Sémiotique de l’architecture
Contribution à une étude du projet architectural
Albert Levy
Laboratoire Théorie des Mutations Urbaines UMR/CNRS 7136
Institut Français d’Urbanisme, Université Paris VIII
Index
Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques
Mots-clés : architecture, complexité, conception, isotopie, projet
Auteurs cités : Leon Battista ALBERTI, Jean-François Augoyard, Roland BARTHES, Émile BENVENISTE, Grégoire Chelkoff, Françoise Choay, Joseph COURTÉS, Jean Nicolas Louis Durand, Algirdas J. GREIMAS, Louis HJELMSLEV, Eric Lengerau, Albert Levy, Pierre Pellegrino, Alain Renier, Ferdinand de SAUSSURE, Virgilio Spigai, Ferdinand de Vitruve
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Deux textes ont joué un rôle fondateur : R. Barthes, Eléments de sémiologie, Communications, 4, Seuil, 1964 ; et A. J. Greimas, Sémantique structurale, Larousse, 1966.
La sémiotique de l’architecture s’est développée dès la fin des années 60 avec l’essor de la théorie sémiotique générale1. Ses apports ont été nombreux et divers, dans des multiples directions et des applications variées. L’objectif ici n’est pas de retracer l’histoire de cette rencontre, mais de présenter, à partir de mon expérience personnelle, une contribution de cette discipline à l’étude du projet architectural, en rappelant certains points de la recherche d’Alain Renier dans ce domaine -dont il fut, on le sait, un des plus ardents défenseurs- en me situant également par rapport à son travail.
1) Contribution à une théorie de la conception architecturale : la dichotomie conception/projet.
La première contribution concerne l’étude de la conception architecturale : elle est de nature méthodologique. Prendre le projet comme objet d’étude du point de vue sémiotique c’est expliciter sa conception, théoriser son mode de production du point de vue du sens, pour faire de chaque projet un cas particulier –une occurrence singulière– produit d’un modèle général, qui reste à construire. On pourrait dire, mutatis mutandis, en prenant l’exemple de la linguistique, que la conception est au projet ce que la langue est à la parole (F. de Saussure). La dichotomie conception / projet reprend donc les couples classiques de la théorie du langage, langue / discours, énonciation / énoncé (Benveniste), compétence / performance (Greimas), schéma / usage (Hjelmslev)…, pour bien signifier que seule la conception, à travers le projet, peut être l’objet d’une investigation scientifique.
Une telle approche, qui se situe dans une perspective structurale, ne doit cependant pas réduire la conception à une vision strictement paradigmatique en limitant la théorie à un pur système, mais doit inclure également le procès (l’axe syntagmatique). S’interroger alors sur la conception comme procès de synthèse qui produit le projet, c’est répondre à une double question : synthèse de quoi, synthèse comment ? Résoudre ces questions c’est construire le modèle de conception et les chercheurs vont diverger sur les réponses à y apporter. Mon approche de la conception, tout en présentant des convergences avec celle de Renier, va diverger avec les siennes sur certains points que nous allons examiner.
2) Contribution à une théorie de la spatialité architecturale : une définition de la complexité spatiale
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E. Lengerau écrit à propos de la recherche en architecture : « Mais il faut surtout l’analyser pour comprendre que la majorité de ces connaissances élaborées, tout en appartenant aux sciences de l’homme et de la société, ne parvient pas toujours – parfois même pas du tout – à appréhender la question centrale qui est la question spatiale », Avant-Propos, L’espace anthropologique, Les Cahiers de la recherche architecturale et urbaine, 20/21, mars 2007, Paris, Monum, Editions du Patrimoine.
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« Le terme d’architecture repose prioritairement sur l’objet construit…défini essentiellement par sa matière, sa forme, et (parfois) ses couleurs. La dominante visuo-tactile (plasticité de l’objet) est d’emblée posée comme première ». C’est à cette définition rudimentaire de l’espace que l’auteur oppose celle d’ambiance « L’idée d’ambiance marque un tournant par rapport à la notion d’espace… l’ambiance est en mesure de remplacer l’espace au plan opératoire… », G. Chelkoff, « Percevoir et concevoir l’architecture », dans Ambiances en débats, Collectif, A la Croisée, 2004. Voir également la définition par J.F. Augoyard, « Ambiance », Les Cahiers de la recherche, ibidem.
