Qui gardera les gardiens ? Sur certaines déclinaisons sémiotiques de la transparence en vue d’une évaluation critique des nudges

Valeria De Luca

Centre de Recherches Sémiotiques,
Université de Limoges

https://doi.org/10.25965/as.6720

Index

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Mots-clés : attention, choix, compétence, manipulation, nudges, transparence, vigilance

Auteurs cités : Claire BIRCHALL, Yves CITTON, Bart ENGELEN, Jacques FONTANILLE, Byung-Chul HAN, Viktor IVANKOVIĆ, Eric LANDOWSKI, Gregory MITCHELL, Cass SUSTEIN, Richard THALER

Plan
Texte intégral

1. Introduction. Les nudges, un outil politique exportable comme d’autres ?

Qui gardera les gardiens ? L’adage latin de Juvénal, qui reformule indirectement à son tour les suggestions platoniciennes de La République, semble condenser certains des thèmes que l’on cherchera à déployer ici par une approche sémiotique des nudges : la transparence et l’opacité dans la proposition et dans l’effectuation du choix, la négociation dans l’établissement d’une architecture de choix et de valeurs, les « outils » nécessaires pour que les citoyens puissent s’engager réellement dans leurs propres conduites et choix comportementaux.

Comme l’atteste la vaste littérature scientifique de ce domaine d’études, les nudges, appelés également coups de pouce ou incitations douces, travaillent apparemment dans les zones grises du pouvoir et du vouloir, du faire et du sentir. D’une manière générale, ils sont présentés pour ainsi dire comme une solution économique et écologique à différents enjeux sociétaux dans des sociétés affectées par un nombre croissant de médiations, ainsi que par un état de crise permanent. D’un côté, il s’agirait d’une solution économique en termes de coûts politiques pour les décideurs, et de coûts cognitifs pour les citoyens/les usagers, etc. De l’autre côté, il s’agirait aussi d’une solution écologique dans la mesure où la promotion d’un style de vie – voire d’une forme de vie à part entière – se produirait sans solution de continuité, d’un point de vue aspectuel, entre une conduite précédente et celle souhaitée.

Note de bas de page 1 :

Cf. Richard Thaler et Cass Sunstein, Nudge. Improving Decisions About Healt, Wealth, and Happiness, New Haven & London, Yale University Press, 2008, trad. fr. Émotions, habitudes, comportements : comment inspirer les bonnes décisions, Paris, Vuibert, 2010.

Dans ce cadre, notre approche sémiotique des nudges se posera à une échelle intermédiaire du processus de la construction des architectures des choix qui caractérisent ces solutions. Le concept de nudges désigne des dispositifs qui emploient plusieurs supports et matériaux sémiotiques (linguistiques, visuels, etc.) visant à moduler, rectifier, voire modifier dans la durée certains comportements et conduites des citoyens ; ils opèrent notamment sur la manière dont des choix sont effectués, des décisions sont prises vis-à-vis de certains thèmes ou questions censées être d’intérêt général. Dans un dialogue imaginaire avec d’autres acteurs responsables de la conception et de la mise en place des nudges dans la société, le sémioticien se situerait à cette échelle intermédiaire car il occuperait la position d’« expert ». Une telle interaction entre théoriciens, décideurs et autres figures de conseil n’est pas si imaginaire que ce que l’on croirait. L’existence et la participation de cette même « échelle » aux stratégies gouvernementales et politiques d’action sur la « chose publique » est en effet envisagée, et même souhaitée, par de nombreux chercheurs qui, depuis la publication de l’ouvrage fondateur de Richard Thaler et Cass Sunstein en 20081, s’interrogent sur l’efficacité réelle des nudges, ainsi que sur des questions d’ordre éthique et moral.

Note de bas de page 2 :

Direction interministérielle de la transformation publique, https://www.modernisation.gouv.fr/.

Note de bas de page 3 :

Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication, https://www.data.gouv.fr/fr/organizations/direction-interministerielle-du-numerique-et-du-systeme-dinformation-et-de-communication-de-letat/.

Note de bas de page 4 :

Informations actualisées pendant l’année 2019 : https://www.ratp.fr/decouvrir/coulisses/modernisation-du-reseau/nous-poursuivons-loperation-coup-de-propre-dans-nos.

Note de bas de page 5 :

http://www.nudgefrance.org/.

