Modèles de Neuropathies Périphériques ChimioInduites (NPCI)
De nombreux agents de chimiothérapies utilisés dans le traitement des cancers ont pour effets secondaires d’induire des neuropathies périphériques. Plus de 60 % des patients sous chimiothérapies anticancéreuses développent ces atteintes. Ces dernières se manifestent principalement par des douleurs des membres débutant au cours de la chimiothérapie et persistent des mois, parfois des années après son arrêt. Ces douleurs peuvent devenir insupportables au point de justifier une réduction des doses, voire un arrêt du traitement anticancéreux, diminuant ainsi les chances de survie du patient face au cancer.
Au quotidien, ces douleurs chroniques représentent une des causes majeures de l’altération de la qualité de vie des patients en cours de chimiothérapie et survivant au cancer, les plongeant dans la dépression ou l’anxiété. Malheureusement, aucun traitement n’existe pour prévenir leur survenue. Face à l’augmentation de nombreux cancers et l’amélioration de leur pronostic, il apparaît prioritaire de prévenir le développement des douleurs induites par la chimiothérapie.
Plusieurs modèles murins de NPCI ont été développés : Modèle vincristine (VCR), oxaliplatine (OXA) et paclitaxel (PTX), chacun représentant une classe thérapeutique d’anticancéreux neurotoxiques, mais aussi un modèle MMAE (Monométhyl-Auristatine E), molécule souvent retrouvé dans les conjugués anticorps-médicaments (ADC).
Chaire d'excellence
Chaire d’excellence NPIC : Neuropathies Périphériques Induites par la Chimiothérapie
Claire DEMIOT et Laurent MAGY, de l’équipe NeurIT, sont responsables de la Chaire d’excellence NPIC.
Claire DEMIOT est Pharmacien, MCU-HC du Service de Pharmacologie, UFR Pharmacie de Limoges,.
Laurent MAGY est Neurologue, PU-PH Centre de Référence des Neuropathies Périphérique du Service de Neurologie du CHU de Limoges.
Face à l’augmentation de nombreux cancers et l’amélioration de leur pronostic, prévenir le développement de douleurs induites par la chimiothérapie devient prioritaire. Trouver un traitement pour prévenir leur survenue et améliorer l’accompagnement des patients par la mise en place de programme d’écucation thérapeutique, ce sont les objectifs de la recherche au sein de cette chaire d’excellence.
Modèle Vincristine (VCR)
La VCR est le plus neurotoxique des vinca-alcaloïdes rencontrés parmi l’arsenal des agents anti-cancéreux qui sont utilisés en clinique humaine. Elle est notamment indiquée dans le traitement des cancers de l’enfant, des leucémies aigües lymphoïdes et des lymphomes non hodgkiniens. La neuropathie induite par la vincristine (NPIV) touche 30 à 40% des patients et représente donc un enjeu de santé publique.
Chez l’Homme, la NPIV est une polyneuropathie à prédominance sensitive et dose-dépendante induisant des paresthésies, des hyperalgésies et des allodynies tactiles. Ce modèle a été la base pour les preuves de concept de l’effet de thérapeutiques innovantes.
Modèle Oxaliplatine (OXP)
L’OXP figure également parmi les plus neurotoxiques des agents anticancéreux dans l’arsenal de la clinique humaine. C’est un agent antitumoral dérivé des sels de platine. Il est principalement utilisé dans les cancers colorectaux. L’administration d’OXP peut générer des troubles neurologiques de façon aigüe, juste après ou même pendant l’injection, ou de façon chronique en cas de cumule de doses. L’OXP induit une neuropathie périphérique sensitive accompagnée ou non de crampes, souvent déclenchées par le froid. 95% des patients traités peuvent voire ces symptômes apparaître. Le modèle murin de neuropathie induite par l’OXP, mis au point et caractérisé par analyses fonctionnelles et morhologiques, reproduit les symptômes observés en clinique humaine.
Modèle Paclitaxel (PTX)
Le PTX est l’agent anticancéreux dont l’incidence de développement des neuropathies périphériques est la plus élevée. Molécule de première intention dans le traitement des cancers de l’ovaire, il est également utilisé dans le cadre des cancers du seint et du poumon. Le PTX est un poison du fuseau qui agit par inhibition de la dépolymérisation des microtubules. Environ 70% des patients traités par cette molécule sont touchés par la neuropathie induite par le paclitaxel (NPIP). Les symptômes se manifestent le plus souvent par des picotements, des fourmillements et des douleurs qui se développent de façon longueur dépendante et peuvent, dans certains cas, être irréversible. Un modèle murin de NPIP montre le développement d’une allodynie mécanique avec une perte des fibres nerveuses sensorielles.
