Didier Tsala
Un robot est-il capable de percevoir des émotions et d’y répondre ? C’est un fantasme que l’être humain nourrit et met en scène depuis des années à travers le cinéma et la littérature de Science fiction. De Blade Runner à I Robot en passant par Star wars, les robots nous renvoient le plus souvent l’image et le comportement de l’homme. Un comportement qui devient de plus en plus techniquement envisageable. Ainsi, le Centre de Recherches Sémiotiques de l’Université de Limoges est-il au cœur d’une recherche autour des interactions homme/robot humanoïde financée par la Région Limousin. C’est le projet Roméo dont nous parle son responsable Didier Tsala, enseignant-chercheur et co-directeur du département Sciences du Langage, membre du Centre de Recherches sémiotiques (CeReS).
Comment est né ce projet ?
Avant de devenir totalement enseignant à l’Université de Limoges, j’ai exercé en tant que consultant en marketing, en stratégie et communication. Il y a trois ans, j’ai été contacté par l’entreprise de robotique leader en France, Aldebaran Robotics, qui développe des robots, dont un très célèbre qui s’appelle Nao. C’est un robot ludique qui peut chanter et danser, faire du foot. Aldebaran est en train de concevoir un robot dont le nom de code est Roméo, qui, à terme, pourrait être utilisé comme un assistant personnel notamment pour accompagner des personnes en perte d’autonomie. Il pourra servir de présence et d’aide à la mémoire.
C’est-à-dire ?
Il sera capable de relever une personne à terre, de déterminer si elle fait un malaise, d’alerter les services médicaux, de lui rappeler de prendre ses médicaments, d’avoir une discussion.
Quel est votre rôle dans ce projet ?
Je fais partie du comité sociétal, groupe de réflexion, mis en place par l’entreprise. Parmi nous, il y a un sociologue, un psychologue, un anthropologue, un architecte du handicap et un danseur.
J’ai proposé de faire émerger un projet de recherche sémiotique autour de l’impact sociétal d’un tel outil. Comment aborder la question de l’humanoïde ? Qu’est-ce qu’une présence ? Qu’est-ce qu’un dialogue ? La sémiotique s’intéresse aux phénomènes de signification. Nous sommes capables d’imaginer des principes de fonctionnement d’une interaction et d’en faire des propositions purement techniques transférables sur des algorithmes.
Au niveau du CeReS, avec différents collègues dont Anne Beyaert-Geslin, la directrice, Nicole Pignier, Carine Duteil, Vivien Lloveria, Nicolas Couegnas et Jacques Fontanille, nous allons mener une réflexion sur le son, sur le design, sur le comportement. Bref, nous allons étudier l’ensemble des signes extérieurs qui font que les personnes ont un comportement spécifique et essayer d’imaginer les applications possibles à Roméo.
D’autres équipes de l’université sont-elles associées ?
Oui. Nous bénéficions de l’accompagnement de Géolab (Laboratoire de géographie physique et environnementale, Farid Boumedienne) qui maîtrise la géographie du handicap en Limousin. En effet, la région sera notre principal terrain de recherche. Géolab travaille avec l’équipe HAVAE (Handicap, Activité, Vieillissement, Autonomie, Environnement) avec laquelle nous avons initié des rapprochements.
Xlim est également impliqué sur les problématiques de domotiques (JM Dumas et L Billonnet). Ils maîtrisent la partie technique, les interfaces homme/machine.
Nous avons recruté une post-doctorante, Tereza Pinto-Abbadie, qui sera chargée du terrain. Elle ira en immersion auprès de personnes en perte d’autonomie mener des interviews. Elle posera notamment des questions liées à l’acceptabilité de la présence d’un robot.
Vous avez rencontré Roméo ?
Oui. J’ai participé à la réflexion sur son aspect physique.
Comment est-il ?
Il fait 1m40. Il a la taille d’un garçon de 14 ans et il est plutôt rassurant.
Roméo est paramétré pour identifier la profondeur d’un malaise. C’est un ordinateur qui est capable de calculer le comportement d’un individu. C’est un des apports de la sémiotique qui est capable de modéliser des états d’âmes. Par exemple, être mécontent, fatigué. On étudie l’ouverture des yeux, la forme de la bouche, le rythme des gestes, etc. On creuse la question avec les informaticiens pour modéliser ces effets. Dans un premier temps, nous allons étudier les comportements types des personnes en perte d’autonomie, en passant une semaine dans une maison de retraite en immersion complète. Nous allons confronter nos résultats avec ce qui est dit dans la littérature générale, en anthropologie, en art, etc. Une fois qu’on aura ces données, on imaginera des solutions permettant de les transférer sous forme d’algorithmes.
Le robot sera équipé de capteurs et de caméras. Il pourra faire des mesures de température, de pouls, de taux de substances dans le sang.
Le robot sera capable de détecter des comportements, mais sera-t-il également capable d’avoir des comportements adaptés ? Par exemple, s’il sent que la personne est angoissée, pourra-t-il adopter une voix rassurante ?
Tout à fait. L’objectif est de lui conférer des particularités humaines. Notre réflexion porte sur l’interlocution homme/robot. Mais il est hors de question que le robot prenne le dessus sur la personne.
Cela va coûter cher, j’imagine ?
Oui. Tout le monde ne pourra pas se l’offrir. Le prix sera prohibitif dans un premier temps. Ce projet est soutenu par la région parisienne, l’Europe et par beaucoup d’assureurs. Ces derniers envisagent Roméo comme une alternative à la maison de retraite. Donc, l’investissement sera rentable sur le long terme.
Au niveau de notre projet de recherche spécifique, la région Limousin nous soutient de manière importante. Nous avons déjà bénéficié d’une subvention conséquente, dans le cadre de l’appel à projets thématiques « Autonomie et santé » 2010-2011. C’est qui est très encourageant.
Contact : Didier Tsala