de la “place”), imposés ou spontanés, figés ou mobiles, statiques ou évolutifs. Baker en 2008 parle de degrés de symétrie, d’accord ou d'alignement de rôles entre le quêteur (qui propose/sollicite), l’animateur (qui gère), le vérificateur (qui critique) et l'indépendant (qui vérifie). Nous nous efforçons alors de favoriser “un fonctionnement démocratique avec un leadership partagé et des changements possibles de répartition des pouvoirs, une facilité de participation géographique, organisationnelle et temporelle” (Gibert, 2018). Pour conclure cet aspect, nous retenons la synthèse de Hatchuel (1996) pour qui « coopérer, c’est rechercher une définition partagée du travail de chacun ».
Figure 1 : Les rôles à pourvoir dans l’équipe, interchangeables et évolutifs
1.3. La promotion des informations
Nous avons évoqué plus haut que chaque tâche proposée aux équipes est soutenue par la distribution de sources d'informations et l'utilisation de données mises à leur disposition. Concernant notre fonctionnement, l'ensemble des informations et ressources utiles sont centralisées sur la plateforme Moodle. Chaque membre de l’équipe détient également des informations singulières liées à sa formation disciplinaire et à ses recherches personnelles. Toutes ces informations destinées à être mises en commun impliquent le développement de l’entraide, le partage des savoirs et le soutien pour la réussite du groupe. Il s’agit de former les enseignants novices à comprendre qu’échanger des informations permet d’avancer vers l’objectif fixé à condition d’être capable de débattre, d’argumenter, de trier, de synthétiser. “La production de savoirs professionnels dans le cadre d’un apprentissage collectif avec des apports internes et externes se doit d'être visible et partagée, l’expertise pouvant être diffusée lors d’une production finale” (Gibert, 2018). Pour les aider dans ce tri des informations, les novices disposent d’un espace numérique de travail spécifiquement dédié à leur équipe (padlet, traitement de texte collaboratif, salle de visio - photographie 2). Cet espace est supervisé par un formateur qui peut ainsi rapidement et régulièrement voir les informations partagées par le groupe ainsi que l’avancée du projet. C’est également sur cet espace que sont déposés tous les travaux intermédiaires et les évaluations, ce qui concourt à la fois à la visibilité et au partage. Ces différents éléments deviennent ensuite des “traces” (Baines, Rubie-Davies & Blatchford, 2009) propres à démontrer les compétences visées par les différentes activités :
« Dans la construction de sa fonction, propre à la définition des tâches, le coéquipier donne des informations aux autres membres sur sa contribution au développement du projet et ainsi sur son statut au sein de l’équipe. La division du travail, lorsque l’activité productrice est visible pour les membres de l’équipe, génère la reconnaissance de l’appartenance au groupe », (Dameron, 2005).
Photographie 2 : espace numérique de partage d’information d’équipe
1.4. Les habiletés coopératives
Travailler en coopération nécessite de développer des habiletés sociales, cognitives, émotionnelles et langagières définies par l’OMS comme :
« un groupe de compétences psychosociales et interpersonnelles qui aident les personnes à prendre des décisions éclairées, à résoudre des problèmes, à penser de façon critique et créative, à communiquer de façon efficace, à construire des relations saines, à entrer en empathie avec les autres, à faire face aux difficultés et à gérer leur vie de manière saine et productive ».
Nous retenons par exemple, savoir communiquer à l’oral, gérer les conflits, accepter l’avis de l’autre, écouter, faire preuve d’empathie… (Évangéliste-Perron, 1996). Plus globalement et en s’inspirant des travaux de Johnson, Johnson et Holubec (1984), les habiletés coopératives peuvent être regroupées en quatre catégories : les habiletés de réflexion (de raisonnement) ; les habiletés de résolution de problèmes (de métamorphose, de transformation, de conceptualisation) ; les habiletés de gestion (normes de participation au travail de groupe) ; les habiletés de rassemblement (interdépendance positive).