La deuxième contribution de la sémiotique est un apport à la théorie de la spatialité. On sait que cette théorie fait cruellement défaut aussi bien chez les géographes que chez les architectes même2, sans parler des spécialistes en sciences sociales qui travaillent sur les rapports entre espaces et sociétés (sociologie urbaine), ou sur la nouvelle notion d’ambiance par exemple (souvent opposée à espace3).
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F. Choay, La règle et le modèle, Paris, Seuil, 1980
D’une part, l’objet-espace peut être défini de plusieurs points de vue (géométrique, psycho-physiologique, socio-culturel…), d’autre part, il importe de reprendre la réflexion sur la complexité de l’espace architectural dans l’histoire de l’architecture, initiée par Vitruve (soliditas, utilitas, venustas) et développée par Alberti (necessitas, commoditas, voluptas), en nous resituant ainsi dans la tradition des traités d’architecture4. Mon approche d’une modélisation de la conception architecturale est basée sur deux hypothèses, en rapport avec une définition de la spatialité architecturale.
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C’est bien ce que la théorie sémiotique à également postulée : « La théorie sémiotique doit être plus qu’une théorie de l’énoncé -comme c’est le cas de la grammaire générative- et plus qu’une sémiotique de l’énonciation, elle doit concilier, ce qui paraît à première vue inconciliable, en les intégrant dans une théorie sémiotique générale » A. J. Greimas, J. Courtés, Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage, tome 1, Paris, Hachette, 1979, p. 346.
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Une théorie de la conception architecturale ne peut faire l’économie d’une définition théorique de l’objet à concevoir, l’espace architectural. Défendre la spécificité de la conception architecturale c’est s’interroger sur l’objet à concevoir, sa nature, sa structure, en en donnant une définition théorique5.
Une théorie de la conception architecturale doit être aussi une théorie de l’objet architectural à concevoir, l’espace architectural, à réunir ensemble dans un modèle général. -
L’espace architectural, posé comme structure signifiante, est donc envisagé du point de vue du sens. Cette hypothèse de l’architecture comme langage implique deux postulats : (i) l’espace n’a pas besoin d’être parlé pour signifier, il signifie directement ; (ii) l’espace signifie autre chose que lui-même, autre chose que sa matérialité physique. L’activité de l’architecte est ainsi saisie comme une activité sémiotique, productrice de significations, mais prise dans un sens large, incluant les pratiques signifiantes.
L’espace architectural, espace complexe, est défini comme une structure polysémique et polymorphique constituée de plusieurs registres de sens corrélés à divers registres d’espace.
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A. J. Greimas, J. Courtés, Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage, tome 2, Paris, Hachette, 1986, p.31.
C’est bien ce qu’A. Renier avait également postulé quand il écrivait : « une ‘sémiotique de l’espace’ ne prend son sens qu’en indiquant sur quel espace elle opère»6, c’est-à-dire en précisant sur quel registre d’espace elle porte. J’ai dégagé cinq registres d’espace corrélés à des niveaux de sens distincts, possédant, chacun, leurs propres opérateurs de conception : ils recoupent en partie les registres avancés par A. Renier et croisent également la triade d’Alberti.
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Je mets ici de coté, bien entendu, l’architecture rurale.
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L’espace urbain peut également, à son tour, se décliner en différents registres de forme et de sens : Albert Levy, « Formes urbaines et significations : revisiter la morphologie urbaine », Espaces et Sociétés, 122, 2005, p 25-48.
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A. Levy, V. Spigai (éds), Le plan et l’architecture de la ville, Il piano e l’architettura della città, Venezia, Cluva, 1989, les auteurs y définissent une méthodologie de projet urbain alternatif à la table rase, prenant en compte l’histoire et le sens du lieu dans la conception.
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A. Renier, « Espace, représentation et sémiotique de l’architecture », in Espace et représentation, Penser l’espace, Paris, Ed. de la Villette, 1982, p. 21.
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In A. J. Greimas, J. Courtés, Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage, tome 2, Paris, Hachette, 1986, p.16.
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A. Renier, « L’espace architectural et ses configurations de lieux », Bulletin AFS, 3, Juin 2003, p. 45-49. Cette terminologie conceptuelle se retrouve dans son enseignement, chez ses doctorants à Tunis (A. A. Ennabli, F. Mezghani, Bulletin AFS, ibidem.)
