Mémoire et médiation paysagère

Françoise Parouty-David

Université de Limoges

https://doi.org/10.25965/as.3486

Notre objectif est de souligner la fonction médiatrice du paysage. Nous nous appuyons sur le paysage urbain comme surface d’inscription qui fait foi des événements historiques et des idées qui y sont corrélées, vérifiables dans quelques occurrences devenues emblématiques d’un sens et d’une valeur. Nous proposons une définition simplifiée du paysage qui permette de souligner le lien qui l’unit à la mémoire, structurante pour le sujet, dans ses deux dimensions temporelle et spatiale. Nous explorons ensuite les principales modalités d’inscription de la mémoire dans le paysage qui relèvent d’opérations énonciatives distinctes, avant de terminer par une recension des fonctions qu’induisent les pratiques, convaincue que nous sommes que le sens n’est jamais donné directement mais toujours médiatisé par une pratique qui le fait exister sous des formes parfois motivées par des logiques sociales.

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Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques

Mots-clés : actant collectif, acte blanc, histoire, médiation, mémoire, mémoire-citoyen, spatialisation, temporalisation

Auteurs cités : Marc AUGÉ, Mary Carruthers, Georges Charbonnier, André Chastel, Maria Giulia DONDERO, Jacques FONTANILLE, Maurice Halbwachs, Henri Hudrisier, Eric LANDOWSKI, Pierre NORA, Paul RICOEUR, Régine Robin, Gérard Wacjman, Claude ZILBERBERG

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Texte intégral

« Les villes, les grandes villes ont un rapport particulier à l’histoire. Celle-ci envahit leur espace par la commémoration, la célébration ostentatoire des victoires et des conquêtes. L’architecture suit l’histoire comme son ombre , même si les lieux de pouvoir se déplacent au gré des évolutions et des révolutions internes. L’histoire est aussi violence, et c’est souvent de plein fouet que l’espace des grandes villes en reçoit les coups. Elles portent la marque de ces blessures. Cette vulnérabilité et cette mémoire ressemblent àcelles du corps humain et ce sont elles, sans aucun doute, qui nous rendent la ville si proche, si émouvante. Notre mémoire, notre identité sont en cause quand « la forme de la ville » change. »
Marc AUGÉ, « La frontière ineffaçable. Un ethnologue sur les traces du mur de Berlin ». Le monde diplomatique, août 2001. C’est nous qui soulignons.

Dans cette citation, le lecteur est conduit à considérer la ville comme un corps, le tissu urbain comme une peau sur laquelle s’inscrivent les victoires et les défaites de la société qui l’habite, sous forme de marques plus ou moins pérennes. Cette opération d’inscription est le produit d’une praxis énonciative soit d’un discours qui, comme toute autre forme de discours, s’inscrit simultanément dans la temporalité du présent de l’énonciation et dans celle d’un énoncé réducteur qui contient des informations sur un passé plus ou moins clos. Elle relève de plusieurs niveaux de signification : un niveau sémantique qui fournit la signification des unités qui le composent ; un niveau syntaxique pour analyser ses règles internes d’organisation ; un niveau pragmatique qui intègre ces choix dans des interactions entre l’objet-paysage et les sujets individuels et/ou collectifs en situation de communication. A tous les niveaux, nous saisirons la fonction médiatrice du visible de la ville en interrogeant le lien qui unit ce tissu-enveloppe discursif de l’objet à l’individu et au groupe auquel il appartient sur le critère de la mémoire et sur sa valeur structurante pour le sujet.

Nous nous appuierons donc sur le paysage urbain comme surface d’inscription immédiate ou médiate, spontanée ou réfléchie, qui fait foi des événements historiques et des idées qui y sont corrélées. Cette catégorisation distingue notre corpus d’autres types de paysages : rural, maritime, désertique… et nous amènera à citer quelques occurrences, sur un plan local ou international, qui sont à nos yeux devenus emblématiques d’un sens et d’une valeur accordés au résultat qui les fixe dans leur matérialité.
Dans un premier temps nous examinerons les deux termes que nous voulons associer – paysage urbain et mémoire –, en proposant une définition simplifiée du paysage qui permette de souligner le lien qui l’unit à la mémoire dans ses deux dimensions temporelle et spatiale. Nous explorerons ensuite les principales modalités d’inscription de la mémoire dans le paysage qui relèvent d’opérations énonciatives distinctes, avant de terminer par une recension des fonctions de cette médiation du paysage qu’induisent les pratiques, convaincue que nous sommes que le sens n’est jamais donné directement mais toujours médiatisé par une pratique qui le fait exister sous des formes parfois arbitraires, parfois plus motivées par des logiques sociales dans notre cas.

