Jean-Michel ADAM, Jean-Blaise GRIZE & Magid Ali BOUACHA (éds),Texte et discours : catégories pour l'analyse, Dijon, Editions Universitaires de Dijon, 2004, 271 pages

Carine Duteil-Mougel

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Texte intégral

Il s’agit des Actes du colloque sur les « Catégories descriptives pour le texte » organisé par le Centre Gaston Bachelard à l’Université de Bourgogne en juin 2002, sous l’impulsion de Magid Ali Bouacha (†), auquel les auteurs rendent ici hommage.

L’ouvrage rassemble des auteurs ayant en commun la problématique du texte et partageant une même volonté d’ouverture de la linguistique aux sciences des textes. Le recueil associe, dans une visée pluridisciplinaire, des linguistes, des littéraires et des philosophes.

Rappelons que la problématique du texte renvoie à la problématique de la parole (chez Saussure) – Saussure ayant développé les bases d’une linguistique de la parole (cf. Saussure, Ecrits de linguistique générale), comme le souligne François Rastier :

Note de bas de page 1 :

 « La langue est consacrée socialement et ne dépend pas de l’individu. Est de l’Individu, ou de la Parole : a) Tout ce qui est Phonation.

La façon la mieux éprouvée de réduire Saussure, c’est d’en faire un théoricien de la Langue, alors même que la valeur est déjà un phénomène contextuel, et qu’il envisageait explicitement dans ses cours deux linguistiques complémentaires1, celle de la langue et celle de la parole. 
(Rastier, 2003, « Le silence de Saussure ou l’ontologie refusée », p. 24).

Jean-Michel Adam précise dans l’Introduction (p. 5-19) que l’objectif de ce recueil est de proposer une définition convergente du « texte » et d’établir les outils linguistiques nécessaires à son étude.

Note de bas de page 2 :

 Notre répartition diffère de celle adoptée dans l’ouvrage.

Nous réaliserons la synthèse des études présentées en adoptant le plan suivant2 : Ouverture ; 1. La perspective référentielle ; 2. La perspective énonciative ; 3. La problématique des genres ; 4. L’interprétation textuelle.

Ouverture : le point de vue de la logique naturelle

L’ouvrage s’ouvre sur l’article de Jean-Blaise Grize, intitulé « Argumentation et logique naturelle ».

Note de bas de page 3 :

 Grize considère l’argumentation non « comme une simple suite d’arguments », mais « comme une organisation raisonnée de contenus de pensée qui visent à modifier de quelque façon les représentations et les jugements de son destinataire » (p. 24).

Note de bas de page 4 :

 La logique naturelle se veut « l’étude des opérations que la pensée met en œuvre lorsqu’elle se manifeste à travers des discours » (p. 23).

L’auteur souligne la primauté du texte aussi bien pour l’analyse argumentative que pour l’analyse linguistique classique. Selon Grize, tout texte met en œuvre des raisonnements3 relevant de ce qu’il nomme la logique naturelle4 (ou logique du sens commun).

L’auteur énonce cinq postulats sur lesquels repose la notion de schématisation – notion fondamentale pour la logique naturelle :

1. Postulat de l’activité discursive (double activité des locuteurs A et B ; non isomorphisme entre la construction et la déconstruction d’une schématisation)

2. Postulat de la situation (situation spatio-temporelle dans laquelle prend place la double activité de schématisation)

3. Postulat des représentations (représentation de l’objet de discours, de la situation, de soi et de l’autre)

4. Postulat des préconstruits culturels (mémoire collective ; croyances partagées)

5. Postulat de la finalité (diversité des finalités corrélée à la multiplicité des formes de schématisation).

Grize énonce également les principales opérations qui président selon lui à la production du sens et à l’organisation raisonnée d’une schématisation.

Les deux premières opérations correspondent à la distinction logique entre objets et prédicats. Les opérations suivantes permettent de construire des contenus de jugement, contenus qui, une fois assumés par les sujets de l’interaction, exprimeront des jugements sous forme d’énoncés articulés entre eux.

1. La perspective référentielle

La perspective référentielle est principalement développée par Georges Kleiber, Jean-Daniel Gollut & Joël Zufferey, et Guy Achard-Bayle.

