Hommages à Louis Panier
séminaire de sémiotique, séance du 7 novembre 2012

Denis BERTRAND

Odile Le Guern

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Articles des auteurs de l'article parus dans les Actes Sémiotiques : Denis BERTRAND et Odile Le Guern.

Texte intégral

Plusieurs messages ont circulé sur le réseau sémiotique après l’annonce de la mort de Louis Panier. Il y a eu notamment le texte de ses amis lyonnais, du groupe de recherche SEMEIA qu’il animait au sein du laboratoire ICAR, et un texte du SeS de Puebla, où Raùl Dorra, Luisa Ruiz Moreno et les membres du Séminaire mexicain rendent hommage à son rayonnement international. D’autres messages personnels ont aussi témoigné du rôle que Louis a joué dans notre communauté sémiotique. Ses obsèques ont eu lieu à Lyon le samedi 27 octobre 2012.

Louis Panier était peut-être, par excellence, l’ami. Le trait qui définit l’ami est la fidélité. Chez lui, toutes les valences de la foi, étymon de la fidélité – de la confiance à la croyance –, étaient simultanément activées. Fidélité aux personnes, fidélité aux textes, fidélité aux engagements, fidélité aux idées.

Sa trajectoire les illustre toutes d’un seul tenant. Sémioticien de la première génération, il avait longtemps dirigé le premier atelier créé par Greimas dans le cadre de son séminaire de Sémantique générale, celui de l’Analyse des textes bibliques. Sémioticien de la dernière génération, il était le président, très actif jusqu’à la veille de sa mort, de l’Association Française de Sémiotique. Il a organisé, avec Odile Leguern et les sémioticiens lyonnais, le dernier congrès de l’association sur le problème de l’« Enonciation fragmentée ». Entre ces deux moments, Louis a fondé le CADIR, Centre d’Analyse du Discours Religieux, avec sa revue Sémiotique et Bible qui accompagne depuis plusieurs décennies le développement de notre discipline.Il a fait de Lyon le second grand centre de recherches sémiotiques en France, ouvert qu’il était aux différents courants, convaincu de la nécessité d’une interdisciplinarité raisonnée, assumant la confrontation avec les traditions d’étude des textes bibliques alors même qu’elles recelaient un risque d’enfermement exégétique. Il est de ceux qui ont dirigé le plus grand nombre de doctorants, venus de tous les horizons, et assuré ainsi, avec un souci constant de la pédagogie associé à celui de la recherche, la transmission de notre discipline aux générations nouvelles.

Note de bas de page 1 :

 Louis Panier, « Le statut discursif des figures et l’énonciation », Sémiotique et Bible, N° 70, juin 1993, pp. 13-23.

Si on parcourt les titres de ses nombreuses publications, c’est sans doute entre énonciation, figurativité et texte biblique qu’on trouvera le cœur d’une recherche conduite avec une continuité, et même une obstination, exceptionnelles. Dans un texte intitulé « Le statut discursif des figures et l’énonciation »1, publié en 1993, il montre ainsi, de manière très pénétrante, comment les textes bibliques, par définition figuratifs, « mettent en question la position d’un sujet relatif à cet ensemble figuratif lui-même », un sujet qui se constitue essentiellement « à partir du dispositif figuratif » et non seulement à travers les parcours narratifs. Du même coup, ces figures, dit-il, sont là « comme des non-signes dessinant la perspective d’un acte énonciatif » seul à même de les faire signifier et de rendre possible leur saisie. Ces figures sont donc toujours en suspens, soumises à une « épreuve du vide » et appelant un acte spécifique d’interprétation où se forge le sujet d’énonciation lui-même. C’est ainsi que Louis Panier, dégageant l’espace du sujet à partir des potentialités figuratives du texte, dessinait une médiation entre sémiotique et herméneutique. La portée de cette proposition, parmi d’autres, reste à explorer et à faire valoir. Mais elle indique combien la distance prise, par Louis le sémioticien, au regard des textes sacrés et de leurs commentateurs patentés, était aussi un geste de cheminement à leur rencontre, et un acte de mémoire envers sa discipline d’origine, la théologie. Son dernier exposé au séminaire, le 25 janvier 2012, sur les « incidences sémiotiques de la Théologie négative », était remarquable par la richesse de ses connaissances et la profondeur de ses analyses. On peut le lire sur le site des NAS, où il a été aussitôt diffusé. Son travail sur l’apophatisme théologique montrait combien cette thématique du vide, cette « possibilité de l’impossible » liée à la parole elle-même, était au centre de sa réflexion sur le « lieu imaginaire de l’énonciation ».

