Introduction
Anne Beyaert-Geslin
Maria Giulia Dondero
Jacques Fontanille
Index
Articles des auteurs de l'article parus dans les Actes Sémiotiques : Jacques Fontanille, Anne Beyaert-Geslin et Maria Giulia Dondero.
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A la date du colloque, plusieurs textes essentiels à la discussion sur les pratiques ne sont pas encore parus. Parmi eux, deux contributions de Jacques Fontanille, “Pratiques sémiotiques : immanence et pertinence, efficience et optimisation”, Nouveaux actes sémiotiques n°s 104-105-106, 2006, et Pratiques sémiotiques, Paris, PUF, 2008. Ces références absentes des bibliographies des auteurs, doivent être intégrées à la discussion actuelle.
Ce dossier se propose de problématiser le rapport entre les pratiques de production des objets culturels et la génération du sens1.
La sémiotique s’est constituée comme discipline autonome par rapport à la sociologie, à l’anthropologie, à la philologie, etc. car elle a fait des choix méthodologiques précis. La sémiotique de Greimas, en particulier, a choisi d’observerles constructions sémantiques présentes dans les textes et d’analyser les langages dans la synchronie. Elle a étudié la textualité, autant verbale que visuelle ou audiovisuelle, à partir des simulacres du producteur et du récepteur inscrits dans la textualité même, c’est-à-dire les traces de la production textualisées - les formes déjà constituées et non pas les pratiques qui les ont produites. Ce faisant, elle renonçait à étudier la réception « située » des textes et se consacrait à l’énonciation énoncée. Mais si l’énonciation est une médiation entre l’actualisé (en discours) et le réalisé (dans le monde naturel), elle se laisse avant tout décrire comme une pratique productive (praxis énonciative). Si, avec Greimas, l’énonciation renvoyait à une instance désincarnée, la sémiotique actuelle tente de substituer à cette « absence originaire » une origine pleine, celle de la prise de position du corps propre dans le monde. Ce choix implique une transformation de la conception de la fonction sémiotique et de la stabilisation de la sémiosis, qui se trouve dépendante de la prise de position du corps énonçant (Fontanille, Soma et Séma, 2004).
En étudiant les œuvres d’art, par exemple, on s’aperçoit que la compréhension et l’appréciation de ces textualités particulières sont fortement déterminées par ce que nous savons de la phénoménologie de leur genèse, du processus et de la durée de leur élaboration et des techniques employées. Aujourd’hui, l’état d’avancement des études sémiotiques peut rendre possible la réintégration de ces aspects sémantiques restés dans l’ombre. Parce que les œuvres ne sont pas analysables seulement comme des textes, leurs substances et matérialités peuvent devenir pertinentes au niveau de l’objet - qui relève de l’acte corporel de la production. Leur étude impose en outre qu’on rende compte de certaines problématiques, comme celle de l’autographie et de l’allographie (Goodman), que le point de vue de la réception et de la synchronie ne sauraient épuiser. Pensons par exemple à l’original pictural, qui doit son efficacité au lien avec la main du producteur, à l’aura, qui se déploie à partir d’une observation qui réactualise le geste du producteur, à la patine liée aux problématiques de la restauration et à la préservation de l’« identité spécifique » de l’objet (Prieto), à la virtuosité, c’est-à-dire au savoir-faire qui surpasse les limitations corporelles de l’exécution.
Il faut se demander si et comment la sémiotique actuelle peut déplacer son attention pour envisager l’analyse des arts de la production, les arts devenant alors synonymes d’habiletés et de savoir-faire. Les différentes expertises menées dans ce dossier ouvrent un terrain d’enquête fondamental pour préciser les liens entre objets artistiques, praxis énonciative et corporalité.
Il sera nécessaire de refaire le lien entre la reconstruction analytique d’une syntaxe de production du plan de l’expression et l’approche historique et phénoménologique de cette même syntaxe. Ceci revient à examiner la pertinence des traces de l’acte déposées dans le produit-résultat et celle de l’acte énonciatif même, en distinguant, bien sûr, entre deux instances : l’une, intéressée par les matières et les substances (instance créatrice proprement dite) et l’autre intéressée par les formes signifiantes (instance sémiotique proprement dite). Tout ceci pourrait donc nous amener à repenser la pratique analytique sémiotique : de l’analyse « synchronique » du présent du texte est-il possible de passer à une approche qui tienne compte du procès de production des objets afin de retrouver en eux le sens de l’acte historique qui les a sollicités ?