--Georges Kleiber : « Défini associatif et possessif en concurrence textuelle »

Georges Kleiber étudie le fonctionnement et le rôle discursif de l’adjectif possessif en le confrontant à l’article défini associatif (comme dans les exemples (1) et (1’) : (1) Il s’abrita sous un vieux tilleul. Le tronc était tout craquelé / (1’) Il s’abrita sous un vieux tilleul. Son tronc était tout craquelé).

Trois situations sont envisagées par l’auteur : (i) celle où seul l’adjectif possessif convient : par exemple, (2) L’homme enleva sa casquette. Sa calvitie ( ? La calvitie) plut à tout le monde ; (ii) celle où seul le défini est utilisé : par exemple, (3) Il y a eu un assassinat hier soir à Souffelweyersheim. L’assassin (*Son assassin) a pris la fuite ; (iii) celle où les deux peuvent être employés (cf. supra les exemples (1) et (1’)).

Selon Kleiber, ces situations dépendent du type des entités E1 et E2. Il précise, par exemple, que la première situation (i) se rencontre :

  • lorsque E2 est une propriété d’une entité E1 animée ou inanimée

  • quand E2 renvoie à une entité dénotant un procès (événement, activité, etc.)

  • lorsque E2 est une partie « matérielle » ou « intentionnelle » d’un E1 animé.

L’accent est ainsi mis sur le statut ontologique des entités (Kleiber parle de conditions d’aliénation, de principe de congruence ontologique, de formules ontologiques, ou encore d’orientation dépendantielle, etc.) et sur les relations sémantico-référentielles entre les N des entités (relation de méronymie, relation de stéréotypie, relation sémantique fonctionnelle, relation lexicale membres-collection, etc.).

A travers l’examen de différents enchaînements, Kleiber montre comment, en situation de concurrence, la différence d’emploi du défini et du possessif réside dans un mode de donationdifférent du référent et entraîne la construction d’une chaîne topicale différente.

On regrettera seulement que l’auteur limite son étude au palier transphrastique (enchaînements de deux phrases) sans envisager les relations entre défini associatif et possessifen contexte élargi.

--Jean-Daniel Gollut & Joël Zufferey : « La Référence en début de texte : Salammbô »

Les auteurs poursuivent leurs travaux consacrés à la référence et plus précisément aux effets sémantico-référentiels des dispositifs verbaux.

Ils plaident pour « une pleine intégration de la problématique référentielle parmi les questions pertinentes de l’étude linguistique des textes littéraires » (p. 44).

La définition de la référence qu’ils proposent comme « activité discursive appliquée à l’élaboration d’objets de connaissance en vue de leur communication », convoque la notion de schématisation (discursive) définie dans le cadre de la logique naturelle.

Note de bas de page 5 :

 Ces opérations sont détaillées dans Gollut J.-D. & Zufferey J., 2000, Construire un monde : les phrases initiales de La Comédie Humaine, Lausanne-Paris, Delachaux & Niestlé.

Les auteurs distinguent plusieurs opérations référentielles5 (désignation, définition, contextualisation) et s’interrogent sur l’accessibilité cognitive des « objets de discours ». Leur propos est illustré par l’analyse de l’incipit de Salammbô.

Ce travail pourrait utilement déboucher, nous semble-t-il, sur une réflexion sur les univers ontogoniques des textes littéraires ; un questionnement sur les régimes mimétiques des textes en fonction des genres et des discours mériterait d’être entrepris.

--Guy Achard-Bayle : « Evolution des référents et plasticité des objets textuels »

Guy Achard-Bayle mène une réflexion sur la représentation des référents en contexte évolutif et sur la plasticité des objets textuels.

Note de bas de page 6 :

 On retrouve ici finalement la problématique du réalisme (rapport du texte au réel empirique).

Il inscrit son approche dans le cadre problématique d’une (onto)logique et d’une pragma-sémantique de la référence, et cherche à montrer comment la fictionnalisation du monde « pose le monde comme pivot ou repère »6 (p. 65).

L’auteur distingue entre phénomènes métamorphiques (PhéMé) et procédés métaphoriques (ProMé). Par exemple, Les Compagnons d’Ulysse sont, selon l’auteur, « la narration d’une métamorphose », alors que Le Paysan du Danube est « une description métaphorique ».