Nombreux sont les sémioticiens qui ont été invités, au fil des années à présenter leurs conceptions, leurs expériences d’analyse et leurs approches, souvent discordantes, au sein du CADIR. La curiosité et la sobriété de l’écoute y étaient de règle. Ainsi, si le corpus des discours étudiés s’étendait bien au-delà des seuls textes bibliques et religieux, il en était de même pour le corpus théorique. Il faut mentionner le rôle particulier qu’a joué dans ce contexte la sémiotique de Jacques Geninasca. Fidélité du massif alpin, aurait dit Jean-Marie Floch... Peut-être, mais bien au-delà, ce sont les propositions géninasciennes sur la remontée du texte au discours et du discours à son sujet qui ont rencontré la recherche de Louis Panier.

Il est difficile de dire un mot enfin sur l’ami au sens le plus familier. La réserve qui en était chez lui la marque, s’impose aussi à nous. Peut-être les amis étaient-ils aussi à ses yeux des textes, porteurs de cette magnificence d’un sens toujours ouvert, à accueillir et à comprendre, au plus près de l’étymologie de ce verbe. A comprendre par delà la mort qu’il a jusqu’au bout superbement ignorée devant ses amis. Elle est restée à leurs yeux son jardin secret.

Denis Bertrand


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Notre témoignage sera un témoignage de proximité. C’est une constellation de mots qui gravite pour nous autour du souvenir de Louis.

« Lecture », « dialogue et partage »

Louis était un grand lecteur et savait faire partager cette passion de la lecture. Au cours de ses séminaires, il savait se taire, ménager un espace de silence que pouvaient investir les textes, pour laisser la parole aux textes, aux textes, objets d’études, mais aussi aux textes théoriques, outils pour l’étude. Ces textes théoriques que nous lisions ensemble à voix haute pour leur donner plus de corps, pour leur rendre une musicalité que la lecture visuelle met en sourdine. Nous partagions les difficultés que nous avions à les comprendre, à les mettre en relation avec nos corpus, à faire résonner l’écho avec d’autres textes, à voir l’éclairage qu’ils s’apportaient mutuellement. Nous ne nous ne souvenons pas de remarques polémiques. Nous dialoguions autour de nos interprétations et le séminaire s’appelait « dialogues théoriques ».

« Ouverture et tolérance », « écoute »

Tout était texte pour Louis, une peinture, une partition musicale, nos pratiques quotidiennes… Et tout texte méritait une approche plurielle. Louis n’était pas dogmatique et d’autres cadres théoriques que celui qui lui était cher et familier étaient envisagés, tout comme d’autres disciplines des sciences humaines étaient sollicitées. Il aurait eu bien des choses à nous dire dans le cadre de la thématique du séminaire que nous inaugurons aujourd’hui. Mais si tout était texte porteur de sens, Louis avait surtout une passion pour la problématique de l’énonciation : le texte n’est jamais isolé de celui qui le produit et de celui à qui il s’adresse ; et celui à qui il s’adresse se l’approprie et participe à l’élaboration du sens dans ce processus, qui intéressait Louis, des conversions énonciatives.

La lecture implique l’écoute, écoute attentive, respectueuse du texte, des textes, et écoute patiente et bienveillante pour ses collègues et surtout pour ses étudiants.

« Lumière »

Louis n’était pas brillant, il était lumineux. Il ne faisait pas dans l’effet d’éclat. Il n’éblouissait pas. Éblouir c’est aussi aveugler. Louis faisait plutôt dans l’effet d’éclairage, il savait répercuter cette lumière qu’il recevait de ses lectures, de ses rencontres et nous en faire profiter.  

Il nous revient maintenant de « porter le poids de ton absence, porter le poids des soleils en éclipse, des hier révolus. Et lentement transmuer ce poids en grâce. Ce sera long. Il y a des tâches vouées à l’inachèvement. » (S. Germain, Le Monde sans vous, p. 13)

Odile Le Guern

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