Pierre Marquet et Florent Di Meo

Pierre Marquet et Florent Di Meo

Pierre Marquet : « Je pense que cette chaire aboutira à des brevets et nous espérons également qu’elle conduira à la création d’une start-up »

La Chaire « Pharmacologie de la Transplantation » a pour objectif d’accélérer le développement d’outils de médecine personnalisée en transplantation d’organes.

Rencontre avec Pierre Marquet, responsable de la chaire et du laboratoire de Pharmacologie des Immunosuppresseurs et de la Transplantation (IPPRITT – UMR Inserm-CHU 850) , et Florent Di Meo, pharmacien et post-doctorant au sein de la chaire.


Pouvez-vous nous présenter votre chaire en quelques phrases ? Quels sont les objectifs de votre recherche ?

Pierre Marquet : L’objectif est d’aider la recherche dans le domaine de la transplantation d’organes et plus particulièrement de la médecine personnalisée en transplantation. Cette chaire aborde deux aspects : un aspect biomarqueur, de nouveaux tests diagnostiques qui permettraient de voir très précocement les lésions des greffons, c’est-à-dire les altérations des greffons au cours du temps et d’adapter le traitement en fonction de ces lésions précoces ; le deuxième aspect est un aspect de modélisation moléculaire et de mise en place de modèles pharmacologiques, non plus chez l’Homme, non plus chez l’animal, pas même sur des cultures cellulaires, mais directement dans l’ordinateur. C’est très innovant, nous avons le savoir-faire et je suis sûr qu’il y aura un véritable intérêt des industriels pour ce genre d’outil.

Florent Di Meo, vous êtes pharmacien, titulaire d’une thèse de l’Université de Limoges et vous avez été recruté sur un contrat de post-doctorat en janvier 2016. Vous travaillez sur le développement du concept de la « pharmacologie in silico ». Pourriez-vous nous en dire plus ?

Florent Di Meo : La pharmacologie in silico est l’utilisation de modélisation moléculaire dont parlait le Professeur Marquet, appliquée à l’étude des médicaments (diffusion dans l’organisme, action, toxicité). On essaye à l’aide de très gros calculateurs de décrire et de prédire le comportement des médicaments vis-à-vis de toute la machinerie cellulaire, et ceci plus spécifiquement dans notre cas au niveau de l’interface des membranes cellulaires. Notre objectif est de décrire et prédire le comportement les médicaments dans leur environnement, c’est à dire au sein du patient uniquement par simulations sur ordinateur. Ces simulations utilisent comme concepts de base les lois de la physique classique et/ou la chimie quantique.

La chaire a été créée en 2015 pour 5 ans. Pouvez-vous nous parler de l’avancée des recherches et des réalisations ?

 PM : Il y a beaucoup d’avancées et de réalisations des deux côtés. Au niveau de l’aspect des biomarqueurs, cette chaire est venue à l’appoint d’un projet européen FP7 que je coordonne et qui s’appelle Biomargin. Ce projet, qui a été lancé en 2012 et qui va se terminer en février prochain, est en train de donner lieu à des dépôts de brevets par plusieurs partenaires, car c’est un projet regroupant 13 partenaires dans quatre pays différents. Biomargin est très axé sur la médecine translationnelle, c’est-à-dire avec des prélèvements faits chez les patients transplantés. Avec la chaire, nous complétons les connaissances en travaillant sur culture cellulaire. Nous regardons ce qui se passe avec des modèles in vitro pour ne changer qu’une condition à la fois, parce que les patients sont tous très différents, au niveau de leurs traitements, de leur alimentation et de leurs maladies. Il est donc très difficile d’attacher des modifications que l’on voit en biologie à une cause précise. L’intérêt d’avoir des modèles en laboratoire, c’est que l’on peut modifier un paramètre à la fois et ceci permet de rattacher les modifications que l’on voit à certains éléments et pas à d’autres.

FDM : Du côté de la pharmacologie in silico, nous essayons de faire le lien de l’atome au modèle cellulaire, et plus encore jusqu’au patient. Il peut être extrêmement compliqué d’étudier expérimentalement les membranes cellulaires humaines, et plus particulièrement les transporteurs, ces protéines qui assurent les échanges entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule. Ces transporteurs sont pourtant extrêmement importants parce que leur dysfonctionnement peut être lié aux effets indésirables des médicaments. Aujourd’hui, il n’existe pas suffisamment de données sur leur structure. Dans la littérature, il n’y a par exemple quasiment aucune structure moléculaire de ces transporteurs pour l’Homme. Sur les centaines de transporteurs humains connus, seules les structures d’une poignée ont pu être élucidées. Nous avons récemment soumis un article scientifique dans lequel nous décrivons pour la première fois la structure moléculaire d’un transporteur extrêmement important au niveau du rein, le transporteur MRP4. Il a été impliqué notamment dans des interactions médicamenteuses entre les immunosuppresseurs qui sont utilisés en transplantation et les autres médicaments associés. A partir de cette structure, nous allons être beaucoup plus à même de comprendre comment les interactions entre deux médicaments peuvent avoir lieu au niveau de ce transporteur. Nous pourrons également prédire les effets d’associations médicamenteuses non encore explorées, ou de nouveaux médicaments.
Une autre approche importante dans la pharmacologie des médicaments est l’étude de leurs capacités à entrer dans les cellules, de façon dite passive, c’est-à-dire sans l’aide d’un transporteur protéique. Nous avons également développé des modèles moléculaires de ce passage passif, afin de comprendre et prédire si une molécule (nouvelle ou déjà existante) peut traverser les membranes et entrer dans les cellules.

