Eero Tarasti (sous la direction de ), Approaches to musical semiotics 10, « Music and the Arts », 2 tomes, 912 pages, Helsinki, 2006

William Fiers

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Auteurs cités : Eero TARASTI

Texte intégral

Il s’agit des Actes du 7ème Congrès International de Signification Musicale (ICMS 7), Acta Semiotica Fennica XIII, organisé du 10 au 15 juin 2001 à l’Institut international de Sémiotique à Imatra en Finlande ; ils comprennent deux tomes et 80 articles en anglais, français et allemand et ont été dirigés par Eero Tarasti de la Semiotic Society of Finland.

Les textes de « Music and the Arts » s’inscrivent dans la continuité d’un projet ayant pour but de traiter le domaine de la musique comme un domaine d’expression et de signification à part entière dont les formes s’analysent en termes sémiotiques. Les fondateurs du projet, sous l’égide de Tarasti, ont compris dès le début qu’il était indispensable de disposer d’un outil d’analyse universel, d’une terminologie standard à laquelle pourraient se référer les chercheurs concernés. Il était donc nécessaire de, non seulement définir les concepts de base de la signification musicale, mais également de dégager un métalangage conforme aux expressions musicales mêmes. Après avoir « musicalisé » des concepts sémiotiques issus d’univers différents (littérature, peinture) comme icône, index, isotopie, sème, signifié, modalité, et « sémiotisé » des concepts utilisés en musicologie comme style, forme, stratégie, tension, temporalité, instrumentation, rythme, notation − termes ayant également une forte connotation sémiotique – Tarasti se pose la question de savoir si le projet a atteint ses buts. « Pas encore », lui incombe-t-il de constater, en avouant que les participants sont revenus aux méthodologies et aux théories préétablies ou ont dévié vers de nouveaux champs de recherche, qui privilégient l’application empirique scientifique (notamment des sciences cognitives).

Ce bilan intermédiaire a deux conséquences : 1) une réévaluation du rôle spécifique de la sémiotique par rapport au domaine de la musique ; 2) une volonté affichée d’éviter l’emprise d’une seule école sémiotique (peircienne, greimassienne, jakobsonienne, école de Tartu), qui plus est, de remplacer désormais le terme « sémiotique », sans doute trop idéologiquement chargé, par celui de « signification », censé être plus neutre. Ce qui n’empêche pas, toutefois, qu’un grand nombre de participants s’inspire explicitement ou implicitement de Peirce… Quoi qu’il en soit, on peut se demander s’il est suffisant de remplacer un terme spécifique représentant un champ de recherche établi, connu et reconnu (n’en déplaise aux nombreux détracteurs) par un terme dont la généralité est telle que les approches qu’elle autorise, risquent de noyer l’objet d’étude dans une méthodologie hétéroclite et contradictoire, voire de l’absorber dans un champ de recherche scientifique dont la première préoccupation n’est pas tant la signification, mais les processus sous-jacents qui la produisent (l’approche cognitiviste) pour maintenir à flot un projet somme toute intéressant et très utile pour la réflexion sémiotique en général.

En évacuant le terme « sémiotique » du titre de son projet, Tarasti n’abandonne pas pour autant son désir d’établir un véritable métalangage sémiotique. Car il nous semble évident que le choix de confronter l’expression musicale avec l’expression artistique au sens large (verbale et visuelle/picturale) à travers la problématique des correspondances, de l’intersémioticité, de la synesthésie, de l’isomorphisme, des analogies etc., n’est ni plus ni moins qu’une tentative déguisée d’amener le débat à nouveau sur le métalangage musical, en le resituant dans le paradigme de la « Néosémiotique » post-structurale, post-idéologique, rhizomique et volontairement éclectique. Mais il ne s’est pas facilité la tâche, car comment accorder des approches aussi diverses que contradictoires comme la sémiotique, la musicologie, les sciences cognitives, le pragmatisme, l’iconologie de Panofsky, la philosophie, la narratologie de Bakhtine, l’anthropologie de Propp, l’esthétique, l’herméneutique descriptive et contextuelle ?… De fait, les articles sont divisés suivant sept sections thématiques transversales qui privilégient plutôt l’unité des objets d’étude que la concordance méthodologique.

