Herboriste un métier ….
Article de Terra Eco publié le 4 avril 2012 par ALEXANDRA BOGAERT
La profession est interdite en France depuis 1941. Un sénateur a déposé une proposition de loi visant à la recréer. Mais l’Ordre des pharmaciens s’y oppose farouchement, quitte à se mettre des apothicaires à dos…
La racine de guimauve, idéale parait-il pour démêler les cheveux crépus, et l’ortie, connue pour ses vertus reconstituantes, sont les deux plantes les plus vendues par Julien Duchesne. Si cet aimable sexagénaire peut inscrire en gros caractères le mot « herboristerie », au-dessus du nom de sa boutique Ormenis, à Paris, c’est parce qu’il est pharmacien et que « la loi est floue ».
Un métier aboli, un diplôme supprimé
En France, depuis une loi parue le 11 septembre 1941, sous Vichy, le métier d’herboriste n’existe officiellement plus. Les apothicaires, qui ont considéré dès le Moyen-Age que les herboristes marchaient sur leurs plates-bandes en vendant des compositions de plantes à visée curative, ont ainsi obtenu du gouvernement Pétain que leurs « concurrents » mangent les pissenlits par la racine?
Car par cette même loi, le diplôme validant les compétences en herboristerie, qui avait été créé en 1803 sous Napoléon, a également été supprimé. Seuls ceux qui avaient obtenu le certificat avant la promulgation du texte sont encore autorisés à exercer jusqu’à leur mort. A l’époque, ils étaient environ 4500. Aujourd’hui, il n’y en aurait plus qu’un, qui a dépassé les 90 printemps.
Le domaine réservé des pharmaciens
Depuis cette loi, le monopole de la vente de plantes médicinales revient donc aux pharmaciens, dont certains se sont approprié le qualificatif d’« herboriste ». Par « plantes médicinales », la pharmacopée (qui est le recueil officiel national des médicaments) entend des « drogues végétales qui possèdent des propriétés médicamenteuses ». Il y en a 339 en tout, validées par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Seuls les pharmaciens sont officiellement habilités à conseiller les clients sur les plantes à consommer et sous quelle forme (tisane ou poudre) pour soigner les troubles du quotidien.
« La France est un des seuls pays européens à ne pas offrir de formation reconnue en herboristerie », râlait en 2010, dans L’Express, Thierry Thévenin, président du Syndicat des simples – l’autre nom des plantes médicinales. « Le marché est contrôlé par les pharmaciens, qui entendent conserver leur monopole, et par la grande distribution, qui veut garder la main sur le secteur des compléments alimentaires », expliquait-il.
Un secteur particulièrement juteux : il représentait en 2002, au niveau mondial, quelque 60 000 millions de dollars (45 600 millions d’euros), avec une augmentation de 10 à 20 % du volume chaque année en Europe, selon une étude de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. Pourtant, « bien souvent, ces plantes seraient beaucoup moins chères et souvent plus efficaces en forme brute », peut-on lire dans une proposition de loi déposée au Sénat en juillet dernier qui vise à « créer un diplôme et organiser la profession d’herboriste ».
Le diplôme de pharmacien « inadapté » ?
Pourquoi ? Parce que « le diplôme de pharmacien ne paraît pas adapté à la connaissance des plantes », assène le sénateur PS du Finistère, Jean-Luc Fichet. C’est lui qui s’est mis en tête de redonner vie à ce métier en voie de disparition. Et qui a pour cela rédigé la proposition de loi. « S’il existe une formation dans le cursus (de pharmacien, ndlr), celle-ci est bien mince au regard du savoir qu’il est nécessaire d’acquérir dans ce domaine (30 heures en moyenne) », peut-on lire en préambule de ce texte, qui pourrait passer en première lecture au Sénat en septembre prochain.
« Dans un contexte de méfiance croissante envers les molécules chimiques, le but est de mettre devant le consommateur un professionnel des plantes qui ait une vraie connaissance de la production, de la cueillette, du séchage, des bienfaits et des effets néfastes, explique à Terra eco le sénateur. Actuellement, la France importe sans contrôle spécifique 80% des plantes utilisées en matière de santé. On ne sait pas toujours où ni comment elles ont été produites. Développer leur production en France permettrait de créer des emplois et éviterait d’exposer les consommateurs à des charlatans, nombreux sur Internet, qui prodiguent des conseils alors qu’ils n’y sont pas autorisés ».