Monométhyl Auristatine E (MMAE)
Les conjugués anticorps-médicament (ADC) sont de nouveaux médicaments anticancéreux composés d’un anticorps monoclonal (mAb) qui cible des antigènes tumoraux sélectifs, auquel est associé un agent cytotoxique très puissant à l’aide d’un lien chimique, souvent la monométhyl-auristatine E (MMAE).
Cette stratégie permet un ciblage plus spécifique de la charge citotoxique vers les cellules tumorales, améliorant ainsi l’efficacité et diminuant la toxicité systémique.
De manière inattendue, les ADC ont été impliqués dans plusieurs toxicités non liées à l’antigène ciblé, telles que les toxicités oculaires, des neutropénies et des neuropathies. Le MMAE est un inhibiteur de la polymérisation de la tubuline, agent cytotoxiques actuellement utilisé dans les ADC pour le traitement de certains lymphomes. Ces MMAE-ADC sont responsables de toxicités nerveuses périphériques.
Aucun modèle animal de neuropathies périphériques induite par le MMAE-ADC n’avait été publié. Ainsi, le développement et la caractérisation d’un tel modèle étaient essentiels. Pour cela, l’administration prolongée d’une faible dose de MMAE a induit une neuropathie sensorielle périphérique associée à une dégénérescence nerveuse sans altération de l’état général. Ce modèle représente donc un outil facilement accessible pour cibler des stratégies neuroprotectrices dans le contexte des neuropathies périphériques induites par les MMAE-ADC.
Analyses transcriptomiques
L’exploration des voies physiopathologiques impliquées dans la neurotoxicité sur les DRG des modèles VCR, OXA et PTX par analyses transcriptomiques est également indispensables afin de déterminer les voies de neurotoxicités communes et spécifiques de ces agents anticancéreux.
Ces travaux donnent des indications précieuses sur l’étiologie des NPIC, mais aussi sur les mécanismes physiopathologiques impliqués. Grâce à ces données précieuses, de nouvelles cibles thérapeutiques ont pu être découvertes.
Prévention thérapeutique des NPIC et cancer
Développer de nouvelles thérapeutiques pharmacologiques spécifiques des NPIC sans effet sur le traitement de la tumeur représente un enjeu majeur dans la prise en charge des patients recevant une chimiothérapie anticancéreuse. De nombreux modèles sont en place et ont permis de mettre en évidence les propriétés neuroprotectrices de plusieurs molécules. Cependant, l’influence de l’interaction entre ces molécules et la chimiothérapie sur son activité anticancéreuse n’a pas été explorée.
A ce jour, aucun modèle animal de neuropathie induite par la chimiothérapie associée à un cancer n’a été développé. C’est dons le nouvel objectif à venir, mettre en place des modèles syngéniques de cancer ectopique, ce qui permettra de vérifier s’il existe un potentiel effet synergique des molécules neuroprotectrices sur l’activité anticancéreuse des chimiothérapies. De tels modèles permettraient de mieux comprendre le lien entre le cancer et le développement des neuropathies associées et d’évaluer l’effet des molécules neuroprotectrices candidates.
Quelques articles représentatifs
– A mouse model of sensory neuropathy induced by a long course oh monomethyl-auristatin E treatment. Frachet et al. Toxicol Appl Pharmacol. 2023 Sep 1:474:116624. PMID: 37419214
– The Cholecystokinin type 2 receptor, a pharmacological target for pain management. Bernard et al. Phermaceuticals (Basel). 2021 Nov 19;14(11):1185. PMID 34832967
– Ramipril alleviates oxaliplatin-induced acute pain syndrome in mice. Bouchenaki et al. Front Pharmacol. 2021 Jul 19;12:712442. PMID : 34349658
– An overview of ongoing clinical trials assessing pharmacological therapeutic strategies to manage chemotherapy-induced peripheral neuropathy, based on preclinical studies in rodent models. Bouchenaki et al. Fundam Clin Pharmacol. 2021 Jun;35(3):506-523. PMID: 33107619
– The Angiotensin II Type 2 Receptor, a Target for Protection and Regeneration of the Peripheral Nervous System? Danigo et al. Pharmaceuticals (Basel). 2021 Feb 24;14(3):175. PMID: 33668331
– Neuroprotective effect of angiotensin II type 2 receptor stimulation in vincristine-induced mechanical allodynia. Bessaguet et al. Pain. 2018 Dec;159(12):2538-2546. PMID: 30086116
– Candersartan prevents resiniferatoxin-induced sensory small-fiber neuropathy in mice by promoting angitensin II-mediated AT2 receptor stimulation. Bessaguet et al. Neuropharmacology. 2017 Nov;126:142-150. PMID: 28882562