I – Comprendre paysage et mémoire

1. Le paysage.

Le Petit Robert définit le paysage comme la « partie d’un pays que la nature présente à un observateur ». Cette définition méréologique signale d’emblée deux emboîtements qui, rapportés à notre corpus de la ville, autorisent deux découpages :

(i) un premier sur le monde naturel délimite le pays, soit une réalité géographique « territoire habité par une collectivité »;

(ii) le cadrage opéré à l’intérieur du précédent, délimite un paysage, et par là le constitue –(i) soit en plan d’ensemble (la ville de Florence observée depuis la colline de San Miniato : une masse de toits d’où émerge une coupole) ; – (ii) soit en plan moyen plus serré sur ce qui pourrait passer dans le cas précédent pour un détail (les portes de bronze du baptistère saisies dans leur découverte soudaine en milieu urbain).

Note de bas de page 1 :

 Jacques FONTANILLE, Sémiotique du discours, chapitre IV « Les actants », Pulim, 1999, p 141.

La vue apparaît toujours dans cette logique le support de construction d’une géométrie dans l’espace, variable puisque le champ visuel est modalisé par toutes les figures d’accessibilité ou d’inaccessibilité des objets dans l’espace qui conduit l’observateur à se mouvoir. Son déplacement modifie la saisie de son objet. Par ailleurs, notre recherche ne porte pas sur le contenu, variable d’un site à l’autre. Elle porte sur son « identité fonctionnelle [est] nécessaire à la prédication narrative », c’est à dire sur son statut « d’actant »1 attaché à la stabilité d’un rôle qui inscrit alors la matérialité du paysage dans une sorte de régime contractuel entre observateur et observé.

C’est de tels espaces physiques qu’il sera question pour saisir pourquoi cet espace construit peut être considéré comme un possible médiateur de la mémoire collective.

2. La mémoire

Nous l’étudierons dans sa double dimension temporelle et spatiale.

mémoire et histoire

Le trait le plus évident dès qu’il s’agit de définir la mémoire est le rapport au temps. Sur ce critère temporel et quelques autres, Pierre Nora souligne l’écart entre les deux notions proches de mémoire et Histoire.

Note de bas de page 2 :

 Pierre NORA. Les lieux de mémoire. La République, Gallimard, 1984, introduction p 24-25. C’est nous qui soulignons.

« Mémoire, histoire : loin d’être synonymes, nous prenons conscience que tout les oppose. La mémoire est la vie, toujours portée par des groupes vivants et à ce titre, elle est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de l’amnésie, inconsciente de ses déformations successives, vulnérable à toutes les utilisations et manipulations, susceptibles de longues latences et de soudaines revitalisations. L’histoire est la reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n’est plus. La mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel ; l’histoire une représentation du passé. […]La mémoire installe le souvenir dans le sacré, l’histoire l’en débusque, elle prosaïse toujours. La mémoire sourd d’un groupe qu’elle soude, ce qui revient à dire, comme Halbwachs l’a fait, qu’il y autant de mémoires que de groupes ; qu’elle est, par nature, multiple et démultipliée, collective, plurielle et individualisée. L’histoire au contraire appartient à tous et à personne, ce qui lui donne vocation à l’universel. La mémoire s’enracine dans le concret, dans l’espace, le geste, l’image et l’objet. »2

Nous retenons :

Note de bas de page 3 :

 Jacques FONTANILLE et Claude ZILBERBERG, Tension et signification, Margada, coll. Philosophie et langage, Liège, 1998, p 223

Note de bas de page 4 :

 GREIMAS et COURTES, entrée collectif , Sémiotique 1, Hachette U, p 43.

Note de bas de page 5 :

 Eric LANDOWSKI, Nouveaux Actes Sémiotiques, « En deçà ou au-delà des stratégies, la présence contagieuse », n° 83, 2002.

  • sa temporalisation parce que la mémoire est dite ouverte « à la dialectique du souvenir et de l’amnésie » ; elle a capacité à conserver, à retrouver ou encore à reproduire dans le présent et pour le présent, les traces d’un passé ancien ou récent, voire les marques actuelles d’un avenir planifié ou rêvé. C’est une expérience du temps caractérisée par la fusion des moments ternaires passé/présent/avenir dans le seul présent « un lien vécu au présent éternel » qui annule l’axe syntagmatique de la narration, donc de l’action, et privilégie la synchronicité des affects et de la présence à soi et aux mêmes (ses pairs de l’actant collectif.)

  • sa nature : la mémoire est « dans le sacré… multiple et démultipliée, collective, plurielle et individualisée…» ; elle est liée à la gloire ou à la douleur collective et/ou individuelle attachée aux événements. Cette nature phorique détermine le mémorable - le plus souvent dysphorique - marqué par l’intensité et la soudaineté. Alors que l’histoire rapporte des actions, la mémoire en fixe la dimension passionnelle aspectualisée, non qu’elle écarte l’action puisqu’elle l’englobe dans l’inchoatif de son point de vue3 que détermine l’émotion première comme le duratif de la commémoration ritualisée dont souvent nul n’ose envisager le terme.