Pour notre part, nous proposons une fiche d’évaluation du processus coopératif découpée en trois verbes d’actions distincts et complémentaires, déclinés en observables : “communiquer-réfléchir-organiser” (Figure 2). Notons que cette taxonomie en 3 catégories a été conçue lors d’un séminaire de travail où étaient conviés des chefs d'établissement impliqués dans la formation initiale. Ces derniers ont pu partager ainsi leur vision et attentes en tant que pilote d’équipe pédagogique. A titre d’exemple, pendant le travail d’équipe, un formateur peut observer en silence la communication et repérer dans les échanges et la répartition des tâches si les membres de l’équipe proposent aux autres de “s’exprimer pour que tous participent de manière égale”. En outre, des temps d’auto-évaluation sont organisés par les formateurs pour inciter les étudiants à se positionner individuellement et collectivement sur ces critères. Parallèlement, d’autres indicateurs viennent compléter l’analyse, notamment le fait de conduire l’équipe à déterminer si effectivement “chacun écoute, chacun parle, chacun participe aux choix...” etc. Ces observables, manipulés régulièrement, conduisent à des prises de conscience et à faire émerger les besoins d’aide comme par exemple la mise en place d’un bâton de parole ou de votes. De façon encore plus spécifique, Baines, Rubie-Davies & Blatchford, (2009), soulignent l'intérêt du repérage des « opérations cognitives-langagières » qui représentent les « traces » d’apprentissage coopératif. Ainsi, les équipes qui font preuve de temps de “discussion métacognitive sur le fonctionnement du groupe pour constater et/ou réguler leur action” sont considérées comme avancées dans le processus coopératif. Dans notre démarche, l’évaluation formatrice régulière via ces indicateurs précis, constitue un élément central dans la formation des novices, à la fois comme une fin et un moyen d'apprentissages. Buchs, C. (2017) souligne à ce sujet « le caractère constructif des interactions sociocognitives que l’enseignant peut s’efforcer de structurer par une activité et des consignes qui impliquent un enseignement réciproque entre pairs, une co-construction des connaissances mettant l’accent sur le questionnement mutuel et l’apport d’explications élaborées, et des confrontations de points de vue visant une compréhension raisonnée des différentes positions ».
Figure 2 : Les habiletés coopératives observées lors des échanges dans l’équipe
1.5. Le passage du groupe à une équipe
Les critères de construction des groupes : une logique comptable
Olivier Devillard (2011), déclare :
« d’expérience, la taille idéale de l'équipe projet dépend de la nature du projet et de l'expertise de ses membres. L’observation et les résultats d’études sur les performances des équipes préconisent de s'entourer d'une petite équipe comprenant entre cinq et douze personnes. Suffisamment petit pour rester dans un registre de proximité et pouvoir partager, suffisamment grand pour être créatif ».
Richard Hackman (2011), expert dans la dynamique et la performance des équipes, a conclu ses cinquante années de recherche en affirmant qu'une équipe de quatre à six personnes est idéale pour accomplir la plupart des tâches et qu'aucune équipe ne devrait compter plus de dix membres. En effet, les grands groupes augmentent le risque de conflits et tensions, sont favorables à la dilution des responsabilités, la confiance est plus longue à s'installer car chacun se connaît moins, les collaborateurs “toxiques” s’y dissimulent davantage, les chefs de projet doivent alors canaliser plus de personnalités et ont dès lors moins de temps pour leur propre travail. A l’aune de ces recherches nous avons tranché en faveur de la constitution d’équipes de quatre ou cinq, pluridisciplinaires (représentation d’au moins trois disciplines différentes), mixité de genre et recherche d’équilibre des rôles. Une petite équipe permet une communication rapide, un management facilité, une plus grande polyvalence dans le partage des tâches, une responsabilisation accrue, une implication amplifiée par le sentiment d’appartenance :
« Au sein d'une petite équipe, il est plus simple de démasquer les imposteurs, les manipulateurs ou ceux qui font semblant de travailler. La pression des pairs est plus forte que celle du management ou de la hiérarchie. Puisque chaque collaborateur se connaît et se respecte, il évite de décevoir ses collègues et devient plus performant » (ibid).
