Nos estampes et leur contexte
Vincent de Paul est canonisé le 16 juin 1737. En ce même mois, la revue Mercure de France signale la parution de onze estampes « nouvelles » représentant « la vie du B.[Bienheureux] Vincent de Paul d’après les tableaux qui sont dans l’église S.[Saint] Lazare à Paris, peints par Mrs de Troy, Galloche, Restout, le Frère André, &c. et dessinées d’après les originaux, par le sieur Bonnart, ancien Professeur de l’Académie Royale de saint Luc, avec une grande précision et correction ; ces onze dessins sont gravés sous sa conduite par différents graveurs des plus habiles. »
La famille Bonnart
Seul membre de sa famille encore vivant en 1737 à avoir fait partie de cette Académie, Robert-François Bonnart (1683-1771) a été identifié comme le coordinateur de cette entreprise par Pascale Cugy1. Il est issu d’une lignée dont le premier représentant connu, Henri 1er (1610-1682), ancien tailleur d’habits rue Saint Denis à Paris, est devenu imprimeur et marchand d’estampes, spécialisé dans les gravures de mode auxquelles la postérité donnera le nom de « bonnarts ».
Face aux imprimeurs qui obtiennent en 1677 le monopole de l’impression, la stratégie des Bonnart consiste à diversifier leurs compétences. Dessinateur, graveur, marchand d’estampes, chacun collabore à l’intérêt commun de la famille. Le cousin de Robert-François, Louis Bonnart, curé de Saint Séverin et docteur en théologie de la Sorbonne, est bien introduit dans les milieux intellectuels de l’Université de Paris et « recommandé par Mgr le Cardinal » 2. Serait-il à l’origine du choix de Robert-François pour réaliser ces estampes ? Affublés du qualificatif de « peintre » par leurs adversaires qui leur reprochent d’usurper le titre de graveur, les Bonnart s’efforceront de perdurer au sein de l’Académie de peinture de Saint Luc, grâce à laquelle ils gagnent en respectabilité et en influence.
Notre collection et celle de la Bibliothèque nationale de France
Le Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale de France conserve un volume reliant quatorze estampes sous le titre : « Recueil composé d’une série d’estampes gravées d’après les tableaux relatifs à la vie de Saint Vincent de Paul, qui se trouvent dans l’Eglise Saint-Lazare à Paris ». Aux onze estampes citées par le Mercure de France se sont ajoutées, en fin de volume, trois autres postérieures à la canonisation de Vincent de Paul :
– La vision de Vincent de Paul pendant qu’il officie. Contrairement aux estampes précédentes, où il est qualifié de « B. » (pour Beatus = Bienheureux), le nom de Vincent de Paul est ici précédé de « S. » (pour Sanctus = Saint).
– Les miracles opérés par Vincent. Ce dessin rassemble certains de ses miracles. Une liste sous l’illustration fait référence à La Vie de Saint Vincent de Paul, instituteur de la congrégation de la Mission, & des Filles de la Charité, tome II du livre de Collet publié en 1748.
– Une statue de marbre de Vincent de Paul, dont on propose en 1754 l’installation dans la basilique vaticane.
Notre exposition présente toute la collection d’estampes de Vincent de Paul conservée par l’Université de Limoges. Elle en comporte neuf des onze de la série initiale de 1737, ainsi que deux des trois plus tardives reliées par la Bibliothèque nationale de France. Les deux estampes signées « Bonnart » manquantes à Limoges ont pour sujet :
– Vincent de Paul nommé aumônier des galères du Roi
– Vincent de Paul prêchant aux villes et aux campagnes devant le couple royal
Malgré ces trois lacunes, la similitude entre les séries de Limoges et de Paris est remarquable et nous interroge.
La diffusion à Limoges
La messe de canonisation de Vincent de Paul à Rome a été répliquée localement dans tous les diocèses. On aurait pu imaginer que cet évènement ait déclenché l’arrivée de ces estampes dans le diocèse de Limoges. Mais les historiens ont établi que la collection des onze estampes éditées par Bonnart a été envoyée systématiquement à toutes les congrégations vincentiennes, afin de propager le culte de leur fondateur. Les Lazaristes n’ont été présents à Limoges que durant une courte période au XXe siècle. En revanche, installées à Limoges depuis 1674, les Filles de la Charité en ont certainement été destinataires. Puis leur collection a été remise à l’Evêché, qui l’a déposée à l’Université de Limoges en 1979 au sein du « Fonds dit du Grand Séminaire ».