Christina Vogel (éd.), Valéry et Léonard : le drame d’une rencontre. Genèse de l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, Frankfurt, Peter Lang, 2007, 325 pages
Julie LeBlanc
Université de Toronto
Index
Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques
Mots-clés : critique, génétique de l’œuvre
Auteurs cités : Paul VALÉRY
- Note de bas de page 1 :
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Jacques Neefs, "L'Enonciation graphique," Enonciation et parti pris. Acte du colloque de l'Université d'Anvers. Amsterdam, Rodopi, 1992, p. 283.
- Note de bas de page 2 :
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Almuth Grésillon, Eléments de critique génétique. Lire les manuscrits littéraires. Paris: PUF, 1994, p. 147.
- Note de bas de page 3 :
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Ibid., p. 147.
Cet ouvrage est le fruit d’une collaboration avec des chercheurs de l’Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) et des spécialistes de Léonard de Vinci (Biblioteca Leonardiana). La transcription des avant-textes inédits de l’ouvrage « Introduction à la méthode de Léonard de Vinci » publié dans la Nouvelle Revue en 1895 par Paul Valéry est un travail d’envergure qui a été complexifié par le travail inchoatif des premières esquisses, la réalité matérielle des feuillets, la nature des ratures, des ajouts et des dessins. La transcription des manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale de France et l’étude des plans de travail, des notes de régie, des différents états manuscrits et des esquisses de l’incipit nous font entrer dans l’espace avant-textuel de ce premier grand texte en prose de Valéry comme jamais on ne l’avait fait jusqu’ici. Les articles réunis dans l’ouvrage de Christina Vogel ne peuvent pas laisser indifférente la curiosité intellectuelle de chercheurs, généticiens, historiens de l’art, voire de tous ceux qui cherchent à découvrir d’autres horizons susceptibles d’apporter de précieuses informations sur Valéry et sa passion pour la figure de Léonard de Vinci, cette « créature de pensée » qui ne finit pas de « hanter » la pensée et l’œuvre valéryennes. Cet ouvrage met très nettement en évidence les choix et les hésitations de l’écrivain face au texte en formation (corrections, transformations, commentaires marginaux), ainsi que les réflexions sur l’œuvre en cours (effets souhaités, mécanismes de réception visés, supports stylistiques et formels employés). Comme le montrent les nombreux collaborateurs qui se sont penchés de façon méticuleuse sur les données micro-génétique et macro-génétique de l’Introduction – la complexité du processus d’invention et d’élaboration de ce texte, les nombreuses réécritures de l’incipit, la nature intertextuelle et intratextuelle de l’écriture valéryenne, la dimension herméneutique de son œuvre –, sur les pages des manuscrits coexistent des « positions énonciatives » prises dans le « mouvement de l'écriture », dans la « pulsion graphique »1, dans l'inventivité de la matière textuelle. Les avant-textes de l’Introduction sont particulièrement riches sur les plans génétique et énonciatif. Les collaborateurs de cet ouvrage n’ont pas manqué de mettre en évidence que les documents qui constituent le dossier génétique d'une œuvre permettent de prendre en charge le processus dynamique qui sous-tend l'acte d'écriture comme « avènement » et « événement »2, mais encore ils ont montré que cette gamme de documents est une « terre d'élection pour les amoureux de la langue en acte »3. Ce regard curieux et studieux porté sur les manuscrits de l’Introduction ouvre un champ nouveau aux recherches effectuées par les membres de l’équipe « Valéry » de l’ITEM entre 2004-2006 et les spécialistes de Léonard de Vinci. Toutes les contributions ont pour ambition de préciser les fondations textuelles et intellectuelles de l’essai de Valéry en examinant de près les documents de genèse, ces espaces d’inscriptions graphiques qui retracent, du moins en partie, les processus d’écriture et de réécriture qui ont participé à la genèse de l’Introduction.