Les groupes sont constitués lors d’une demi-journée de cohésion au cours de laquelle plusieurs défis coopératifs sont proposés par les formateurs. Ces défis sont à la fois l’occasion de créer les groupes (fin) mais aussi un moment de méta-analyse permettant progressivement de s’auto-évaluer sur ses capacités de coopération et sur ses forces pour endosser un ou des rôles au sein de sa future équipe (moyen). En effet, coopérer nécessite de pouvoir faire une analyse réflexive sur le travail effectué, la participation de chaque membre, la communication dans le groupe, la gestion du temps (Lapostolle, 2013). Être capable d’avoir cette réflexion critique permet d’améliorer ses compétences professionnelles de coopération. D’où l'importance de l'observation de la méta-analyse lors de l'évaluation du processus que nous verrons ci-après.
Les critères de construction des groupes : une logique hétérogène
Philip Abrami et al. (2000), présentent plusieurs critères pour former des groupes : hétérogénéité, homogénéité, amitié, intérêt, proximité, hasard, et en soulignent les objectifs, avantages et inconvénients. Leurs conclusions nous ont incité à faire le choix prioritaire de l'hétérogénéité pour son caractère efficace face à des tâches complexes et à la responsabilisation des membres du groupe. Nous avons ciblé ce choix pour les équipes qui sont évaluées en fin de parcours, par compétences, lors d’un oral collectif. Toutefois, cet aspect est conjugué avec l'exploitation, au cours des apprentissages, des autres formes de groupement : “homogénéité” lors d'atelier de besoins, “amitié” lors des travaux intermédiaires en sous-groupes, “intérêt” lors d'ateliers choisis autour d’un même thème et “hasard” lors de défi coopératifs. En effet, cette alternance des formes de groupement renforce les apprentissages coopératifs et, par-dessus tout, prépare les novices à travailler avec différentes personnes puisqu'ils y seront confrontés de manière accrue dans leur vie professionnelle en EPLE. Ainsi, nous accordons un soin tout particulier, à la fois, à la constitution des groupes en début de formation, mais aussi à la diversité des opportunités de coopération tout au long de leur parcours. Dans cette même logique, nous refusons les changements d’équipe en cours d’année de façon à conduire les membres à dépasser les conflits et dysfonctionnements plutôt qu’à les contourner. Bien évidemment face aux obstacles les formateurs assurent des médiations et profitent de ces moments pour renforcer la méta-analyse quant aux difficultés de coopération qui surgissent. De plus, lors de la deuxième année de formation un temps de réflexion guidé pour constituer les groupes en tenant compte des équipes de l’année antérieure est soigneusement organisé. Lors de nouveaux défis coopératifs et temps d’analyse, les novices décident s’ils continuent à travailler ensemble ou s’ils modifient leurs groupes selon les nouveaux besoins repérés et le projet visé. Par exemple, la contrainte de la présence d’au moins un novice contractuel alternant (CA, c’est à dire en poste seul en classe en Master 2) dans chaque équipe conduit nécessairement à modifier à la marge les équipes de l’année de Master 1 et donc redistribue les cartes de la coopération autour d’un nouveau projet, bâti sur l’étude approfondie d’une classe réelle dont le CA a la charge sur le terrain. Ainsi, la logique hétérogène de construction des groupes domine encore et les contenus du projet conduisent implicitement à nécessairement travailler avec une équipe minutieusement choisie pour adhérer au projet de par son lieu de stage ou la typologie des élèves suivis dans l’année.
