« Les trois opérettes », in l'Écho do doué, Bulletin de liaison des amis de la boulite, N°12, mai 1996, pp. 18-19
Joseph Teillet
Texte
Le 7 avril 1968, un mois avant les "évènements de mai 68", un autre événement se déroulait à la salle du Châtelet de la Flocellière : c'était la dernière de l'opérette "Amours tziganes" et la der des der d'une série ininterrompue de 20 ans de théâtre flocéen.
Après "Monsieur Vincent", la troupe théâtrale s'était lancée dans l'opérette de 1963 à 1968. Trois spectacles ont drainé les foules vers notre théâtre. "Monsieur Vincent" avait conquis un large public grâce à ses acteurs, à sa mise en scène époustouflante, et à une publicité faite à 1'époque par le clergé (prêtres des alentours ou originaires de la Flocellière, ou bien du Séminaire installé alors au château). Une campagne d'affiches et de prospectus était organisée, mais le bouche à oreille a été certainement le meilleur support publicitaire. Les journaux de l'époque relataient 1'événement.
On venait de partout au théâtre, dans une salle de 320 places environ, avec de très mauvais fauteuils grinçants. Étaient représentés tout le Bocage Vendéen, les Deux-Sèvres, le Choletais, et même les Charentes et la Vienne (anciens Flocéens émigrés vers les années 1950). Les cars encombraient la rue entre les deux écoles.
Le "secret" des opérettes
Une dizaine de responsables avait fait le voyage à Paris pour assister à une opérette au Châtelet et y visiter la scène. On s'est aperçu que le "secret" d'une opérette c'était : une histoire de deux jeunes amoureux (de préférence l'un riche et l'autre pauvre au départ) qui ne peuvent se rencontrer, un ou deux méchants qui veulent un héritage ou un trésor, tous voyageant, chantant et dansant, sans oublier une flamboyante mise en scène.
Voilà comment Monsieur Émile Coutand, le directeur de l'école, a puisé des idées dans deux ou trois opérettes parues à l'époque, et a bâti "Carmela", puis "Croisière au soleil". Il a laissé à son adjoint Joseph Teillet le soin de réaliser la dernière, "Amours tziganes". Lors de la première représentation de "Carmela", en 1963, un chroniqueur départemental écrivait ; "Après Monsieur Vincent, n'a-t-on pas pris un genre trop léger, et que diraient nos grand-mères de toutes ces danses et frivolités ?" Il faut croire que l'amusement était bon, car toutes ces opérettes ont été jouées une vingtaine de fois sur deux ans.
Après "Monsieur Vincent", la troupe s'était beaucoup rajeunie et étoffée : 60 acteurs et figurants, 30 machinistes, et avec les employés cela faisait de 120 à 150 personnes que notre théâtre occupait chaque année Une dizaine d'acteurs chevronnés et autant de machinistes assidus formaient l 'ossature de la troupe. Pour la figuration et les ballets, les jeunes filles étaient presque toutes bourgadines. Les gars venaient plutôt des fermes, car le football occupait ceux du bourg. De nombreuses personnes œuvraient en dehors du plateau lui-même souffleurs, électricité, sonorisation, maquillage, location, guichets d'entrée, placeurs, serveurs au bar ou à la pâtisserie, sans oublier les couturières pour les costumes des figurants. Même les Pères du Séminaire ont apporté leur aide.
Pour "Carmela", un article de l'époque relate qu'il a fallu 2.500 heures de travaux pour les décors. La scène s'enfonçait à plus de vingt mètres en arrière. 25 décors ont défilé au cours du spectacle, où les places de village succèdent au désert, puis s'éclipsent devant la belle rade de Rio, où une voiture arrive devant un bateau amarré au port, puis nous repartons dans un chalet de montagne en passant par un temple brésilien qui s'escamote devant une clairière de la mort propice aux ombres macabres, aux poisons des magiciens, et au venin des serpents. Heureusement, un avion est là qui va sauver nos héros. Et ce n'était pas du ... cinéma !
Tout a été réalisé par une équipe de machinistes et décorateurs sous la direction de Marcel Teillet, Didi Sourisseau, Joseph Menanteau et Joseph Serin. Tous les décors sont posés sur des charriots roulants, qui avancent, reculent ou s'escamotent au gré des nécessités. Il y a une immense toile bleue, appelée cyclorama, qui ferme les côtés et le fonds de la scène. Tous les changements de tableaux s'effectuent en 20 à 40 secondes, dans le noir le plus complet, et sans fermer de rideau (qui d'ailleurs n'existe pas). Et les spectateurs ont droit à une musique "amplifiée" par l'ami Roger Doux.
Et ce n'était pas du cinéma !
Avec "Croisière au soleil" et "Amours tziganes" apparaîtront entre autres décors : un marché turc, un cirque, un campement tzigane, le déraillement d'un train, un incendie de puits de pétrole (25 ans avant le Koweit), et une féérie des eaux (20 ans avant le Puy du Fou).
Pierre Germain mettait au point la partie musicale, très importante dans une opérette. Le play-back était utilisé. Quant à la figuration, la location des costumes, les accessoires, c'était du domaine de Messieurs Coutand et Teillet. Monique Sachot et Christiane Caillaud ont été les animatrices du corps de ballet. Les rôles de chanteur vedettes ont été tenus successivement par Michel Germain, Pierre Germain et Marc Blanchard (photo), et les chanteuses par Monique Sachot (photo), Jacqueline Blanchard et MimieDoux.
Tout s'est arrêté en 1968. On peut donner trois raisons à cet arrêt. Dans le désordre :
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Une lassitude d'une partie des responsables de la troupe par manque de temps, ou devant l'énormité de la tâche.
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Le départ de la Flocellière de plusieurs acteurs.
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L'envahissement d'une distraction nouvelle le soir : la télé.
Et ce 7 avril 1968, la centaine de personnes qui fit le tour du bourg bras dessus, bras dessous en chantant (comme on le faisait à chaque dernière) ignorait certainement que c'était... fini !