Note de bas de page 7 :

 Le corpus étudié comprend : un conte fantastique, Le Papillon de Francis Ponge, une fable de La Fontaine, Mors de Victor Hugo, et un article journalistique.

L’auteur étudie la confrontation entre PhéMé et ProMé (en corpus contrastif7) en s’appuyant sur des travaux menés en linguistique cognitive (référence à Lakoff et Johnson ; à Sweetser, Turner et Fauconnier).

2. La perspective énonciative

Les articles de Bernard Combettes, AlainRabatel, et Maria Helena Araújo Carreira  s’inscrivent davantage dans une perspective énonciative et accordent une attention particulière aux structures morphosyntaxiques.

--Bernard Combettes :« Topicalisation d’une proposition et réfutation : approche diachronique »

Bernard Combettes souligne l’apport des développements récents des études sur la grammaticalisation au champ de la linguistique du texte.

Note de bas de page 8 :

 On retrouve ici la dualité langue/parole et le problème de l’articulation entre (linguistique de la) parole et (linguistique de la) langue.

Il s’intéresse aux liens qu’entretiennent, dans l’approche linguistique de la textualité, catégories discursives et catégories syntaxiques8.

Note de bas de page 9 :

 Il s’agit vraisemblablement des débuts de l’unité « phrase complexe ». L’auteur s’interroge pour savoir si justement la structuration de l’énoncé est véritablement celle d’une phrase complexe (avec regroupement du topique et du commentaire).

L’auteur montre comment l’adoption d’une perspective diachronique permet de rendre compte de l’intégration de structures textuelles dans la hiérarchisation syntaxique de l’énoncé. Pour illustrer ces phénomènes, Bernard Combettes choisit de s’intéresser aux aspects de la grammaticalisation de l’opération de réfutation en moyen français. Il examine les relations entre les différentes constructions syntaxiques utilisées (parataxe, hypotaxe, phrase complexe9) et les valeurs discursive et textuelle de la topicalisation.

--Alain Rabatel : « Analyse énonciative de la valeur aspectuo-temporelle de l’imparfait »

Alain Rabatel s’intéresse au contraste aspectuo-temporel entre passé simple et imparfait dans des suites d’énoncés (P1 et P2) sans lien de nature thématique.

Note de bas de page 10 :

 Alain Rabatel nomme point de vue « tout ce qui, dans la référenciation des objets (du discours) révèle, d’un point de vue cognitif, une source énonciative particulière et dénote, directement ou indirectement, ses jugements sur les référents » (p. 83).

Il s’interroge sur les données qui doivent être prises en compte, dans un tel contexte, pour déterminer si le point de vue10 (PDV) est celui du locuteur et/ou de l’énonciateur. Par exemple, dans P1 La Marquise sortit à cinq heures, P2 Le Boulevard Bourdon se remplissait de monde, la perception de P2 peut-elle être attribuée à la marquise (dans une sorte de monologue intérieur) ?

L’auteur met alors l’accent sur les données énonciatives, associées aux valeurs aspectuelles, et sur les données épistémiques co-textuelles.

--Maria Helena Araújo Carreira : « La Construction discursive de désignation de l’autre et desoi-même »

Note de bas de page 11 :

 Texte d’opinion d’Eduardo Lourenço publié dans la rubrique « Ensaio » du magazine Visão.

Note de bas de page 12 :

 Profession de foi de Jacques Chirac et Profession de foi de Jean-Marie Le Pen (campagne présidentielle de 2002).

Maria Helena Araújo Carreira s’intéresse aux structures dialogiques des textes et cherche à montrer le poids argumentatif que revêtent les modes de « désignation de l’autre et de soi-même ». Pour illustrer sa perspective, elle réalise l’analyse comparative de discours d’opinion11 (en portugais) et de discours électoraux12 (en français).

L’auteur montre comment le choix des désignations (formes élocutives, délocutives, ou allocutives ; désignation immédiate ou médiate) et des modalités énonciatives (modalisation épistémique, modalisation déontique) participent d’enjeux interlocutifs dans les deux langues.