Photographie 3 : équipe constituée en phase de suivi avec un formateur
Les tâches coopératives : des activités conjonctives solidaires
D'après la typologie de Steiner relatée par Abrami et al. (ibid), quatre types de tâches coopératives sont exploitables en formation pour favoriser les apprentissages coopératifs : additive (“agir seul à côté des autres”), disjonctive divisible (“agir chacun sa part”), conjonctive solidaire (“agir avec, par et pour les autres”), disjonctives solidaires (“agir seul, par et pour les autres). Ces tâches sont toutes traversées de manière spontanée ou guidée lors du travail d’équipe en formation mais nous nous efforçons de favoriser de façon prioritaire la troisième catégorie, en jouant sur les contraintes des situations d'apprentissage proposées aux novices. Ainsi, nous concevons des tâches complexes impliquant la participation de tous car nécessitant organisation, réajustements, adaptation, confrontation et justification. Tous les membres se retrouvent donc tributaires les uns des autres car le produit dépend de l'investissement et des compétences de chacun. Notre enjeu est de plonger l’équipe dans un contexte de travail où la performance n’est pas seulement l'addition des compétences individuelles mais bien subordonnée au niveau de coopération de l’équipe. La performance de l’équipe devient alors supérieure à celle de la majorité de ces membres voire parfois même supérieure à celle du plus compétent. Par exemple, nous privilégions les activités d’enquête ou d’hackathon lors desquelles les novices doivent résoudre une situation problème en un temps réduit. Toute la difficulté de notre travail de conception est alors de planifier des successions de tâches en décalage optimal avec les ressources des novices, porteuses de sens car en phase avec leurs préoccupations préprofessionnelles et réalisables dans le temps imparti pour maintenir la motivation à apprendre ensemble. Dès lors, les formateurs sont eux-mêmes confrontés à la nécessité de travailler en équipe pour “enclencher un processus de design pédagogique” (Sartori, 2011) précis, cohérent et innovant, passant par cinq phases : Analysis, Design, Development, Implementation, Evaluation (ADDIE). Lanarès et al. (2023) soulignent dans leur ouvrage l'importance d'expliciter aux formés cette cohérence entre le contexte d'enseignement, la stratégie d'enseignement, la stratégie d'évaluation, les objectifs et les contenus.
2. Évaluer les compétences de coopération
Dans cette logique de design pédagogique cohérent, les principes fondamentaux autour desquels l’équipe de formateurs s’est réunie sont les suivants : “on ne peut évaluer que ce qu’on enseigne” (Perrenoud, 2005) et “il faut communiquer explicitement ses attentes aux étudiants” (Lanarès, 2023). Il nous a paru crucial de cibler les compétences précises que nous voulions enseigner pour pouvoir mesurer leur degré d’acquisition chez les jeunes collègues. Il est apparu également important de déterminer des indicateurs clairs, les “traces” faisant preuves des compétences (Baker, 2008), qui permettent d’évaluer de manière ciblée et factuelle les acquis de chacun. En somme, c’est le creuset de cette évaluation qu’il nous a fallu déterminer. Très vite s’est imposée la nécessité d’évaluer de manière conjointe le produit du travail coopératif et le processus de coopération afin de rendre compte, non seulement du résultat du travail d‘équipe, mais aussi et surtout du déroulement et des mécanismes sous-jacents de ce résultat. Cet effort, au final, a constitué davantage un enjeu de formation qu’un objectif d'évaluation, cette dernière représentant un outil plus qu’une fin en soi.
2.1. Une évaluation collective du processus et du produit de la coopération
Dans la dynamique d’évaluer les compétences développées par chacun en fin de parcours de formation, l’un de nos premiers enjeux est de fournir des repères de progressivité transparents et compréhensibles pour chaque compétence évaluée, de manière à ce que les novices puissent identifier ce qu’ils savent faire et ce qu’ils doivent encore travailler individuellement et collectivement. Il s'agit d’appliquer une évaluation par contrat de confiance (Antibi, 2011) et d’expliciter les modalités d’évaluation et le but à atteindre. Même si les modalités d’évaluation diffèrent selon qu’il s’agit du processus ou du produit de la coopération, elles ont pour point commun d’être centrées sur l’équipe, sa dynamique, son organisation, sa communication et donc de privilégier le collectif à l’individu. De facto, les évaluations sont collectives et ne prennent pas en considération les apports individuels de chaque membre du groupe. Ce que nous cherchons à évaluer, c’est bien le processus de coopération de l’équipe, ses réussites, ses errances parfois, mais surtout sa capacité à s’auto-réguler, à dépasser les points de vue divergents, à s’appuyer sur les forces de chacun pour construire une intelligence collective plus efficace mise au service du produit de la coopération, c’est-à-dire des traces que l’activité induit. En fin de parcours (à chaque fin de semestre), nous mettons ainsi les étudiants face à une tâche complexe contextualisée en EPLE, nous leur fournissons par exemple le dossier d’un établissement scolaire dans lequel se trouvent des bulletins réels d’élèves, le projet d’établissement, des relevés d’absences et de retards, des profils d’élèves à besoins éducatifs particuliers et une question problématique portant sur l’absentéisme, le décrochage scolaire, le harcèlement scolaire, l’éloignement culturel…etc. Ils doivent répondre en proposant un projet collectif, sur une durée longue, en général une journée, à l’issue de laquelle ils présentent le fruit de leur travail, à l’oral, devant un jury pluridisciplinaire constitués de formateurs, chefs d’établissements, CPE et/ou enseignants en poste.