Dans la section théorie, les intervenants discutent le statut ontologique de la musique en tant qu’expérience sensorielle et sa possibilité à engendrer des formes de signification. A cet effet, sont notamment interrogés le rôle de l’interprétation, du contexte auditif et socioculturel et les diverses stratégies énonciatives musicales. Dans son article introductif, Tarasti cherche à donner le ton sémio-philosophique du congrès. En proposant, dans le cadre d’une « sémiotique existentielle », d’ancrer la musique comme phénoménalité dans le corps-sentant et ses instances intersubjectives modalisantes (Moi-Soi) telles que J. Fontanille les a formulées naguère ; il redéploie les concepts ontologiques de Hegel et de Von Uexküll (Ich-Ton, Dich-Ton) dans une approche à vocation englobante, de façon à redonner à la sémiotique musicale une nouvelle base pour la constitution d’un métalangage enraciné dans l’environnement sonore du sujet percevant. Sont examinées par la suite des questions de portée générale quant à la relation plus ou moins tendue que l’expression musicale entretient avec la signification et les théories de la signification : la musique relève-t-elle de prime abord d’un système sémiotique, donc de valeurs (R. Monelle) ? S’articule-t-elle comme une langue naturelle (M. Grabόcz ; R. Monelle ; M. Ritzarev ; R.S. Hatten & Ch. Pearson analysant l’« aspectualisation temporelle »)  ou peut-on y voir des ressemblances avec la langue picturale (Ch. Esclapez : la touche picturale vs la touche musicale) ? Dans ce cas, quelle est la nature – a priori ou a posteriori – des stratégies énonciatives déployées (Ch. Hauer pour qui l’intention énonciative se manifeste à travers le devenir énoncif de l’œuvre ; P.C. Chagas) et quel rôle joue l’interprétant-auditeur (M. Reybrouck et « l’audition enactée », soit « la cognition auditive à l’aide de schèmes corporels, images auditives, stratégies d’interprétation » ; L. Rowell et « la reconnaissance thématique »). Mais encore, doit-on envisager la signification musicale dans le cadre d’un processus émergentiel non-intentionnel (J. Torvinen et « l’expérience musicale pré-sémiotique ») ou au contraire, l’émergence est-elle liée à l’articulation artistique interprétative (L. Väkevä interprétant les thèses pragmatiques réalistes de John Dewey) ? Peut-on considérer la signification musicale en termes de processus évolutif de dérivation, d’articulation de variances et d’invariances (A. Lai) ? Et quel est le statut de l’expérience musicale au sein de la théorie des signes de Peirce ? S’agit-il d’un « Secondness » (P. Määttänen), d’un « dicent-signe » (J. Ojala) ? …

On le voit bien : autant de questions, autant de réponses qui s’excluent, se contredisent ou, au mieux, s’ignorent, ne serait-ce que parce que l’on ne saurait s’entendre sur le sens de la notion générale d’« expérience musicale », qui évoque autant de définitions qu’il y a d’écoles philosophiques et sémiotiques, de théories musicologiques et de sensibilités esthétiques. C’est pourquoi l’article de S. Balderrabano mérite toute notre attention. On assiste à une analyse pertinente et exhaustive de la façon dont un énoncé musical se sémiotise in situ, à savoir met en place une syntaxe figurative dont le contenu sensori-moteur temporel émerge des couches consécutives que forment les tonalités harmoniques, sans qu’il soit nécessaire de définir a priori l’expérience musicale, celle-ci étant constituée a posteriori, dans et avec le devenir des formes musicales. L’expérience musicale n’est pas quelque chose qui se définit, mais qui avant tout se vit pour devenir ensuite significatif.