Note de bas de page 6 :

https://www.modernisation.gouv.fr/la-semaine-de-linnovation-publique/revivez-la-semaine-de-linnovation-publique-2016/nudge-challenge-paris-2024-8-coups-de-pouce-verts-et-citoyens-laureats.

Avant de détailler davantage notre propos initial, il s’avère nécessaire de préciser quelques points généraux afférant au contexte politique et sociétal d’origine, qui préside à l’émergence des nudges dans la gouvernance des sociétés. Une première donnée à retenir est, selon nous, une différence profonde en termes temporels et à la fois d’arrière-plan politique – au sens du politique globalement conçu – par rapport à l’emploi des solutions-nudges par exemple entre les États-Unis et l’Angleterre, d’un côté, et la France, de l’autre. Alors qu’outre-Atlantique et outre-Manche il est temps de bilans – aussi bien pratiques que scientifiques – après une dizaine d’années d’exploitation de cette méthode, c’est depuis très peu qu’en France elle est entrée dans la programmation politique publique, tout comme dans le secteur privé. A l’égard de l’échelle temporelle, rappelons que c’est à la fin de 2017 que l’État français a institué un observatoire sur la transformation publique qui dépend de la DITP2 et de la DINSIC3. D’autres acteurs, publics et privés – notamment des cabinets de marketing –, se penchent actuellement sur ce domaine, comme en témoignent le plan Coup de propre de la RATP4 qui a débuté fin 2018, les actions de l’association Nudge France5, ou encore le Nudge Challenge Paris 20246 lancé en vue des Jeux Olympiques. Du côté de l’arrière-plan politique, qui déborde l’objet de cette contribution, soulignons très brièvement que le problème du « paternalisme libertarien » que les nudges incarnent demeure très fortement rattaché à la vision générale et historiquement héritée des relations entre l’État et ses citoyens.

Cela pourrait paraître un détail anodin, mais ce ne l’est pas dès lors qu’on prend en compte la différence en termes d’extension du champ d’exercice et d’influence du « public » aux États-Unis et dans plusieurs démocraties européennes. A cet égard, il suffit de penser aux nombreux exemples que Thaler et Sunstein donnent à propos des plans de cotisation retraite ou d’assurances maladies privées. Tout bien considéré, d’après ces exemples on comprend facilement que les problématiques soulevées par les nudges aux États-Unis concernent, entre autres, les modalités suivant lesquelles une « interférence » des politiques publiques – du moins du côté démocrate – serait à même d’étendre un principe d’égalité tout en gardant comme prioritaire le sacro-saint principe d’autonomie qui fonde l’individualisme économique et social américain. Cet aspect légitime par ailleurs les voix qui affirment que le « paternalisme libertarien » (ou libéral) peut répondre aussi bien aux exigences de la droite qu’à celles de la gauche. Du reste, Thaler et Sunstein affirment eux-mêmes que la nouvelle voie ouverte par les nudges n’est « ni de gauche ni de droite, ni démocrate ni républicaine » (Thaler et Sustein, op. cit., p. 39). En effet, comme le souligne la chercheuse en sciences politiques Émilie Frenkiel, le keynésisme et le comportementalisme économique

S’accordent pour mettre en doute la doctrine du libre marché libertarien de l’école de Chicago, mais les comportementalistes font davantage confiance au libre marché que les keynésiens puisqu’ils considèrent que, même dans les cas de dysfonctionnements sévères du marché, un petit coup de coude peut suffire. Cela explique que le livre puisse séduire aussi bien à gauche qu’à droite. Ainsi, bien que la droite et les libertariens « orthodoxes », notamment du Cato Institute, rejettent résolument l’alliance contradictoire du paternalisme et du principe de liberté, les conservateurs britanniques fondent leur programme sur les idées de Sunstein et Thaler. (Frenkiel, 2009)

En revanche, bien que, depuis les années 1980, nombre de réformes aient contribué à changer profondément le visage des politiques économiques et sociales dans les démocraties européennes, et en dépit de l’accélération vers une transition presque accomplie vers des post-démocraties ultra-libérales, l’idée très générale de « République » semble garder encore aujourd’hui en France l’identification en la chose publique avec le partage d’un même espace d’action et, par conséquent, d’un lien social collectif en tant que seuil et socle ultime de diverses diffractions identitaires.

Note de bas de page 7 :

Nous préférons cette version de l’adage latin à celle de « surveiller les surveillants », car précisément il sera pour nous question de « garder » plus que de « surveiller ».