Évaluer le produit de la coopération
L’évaluation du produit de la coopération a donc lieu lors de l’oral collectif qui clôt le parcours semestriel. Il s’agit pour les jurys constitués de différents professionnels du champ de l’éducation, de positionner les équipes dans un niveau de maîtrise pour chaque compétence évaluée (photographie 4). Nous constituons des jurys de trois personnes, avec l’idée de proposer une pluralité de regards et de points de vue. Les jurys venant de contextes distincts et occupant de fonctions différentes mais complémentaires, il est bien évidemment nécessaire d’harmoniser le positionnement des équipes à l’aide des repères de progressivité de la grille. Notre travail d’élaboration de ces repères de progressivité a donc constitué un temps clé dans la conception de cette approche par compétences afin de mettre en évidence les étapes par lesquelles pouvaient passer les équipes dans leur formation tout en restant réaliste sur leur atteinte. Notons que nos objectifs de formation se situent aux niveaux satisfaisant (bleu) et très satisfaisant (vert) ; que le jury situe d’abord l’équipe par rapport aux items bleus afin d’estimer le niveau dit “satisfaisant”, preuve de ce que l’on peut raisonnablement attendre en Master, puis envisage les niveaux supérieurs et inférieurs pour affiner son jugement. Outre le fait que les étudiants connaissent et manipulent ces indicateurs tout au long du semestre, le jury reçoit ces éléments et indications en amont également et bénéficient d’une formation à distance à l’aide d’une vidéo d’une équipe des années antérieures. Ils positionnent la production puis échangent avec les formateurs quant à l'évaluation qui avait été réalisée l'année précédente ? Cela leur permet de se situer aussi sur leur compétence de jury. Cette formation, le fait d'être plusieurs jurys, évaluer plusieurs équipes successivement et évaluer par compétences et non en note sont autant de choix qui limitent “la constante macabre” (Antibi, 2003) et la subjectivité.
Photographie 4 : Grille du produit de la coopération
Évaluer le processus coopératif
Pour évaluer le processus coopératif, l’équipe de formateurs adopte une posture d’observateur silencieux puis mène des entretiens avec les membres de l’équipe. Pendant ces différents temps l’évaluateur observe le fonctionnement de l’équipe puis la positionne dans les niveaux de maîtrise des habiletés coopératives (figure 2).
Un des aspects les plus intéressants de cette évaluation par l’observation concerne les opérations cognitives langagières (figure 3) qui constituent des traces tangibles de l’apprentissage coopératif (Baker, Ibid), à la fois sur les compétences de communication mais aussi sur toutes les autres compétences évaluées. Plus une équipe construit ses discussions sur des interactions de haut niveau, plus elle fait preuve de ses compétences de coopération lors de la construction de leur projet. Céline Buchs précise à ce sujet en 2011 qu’il s’agit de “stimuler des interactions sociales constructives dans les groupes de travail pour optimiser la qualité du travail de groupe et des apprentissages qui en résultent”. Pour les stimuler il est alors important de les annoncer comme évaluées puis de proposer des situations où elles peuvent être exercées et de les faire auto-évaluer régulièrement.