Dans la deuxième section, les relations interdisciplinaires des arts, sont évoquées les analogies, les correspondances, les relations intersémiotiques, syncrétiques et synesthésiques existant entre la musique, la peinture et la littérature. La façon dont les formes picturales, les mouvements chromatiques et morphologiques sont traduits ou transposés en expressions musicales (la problématique de l’ekphrasis musical) est au cœur de l’interrogation. En analysant la mise en musique des images de la « danse des morts » (S. Bruhn ; L. Le Diagon-Jacquin) et des peintures et poèmes de H. Kaii interprétés par Wang Lisan (E. Chew), l’œuvre de Čiurlionis (D. Kučinskas ; R. Kasponis), ‘Peintures à une exhibition’ de Moussorgski (T. Malecka), musique et danse chez les Kathak (J. L. Martinez), Fantasia de Disney (J. Noyer) entre autres, les intervenants cherchent à comprendre les procédés profonds établissant des relations entre les divers arts : isomorphisme sensori-moteur, parallélisme structural entre espace sonore et espace visuel (B. Föllmi), analogies sensorielles classificatoires (Eila Tarasti),  analogies archétypiques sensori-motrices (M. Henninger-Vial), iconicité (J. K. Weckman), patterns structuraux analogiques au niveau de l’expression, procédé de co-localisation sémiosphérique (R. Kolb Neuhaus),  intersémioticité comme stratégie énonciative (P. Giraud par rapport à la musique « programmatique »), patterns parallèles cognitifs de recyclage culturel (J. Scott Goble). Des concepts qui sont proposés comme des solutions plus ou moins équivalentes à la problématique de l’ekphrasis. Soulignons ici la séduisante étude de J. Shpinitskaya sur l’art ornemental des Sami (tribu de lapons de Finlande du Nord) comme source d’inspiration de la notation musicale du compositeur Erik Bergman. Les correspondances entre expression musicale et notation visuelle s’établissent, au niveau de la forme de l’expression, à travers des diagrammes ornementaux, qui « matérialisent » le timbre (la couleur vocale) et engendrent une image sonore mentale sur la base d’un isomorphisme « visuo-auditivo-moteur ».

Dans la troisième rubrique, Esthétique, sont regroupées quelques contributions consacrées à la façon dont l’énoncé musical prend forme et est rendu cohérent autour d’une topique musicale historiquement constituée (J.-F. Kremer), du concept de vérité (M. Jabloński), de la dimension psychologique dans un contexte social spécifique (F. Festič), d’une isotopie élémentaire (F. Spampinato  et le « géotropisme » des musiques aquatiques), ou autour de l’idée prototypique qu’on se fait de la musique déterminant la catégorisation des phénomènes sonores (D. Martinelli).

La quatrième section, Langage, est entièrement dédiée à la conception de l’expérience musicale en termes d’expérience narrative s’inscrivant dans une approche globale linguistique, psycho-physiologique, dialogique et rhétorique, s’apparentant à la phonologie et à la phraséologie. Ainsi la musique et le langage auraient-ils la même source d’énergie « émotivique » sous-jacente à leurs expériences (G. Stefani & S. Guerra Lisi traitant de la musique baroque), la même stratégie dialogique énonciative (R.S. Cassotti selon qui, la musique, à l’exemple du langage, peut être analysée comme une sémiotique dialogique à trois pôles avec une instance de production, de réception et l’expression musicale ; M.D. Chávez García). La musique évolue historiquement comme le langage, soumise comme lui au processus de palimpseste (variance/invariance chez J. Cohen, par rapport au genre du « Bergamasque »). Elle s’apparente à la phonologie et à la phraséologie en ce qu’elle est régie par les mêmes contraintes psychologiques structurelles, les mêmes processus cognitifs (D. Gilbers & M. Schreuder). Les figures rhétoriques peuvent être appliquées aux textes littéraires comme à la musique et relèvent dans les deux cas d’un même type de stratégie énonciative (B. Mauduit analysant la figure de l’hypotypose).