L’analyse des formes d’adresse rapproche la Profession de foi de Chirac de l’essai journalistique d’Eduardo Lourenço, en écartant la Profession de foi de Le Pen ; alors que l’étude des formes de désignation isole l’essai des textes électoraux.

3. La problématique des genres

Autour de Dominique Maingueneau et de Sophie Moirand, c’est une réflexion sur la théorie des genres qui est menée. Elle est complétée utilement par des études de cas. 

--Dominique Maingueneau : « Retour sur une catégorie : le genre »

Note de bas de page 13 :

 Genres créés par l’auteur lui-même, en attribuant une étiquette au texte produit.

Note de bas de page 14 :

 Ce sont les genres les plus étudiés en Analyse du discours. Ils sont définis à partir de « critères situationnels » (« dispositifs de communication socio-historiques ») et correspondent à des « scripts relativement stables ». Ce sont, par exemple, le magazine, le débat télévisé, la dissertation littéraire, le journal quotidien, la consultation médicale.

Note de bas de page 15 :

 Genres peu normés, dont la composition et la thématique sont très instables.

Dominique Maingueneau s’intéresse à la notion de genre telle qu’elle est définie et utilisée en Analyse du discours. Il revient sur la classification des genres en trois catégories qu’il avait proposée en 1999 (genres « auctoriaux »13 ; genres « routiniers »14 ; genres « conversationnels »15), pour lui préférer deux régimes de généricité: le régime des genres conversationnels et le régime des genres institués (regroupant genres « routiniers » et genres « auctoriaux »).

L’auteur s’intéresse ici principalement aux modes des genres institués ; il distingue quatre modes de généricité selon leur degré de normativité (« force » des prescriptions et des contraintes) :

- Les genres institués de mode (1) : ils sont fortement normés.

Exemples : courrier commercial, annuaire téléphonique, fiches administratives, actes notariés.

- Les genres institués de mode (2) : assez routiniers, ils obéissent à des « cahiers des charges » définissant l’ensemble des paramètres de l’acte communicationnel, mais laissent une certaine « marge de manœuvre » aux locuteurs.

Exemples : journal télévisé, fait divers, guides de voyage.

- Les genres institués de mode (3) : peu routiniers, ils incitent à l’innovation.

Ce sont, par exemple, les publicités, les chansons, les émissions de télévision.

- Les genres institués de niveau (4) : ils correspondent aux genres proprement « auctoriaux », pour lesquels l’auteur se positionne à l’intérieur d’un champ discursif en (auto)catégorisant son énonciation et en définissant lui-même le statut de son œuvre. Maingueneau parle de « cadrage interprétatif ».

Il s’agit des textes « premiers » de discours philosophique, religieux, littéraire, que Maingueneau annonce vouloir réintégrer dans le champ de l’Analyse du discours.

Dans cette étude, Dominique Maingueneau souligne la diversité des genres et cherche à rendre compte de la complexité de l’entreprise de catégorisation des activités langagières.

Cette entreprise serait facilitée, nous semble-t-il, si les genres étaient rattachés à leur discours d’appartenance et n’étaient pas regroupés dans des catégories transdiscursives, aux propriétés très générales.

--Sophie Moirand : « Le Texte et ses contextes »

Sophie Moirand étudie les relations de texte à texte (liens inter-textes) et, plus largement, les rapports qu’un texte entretient avec son corpus de référence (ou constellation de séries textuelles).

Note de bas de page 16 :

 L’auteur recourt à différentes sous-catégories : dialogisme intertextuel montré, dialogisme interdiscursif masqué, dialogisme interactionnel marqué, dialogisme intertextuel plurilogal.

L’analyse que l’auteur mène sur un texte de presse quotidienne fait intervenir les catégories d’objet de discours, de dialogisme16 et de mémoire discursive (domaines de mémoire).

Note de bas de page 17 :

 Série transgénérique en quelque sorte (associant éditoriaux, commentaires, analyses, dessins de presse), établie uniquement sur un critère dialogique (énonciatif).

Sophie Moirand montre comment le texte analysé s’insère dans une série générique (les chroniques de Pierre Georges dans Le Monde) – elle-même incluse dans la série des « genres à énonciation subjectivisée »17 –, et « dialogue » avec son environnement matériel (les textes parus sur la même page – hyperstructure) mais aussi avec « une grande diversité de textes, parus avant et ailleurs » (p. 135).