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Dans A. J. Greimas, J. Courtés, Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage, tome 2, Paris, Hachette, 1986, p. 31.
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Ibidem. Sur cette problématique, voir aussi par exemple les travaux du CERMA à Nantes ou du CRESSON à Grenoble.
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Idem, p. 29.
- Note de bas de page 16 :
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Idem, p. 30
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L’espace urbain concerne l’interface espace architectural/espace urbain, ou rapport architecture/ville, édifice/tissu urbain. Tout architecture est urbaine7, cet espace renvoie aux idées urbaines, aux types historiques de ville, aux sens des formes urbaines8… Il est produit par l’opération d’implantation (elle prend aussi parfois pour nom projet urbain9).
Critiquant la morphologie urbaine, discipline d’étude de la forme urbaine, qu’il traitait de fragmentale (découpage physique), A. Rénier y oppose une morphologie segmentale, c’est-à-dire déduite de découpages signifiants, pertinents, issus des pratiques habitantes10. Tout en étant d’accord avec lui, on peut cependant lui objecter que les grands découpages qu’opère, en principe, la morphologie urbaine, sont aussi de nature historique, donc pertinentisés par une périodisation historique qui en est le signifié. -
L’espace d’usageporte sur les rapports entre espace et pratiques sociales. Il renvoie aux usages organisés selon des typologies distributives particulières, consacrées par le temps (par exemple pour l’habitat, rapports entre espace domestique/type de famille). Il résulte de l’opération de distribution.
C’est sur cet espace qu’A. Renier a surtout travaillé et insisté, avec ses notions de dispositif architectural11, de parcours syntaxique, de chaîne syntagmatique, d’opposition entre segment/fragment12… Sur ce point notre désaccord a été en partie méthodologique : Renier refusant de recourir à la notion de type et de typologie pour classifier les configurations. -
L’espace esthético-symbolique porte sur les relations entre espace et géométrie, espace et mathématiques (mesure). Il renvoie aux signifiés de la géométrie, à sa symbolique, à travers l’histoire de l’art. Il est donné par l’opération de composition.
Tout en reconnaissant son existence, Renier a délibérément ignoré cet espace pour privilégier un « Type d’espace ne relevant pas seulement de catégories géométriques (topologiques, projectives et métriques) qui se rapportent à l’organisation du solide d’englobement des lieux de la vie sociale… »13 -
L’espace bioclimatique concerne les relations entre espace et ambiances (espace qualifié par des paramètres environnementaux). Il renvoie à des signifiés comme le confort, le bien-être (culturellement variables)... Il est conçu par l’opération d’installation (équipement de l’espace, mais aussi par dispositif spatial).
Sur ce registre la contribution de Renier a été fondamentale : il a été un des premiers à introduire la notion de biome14 (milieu de vie artificiel synonyme d’ambiance) et de sémiotique biomatique15(en définissant « l’architecture comme discipline de contrôle de l’environnement naturel et de création de climats artificiels »), notionsaujourd’hui en vogue avec l’émergence de la question environnementale et la notion d’ambiance dans la recherche architecturale. (Malheureusement Renier n’a pas pu vraiment travaillé sur ce registre). -
L’espace tectonico-plastique traite de l’espace sensible (visuellement saisi). Il renvoie à des significations relatives à l’histoire de l’art, et à l’histoire des styles en particulier. Il est obtenu par l’opération d’expression.
Là aussi, ce registre d’espace a été volontairement écarté de son champ d’étude car, disait-il, « L’architecture ne serait plus uniquement alors une discipline d’expression plastique…»16
Dans cette définition de la spatialité comme espace complexe, l’ordre de présentation de ces différents registres n’est en aucune façon une hiérarchie (comme chez Alberti où le voluptas domine les deux autres, commoditas et necessitas). Chaque registre est constitué d’un plan de l’expression et d’un plan du contenu, ils sont interdépendants entre eux et font système : on parlera de formes locales pour les registres d’espace et de forme globale pour leurs interrelations.
Par rapport à Alberti, et à sa triade, mes registres d’espace d’usage et d’espace bioclimatique rejoignent sa notion de commoditas, ceux d’espace esthético-symbolique et d’espace tectonico-plastique recoupent celle de voluptas, quant à l’espace urbain, isolé ici comme registre autonome, il est présent dans tout le traité d’Alberti. J’exclus cependant, dans mon approche, son registre de la necessitas qui porte sur la construction et les matériaux : il concerne des phénomènes d’ordre naturel qui relèvent, selon moi, d’une logique technique et non sémiotique (analogie avec la distinction phonétique/phonologie).