  • son origine justifie sa fonction : « elle sourd d’un groupe qu’elle soude… », et dont les membres sont alors conjoints par les modalités du vouloir, déterminé par l’attachement au mémorable et au pouvoir, rabattu sur la mobilisation autour du faire-se-remémorer. C’est ainsi que se met en place un actant collectif. Le dictionnaire de sémiotique en propose la définition suivante : « Un actant est dit collectif lorsqu’à partir d’une collection d’acteurs individuels, il se trouve doté d’une compétence modale commune et/ou d’un faire commun à tous les acteurs qu’il subsume ».4 Ce qui ne signifie pas pour autant l’homogénéité de l’actant. Nous considérons que relève de cet actant collectif aussi bien un groupe physiquement assemblé dans un moment de co-présence sensible, que le visiteur isolé d’un site qui renvoie par nature à d’autres présences in absentia, les deux fonctionnant dans la synchronie. Leur solidarité au sens mécanique, « la contagion »5 dirait Landowski, peut fonctionner en diachronie dans le cas d’une mémoire héritée.

  • sa manifestation est à la fois la source et la cible des modalités sus-citées « elle s’enracine dans l’espace, le geste, l’image et l’objet… ».

Nous soulignons et nous reviendrons sur ce dernier point, objet de notre étude, la mémoire nécessite un appui sur une réalisation qui fasse médiation.

Note de bas de page 6 :

 Pierre NORA La nation-mémoire » p 2207-2216, in Les lieux de mémoire. La nation, Gallimard, 1984,
Les trois premières sont :
« - la mémoire royale « liée à la personne du roi […] D’où le caractère religieux, politique, symbolique …de tous les lieux où elle se cristallise ( p 2007)
- la mémoire-Etat « monumentale et spectaculaire, toute absorbée dans l’image de sa propre représentation » Versailles l’illustre. (p 2208)
- la mémoire-nation, « la nation prend conscience d’elle-même comme nation, se décrétant pendant la Révolution, se concevant sous la Restauration pour s’établir sous la monarchie de Juillet ». (p 2208) 

Note de bas de page 7 :

 Id., ibid., p 2209

Note de bas de page 8 :

 André CHASTEL en donne l’origine qui nous conforte dans la dimension subjective de la mémoire, réalisée dans une jonction étroite entre la mémoire-patrimoine et son sujet, qu’il soit singulier ou pluriel : « Le terme romain de patrimonium concerne une légitimité familiale qu’entretient l’héritage »
André CHASTEL “La notion de patrimoine”, in Pierre Nora. Les lieux de mémoire. La République, Gallimard, 1984, p 1433.

Au-delà de cette description, Nora propose une typologie diachronique en quatre sortes de mémoire6 dont la quatrième apporte un utile complément, c’est la mémoire-citoyen « Mémoire de masse, puissamment démocratisé-e, dont on ne s’étonnera pas qu’elle s’exprime le plus souvent par ses monuments éducatifs.»7 Et il ajoute : « quatre moments forts de l’identification nationale […] qui ne prennent leur sens qu’à travers un cinquième qui les fait apparaître, le nôtre : une mémoire-patrimoine [...] sur le mode d’une sensibilité renouvelée à la singularité nationale, combinée d’une adaptation nécessaire aux conditions nouvelles »8.

Note de bas de page 9 :

 Et il les cite pour la France « son insertion européenne, la généralisation des modes de vie moderne, l’aspiration décentralisatrice, les formes contemporaines de l’intervention étatique, la présence forte d’une population immigrée peu réductible aux normes de la francité coutumière, la réduction de la francophonie. » (p 2209 -2210)

Cette précision confirme le caractère évolutif permanent du travail de mémoire et de sa rection par des éléments hétérogènes9. Ce sont eux qui, après l’émotion individuelle, agissent secondairement sur la sélection effectuée au niveau du contenu par l’actant collectif.

Note de bas de page 10 :

 À ce sujet lire RICOEUR qui cite les hommages à Halbwachs in La mémoire, l’histoire, l’oubli, Seuil, coll. L’ordre philosophique, 2000, p 146-147.