Le texte convoque ainsi plusieurs séries textuelles et construit, selon les mots de l’auteur, un « corpus “en boule de neige” ».

--Antónia Coutinho : « Schématisation (discursive) et disposition (textuelle) »

Antónia Coutinho interroge l’articulation entre Texte et Discours par le biais de la notion de genre.

Note de bas de page 18 :

 Cette définition est proche de celle proposée par François Rastier (2001 : 302).

L’auteur s’appuie sur les propositions de François Rastier (1989) et de Jean-Paul Bronckart (1996) pour définir les textes comme « des productions linguistiques attestées, qui réalisent une fonction communicative et s’insèrent dans une pratique sociale »18 (p. 29).

Note de bas de page 19 :

 Notons que selon Rastier, tout texte se rattache à la langue par un discours et à un discours par la médiation d’un genre.

Elle envisage alors le genre comme une catégorie reliant un texte à un type de discours19.

Note de bas de page 20 :

 Par le biais de formules problématiques telles que :

Il ne s’agit pas, selon Antónia Coutinho, d’opposer Texte et Discours20 en cherchant à simplifier leurs relations, mais d’étudier leur interaction complexe en envisageant leur complémentarité.

Note de bas de page 21 :

 Référence à la notion de schématisation en logique naturelle.

L’auteur met alors l’accent sur la figuralité du texte : alors que le discours est « objet du dire », le texte est « objet de figure ». Dans ces conditions, c’est l’activité schématisante21 en discours qui, en fonction des contraintes dispositionnelles de genre, « façonne » le texte, le (con)figure.

Pour illustrer son propos, l’auteur procède à l’analyse comparative de deux textes de genres différents (genre prise de notes et genre article scientifique).

Note de bas de page 22 :

 Notion empruntée à la Rhétorique ancienne. La disposition renvoie à l’ordonnancement des arguments dans le discours.

Elle cherche alors à montrer l’incidence des normes du genre sur la disposition textuelle22.

--Jean-Jacques Richer : « Le Genre : une possibilité de dépassement d’une conception additive de la totalité textuelle ? »

Jean-Jacques Richer examine les principales conceptions du Texte et de la Textualité qui se sont succédé depuis les années 60.

Note de bas de page 23 :

 On retrouve ici le principe frégéen de compositionnalité (le tout est une totalisation des parties), qui ne peut s'appliquer au texte, comme le souligne notamment la sémantique textuelle.

Note de bas de page 24 :

 Les plans de texte « jouent un rôle capital dans la composition macro-textuelle du sens » ; ils « correspondent à ce que les Anciens rangeaient dans la “disposition” » (Adam 2002 : 433). « Un plan de texte peut être conventionnel (fixé par le genre de discours) ou occasionnel. (…) Du point de vue de l’interprétation, les plans conventionnels, explicitement marqués ou non, préorganisent la structuration du sens. » (ibid. : 434)

Il propose de dépasser une conception additive du texte23 – selon laquelle un texte serait le résultat d’une addition de séquences (Adam 1992) ou d’une addition de segments énonciatifs (Bronckart 1996) – et cherche à appréhender la totalité textuelle par le biais des notions de genre et de plan de texte conventionnel24.

--Lucile Cadet : « Le Journal d’apprentissage : un objet-textuel hétérogène »

Note de bas de page 25 :

 « Dans le cadre des mentions FLE, l’objectif de la rédaction d’un journal d’apprentissage est de conduire le futur enseignant vers une auto-observation et une analyse des différents paramètres qui entrent en jeu dans la classe. » (p. 177)

Lucile Cadet étudie les principes rédactionnels et les conditions de production des journaux d’apprentissage – ou « journaux de bord » – réalisés par les apprenants dans le cadre de la formation FLE25.

Note de bas de page 26 :

 Selon les positionnements du sujet-scripteur (JE) vis-à-vis du sujet apprenant (rôle du témoin ; rôle de l’analyste ; rôle du juge) ; et en fonction de l’utilisation de l’adresse directe au sujet-lecteur (VOUS) ou de l’adresse indirecte (avec distinction entre le lecteur-évaluateur et l’enseignant de langue).