Figure 3 : Les opérations cognitives langagières, “traces” d’apprentissages coopératifs
Les diverses façons d’élaborer une connaissance ou un projet peuvent aussi être classées en quatre ensembles d’opérations cognitives-langagières (Baker, 1994, 1995 ; Mephu-Nguifo, Baker & Dillenbourg, 1999) :
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les opérations d’expansion : il s’agit d’ajouter une information, une précision, de généraliser un propos, d’inférer une nouvelle proposition ;
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les opérations de contraction : elles sont l’inverse des opérations d’expansion : réduction de l’information, restriction du propos à une classe plus restreinte ;
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les opérations d’étayage : il s’agit d’établir un lien entre la proposition exprimée et d’autres propositions, afin de vérifier, justifier, expliquer, critiquer, la première ; dans le cas d’un conflit verbal, ces opérations peuvent devenir argumentatives ;
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les opérations de reformulation : la proposition est reprise de façon largement inchangée sur le plan des contenus, mais transformée dans son expression langagière ; parmi ces opérations il y a également la tentative de proposer une synthèse globale de la co-élaboration précédente, sur laquelle les interlocuteurs peuvent expliciter la nature de leur accord (voir les lignes 117-119 dans l’encart 1).
L’observation et la collecte des opérations cognitives-langagières permet d’évaluer d’une manière claire la communication des équipes mais elle éclaire également les autres compétences de coopération, notamment concernant l’organisation et la réflexion qui font l’objet d’une double évaluation. En effet, les enseignants et CPE novices s’auto-évaluent avant de confronter leur point de vue à celui de leur évaluateur.
2.2. Des moments d’auto-positionnement
Tout au long du parcours de formation, nous proposons aux enseignants et CPE novices des outils d’auto-évaluation, des grilles d’auto-positionnement, afin qu’ils puissent identifier leurs compétences individuelles et collectives. L’enjeu est essentiellement formatif - ces grilles ne sont ni collectées, ni évaluées - et permettent à chacun de connaître ses forces et ses fragilités. Elles sont proposées après chaque étape du parcours de formation, après chaque activité complexe proposant un terrain inédit dans lequel peuvent s’exercer ces mêmes compétences.
Pour se co-évaluer
Les temps de co-évaluation permettent une analyse réflexive collective autour du fonctionnement du groupe. Chacun peut ainsi faire part de son sentiment, mettre à plat des dysfonctionnements et proposer des remédiations propices à améliorer les compétences coopératives de l’équipe (photographies 5 et 6).
Photographie 5 : temps d’auto et co-évaluation en équipe
Photographie 6 : grille de Co-évaluation en équipe
Pour s’auto-évaluer
Chaque enseignant et CPE novice a l’opportunité de s’emparer de la grille d’auto-positionnement individuel (photographie 7) pour apprendre à se connaître et à identifier ses habiletés et compétences coopératives. A partir de cette grille, les discussions permettent un véritable retour réflexif individuel propre au développement de gestes professionnels liés à la coopération en équipe, qu’il s’agisse d’échanges formalisés avec les autres membres de l’équipe ou avec un des formateurs, ou d’échanges informels avec les autres novices quels que soient leurs parcours de formation.
Photographie 7 : Grille d’auto-positionnement individuel des compétences de coopération
Conclusion : évaluer la pertinence d’une formation à la coopération au cours de la formation initiale des enseignants et CPE novices.