Soucieuse de donner un aperçu complet de l’importance de la figure de Leonardo de Vinci à l’œuvre de Valéry, Christina Vogel a aussi sollicité pour son ouvrage des articles voués à l’étude des contextes (socio-historique, culturel, littéraire) dans lesquels fut conçue l’Introduction. Outre huit articles consacrés aux théories et pratiques de l’analyse du manuscrit, à la genèse de l’incipit, les autres articles recueillis dans Valéry et Léonard, se penchent sur les modèles et masques de Valéry et sur la période qui précéda, et succéda à la publication de l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci. Outre une excellente introduction au collectif et aux manuscrits de l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci rédigée par Christina Vogel, les seize études ici réunies sont partagées entre quatre grands champs d’investigation : « Théorie et pratique de l’analyse du manuscrits ; Genèse de l’incipit ; Modèles et masques de Valéry et Léonard : avant, autour et après 1895 ». Afin de permettre aux lecteurs de visualiser la dimension matérielle des manuscrits de l’Introduction, Vogel a reproduit en annexe un certain nombre de feuillets, notamment la série des brouillons (ff. 1-17), des ébauches de l’incipit et des fragments inédits de l’Introduction. Les dernières quarante-cinq pages de l’ouvrage sont consacrées à une transcription des feuillets manuscrits ff.1-44 et 87-90. Le protocole de rédaction respecte en gros celui de l’édition intégrale des Cahiers 1894-1914 de Paul Valéry. Cette dernière partie est non seulement essentielle sur le plan critique et méthodologique, mais, comme le note si pertinemment Christina Vogel, la reproduction des premiers avant-textes de l’Introduction permet de visualiser la présence simultanée du texte et de l’image, voire de saisir l’importance des croquis et des dessins pour la genèse et la métamorphose du texte de Valéry. Dans cette transcription et reproduction de documents manuscrits, le lecteur fera non seulement la découverte de l’atelier (linguistique et pictural) de l’écrivain, mais il y trouvera également un magnifique champ d’investigation génétique.
En bref, la perspective interdisciplinaire adoptée face à l’Introduction provient de la collaboration de nombreux spécialistes (seize) de l’œuvre de Valéry, qui se concentrent soit sur les avant-textes et sur l’élaboration de l’incipit de l’Introduction en examinant minutieusement les premiers feuillets manuscrits, soit sur les rapports de l’Introduction à d’autres textes de Valéry (Pré-cahier, Journal de bord, l’Essai sur le mortel) et sur le contexte historique et l’appareil critique de l’œuvre valéryenne. Deux perspectives distinctes sont donc adoptées face à la genèse de l’Introduction : une approche micro-génétique focalisée sur la série de ratures, d’ajouts et de substitutions qui parsèment les avant-textes et l’incipit et une approche macro-génétique qui cherche à aller au-delà des manuscrits proprement dits afin d’établir des rapports observables entre les divers textes de Valéry qui se regroupent sous le signe de Léonard.
- Note de bas de page 4 :
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Ibid., p. 147.
Par la richesse des documents et des analyses qu’il propose, Valéry et Léonard : le drame d’une rencontre permet au lecteur de s’interroger sur les mécanismes d’écriture qui sont au cœur de la genèse de ce premier texte en prose de Valery. Comme le montrent si bien les nombreuses études ici rassemblées, l'accès au parcours génétique d'une œuvre permet de prendre en charge le processus dynamique qui sous-tend l’acte d'écriture comme avènement et événement ; de surcroît, la gamme des documents qui constituent le dossier génétique de l’Introduction de Valéry est aussi une remarquable « terre d'élection pour les amoureux de la langue en acte »4. Par ailleurs, en tenant compte de la nature intertextuelle du projet valéryen, de la métamorphose de la figure de Léonard au sein de l’œuvre de Paul Valéry et des contextes littéraires, philosophiques et scientifiques concurrents, Valéry et Léonard permet de reconstituer une vision globale de l’Introduction. A travers le croisement des différentes recherches dont témoignent les seize études ici réunies, de leurs problématiques propres ou communes, de la nature interdisciplinaire des perspectives adoptées se dégage une évolution qui confirme la place de choix qui doit être réservée à cet ouvrage au sein de la critique génétique et de la critique valéryenne.