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Idem, p. 17
- Note de bas de page 18 :
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Idem, p. 30
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A. Renier, « L’espace architectural et ses configurations de lieux », Bulletin AFS, 3, Juin 2003, p. 45-49 ; voir par exemple son analyse de la Grande Arche de la Défense et les configurations d’usage qu’il retrouve.
En s’éloignant d’une définition de l’architecture réduite à ses registres plastique et esthétique avec laquelle il polémiquait souvent, Renier voulait surtout mettre l’accent sur l’usage et les pratiques signifiantes, non seulement sur le solide d’englobement de l’espace, comme il l’appelle, mais sur l’espace englobé : « La conception architecturale est concernée par la délimitation de l’espace résultant d’une segmentation de l’étendue, mais aussi par une qualification complémentaire de cet espace pour en constituer un lieu de vie sociale et un instrument d’usage »17;ainsi selon lui: « L’architecture ne serait plus uniquement alors une discipline d’expression plastique mais également une discipline du contrôle de l’environnement naturel et de la création de climats artificiels »18. Ce qu’il désigne par biome, c’est donc cet espace dont les caractéristiques physiques sont constitutives d’un milieu aérolique, thermique, phonique, lumineux… produisant, in fine, le sentiment de confort. De plus,pour lui, l’habitant, plus qu’un simple utilisateur, est aussi et toujours un acteur opérant sur l’espace19.
3) Contribution à une approche générative de la conception : l’opposition génération vs genèse.
Troisième contribution à la théorie de la conception architecturale : la saisie de l’objet architectural par sa génération, c’est-à-dire par son mode de production. Elle s’oppose à la fois, comme on l’a dit, à une approche purement taxinomique (réduction à un système), mais aussi à une approche de type génétique (démarche historique).
Par générativité nous entendons donc une approche théorique, achronique, du procès de production du projet. Ce n’est pas l’histoire de la création du projet qui est recherchée, ni le temps pris ou mis pour sa conception, ni une explication de sa réalisation par ses conditions externes, ou par la prise en compte des relations de l’architecte avec les autres acteurs – considérations habituellement retenues dans une démarche historique d’étude du projet –, ni une histoire (idéologique) du discours architectural envisagée comme une marche vers le progrès, c’est plutôt l’organisation logique de l’espace qui est visée : une grammaire générative de l’espace.
- Note de bas de page 20 :
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A. J. Greimas, J. Courtès, Sémiotique, Dictionnaire Raisonné de la Théorie du Langage, t.1 et 2, Paris , Hachette, 1979, 1986.
Sur cette démarche générative, l’effort conceptuel d’A. Renier a été constant : dès 1982 son texte d’introduction au colloque d’Albi, « Espace, représentation et sémiotique de l’architecture », l’illustre : il y propose une interprétation du parcours génératif de la signification20, où sont distingués les différents niveaux, fondamental/ narratif/discursif, du plan du contenu, qui, en se joignant au plan de l’expression (textualisation), donne naissance au plan de la manifestation architecturale.
Tout en étant attentif également à ses niveaux de profondeur, j’ai essayé, de mon côté, de construire cette grammaire à travers trois procédures principales qui rendent compte, sur chaque registre, de cette générativité.
- Note de bas de page 21 :
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J.N.L. Durand, Précis des leçons d’architecture, Paris, Paris, Firmin Didot, 1819.
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A. Levy, Les machines à faire-croire I, Formes et fonctionnements de la spatialité religieuse, Anthropos/Economica, Paris, 2003. (Le second volume, La Madeleine et le Panthéon, Pouvoir de l’espace, pouvoir de l’image, est en préparation, fin 2007)
- Note de bas de page 23 :
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Sur la notion de parcours génératif, A. J. Geimas, J. Courtés, ibidem.
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La combinatoire, ou passage du simple au complexe : par exemple, la double articulation du langage architectural sur le registre de l’espace plastique que j’ai esquissée, en éléments architecturaux / segments tectoniques / traits distinctifs plastiques ; ou chez Durand21 également qui a mis en évidence cette articulation sur le registre de la composition en ‘‘nombre et situation des parties principales / nombre et situation des parties secondaires / tracés des murs et placement des colonnes’’.