Apprendre à coopérer : un défi pour les formés
Communiquer, gérer des conflits, accepter l’avis de l’autre, savoir écouter, savoir faire preuve d’empathie… autant de compétences qui s’apprennent individuellement mais dans et par le groupe. Sans le groupe ces compétences ne sont ni enseignables, ni observables et encore moins évaluables, or, la formation initiale continue à évaluer majoritairement les individus isolément. Notre choix d’imposer une évaluation collective donnant lieu à une évaluation par compétences pour toute l’équipe (transformée par nécessité institutionnelle en une seule note) nous est apparu comme une évidence pour atteindre nos objectifs et, qui plus est lors d’un oral, toutefois il constitue un défi de taille pour les formés et l'institution. Ce positionnement, encore marginal, se heurte à des contestations teintées de représentations sur ce que doit être une évaluation. Représentations ancrées dans les habitudes sous couvert de recherche d’une soi-disant justice ou d’égalité : quid de l'étudiant jugé brillant qui ne réussit pas à obtenir une note en équipe comparable à celles qu’il obtient seul en formation disciplinaire ? Quid du « passager clandestin » (Pfefferlé, 2018), membre le moins engagé du groupe, qui peut profiter des bonnes performances d’ensemble ? Quid enfin et à l’opposé, du « top performer » (ibid.) qui n’est pas forcément identifié et récompensé à sa juste valeur ? Face à ses obstacles nous retenons les résultats de plusieurs études menées sur les avantages de l’évaluation collective dont celle de Castel et al. (2015) qui souligne :
« alors que l’évaluation individuelle est généralement privilégiée, cette étude apporte des résultats empiriques à l’appui des recherches qui postulent que l’évaluation collective des équipes de travail est susceptible de renforcer la performance globale, en comparaison de l’évaluation individuelle de leurs membres, car elle favorise l’entraide et la régulation collective. Toutefois, ces résultats mettent en évidence que l’effet positif de l’évaluation collective en comparaison de l’évaluation individuelle n’est observé que lorsque les critères d’évaluation favorisent la régulation collective de la performance. »
Ces résultats viennent renforcer nos efforts pour clarifier les indicateurs observés et susciter la méta-analyse ; de plus nous cherchons à coupler systématiquement une formation collective favorisant l’apprentissage de la coopération à une formation plus personnelle pour développer les compétences psychosociales à travers la connaissance de soi et le développement de la confiance en soi.
Dans le cas de dispositifs de développement des habiletés sociales voici quelques thèmes abordés en formation que nous traversons trop rapidement et que nous pourrions développer davantage si les maquettes de formation le permettent en terme de volume horaire : perception et expression des émotions ; Théorie de l’esprit (TOM) ; Communication verbale et non-verbale ; Engagement et soutien d’une conversation ; Résolution de problème sociaux (faire une demande, apprendre à refuser, faire une critique, faire face à l’ironie et au harcèlement…) ; Contrôle de son irritabilité ; Compréhension de l’implicite ; Développement des relations amicales et réseaux sociaux ; Conventions et codes sociaux en situation professionnelle. Toutes ces thématiques favorables au renforcement des compétences psycho-sociales, elles-mêmes constitutives de la compétence à coopérer, apparaissent comme fondamentales dans la formation initiale des enseignants et CPE novices mais ne représentent finalement qu’une part congrue dans les maquettes de formation. Nous avons pu installer durablement depuis cinq ans un total de 125 heures dédiées au travail pluridisciplinaire et collectif sur les 800 heures de formation par étudiant sur deux ans. Toutefois, nous bénéficions de ce volume pour remplir de nombreux autres objectifs (préparation à l’oral, connaissance du système éducatif, droits et devoirs des personnels, politique éducative, …) ce qui limite les temps consacrés au développement personnel d’une véritable posture professionnelle en acte. De plus,
« la reconnaissance de ses propres compétences va d’autant plus être influencée ou biaisée par divers facteurs internes tels que l’estime de soi ou le sentiment d’efficacité́ personnelle. Finalement, une des caractéristiques principales des compétences sociales étant donné qu’elles sont dynamiques, et donc qu’elles s’acquièrent sur le long terme, il va falloir être en mesure de les évaluer de manière continue et progressive Cette démarche représente un défi supplémentaire » (Hubert & Denis, 2001).
Les formés sont donc confrontés en peu de temps à des injonctions non pas paradoxales mais parallèles : réussir un concours, un master, une insertion professionnelle en établissement et dans les interstices parvenir à amorcer la construction d’une identité professionnelle. C’est donc pourquoi nous persistons à croire en une formation rénovée dont la colonne vertébrale serait moins les savoirs que les savoirs être, pilotée par une évaluation collective par compétences et des formateurs formés à un design pédagogique innovant, eux-mêmes capables de travailler en équipe.