Les travaux d’Halbwachs sur la mémoire collective et sur ses « cadres sociaux » qui font encore autorité aujourd’hui10 sont à ce titre plus précis. Ce dernier conjoint mémoire individuelle et mémoire collective dans une dynamique d’aller-retour entre les deux univers. Il écrit

Note de bas de page 11 :

 Maurice HALBWACHS, Les cadres sociaux de la mémoire, Albin Michel, 1994, [1925]. C’est nous qui soulignons. Il ajoute « si on sort de soi, ce n’est pas pour se confondre avec les objets, mais pour les envisager du point de vue des autres, ce qui n’est possible que parce qu’on se souvient des rapports qu’on a eus avec eux. Il n’y a donc pas de perception sans souvenir. »
Il perçoit dans la pensée sociale deux activités : « d’une part une mémoire, c’est à dire un cadre fait de notions qui nous servent de points de repère, et qui se rapportent exclusivement au passé ; d’autre part une activité rationnelle, qui prend son point de départ dans les conditions où se trouve actuellement la société c'est-à-dire dans le présent. Cette mémoire ne fonctionnerait que sous le contrôle de cette raison. Quand une société abandonne ou sacrifie ses traditions, n’est-ce point pour satisfaire à des exigences rationnelles, et au moment où elles se font jour ? » p 290.

« il n’y a pas de perception collective qui ne doive accompagner, puisque lui seul la rend possible, le souvenir des mots et des notions qui permettent aux hommes de s’entendre à propos des objets : il n’y en a donc pas qui soit une observationpurement extérieure. […] Mais inversement il n’y a pas alors de souvenir, qui puisse être dit purement intérieur, c'est-à-dire qui ne puisse se conserver que dans la mémoire individuelle. »11

Note de bas de page 12 :

 Paul RICOEUR, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Seuil, coll. L’ordre philosophique, 2000, p 147-148.
Son raisonnement est le suivant : « Ils [ces lieux]offrent l’occasion de se replacer en pensée dans tel ou tel groupe. Du rôle du témoignage des autres dans le rappel du souvenir on passe ainsi par degrés à ceux des souvenirs que nous avons en tant que membres d’un groupe ; ils demandent de nous un déplacement de point de vue dont nous sommes éminemment capables. »

Ricoeur reprend à son compte cette théorie en un commode raccourci « pour se souvenir on a besoin des autres »12 et il complète « Les plus remarquables parmi ces souvenirs sont ceux de lieux visités en commun. […] Nous accédons ainsi à des événements reconstruits pour nous par d’autres que nous.»

Ce qui était implicite chez Halbwachs devient explicite ici : une fusion entre identité et altérité où se construit cet actant collectif.

Ces analyses conduisent à une syntaxe initiée à la fois par la pathémisation de l’individu et par les cadres sociaux // ceux-ci déterminent le contenu de la mémoire individuelle et collective, // leur produit sélectionne des modes de représentations (dont la production ou la conservation sont déléguées), // ces artefacts conduisent aux événements « reconstruits pour nous par d’autres que nous » - pour reprendre Ricoeur.

Les modes de représentation d’un contenu qui visent l’actant collectif sont, en toute logique, tenus de se réaliser dans deux conditions conjointes : une nécessaire localisation dans un espace public parce qu’il assure accessibilité et visibilité (même dans le cas de l’anti-monument d’un artiste comme Jochen Gerz qui mise sur l’invisible – du monument de Sarrebrücke dont seul l’envers des pavés est gravé des noms des cimetières juifs en Allemagne – invisible qui renvoie à un passé négatif, impossible à assumer, celui de la Shoah).

Partie de l’évidence de la dimension temporelle, nous concluons à la nécessité d’une inscription de la mémoire dans l’espace public.

mémoire et espace

Note de bas de page 13 :

Traverses/36, dossier « L’archive », entretien de Georges Charbonnier avec Henri HUDRISIER « Lieux- mémoire », p 68-69, janvier 1986.

On croirait à tort que le rapport de la mémoire à la cognition est un rapport direct ; en réalité il passe par une mémoire des topiques, une référence à une topologie, mentale ou réalisée. Topologie mentale reconnue depuis l’histoire du poète Simonide de Céos, seul rescapé de l’effondrement du toit du banquet où il vient de prononcer un hommage, et qui se montre capable de reconstituer la liste des convives à partir du souvenir de la position de chacun autour de la table. Henri Hudrisier rappelle la méthode dans le numéro de Traverses consacré à « L’archive »13 :

« on détermine ainsi un certain nombre de lieux, par exemple : les salles d’un palais. Le parcours est fixe. On stocke ces lieux et leur ordre immuable dans la mémoire à long terme. Puis à chaque lieu on associe une image. Il ne s’agit plus que de retrouver chaque adresse […] en parcourant dans l’ordre les lieux où les images ont été, une à une, « déposées ». […] Ainsi est déterminée et fixée dans un certain ordre, une liste d’images, d’actions, de mots etc… »

La mémoire est donc nécessairement ancrée dans des topologies spécifiques qui constituent des formes et surtout des structures articulées dans des matériaux divers, des positions et des déplacements qui justifient le syntagme proposé par M. Carruthers de « mémoire localisante » considérée, dans l’art monastique comme le schème fondateur de la méditation : le lieu est médiation vers la remémoration qui participe de la méditation.

