Réclamer, soutenir, refuser la surveillance de l’Antiquité à nos jours

Appel à communication. Ce colloque international abordera les enjeux idéologiques, politiques et sociaux de la surveillance

Réclamer, soutenir, refuser la surveillance de l’Antiquité à nos jours : enjeux idéologiques, politiques et sociaux

Un colloque international organisé par le Centre de Recherches Interdisciplinaire en Histoire, Histoire de l’Art et Musicologie (CRIHAM – EA 4270) les 3, 4 et 5 octobre 2018 à Poitiers.

Michel Foucault affirmait en 1975 que les États avaient mis au point à partir du XVIe siècle, « tout un ensemble de procédures pour quadriller, contrôler, mesurer, dresser les individus, les rendre à la fois « dociles et utiles » » (Surveiller et punir. Naissance de la prison). Sous sa plume, surveillance et contrôle se confondent en partie ; elles sont le fruit de procédures mises en œuvre, selon lui, pour assujettir, discipliner la société, normaliser ses comportements ; démarches qui, en termes de gouvernementalité, auraient progressivement été jugées plus rentables que le châtiment et auraient finalement conduit l’État à privilégier la prison comme réponse pénale aux déviances. La contribution du schéma foucaldien à la compréhension historique de la prison et, plus généralement, des pratiques punitives et des logiques disciplinaires a été de premier ordre et ses exégèses particulièrement nombreuses. Depuis presque un demi-siècle, les travaux concernant la genèse de l’État, ses savoirs ainsi que ses instruments modernes ou pré-modernes se sont multipliés. Comme l’a souligné Laurent Feller dans l’introduction d’un ouvrage collectif consacré à l’exercice du pouvoir depuis l’Antiquité, celui-ci se révèle indissociable d’une intense activité de surveillance administrative de l’application des ordres et des décisions qui repose sur « les contrôles, les redditions de comptes, les rapports d’activité dans la gestion des affaires publiques, la surveillance des individus et l’organisation de leurs carrières en fonction de leur efficacité [qui ] sont des éléments intrinsèquement liés à l’existence même de l’État » (Contrôler les agents du pouvoir, p. 9). Les questions relatives aux pratiques de contrôle et à l’expérience de la surveillance des individus ou des groupes par les autorités publiques a fait l’objet de travaux qui ont permis de parvenir à une meilleure compréhension des relations entre l’État et la société, ainsi que d’en situer plus fermement les relations au sein de territoires sociaux et politiques. L’étude des dispositifs de contrôle et de surveillance permettent d’analyser de manière empirique, et à plusieurs échelles, des espaces vécus au quotidien par les individus surveillés à ceux construits à différentes époques par des pouvoirs politiques usant ainsi de leur capacité administrative à se projeter. Grâce notamment à l’introduction au sein de l’histoire politique d’interrogations, de méthodes et d’objets initialement développés par les anthropologues, de nouveaux champs d’études du politique ont ainsi éclos et se sont ramifiés, portant une attention nouvelle aux pratiques de la surveillance, aux techniques et leurs effets. Tel est le cas, par exemple, du déploiement au XVIIIe siècle d’outils modernes d’identification des personnes et de contrôle des mobilités, étudié en particulier par Vincent Denis (Une histoire de l’identité 1715-1815, 2008 ; avec Ilsen About, Histoire de l’identification des personnes, 2010), qui participe pleinement de la naissance de la police moderne. En sus de l’administration de la décision politique et de l’action de la police, et en lien souvent étroit avec elles, une troisième dimension de ce pouvoir de surveiller a été depuis longtemps investie par les historien·nes, celle du renseignement. Le développement des nouvelles technologies et la généralisation de la surveillance de masse dans les sociétés contemporaines autoritaires comme démocratiques ont été étudiés à nouveaux frais, non seulement pour ce que ces dispositifs disent de la nature comme de l’exercice concret du pouvoir mais aussi pour leur place au sein des cultures politiques et des imaginaires sociaux (Dewerpe, Espions. Une anthropologie historique du secret d’État contemporain, 1994).