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La conversion, ou passage du général au particulier, des structures virtuelles aux structures réelles : par exemple l’actualisation d’un idéaltype distributif général en un type distributif spécifique, une occurrence historique particulière, sur le registre de l’espace d’usage. J’ai essayé de reconstituer ces structures virtuelles dans le cas de l’espace cultuel où j’ai dégagé trois grandes structures générales invariantes (1. trois espaces élémentaires, 2. une double séquence narrative, 3. un parcours narratif). Elles constituent, selon mon hypothèse, l’idéaltype que l’on retrouve appliqué sous des modalités particulières (par conversion) dans tous les lieux de culte, de toutes les religions, comme occurrences historiques22.
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L’iconisation, ou passage de l’abstrait au concret, par spécification et enrichissement sémantique graduel de l’espace, allant vers plus de précision et de définition de sa forme : le dessin architectural, par exemple, avec ses spécifications progressives, ses sauts d’échelle, allant de l’esquisse aux plans de détail… rend compte de cette procédure d’iconisation dans la représentation, sur l’ensemble des registres.
Ce sont ces procédures, encore à développer, qui structurent la générativité des registres, que j’ai essayé de mettre à jour dans ma recherche sur la conception architecturale : elles traduisent l’idée de générativité de la spatialité liée au concept de parcours génératif du projet23.
4) Contribution à la compréhension de la synthèse du projet : syncrétisme des registres, méta-opérateur et isotopie architecturale.
- Note de bas de page 24 :
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Idem. p.17
- Note de bas de page 25 :
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Idem. p.31
Cette dernière contribution concerne la problématique de la synthèse des registres qui constitue le projet comme forme globale et la compréhension de ce mécanisme syncrétique. Une fois l’inventaire des registres établi, se pose en effet le problème de leur synthèse et de ses modalités. C’est ce qu’avait également bien perçu A. Renier quand il écrivait : « Une sémiotique de l’architecture est le lieu d’un syncrétisme de sémiotiques externes différentiées (visuelles, plastiques, scénographique, sonore, etc.) »24 , ou encore « Une sémiotique du dispositif architectural ‘construit’ résulte du syncrétisme d’une sémiotique plastique et d’une sémiotique biomatique»25, réduisant cette synthèse à deux registres principaux.
Limitation des registres de la forme architecturale, mais aussi absence d’explicitation des modalités de réalisation de ce syncrétisme, telles sont les remarques que l’on peut faire à Renier sur cette question. J’ai tenté d’y répondre en prenant en compte, d’une part, l’ensemble des registres, et en introduisant, d’autre part, la notion de méta-opérateurs référentiels de synthèse, pour expliquer ce processus syncrétique.
Avec ces méta-opérateurs, c’est la problématique de la référentialisation dans le projet qui est posée, le rôle de la référence dans la conception architecturale comme principe fédérateur et unificateur : ils interviennent comme des isotopies architecturales structurant et unifiant la forme globale. Ces méta-opérateurs sont principalement de deux ordres, ils ont une double origine. Ils sont choisis :
- Note de bas de page 26 :
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Sur cette opposition parti/concept lire également R. Prost, Conception architecturale. Une investigation méthodologique, Paris, L’harmattan, 1992.
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soit dans le champ référentiel de l’histoire de l’architecture, dans le stock de ses modèles historiques : on les appelle parti, motif, configuration… ;
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soit hors du champ référentiel de l’histoire de l’architecture, dans l’univers de la nature, des arts, de l’industrie, du machinisme… : ce méta-opérateur, plus actuel, plus contemporain, est dénommé concept26.
L’usage du terme concept, aujourd’hui en vogue, très utilisé dans le milieu des architectes, a souvent pour finalité une volonté d’innovation et de rupture avec les motifs existants de l’architecture, pour en créer de nouveaux. Le Corbusier, par exemple, en rompant avec les motifs et les partis de l’architecture académique, inventa, en recourant aux concepts de /machine/ et d’/art moderne/, un nouveau langage architectural : les ‘Cinq points de l’architecture moderne’. Deux autres positions sont à signaler : le refus de la référence et la synthèse impossible.