En somme, temporelle ou spatiale ? Cette double dimension de la mémoire est en fait dissymétrique, le caractère spatial surdéterminant le temporel dans la modalité actualisante du /pouvoir-se remémorer/. Au point que pour Gérard Wajcman dans l’évocation de la Shoah le pire de l’acte de mémoire est l’acte blanc :

Note de bas de page 14 :

 Gérard WACJMAN, L’objet du siècle, Verdier, coll. Philia, 1999, p 15 et 19. C’est nous qui soulignons.

« Les restes des objets et des corps et le lieu de ces corps et de ces objets, voilà ce qui comptait. La ruine et le lieu – sans quoi rien n’a eu lieu. Rien n’a jamais eu lieu que le lieu. Tout de la mémoire et de son art est enfermé là. La mémoire qui marche dans le temps est d’abord affaire de lieu. Avoir eu lieu ; c’est avoir un lieu. […] Effacer des hommes de la liste des vivants et les effacer aussi de la liste des morts. […] Là il n’y eut jamais rien. […] Invention de la mémoire vierge. Sans trace. Mémoire blanche, […] Où rien n’est jamais advenu »14

L’acte blanc, faute de référence spatiale, veut annuler cette modalité du /pouvoir-se remémorer/.

Au regard de ce qui précède une brève synthèse s’impose : le mémorable est perceptible comme valeur incarnée dans une forme. Il est le produit d’un tri opéré (i)dans la saisie des données de l’action passée, sur des critères de causalité, de consécution, et dans la visée sur le critère de l’intensité pathémique pour que ce point du passé construise la connaissance par la remémoration. La condition en est l’ancrage spatial, de préférence dans un matériau durable comme la pierre, le marbre, le béton, le bronze... Le mémorable confine au sacré « qui ne peut être mis en question, ni manipulé, ni procuré, il existe au-delà de notre volonté ; la configuration sacrée est fondatrice des valeurs, » si l’on en croit la thèse de Maria Giulia Dondero.

II – Les modes de manifestation

De la représentation réaliste plus ou moins imitative à la figuration symbolique jusqu’à l’extension possible au registre du mythique, les modes de manifestation correspondent à des procédures particulières. Nous envisagerons trois opérations observées dans des saillances figuratives parmi les plus lisibles qui se réalisent dans la discontinuité pour faire sens dans la mémoire collective et qui transforment l’étendue en un espace catégorisé : la substitution, la superposition et l’accumulation.

Note de bas de page 15 :

 A.J.GREIMAS, J. COURTES, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, entrée « Substitution », Hachette Université, p 369, 1985.

1. La substitution : le dictionnaire de sémiotique la définit comme le contraire de la commutation qui « repose sur le principe d’après lequel à tout changement de l’expression doit correspondre un changement de contenu et inversement »15. La substitution elle, même à grande distance temporelle et spatiale, assure une continuité sémantique lorsqu’un artefact vient en remplacement d’un objet d’une autre nature, mais dans un rapport de contiguïté isotopique d’ordre synecdochique [un mur de x noms pour la nation combattante] ou métonymique [un arc-de-triomphe], ou dans un rapport de similitude d’ordre métaphorique [les divers motifs des monuments aux morts]. Son emplacement est signifiant. On substitue une empreinte visible dans un espace choisi à une trace mémorielle dans un ailleurs des faits.

Des exemples : un édifice, le musée juif de Berlin, se substituant au récit du génocide ; une sculpture, l’immense proue habitée d’un bateau de pierre portugais dans l’estuaire du Tage pour évoquer les Grandes Découvertes ; un Mur où se déroule une liste de noms se substituant aux victimes d’une guerre, le Vietnam Memorial dans la capitale fédérale de Washington

De l’un à l’autre se produit une opération de condensation/concentration d’un événement - de son ampleur à sa représentation ponctuelle dans l’espace -, et d’extension dans sa saisie par l’observateur - tout édifice qui commémore les disparus des guerres rappelle les autres de même nature -.

Note de bas de page 16 :

 Régine ROBIN, La mémoire saturée, Stock, coll. Un ordre d’idées, 2003, p 91.

Continuité sémantique à moins que la substitution n’assure, dans certains cas, la rupture, soit le véritable oubli comme le pense Régine Robin, citant le cas du Dôme de Dresde détruit en Février 1945 et reconstruit après la réunification en 1989 : « on faisait d’une pierre deux coups : on effaçait à la fois la mémoire de la RDA et le monument témoin de la Deuxième Guerre Mondiale. […] Il s’agit de reconstruire quelque chose pour effacer ce que son absence signifiait.»16 . On substitue un plein à un vide pour instaurer un nouveau sens qui oblitère le précédent.