Note de bas de page 27 :

 « […] les étudiants inscrits en mention FLE qui rédigent un journal d’apprentissage se trouvent tiraillés entre deux univers de référence : l’univers de “l’écriture intime”, auquel renvoie le terme “journal”, et l’univers de “l’écriture académique” auquel renvoie l’institution universitaire. » (p. 177-178)

Elle s’intéresse aux catégories structurelles (marques de structuration ou de mise en texte ; marques typographiques ; marques de connections) et aux catégories énonciatives (plusieurs niveaux d’énonciation26) utilisées par les scripteurs, face à ce « nouveau » genre universitaire27.

Note de bas de page 28 :

 L’étudiant sait qu’il remet le journal à son professeur de langue pour évaluation.

Note de bas de page 29 :

 L’étudiant s’adresse à son enseignant ; il peut alors « lui expliquer les raisons du succès ou de l’échec de son apprentissage, mais aussi se positionner comme juge et approuver ou remettre en question ses pratiques d’enseignement » (p. 181).

A l’aide d’extraits, l’auteur montre comment le journal d’apprentissage apparaît à la fois comme un objet transactionnel28 et comme un objet communicationnel29complexe entre étudiant et enseignant.

--Véronique Paturaut & Fabienne Mikolajczyk : « Les Ecrits professionnels : entre genre prescrit et genre nouveau »

Note de bas de page 30 :

 Notion due à François Flahault (1978) et que Robert Vion utilise dans l’analyse des interactions verbales.

Les auteurs abordent le genre des écrits professionnels en centrant leur attention sur les changements de place30 (construction et modification des descriptions identifiantes de l’énonciateur ; catégorisations) et sur les variations génériques internes.

Note de bas de page 31 :

 Les lettres proviennent du service du Ministère de l’équipement, des transports et du logement.

Note de bas de page 32 :

 Dans les exemples donnés, il s’agit davantage, nous semble-t-il, de variations de tonalités énonciatives.

Leur propos est illustré par l’analyse de trois lettres s’inscrivant dans une pratique fortement institutionnalisée31 (prescriptions fortes) et dans lesquelles le rédacteur se constitue des places (par exemple, agent de service, VIP, travailleur à horaire étendu) et recourt à plusieurs genres32 (genre informatif, genre déclaratif, genre pragmatique, genre autoritaire) en vue de se positionner vis-à-vis de son destinataire.

D’un point de vue théorique, les auteurs cherchent à montrer l’apport de la catégorie de place dans le champ de l’analyse des textes.

4. L’interprétation textuelle

Des spécialistes des textes philosophiques et littéraires s’intéressent aux problèmes posés par l’interprétation, et tentent de définir la textualité.

Situé sur un plan épistémologique, l’article de Jean-Claude Coquet clôture l’ouvrage.

--Frédéric Cossutta : « Catégories descriptives et catégories interprétatives en analyse dudiscours »

Dissociant l’interprétation de la compréhension, et partant d’une définition de l’interprétation selon laquelle interpréter c’est « se donner une hypothèse contraignant la lecture, et mettre cette hypothèse à l’épreuve d’une étude discursive du texte » (p. 189), Frédéric Cossutta entend réhabiliter la catégorie de l’interprétation dans le champ de l’Analyse du discours.

L’auteur critique le terreau « idéaliste, romantique et théologique » (p. 194) de l’herméneutique. Selon lui, l’herméneutique est indexée sur une conception « théologico-compréhensive », et absorbée dans une « herméneutique philosophique générale » (cf. Gadamer et Heidegger).

Note de bas de page 33 :

 On soulignera que François Rastier, auteur d’une sémantique interprétative, poursuit précisément le projet d’une herméneutique matérielle, formulé naguère par Peter Szondi : « L’expression herméneutique matérielle, reprise de Schleiermacher, désigne une forme pleine et ambitieuse de l’herméneutique critique de tradition philologique. Cette dénomination quelque peu paradoxale se justifie notamment parce que cette unification engage une réflexion sur l’unité des deux plans du langage, contenu et expression. » (Rastier 2001 : 100)

Frédéric Cossutta met l’accent sur l’herméneutique matérielle et critique (notamment l’herméneutique littéraire de Szondi)33 qu’il rapproche de l’Analyse du discours.