Apprendre à coopérer : un défi pour les formateurs
Enclencher et évaluer le processus de coopération c’est à la fois observer les habiletés sociales individuelles mais aussi leur mise en synergie au sein d’un collectif. Les repérer nécessite la formalisation et la manipulation fine d’indices verbaux et non verbaux mis en œuvre lors des échanges entre les membres d’une équipe. Pour ce faire, la présence active de formateurs référents capables de suivre des équipes et d’assurer ce repérage subtil a constitué à la fois un impératif et une limite. Il est apparu inévitable de recruter des formateurs déjà convaincus par l'importance et l'efficacité du processus coopératif, sensibilisés par leur expériences professionnelles et acculturés à travers des lectures. De plus, la formation des formateurs à l’usage des grilles d'évaluation par compétences constitue également une nécessité. Le tout peut alors devenir un obstacle de par son caractère chronophage et l’expertise demandée, qui plus est si le nombre d'étudiants est important. Notre chance ici fut de coordonner des promotions d’environ cent novices par promotion, ce qui demeure une formation à taille humaine. Évaluer le processus demande du temps en amont pour construire une culture commune entre formateurs et avec les formés, pendant la formation pour concevoir les activités et accompagner les novices et en aval pour les évaluer. Pour autant, cet aspect n’est pas ou peu pris en compte ni dans les volumes, ni dans les modalités de contrôle des maquettes de formation, ni même dans le pilotage des équipes de formation pour en faire une priorité du travail pédagogique.
Par ailleurs, entrer dans une stratégie d'enseignement coopérative couplée à une évaluation collective oblige à remettre en question ses démarches d’enseignement, à développer ses compétences et à clarifier ses intentions pédagogiques. Faire appel au “design pédagogique” consiste alors à s’interroger sur dix aspects spécifiques concernant les apprentissages des novices : Pourquoi apprennent-ils ? Vers quels buts apprennent-ils ? Qu'apprennent-ils ? Comment apprennent-ils ? Comment l'enseignant facilite-t-il l'apprentissage ? Avec quoi apprennent-ils ? Avec qui apprennent-ils ? Où apprennent-ils ? Quand apprennent-ils ? Comment mesurer la progression de l'apprentissage ?
Ceci sous-entend que les formateurs universitaires puissent bénéficier de temps de formation et de temps de travail collectif dédié à la pédagogie. Le paradoxe récurrent des dispositifs d’apprentissage coopératif se situe justement dans la difficulté à revoir son design pédagogique et interroge la posture des enseignants : savent-ils faire (une formation, un accompagnement et un savoir-faire peu développés), le veulent-ils (des valeurs orientées vers la coopération mais un investissement en temps trop important), le peuvent-ils ? (Buchs, 2020).
Construire une communauté d’apprentissage professionnels au profit des élèves (Yvon et Skopeltis, 2022), favorable au développement d’un véritable collectif, dépend principalement du contexte. Or, à ce stade de notre réflexion, la plupart des environnements de travail universitaires actuels ne sont ni pensés, ni conçus ni orientés par le travail d’équipe sur le plan pédagogique. Malgré des avancées notables, la pédagogie du supérieur demeure encore une réflexion soumise à des préoccupations majoritairement individuelles. Lalle souligne en 2019 que, s’il y a quelques années encore, la formation des enseignants universitaires à la pédagogie était inexistante, des centres d’appui à la pédagogie se créent maintenant dans le monde entier, quelle que soit la typologie des établissements, tandis qu’émerge la question de la valorisation de l’engagement pédagogique des enseignants. Mais pour le moment, alors que nous lançons les moteurs de recherche sur le concept “d’évaluation collective”, force est de constater que les occurrences sont majoritairement liées au monde de l'entreprise et peu à celui de l'enseignement et encore moins dans le supérieur. Les expérimentations donnant lieu à des articles scientifiques n’ont pas lieu en France et aucune recherche à ce jour ne démontre le réinvestissement des compétences de coopération de la formation initiale vers la vie professionnelle en établissement. Il nous reste donc à poursuivre le travail, les convictions chevillées au corps.