Jean-Luc Fichet rappelle dans son texte que « sans interlocuteur approprié, l’administration de plantes peut se révéler dangereuse, en fonction de la posologie et de la qualité » du végétal ingurgité.
Un monopole déjà ébranlé
En août 2008, un décret du ministère de la Santé a grignoté le monopole pharmaceutique en autorisant la vente « par des personnes autres que les pharmaciens » de 148 des 339 plantes de la pharmacopée (dont le thym, la lavande, la menthe, etc.).
Le sénateur souhaiterait sortir ces plantes du domaine public « hormis celles qui sont strictement alimentaires », pour « redonner de l’épaisseur au métier d’herboriste ». Ainsi, « seuls les herboristes pourront vendre les plantes ou parties de plantes médicinales, (…) à l’exception des producteurs qui pourront vendre leur production sans donner de conseil », stipule sa proposition de loi, qui précise toutefois que « la vente des plantes est toujours possible pour les pharmaciens ».
Mais ces derniers ont, grâce à la pharmacopée, encore bien des plantes médicinales dans leur herbier. « C’est pourquoi en dehors de cette liste des 148, toutes les plantes qui relèvent de la pharmacopée et qui n’ont pas de raison d’être réservées à la profession de pharmacien devraient pouvoir tomber dans le giron de l’herboriste », précise l’élu.
Herboriste et pharmacien, des métiers complémentaires
Sans surprise, cette initiative de Jean-Luc Fichet est soutenue par l’Association pour le renouveau de l’herboristerie. Sa présidente, Ferny Crouvisier, déclarait en février dans La Croix que son association « défend la recréation du métier de producteur-herboriste, ayant reçu une formation agricole pour cultiver des plantes médicinales et aromatiques, une formation chimique pour les préparer et les vendre en les accompagnant de conseils et d’écoute ». Selon elle, « trop peu de pharmaciens connaissent les plantes. Par ailleurs, les médecins, de plus en plus débordés par de bénignes pathologies, pourraient plus facilement prescrire des traitements à base de plantes en faisant appel à l’herboriste ».
Les pharmaciens piqués au vif
Le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP) se montre tout à fait hostile à cette proposition. Isabelle Adenot, sa présidente, rappelait dans le Journal de l’Ordre des pharmaciens de juin 2011 ? soit un mois avant le dépôt de la proposition de loi du sénateur ? que le code de la santé publique « réserve aux pharmaciens la vente de certaines plantes médicinales inscrites à la pharmacopée et que ces derniers reçoivent une formation adaptée pour les dispenser (…). En tout état de cause, le risque serait l’apparition de nouveaux contentieux, à l’instar des dérives observées en matière de compléments alimentaires ou dans certaines boutiques revendiquant une activité d’herboristerie sans en remplir les conditions légales et qui présentent des risques pour la santé publique. »
Julien Duchesne, le pharmacien herboriste d’Ormenis, estime lui aussi qu’un diplôme de pharmacien et L’officine de Dorvault – qui est LA bible des pharmaciens versés dans la science des plantes -, suffisent pour tenir une herboristerie. « Car tous les pharmaciens ont des bases en herboristerie », estime-t-il. A quoi bon alors créer « de toute pièce » un diplôme « qui sanctionnerait un savoir agricole alors qu’herboriste est une profession de santé ? »
La guerre est déjà déclarée…
Ce qu’il faudrait surtout, selon lui, « c’est que l’Ordre des pharmaciens nous fasse une place à côté des pharmaciens d’officine, d’industrie, de laboratoire médical, et des pharmaciens grossistes. Nous avons tous le même diplôme. Alors pourquoi risquons-nous, en tant que pharmaciens, d’être attaqués pour pratique illégale de la pharmacie quand on ouvre une herboristerie, même quand on reprend une licence d’officine et qu’on est officiellement un établissement pharmaceutique ? »
A quelques mois de la retraite, lui n’a jamais été inquiété par le CNOP et l’Afssaps mais d’autres herboristeries, parmi les plus connues, ont eu maille à partir avec ces instances. L’établissement Cailleau, a été fermé par l’Afssaps l’année dernière. L’herboristerie du Palais-Royal et de la place Clichy, à Paris, sont en procès, attaquées pour exercice illégal de la pharmacie, alors que ceux qui y officient sont pharmaciens.
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