2. La superposition, dit le Petit Robert est « un assemblage », « une stratification » en géologie, une « coïncidence » entre deux figures en géométrie. Le verbe superposer renvoie aux actions d’amonceler, d’entasser, d’accumuler : une trace existante et localisée sur un territoire restreint est conservée sur le lieu-même des faits, voire transformée. Nous pouvons envisager de la voir réalisée selon deux processus, d’addition et de soustraction

Note de bas de page 17 :

 M. CARRUTHERS écrit à ce sujet : « Les principes qui régissent les processions ont de saines bases mnémoniques : ils s’appuient sur des images circulant dans des lieux. […] Ensemble les participants et les spectateurs fabriquent ces processions et en conservent une mémoire viscérale ». Machina memorialis, Gallimard, 2002, p 77.

  • additiond’un élément du présent sur un « ça a été là » en s’inspirant de Barthes pour désigner un lieu indexé par le passé : deux exemples statique et dynamique

    • addition d’un élément statique définitif ou récurrent : le cas de l’ornement. A Tulle en Corrèze, une manifestation annuelle consiste à orner les balcons qui ont servi de potence à l’armée allemande en 1944 pour 99 pendus otages dans la population civile. La restauration des emplacements des corps par addition d’un objet de tradition, la gerbe de fleurs, par la récurrence fait entrer l’événement dans une forme de culte qui signe une identité de ville-martyre, sacralisée par la douleur et le temps : le mémorable est rendu à la lisibilité dans la ville.

    • addition d’un élément dynamique exceptionnel ou récurrent : c’est le cas de la procession ou de la marche (qui donne à penser qu’un paysage peut être humain dans le cas de la foule). Elle veut recouvrir un fait qu’il faut tenter d’aménager dans les mémoires. Exemple de la « marche blanche » qui a animé la ville de Bruxelles après le meurtre de plusieurs fillettes. Le syntagme signe la volonté de purification dans l’opération dite de « blanchiment » qui superposerait du blanc à du noir, du positif à du négatif.17. Ainsi encore la procession organisée chaque 9 juin dans la ville de Tulle avec dépôt de gerbes s’effectue selon un itinéraire sacralisé par une syntaxe de repères ritualisés jusqu’au lieu consacré dit du « champ des martyrs » où reposent les corps. La pratique sociale de la procession et de la marche restaurent à date fixe un contenu sémantique précis et sacré dans un espace profane (cf les travaux de Massimo Leone) et modifient la perception de la ville.

  • la soustraction du perçu du paysage urbain à un autre :

    • d’aborddans une manifestation au rythme lent à effet progressif. C’est la dégénérescence accomplie sur place par le temps sur la ruine qui se dégrade, se délite soumise à des modalités diverses, un vouloir-conserver ou plus fort en double négation un ne-pas-pouvoir-ne-pas-conserver. C’est le cas d’Oradour sur Glane pétrifiée dans son passé.

    • sous une forme plus brutale : c’est le résultat d’une action naturelle (tempête de 1999 en France qui décime les parcs des villes ou cyclone sur La Nouvelle Orléans en 2005) ou d’une action humaine (démolition massive nécessaire à la réalisation dans la capitale du plan d’urbanisation de Haussmann au XIXème siècle).

L’effondrement du World Trade Center le 11 septembre 2001 laisse une première disparition dans un paysage urbain à valeur d’icône idéologique, ensuite la destruction des ruines crée ground zero, non un sol plat et vierge mais un sol aplani, trace du mémorable. Pour l’instant Ground zero superpose au plein, le vide de cette nouvelle image sacralisée.

Ces diverses procédures ont en commun de constituer un point centrifuge des parcours humains, des gestes de commémoration qui modalisent les pratiques et qui produisent eux-mêmes du mémorable en retour. Ainsi s’instaure un cycle de transformation mutuelle de l’actant à l’artefact et inversement.

3. L’accumulation nous conduit à considérer non plus deux éléments en relation simple de substitution ou de superposition mais plusieurs mis en syntaxe, articulés par diverses instances d’énonciation. Dans une même ville des lieux sont conjoints par une même appartenance temporelle, idéologique, politique, auctoriale et construisent de ce fait une cohérence sémantique qui témoigne… villas coloniales dans les villes du Vietnam, édifices de la Sécession à Vienne en Autriche. Conjoints par un trait commun, ces bâtis discrétisent une ville qui par ce phénomène d’accumulation peut accéder à une valeur paradigmatique, voire mythique.

On peut voir là deux rapports différents à la temporalité et aux modes d’énonciation :

Note de bas de page 18 :

 Dictionnaire Petit Robert

Note de bas de page 19 :

 La ruine pose le cas particulier de ce qui se définit par une usure liée au temps qu’il faut artificiellement arrêter pour la conserver sans toutefois la réhabiliter, d’où une question sur le seuil de maintenance.