Dans la cinquième section, le style classique et le romantisme sont mis en vis-à-vis. Après une discussion de la manifestation du topos typiquement romantique de l’ironie (Tarasti) et la façon dont la musique romantique est figurativisée par les manifestations de la nature pour exprimer ses sentiments et son imaginaire (le rapport entre présence sensorielle et expérience spirituo-intellectuelle à travers la saisie du rythme de la variation chez Cl. Colombati), suivent des analyses des œuvres de Beethoven (R. S. Hatten ; Z. Domokos) qui démontrent que les catégories (topoï) a priori de l’ère classique ne peuvent plus être appliquées aux compositions romantiques où les thèmes émergent à travers un devenir naturel transformant les genres préétablis au gré de leur insertion dans une structure musicale moins rigide. L’œuvre romantique se constitue plutôt à partir d’un Programme Narratif infléchissant les formes des genres (M. Schneider par rapport à R. Strauss). C’est ainsi que la poésie pianistique et symphonique, comme nouvelles formes d’expression musicale asémantiques se libèrent des contraintes classiques tout en respectant une structure générale profonde (K. Morski) et que peuvent émerger de nouvelles thématiques (ex. « la présentification de l’absence » chez S. Välimäki). En effet, Tarasti montre que dans l’expression musicale romantique (chanson lyrique de Brahms), l’on doit prendre en considération l’existence d’une seule stratégie énonciative, syncrétique et tensive, mise en place par un seul énonciateur énoncé (« le narrateur interne »), articulant autour d’une isotopie de base et les oppositions sémantiques profondes qu’elle engendre, la substance de l’expression vocale (la phonétique des paroles chantées), et les paradigmes musicaux proprement dits.

L’interrogation dans la sixième section porte sur l’interprétation de la musique du 20ème siècle. R. Chlopicka souligne l’importance de références extra-musicales pour investir et comprendre l’œuvre contemporaine. E. Dubinets aborde les nouvelles formes de notation musicale « polysémantique » (graphiques picturaux sensori-moteurs) afin de réaliser des expressions musicales innovatrices. Y. U. Everett propose une analyse d’inspiration peircienne de la musique d’après-guerre et des stratégies énonciatives de recontextualisation et d’hybridation créant une tension entre structures de communication et structures de signification. R Feller discute les correspondances iconiques entre les écrits de Gertrude Stein et les techniques compositionnelles de Brian Ferneyhough visant à établir une interprétation sensorielle de l’auditif et du visuel. R. Honti analyse les harmonies et les substitutions tonales chez Bartόk ; V. Kravchenko met au clair la stratégie énonciative sous-jacente à « Mystery » de Scriabine : un programme théorique symbolique basé sur une idée synesthésique, holistique et mystico-magique (théurgique) du monde. L’approche de G. Mathon s’inscrit dans la problématique de l’ekphrasis, la façon dont la musique vocale contemporaine détourne la version originale à ses propres fins, une stratégie répercutant sur la cohérence, la cohésion et la congruence de l’œuvre. Ces trois notions reviennent également dans l’article de E. Rothstein qui analyse l’œuvre de Yves, Schoenberg et Schenker. Chacune des notions s’engendre autour du concept de « Grundgestalt » (Gestalt de base isotopique) de Schoenberg, de « montage organique » ou de rhizome (Deleuze) comme procédés énonciatifs a posteriori, non-linéaires.