Le phénomène de la surveillance, que ce colloque entend investir dans sa dimension sociopolitique de manière comparée et dans une perspective diachronique, semble indissociable de l’histoire de l’autorité publique, de ses agents et de leurs expériences. Néanmoins, l’étude des sociétés passées comme des situations présentes montre que la question du pouvoir n’est pas entièrement subsumée dans la question de l’État. Les pouvoirs sont et demeurent divers, les rivalités, les luttes entre les diverses sources de légitimité du contrôle et d’exercice du pouvoir ont des conséquences complexes et contradictoires dans le domaine de la surveillance et du contrôle. La surveillance se trouve souvent, du fait de ces luttes, fragilisée, délégitimée et fait l’objet de défiance. Ainsi de la surveillance de la population parisienne au XVIIIe siècle par les « mouches » de la police que dénoncent ceux qui cherchent à disqualifier le pouvoir royal comme despotique, ou des différents scandales qui ont récemment éclaté au sujet des pratiques de surveillance généralisées issues de la lutte contre le terrorisme et qui ont été portées à la connaissance du public par des « lanceurs d’alerte » à l’origine de vifs débats sur la légitimité et les limites de ces actions.

Dans cette perspective, les expériences de la surveillance et ses effets sociaux, culturels et politiques, son acceptation comme son rejet depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours seront au centre des questions soulevées lors de ce colloque. Il accordera de ce fait une place importante à la question de la surveillance aussi bien dans le domaine territorial, moral, religieux que dans le domaine économique dont les multiples formes gagnent à être pensées ensemble. Pour illustrer brièvement ce thème de la surveillance en matière économique, on peut citer le rôle joué et les discours produits par les communautés et les corps de métiers, les chambres de commerce, les institutions financières et, dans un horizon temporel plus contemporain, les organisations ouvrières et patronales ou encore les associations de consommateurs. Cette surveillance est souvent articulée à des conceptions globales du social, à ce qui va se définir progressivement comme le champ politique : surveiller les marchés, la circulation des marchandises, contrôler les prix, condamner « l’accaparement » sont des préoccupations omniprésentes des temps de crises sociales. On accordera donc aussi une large attention aux conjonctures aux formes croisées de la surveillance, exercée, demandée, revendiquée ou rejetée par des groupes sociaux. Il s’agit d’interroger la surveillance à l’échelle aussi des constructions locales et sociales des pouvoirs. Dans le même mouvement, on abordera la dimension « populaire » de la surveillance exercée voire exigée par les dominé·es, notamment dans les temps et mouvements révolutionnaires. On pourra alors l’associer, non pas aux pratiques de contrôle ou d’espionnage, mais aux exigences de l’« économie morale », telle que définie par Edward P. Thompson, comme la capacité de groupes populaires à juger de ce qui est « juste », à produire des normes, dans le domaine économique notamment, et à mettre en place des fonctionnements sociaux permettant d’atteindre cette visée (E. P. Thompson, « The moral economy of the English crowd in the eighteenth century », Past & Present, 50, 1971). La surveillance, ainsi envisagée comme une pratique socialement protéiforme, pensée par les acteurs en termes de pouvoir comme de contre-pouvoir, d’extension comme de limitation de la sphère d’intervention d’un pouvoir, pourra être travaillée à travers des champs divers du social, tels par exemple le champ des pratiques des acteurs et des institutions religieuses ainsi que les réponses des fidèles à leur égard,  celui de la culture et des arts, traversés par la surveillance et le contrôle des commanditaires, mais aussi des spectateurs, des pouvoirs politiques, religieux ou moraux. La dimension genrée des rapports à la surveillance ne devra pas être minimisée.

Ce colloque arrive à un moment où les travaux sur les processus et techniques de la surveillance ont permis l’accumulation de très nombreuses connaissances. Il propose donc d’envisager la surveillance moins comme le résultat plus ou moins opératoire de mise en œuvre de techniques, que comme un fait social revendiqué, critiqué, rejeté par des acteurs divers. La surveillance sera donc examinée du point de vue des légitimations, des appropriations et des contestations. La perception qu’ont les individus et les groupes sociaux de la surveillance, qu’elle soit réelle, imaginée ou imaginaire sera de même au cœur des travaux présentés. Ils s’intéresseront prioritairement aux représentations, discours et gestes qui accompagnent les débats, les justifications comme les résistances suscitées par la mise en place ou la révélation de nouveaux dispositifs. Le colloque sera ainsi l’occasion de penser l’arsenal idéologique produit par les pouvoirs quels qu’ils soient ou les populations pour favoriser l’adhésion à ces pratiques, parfois jugées nécessaires et pourvoyeuses de liberté, mais aussi les discours et les pratiques qui visent, consciemment ou non, à en dénoncer l’ampleur attentatoire aux libertés, à en limiter, voire en déjouer la performativité. La démarche d’ensemble conduira donc à se situer aussi bien dans le champ de l’étude des comportements sociaux que des productions idéologiques, en accordant une attention privilégiée aux temporalités de l’acceptation de la nécessité de la surveillance comme de la contestation, voire du détournement de la surveillance.

Les propositions de communication seront adressées avant le 1er mars 2018

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