Elles ont en commun, selon lui, la prise en compte des conditions historico-sociales de production et d’interprétation des énoncés.

Note de bas de page 34 :

 « L’analyse du discours dans son orientation “française” a toujours privilégié la recherche d’un rapport entre les opérations discursives et les conditions sociales de leur production ou de leur réception, l’énoncé se comprenant si on peut le rapporter à la situation d’énonciation. » (p. 206)

L’auteur souligne cependant les risques d’un déficit interprétatif en Analyse du discours : pour l’Analyse du discours française34, interpréter consiste à « rapporter la surface textuelle à ses conditions discursives de production » (p. 206).

Il cherche alors, en prenant appui sur des œuvres philosophiques, à définir les conditions de possibilité d’un moment interprétatif en Analyse du discours.

--Philippe Monneret : « Paraphrase et textualité exologique : le cas des “traductions” françaises de Mallarmé »

Note de bas de page 35 :

 Merleau-Ponty M., 1965, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, p. 221.

Note de bas de page 36 :

Ibid., p. 207, n° 2.

Philippe Monneret reprend la distinction merleau-pontyenne entre parole parlante (« la parole actuelle et neuve »35) et parole parlée (celle qui « fait l’ordinaire du langage empirique »36), pour l’intégrer aux problématiques de la linguistique textuelle.

Note de bas de page 37 :

 Le propos rejoint les préoccupations des herméneutiques de la clarté.

Au couple parlant / parlé se substitue la distinction entre exologie et endologie37.

- Un texte exologique est sémantiquement innovant et engendre de ce fait « une non-compréhension temporaire » (p. 256) – « le processus de textualité exologique ne peut s’engager qu’à partir d’un effet de seuil correspondant à la limite externe du comprendre » (p. 256).

Note de bas de page 38 :

 Il serait intéressant, dans une perspective textuelle, de mener une étude sur les difficultés interprétatives selon les genres et les discours (régimes herméneutiques différents).

Les textes qui suscitent une lecture exologique sont de manière privilégiée les textes poétiques mais également, par exemple, les textes scientifiques38.

- Un texte endologique ne génère pas d’innovation sémantique, il « constitue un arrangement ou un réarrangement de significations déjà connues, et dont la totalité même n’apporte rien qui puisse être considéré comme une signification nouvelle » (p. 255). Aussi pour l’endologie, « la question de la compréhension ne se pose même pas » (p. 256).

Les textes qui suscitent une lecture endologique sont, par exemple, les textes informatifs, mais aussi les textes relevant de la paralittérature, comme les romans sentimentaux ou les policiers.

L’auteur illustre son propos par l’étude d’un texte poétique réputé « hermétique » (ou devrait-on dire exologique, voire obscur) : Le pitre châtié de Mallarmé.

Note de bas de page 39 :

 Or l’inaccessibilité à la paraphrase est définie comme l’une des propriétés du texte exologique.

Note de bas de page 40 :

 Bénichou P., 1995, Selon Mallarmé, Paris, Gallimard.

Note de bas de page 41 :

 Gauthier M., 1998, Mallarmé en clair ou l’obscurité « vaincue mot par mot », Saint-Genouph, Nizet.

Il compare les « traductions  »39 de ce texte proposées par Paul Bénichou – Selon Mallarmé40 – et par Michel Gauthier – Mallarmé en clair ou l’obscurité « vaincue mot par mot »41 –, en cherchant à montrer « l’inadaptation du concept de paraphrase à la textualité de type exologique » (p. 263).

--Francine Cicurel : « Le Lu et le lire ou l’espace de la lecture »

Francine Cicurel s’intéresse aux stratégies interprétatives à l’œuvre dans l’acte de lecture, et aux modalités d’interaction entre texte et lecteur – l’auteur parle de « tissu relationnel ».

Note de bas de page 42 :

 Somme toute assez générale.

Elle compare deux textes éloignés dans le temps : le Manuel d’Epictète (120 après  J.-C.) et un guide moderne sur les médecines douces, L’Antidéprime (1982). Ces textes partagent, selon elle, une même « visée pragmatique » apparente42, mais diffèrent quant aux « instructions de lecture » (« postures de lecture ») qu’ils adressent au lecteur-interprète.