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On trouve, chez certains architectes, le refus de toute référence (dans le champ ou hors du champ de l’architecture) avec la quête d’une essence de l’architecture en elle-même (autoréférence), la géométrie par exemple : c’est la position d’Eisenman qui cherche, avec le rejet de toute référence, une architecture, dit-il, auto-référentielle, de non-signification. On peut cependant considérer qu’il s’agit, là encore, d’un cas limite d’utilisation d’un concept : /géométrie pure/, /non référence/.
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Pour d’autres architectes, la synthèse des registres est considérée aujourd’hui comme impossible à effectuer, irréalisable car les registres sont trop contradictoires, hétéroclites, incompatibles entre eux : leurs logiques inconciliables rendent impossible toute unité, toute synthèse. Le projet doit alors, selon eux, refléter cet éclatement, traduire cette dissociation des registres, et la révéler en la rendant visible, car elle correspond à l’éclatement de notre monde contemporain à ne pas cacher : c’est la position d’architectes déconstructivistes comme B. Tschumi, par exemple. Mais, là aussi, on peut y voir le recours à un autre concept : la /société éclatée/, le /monde fragmenté/.
- Note de bas de page 27 :
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Voir par exemple mon analyse de la BNF par D. Perrault : A Levy, « Le parti architectural comme opérateur syncrétique du projet », in P. Pellegrino (éd), L’espace dans l’image et dans le texte, Colloque d’urbino (1998), Urbino, Quattroventi, 2000. Je montre comment fonctionne l’isotopie choisie par l’architecte, le concept du /vide/, comme méta-opérateur référentiel.
Ces méta-opérateurs de synthèse peuvent être d’ordre général, c’est-à-dire relatif à un courant architectural qu’ils contribuent à définir, et/ou spécifiques à un projet particulier. Plusieurs méta-opérateurs peuvent être mobilisés dans un même projet, de même les deux modalités (parti et concept) peuvent être aussi utilisées pour un même projet27... Fonctionnant comme des isotopies architecturales, ils visent à créer, avec les registres sélectionnés, une unité de sens, pour réaliser la cohérence sémantique du projet, la cohérence de la forme architecturale globale. On peut avoir aussi une pluri-isotopie (superposition d’isotopies différentes qui exige alors des connecteurs...). D’une manière générale, elles agissent par itérativité, par récurrence sémantique, sur tous les registres : un même contenu, un même thème, une même idée (parti ou concept) ‘traverse’ l’ensemble des registres en se déclinant chaque fois de façon différente pour produire et renforcer l’effet de sens unitaire global recherché, sur le plan de l’expression comme sur celui du contenu de chaque registre. Ils agissent donc transversalement aux registres pour les fusionner (sémantiquement), par répétition d’un même contenu, produisant la cohérence (sémantique) recherchée de l’oeuvre. Ils interviennent aussi bien dans l’organisation du plan (distribution et composition), qu’en élévation, pour l’ordonnancement de la façade (expression et composition). Cette notion et ce mécanisme isotopique esquissés ici restent encore à être approfondis.
Ainsi Alberti, par exemple, mobilise pour la synthèse spatiale de son architecture deux isotopies employées comme méta-opérateurs référentiels de son architecture : un concept, puisé hors du champ de l’architecture /l’édifice-corps/, et un motif, puisé dans le champ de l’histoire de l’architecture, dans l’Antiquité, /les ordres classiques/. Ils sont tous deux relatifs à la culture et à l’idéologie de la Renaissance. Ces deux isotopies traversent les trois registres : necessitas (analogie entre édifice et anatomie du corps humain), commoditas (métaphore du fonctionnement biologique de l’édifice), voluptas (harmonie et perfection des proportions idéales du corps humain –mais aussi du corps animal, le cheval- comme modèle de mesure pour l’édifice pour définir sa beauté). Outre ces deux isotopies générales, ces deux méta-opérateurs généraux, Alberti emprunte également, pour des projets particuliers, d’autres motifs de l’architecture antique : le motif /arc de triomphe/ pour ses églises (temple de Malatesta à Rimini ; Sant’Andrea à Mantoue), le motif du Colisée /superposition arcade + ordre / pour son palais Rucellai à Florence...
Telles sont quelques-unes des contributions possibles de la sémiotique à une théorie de la conception architecturale, rapidement exposées, et tirées de mon expérience personnelle de recherche. On voit ce qu’elles doivent à A. Renier, avec qui j’ai longtemps collaboré, à travers les convergences et les divergences signalées de nos travaux respectifs.