Dans la 7ème et dernière section sont rassemblées les contributions s’intéressant à l’opéra et au théâtre. E. Pekkilä utilise le concept de « framing » de Goffman (l’intégration intertextuelle synchronisée d’éléments narratifs issus de domaines différents) comme procédure métacommunicative d’interprétation de la version musicale cinématographique de la « kalevala » (récit folklorique épique finlandais) ; S.G. Aktories et R. Lόpez Cano analysent une chanson populaire espagnole (un « canario ») dans le cadre de la problématique de l’intersémioticité entre texte en musique. Les convergences intersémiotiques se répercutent sur la cohésion (le récit), la cohérence (les couches musicales) et la congruence (l’énonciation en tant que telle) de la chanson. L’approche anthropologico-musicale de J. Ferrando met au jour la rhétorique politique du motet isorythmique argumentatif au temps des papes à Avignon, en soulignant le procédé de référenciation du contexte sociopolitique de l’époque. U. Golomb s’intéresse au rôle du chef d’orchestre dans l’interprétation de l’œuvre, c’est-à-dire l’articulation musicale en phrases et figures selon certaines théories de signification qu’appliquent des chefs d’orchestre comme Harnoncourt et Herreweghe lors de l’exécution de l’œuvre. L. de Stasio voit la musique de l’opéra, « Gianni Schicchi » de Puccini, comme un métalangage énonciatif évaluant et jugeant le déroulement discursif du libretto pour mettre en avant les effets d’aliénation ressentis par les acteurs au niveau énoncif. La musique assure les diverses transformations et connexions discursives (débrayages, embrayages). E.M. Jensen reconnaît à la musique la capacité à exprimer des catégories métaphysiques (Bien vs Mal figurativisés par Christ vs Antéchrist) dans l’œuvre de Rued Lunggaard. H. de Araujo Duarte Valente décrit la stratégie énonciative du métissage musical par rapport au tango « nomadique » comme un processus temporel mnémotechnique de mouvance et de survivance (l’invariance à travers la variance). T. Markovic analyse l’opéra serbe comme une sémiosphère située dans un contexte culturel spécifique. Th. Poirot étudie l’influence de la « phonosymbolique » (la substance de l’expression conçue comme sémiotique à part entière), véhiculée par la prosodie (la rime), les éléments extra-linguistiques et para-linguistiques sur le discours musical, sur la création (poïesis) et la perception (aisthésis) dans le « Ring » de Wagner. E. Zack propose une analyse discursive de  « Salome » de R. Strauss en déployant un point de vue féministe sur la figuration de « L’Autre Féminin ». L. Hautsalo cherche à comprendre comment le compositeur finlandais Kaija Saariaho réussit à mettre en musique des sentiments de désir, de profondeur, d’amour par l’intermédiaire de timbres et de couleurs tonales atmosphériques. S. Litti explique comment, à partir d’un manuscrit « hypertextuel » (texte, musique, dessins), les structures musicales d’un lai (chanson de cour) véhiculent des contenus narratifs.  C. Fernandez Amat montre la façon dont l’auditeur s’inscrit dans le monde musical de « L’amour des trois oranges » de Prokofiev en tant qu’interprétant/co-énonciateur à travers une attitude dynamique. Ainsi sont engendrées des valeurs affectives dont le soubassement sensoriel (les valences) est formé par les mouvements mélodique et rythmique débrayant sur des isotopies différentes. S’inspirant de Lotman et Peirce, I. Perkovic considère que la musique religieuse orthodoxe est une partie intégrale du système théologique et qu’elle est constituée de divers programmes narratifs musicaux, compris, selon la théorie peircienne, comme des « signes multifonctionnels » (à la fois iconique, indexical ou symbolique). C. Bosi soutient que l’application d’une théorie a priori à une composition (ici, la composition polyphonique du 15ème s.) s’avère être une affaire problématique, notamment par rapport aux contraintes qu’impose un « mode » prédéfini (type mélodique basé sur un certain caractère sensoriel). Chez I. Nadal García, finalement, on voit une approche d’inspiration greimassienne de « Gianni Schicchi » de Puccini où la signification s’obtient par l’intermédiaire d’oppositions (des motifs musicaux sémantisés) organisées en carré sémiotique.

Pour conclure, on pourrait se poser la question suivante : vu le grand nombre d’approches différentes, rassemblées dans les deux tomes de ces actes, dans quel épistèmê peut-on situer le projet de Tarasti pour le sauver de l’éclectisme le plus total ? Il nous semble qu’un début de réponse à cette question nous est donné par Tarasti lui-même dans son article introductif et que divers intervenants, implicitement, explicitement et même intuitivement nous ont donné des indices pour élaborer un métalangage rudimentaire d’une sémiotique musicale adéquate. En effet, en mettant le corps sentant au centre de la réflexion, la sémiotique comme méthodologie et science de la signification s’ouvre à une approche qui prend en considération l’effet de la présence corporelle sur l’émergence du sens. A partir de l’intervention d’un corps sentant, l’expérience sensorielle musicale se mue en une forme de signification. Ceci implique que la sensation peut être le lieu-même d’une constitution de sens autonome ayant son propre métalangage. Ce dernier est donc le résultat d’une rencontre d’un corps avec des morphologies et des figures musicales mises en place selon une stratégie énonciative qui se dévoile à son tour à travers le devenir musical. Les correspondances, les analogies, le syncrétisme et les relations intersémiotiques dont parlent les Actes peuvent désormais être compris selon les logiques de la sensation corporelle.