  • 1er cas : dans un délai plus ou moins long après l’événement, des instances représentatives de l’actant collectif instituent un support de remémoration, c’est la création de l’empreinte, « marque en creux ou en relief laissée par un corps qu’on presse sur une surface. V. gravure, impression, moulage[…] ; en typographie : matrice…obtenue par la frappe »18 d’un outil. La forme de l’empreinte est complète et identifiable. La définition souligne les modalités volitive et cognitive du destinateur révélées par la nécessité d’une rection dans le geste, euphorique s’il veut combler un manque ressenti par l’actant collectif (monument, mur, stèle, cathédrale...) Nos exemples donnent au terme une acception large, considérant là l’empreinte d’un pouvoir qui affiche ses modalités en tant qu’association ou institution locale, ou plus vaste Etat ou Eglise…)

  • 2nd cas : le paysage porte la trace des faits-mêmes – elle en est contemporaine et plus ou moins aménagée – trace d’événements ou cadre d’événements, inscrits concomitamment dans les lieux et dans les mémoires, dans le visible et dans l’invisible. La trace est double : - matérielle, elle est soumise au temps en tant que « suite de marques que laisse le passage d’un être ou d’un objet […] marque laissée par une action quelconque » et « en très petite quantité perceptible ». Elle est de l’ordre du « reste » dans le même dictionnaire. Sa forme est donc partielle et mal identifiable. Abstraite, elle est résidu de mémoire, souvenir toujours partiel et partial. La modalité est du côté du déontique qui peut se traduire par un devoir-ne-pas-effacer ou par un devoir-respecter, voire entretenir19.

III – La question de la médiation

Note de bas de page 20 :

Au vu de ce qui précède, on pense aux trois moments de la mimésis de RICOEUR, notamment au second, celui de la refiguration dont il dit lui-même qu’il « tire son intelligibilité de sa faculté de médiation qui est de conduire de l’amont à l’aval du texte » par le comme si de la mise en intrigue. Nous ne pouvons nous éloigner davantage par l’exploration de ces mécanismes de fiction mais nous soulignons la terminologie de Ricoeur pour qui la représentation est lieutenance, terme qui s’appliquerait bien aux exemples sus-cités.

Avec médiation20, le petit Robert nous place d’emblée dans un système ternaire « entremise destinée à …concilier …des personnes ou des partis » et renvoie à arbitrage, intermédiaire… Nous proposons d’y ajouter filtre qui présuppose aussi, de part et d’autre d’un centre, deux interfaces, ou tout simplement détour qui nous écartant du chemin direct nous maintient dans une configuration spatiale et suggère un rôle de catalyseur entre paysage et actant, la catalyse étant « une action par laquelle une substance rend possible une réaction chimique par sa seule présence », une sorte d’ekphrasis en somme.

Autre approche celle de la socio-sémiotique d’E. Landowski quand il décrit l’opération de médiation dans la figure politique du héros médiateur. Il est aisé de la transposer du héros sur le paysage urbain mémoriel, nous y retrouvons le procès ternaire de conversion :

Note de bas de page 21 :

 Eric LANDOWSKI, Présences de l’autre, PUF, 1997, p 237-238. C’est nous qui soulignons.

« loin de monopoliser pour son propre compte ou à son seul profit l’attention générale, il la mobilise pour la renvoyer immédiatement sur un autre plan qui englobe et dépasse sa personne : celui [d’une aventure politique qui est aussi celle] du corps social lui-même. Il médiatise de cette façon le rapport de son peuple au politique en tant que réalité offrant un sens : à la fois cognitivement […] et affectivement »21.

Note de bas de page 22 :

 Id., ibid., p236.

L’opération est celle d’une transformation qui participe des forces qui modifient un état ; l’enjeu est un système de valeurs ou au moins « une certaine manière d’être ensemble en tant que corps social »22 dit Landowski. Elle est décrite comme un double mouvement de déplacement et d’englobement autour de l’actant de contrôle qu’est devenu pour nous l’élément du paysage urbain précédemment proposé: d’une part l’attention de l’observateur se déplace du paysage construit au corps social qui s’y reflète, déplacement transitif qui transfère sur ce dernier les valeurs du premier dans une relation spéculaire ; d’autre part la transformation englobe l’objet-paysage dont la sémantique s’enrichit à deux niveaux très généraux que sont la cognition et plus encore ici la passion.

Note de bas de page 23 :

 Id., ibid., p 233

Au bout du compte, l’actant de contrôle, ce tiers factitif selon Fontanille (note 1) orienté vers le groupe entre en interaction avec lui pour le faire-vivre au présent sur le mode passionnel et créer à la place d’une juxtaposition d’individus « une véritable unité organique, valant davantage que la somme de ses parties » et réalisée dans la mise en présence qui neutralise l’écart entre les instances si l’on veut poursuivre le parallèle avec le héros médiateur de Landowski. Plus que le partage des valeurs, des références et des souvenirs qui donne une existence virtuelle à l’actant collectif disséminé, c’est « l’expérience émotionnelle d’une présence immédiate à soi-même », hic et nunc, devant le monument inséré dans la ville qui l’actualise « à l’issue de périodes de latences ou d’atonie »23, en somme le fait passer d’un état de débrayage à un acte d’embrayage qui constitue le sujet et le présentifie à son propre devenir.