Francine Cicurel s’interroge également sur les conditions de transmission des textes (problématique de la réception) et sur leur inscription dans une tradition (certains textes traversent plusieurs générations).

--Alain Lhomme : « Le Régime de l’hypothétique dans lePhédonde Platon »

Praticien de l’analyse des textes philosophiques, Alain Lhomme s’intéresse ici aux dispositifs d’écriture et à la manière dont ils influent sur l’acte de lecture.

Note de bas de page 43 :

 L’auteur souligne que le Phédon « apparaît comme un texte écrit entièrement à l’hypothétique » (p. 238).

L’auteur porte son attention sur le régime de l’hypothétique dans le Phédon de Platon43, et propose une analyse des « singularités » de ce texte.

Selon lui, le Phédon associe « entretien dialectique » et « dialogue », et mêle étroitement le mythique, le fictif et l’hypothétique.

L’entreprise d’Alain Lhomme combine approche stylistique et ce qu’il nomme dimension métaphilosophique. La catégorie du style y est définie comme une catégorie descriptive, nécessaire à l’interprétation des textes.

--Jacques Poirier : « Segmentation : le commentaire entre abyme et mosaïque »

Jacques Poirier attire notre attention sur le danger des « morceaux choisis », des coupes au sein du texte qui, en privant l’interprète de la globalité textuelle, influencent, voire déterminent, son parcours interprétatif.

Note de bas de page 44 :

 On reconnaît ici le principe herméneutique de détermination du local par le global.

L’auteur indique que « l’œuvre littéraire est perçue comme une sorte de puzzle ou mieux de mosaïque, à savoir que chaque pièce en soi (le petit carreau de céramique) ne signifie rien ; dans ce cas, le sens ne réside pas en quelque partie mais naît de l’arrangement de l’ensemble »44 (p. 250).

Plus largement, c’est une réflexion sur la textualité et l’intertextualité qui s’engage.

L’auteur examine les problèmes posés par la « réécriture » d’un texte, son morcellement terme à terme, sa « transformation » en résumé ou en commentaire.

--Jean-Claude Coquet : « Pour une phénoménologie du langage »

Note de bas de page 45 :

 Selon Coquet, il y a chez Husserl un principe d’immanence et un principe de réalité qui coexistent.

Jean-Claude Coquet rappelle qu’il existe différentes phénoménologies du langage (par exemple, la phénoménologie de Jakobson n’est pas celle de Pos), avant de discuter le principe d’immanence et de s’intéresser au principe de réalité45.

L’auteur met l’accent sur les expériences du corps et sur les traces que ces expériences laissent dans le langage.

Selon lui, « si l’on cherche à assurer les fondements de l’analyse du discours, et, au-delà, du langage, il faut [donc] remonter jusqu’au corps, à la part qu’il prend dans l’émergence de la signification » (p. 267).

Note de bas de page 46 :

 Précisons que pour représenter le signe linguistique, Saussure adopte le pointillé, qui décloisonne justement le sensible et l’intelligible :
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(Saussure, 2002, Ecrits de linguistique générale, II. Item et aphorismes – II. Anciens Item (Edition Engler, 1968-1974), Note item 3310.5, p. 103).

Plus largement, c’est la division du sensible et de l’intelligible46, fondement de l’idéalisme occidental, que l’auteur questionne.

Conclusion

L’ouvrage rassemble des études ayant pris le texte pour objet (objet théorique et objet d’analyse). Mais la distinction entre « discours » et « texte » n’apparaît pas clairement ; et le lecteur peut se perdre dans les catégories et sous-catégories proposées par les différents auteurs. Un propos plus général faisant le point sur les avancées de l’analyse du discours et de la linguistique textuelle aurait eu le mérite de préciser les définitions des notions de « texte » et de « discours ».

Note de bas de page 47 :

 Cf. Adam (dans l’Introduction, p. 8) : « L’objet que nous avons en commun peut être défini comme “texte” et plutôt texte écrit qu’oral. »

On regrettera également que le travail sur les textes oraux n’ait pas été abordé47 ; une place aurait pu être accordée aux analyses conversationnelles, et plus largement à la pragmatique du discours.

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