Qui sont les partenaires (financiers) de la chaire ? Comment travaillez-vous ensemble ?

Nous avons eu la chance d’avoir des partenaires institutionnels pour le démarrage de cette chaire, d’une part la Région Limousin (la Région Nouvelle-Aquitaine ayant repris le flambeau), et d’autre part l’Agence Régionale de la Santé (ARS) du Limousin (maintenant l’ARS Nouvelle-Aquitaine). Nous sommes en recherche d’autres types de financement, de sponsors. Il est assez difficile, d’obtenir ce genre de partenariat parce que les laboratoires pharmaceutiques sont rarement français et, en tout cas, leur R&D est très peu développée en France. Par ailleurs, nous sommes spécialisés dans ce domaine de recherche médicale sur la transplantation, et nous ne pouvons donc intéresser que les 4 ou 5 laboratoires de ce domaine. Or, leurs départements de R&D sont localisés aux Etats-Unis ou au Japon. Nous les connaissons et nous collaborons, mais essentiellement en recherche clinique, c’est-à-dire plutôt sur le plan du développement que celui de la recherche fondamentale.

Outre ces partenariats, avec qui collaborez-vous ? Au niveau international ?

PM : Nous avons beaucoup de partenariats. Mis à part notre projet européen Biomargin dont je parlais, Patrick Trouillas (Professeur à la faculté de pharmacie et chercheur dans laboratoire de Pharmacologie des immunosuppresseurs et de la transplantation ) et Florent Di Meo participent activement à  un réseau européen collaboratif (et récemment étendu outre-Atlantique). Par ailleurs, nous avons récemment été sollicités pour un gros projet canadien, comme une des équipes européennes associées. Nous avons également un projet plurinational (de type ERA) en deuxième phase d’évaluation, qui est d’ailleurs la suite de Biomargin, qui a été déposé par un de nos partenaires allemands. Nous avons l’espoir que ce projet sera accepté et nous attendons la réponse définitive.

Ce qui nous manque pour l’instant, c’est le lien avec l’industrie pharmaceutique en préclinique, c’est-à-dire en recherche de nouveaux concepts et de nouveaux produits.  J’espère que l’on y arrivera, car nous sommes en train de travailler aussi sur des choses qui, un jour, pourraient aboutir à de nouvelles pistes thérapeutiques, mais nous pouvons aussi travailler sur leurs pistes thérapeutiques, s’ils veulent bien nous y associer.

FDM : Il est important de mentionner la forte collaboration que nous avons avec le groupe du Prof. Michal Otyepka de l’Université d’Olomouc en République Tchèque. Tous nos projets sont fortement intriqués avec ce groupe, et nous nous aidons mutuellement depuis de nombreuses années.
De plus, il y a trois jours, j’ai eu l’immense chance de recevoir une invitation du Prof. Emad Tajkhorshid de l’institut Beckman à l’Université de l’Illinois à Urbana aux Etats-Unis. Je vais avoir la possibilité, en février prochain, d’aller me former au sein de son laboratoire, numéro 1 mondial dans la recherche in silico des transporteurs membranaires.

Le budget de la chaire est de 684000 euros. Comment ces crédits sont-ils utilisés ? Combien de personnes travaillent au sein de la chaire ?

PM : Le budget est utilisé majoritairement pour des emplois. Sur la partie biomarqueurs, on a essentiellement accueilli des ingénieurs. Pour l’instant, des contrats de courte durée, mais au 1er mars, Hélène Arnion va intégrer la chaire. Elle est ingénieure et a déjà travaillé avec nous sur le projet Biomargin. Elle continuera à travailler sur les biomarqueurs, mais cette fois-ci sur d’autres aspects. Le budget finance également le salaire de Florent Di Meo. Enfin, nous avons en plus deux bourses de thèse, des financements d’étudiants en master et un petit peu de budget de fonctionnement.

Si vous aviez un souhait à formuler pour la chaire, que souhaiteriez-vous dire ?

J’aimerais beaucoup arriver à prolonger cette chaire dans la durée et pour cela trouver des mises de fonds.
Je pense que cette chaire aboutira à des brevets et nous espérons également qu’elle conduira à la création d’une start-up associée au volet de la chaire dans lequel Florent Di Meo est directement impliqué (passage des membranes biologiques in silico) ; une étude de marché va être lancée dans les prochains mois.

Cet article est apparu en premier sur le site de la Fondation Partenariale


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