Cette médiation paysagère se diversifie dans des rôles modaux relevant des pratiques :

  • (i) une fonction indexicale, informative/objective pour localiser l’activité commune d’exercice et de repère du souvenir : « ça a été là » (la ville de Tulle, les balcons, la rivière…) ; c’est une fonction similaire à celle de l’archive, de l’aide-mémoire qui autorise la reconstruction du passé dans l’espace en convoquant d’autres repères temporels et actoriels

  • (ii) une fonction testimoniale où la trace ou l’empreinte que le tissu urbain accueille, sert d’avis aux générations descendantes qui les sanctionnent par leur interprétation en acceptation ou refus de ce qui va construire et prendre sens dans les mémoires individuelle et collective ainsi activées par un plus-jamais-ça

  • (iii) une fonction performative, essentiellement énonciative parce que le faire-faire est un faire-dire avec la dimension pathémique qui signe la démarche. La compétence de l’actant de contrôle suppose alors une compétence symétrique de l’actant collectif ou la développe dans un processus interactif. Le paysage-médiateur provoque en concurrence :

    • assomption (compétence sentie de l’intérieur) ou adhésion (compétence sentie de l’extérieur) quand l’expérience vécue et l’expérience symbolique se superposent dans la discursivisation

    • écart dans le silence (voulu ou subi) ou contestation par un refus de l’interprétation ou du lien communautaire
      puisque l’actant collectif n’est pas nécessairement homogène – nous l’avons dit – et que ses membres se situent en tension entre les pôles attraction/répulsion.

Entre les sujets et l’objet paysage-médiateur, s’instaure un régime irénique ou polémique, peut-être des aller-retours entre les deux qui caractériseraient la quête tensive de sujets qui oscillent entre diverses vérités dans un questionnement jamais totalement comblé et qui nous renvoient tous à des interrogations sur les relations entre ces diverses vérités que confrontent espace public et espace privé.

On comprend aussi que le travail de la mémoire n’est pas permanent ; et le paysage urbain a cette fonction performative d’activation d’un processus fluctuant parce qu’aucun oubli n’est définitif.La raison en est que les contenus de la mémoire semblent avoir plusieurs modes d’existence : l’oubli peut toujours être transformé en réminiscence, voire plus en souvenir par un médiateur faisant passer cette mémoire virtuelle à une actualisation dans le discours ou encore à une réalisation dans la matérialité du paysage qui est une autre forme discursive plus concrète et plus accessible au groupe physique. Ces modes d’existence de la mémoire autorisent au final un ancrage des formes concrètes dans des structures de position abstraites et endossent pour cette raison une portée sémiotique et symbolique, voire mythique.

Nous avons signalé à plusieurs reprises des ouvertures possibles sur bien des points comme la complexité de l’actant collectif, ou les pratiques qui découlent de nos propositions…mais notre objectif était de nous centrer sur la fonction médiatrice d’un paysage urbain mémoriel, et sur la construction de l’actant collectif qui y est corrélé. A cette fin nous avons privilégié les opérations au contenu. Nous espérons avoir donné à comprendre que, d’une part dans cette logique du sensible, la signification peut être passionnelle autant que conceptuelle ou cognitive, et que d’autre part nos analyses peuvent être étendues à d’autres paysages – fussent-ils de sons ou d’odeurs – qui n’est toujours que le produit de l’homme et du temps. Il faut ajouter que la médiation paysagère interfère avec d’autres formes de médiations, littéraire, cinématographique, photographique, picturale… pour témoigner autant du passage du temps que du temps passé.

Note de bas de page 24 :

 Paul RICOEUR, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Le Seuil, coll. L’ordre philosophique, 2000, p I.

Si la sémiotique a une fonction descriptive, elle devient prescriptive dans ce cas où elle promeut une action pour répondre à un souci devenu crucial aujourd’hui dans les projets des acteurs territoriaux, celui de l’aspect culturel des plans d’urbanisme qui ont longtemps accordé la priorité aux préoccupations économiques et sociales d’importance, il est vrai. Désormais s’est fait jour une volonté de respecter l’image identitaire d’un espace où les citoyens, dans des monuments, dans des traces entretenues ou rebâties du passé, pouvaient reconnaître l’idée qu’ils se font de leurs ascendants, de leurs descendants et d’eux-mêmes dans une poétique de la mémoire qui suppose une cohabitation des mondes possibles. C’était la quête avouée de Ricoeur d’une « politique de la juste mémoire » à la bonne distance « des abus de mémoire et d’oubli »24 mais c’est une autre question.