Dès lors, un tel essor et une réception relativement « rapide » des nudges par les décideurs dans un contexte général historiquement différent qui cherche à se conformer à des tendances planétaires, demande un examen des zones d’ombre ou, comme on le verra, des zones les plus transparentes, et par là même éblouissantes, de ces coups de pouce. Comme nous le disions plus haut, l’objectif, non seulement théorique, sera donc celui de « garder les gardiens »7 à travers un exercice critique qui ramène la discipline sémiotique à une de ses vocations originaires, et qui, ce faisant, puisse répartir cet engagement (la garde) entre plusieurs acteurs, dont le statut serait réellement et différentiellement négocié.

Nous nous focaliserons tout particulièrement sur les différents usages et implications de la notion de transparence, évoquée à la fois en sémiotique et dans les recherches en sciences comportementales, vis-à-vis des nudges. L’examen de cette notion et de son entourage sémantique nous conduira à interroger les relations entre les notions de choix qui semblent prévaloir dans le discours sur les nudges et celle de valeur qui, en revanche, peut intégrer une vision « écologique » des nudges à la dimension « économique ». Cet examen nous permettra également de mettre en lumière une certaine « distorsion » qui serait mise en place par les nudges dans les relations entre compétence et performance – ou, mieux, performativité – et qui est typique du capitalisme tardif et numérique. Finalement, nous verrons comment la prise en compte d’une certaine opacité peut concourir à préserver l’autonomie des choix et des formes de vie des citoyens.

2. Les voies de la transparence

De prime abord, les nudges semblent opérer une étrange synthèse qui ne recompose pas, mais au contraire affiche la contradiction entre des lectures différentes de la transparence.

Note de bas de page 8 :

Sur la notion d’accélération, cf. Rosa (2010).

En premier lieu, la transparence peut être entendue comme exposition totale, lissage, évacuation de tout obstacle, éclairage qui transperce de part à part les sujets à l’ère du capitalisme avancé. Cette conception est proposée par le philosophe Byung-Chul Han dans le cadre d’une réflexion plus générale sur l’excès de « positivité » qui affecterait la société contemporaine au détriment du « négatif ». En effet, tout comme dans la société de la fatigue (Han, 2014), dans la société de la transparence l’éclairage presque total offert par les nombreuses formes d’exposition médiatique du soi, engendrait un amincissement, voire la disparition de l’épaisseur – et par là même de l’opacité – qui fonde toute interaction humaine et toute identité. Positivité et négativité sont ici à comprendre comme étant les deux pôles assurant l’établissement de la relation entre soi et l’autre, et la reconnaissance de ce dernier. Les médiatisations actuelles, notamment celles gouvernées par les algorithmes, dans tous les domaines, provoquent selon Han un excès de positivité qui empêche l’instauration de la distance nécessaire pour que toute relation différentielle puisse émerger. L’excès de positivité serait notamment le résultat du lien entre accélération8 et transparence :

Le système social soumet aujourd’hui tous ses processus à une contrainte de transparence afin de les rendre opérationnels et plus véloces. La pression pour l’accélération va de pair avec le démantèlement de la négativité. La communication atteint sa vitesse maximale là où le même répond au même, là où se déroule une réaction en chaîne du même. La négativité de l’altérité et de l’étrangeté, ou encore la capacité de résistance de l’autre, perturbent et retardent la communication lisse du même. (Han, 2017, pp. 8-9)

Le philosophe précise en outre que la négativité, avec sa temporalité propre, « sous la forme de l’obstacle ou de la transition est constitutive de la tension narrative […] La narration exerce une sélection. La voie narrative, étroite, ne tolère que certains événements. Elle empêche ainsi le pullulement et la massification du positif » (ibid., pp. 59-60). En revanche, l’espace translucide modelé par la transparence, par l’abolition des seuils, des frontières, des sauts et des ruptures constitutives de toute narration, ne laisserait la place qu’à la prolifération de masses de données quantifiables et exploitables. Finalement, ces masses ne pourraient pas éclairer à proprement parler les sujets dans leur expérience du monde, mais les profileraient souvent à leur insu en fonction d’un présumé storytelling (plutôt que d’une véritable narration) de leurs propres goûts et vies. Ainsi, l’auto-exposition mène directement selon Han à des formes d’autocontrôle de contrôle presque total des uns sur les autres. Ces modes d’échange se passent facilement de la confiance précisément à cause de la production et de la saisie toujours plus rapides et détaillées des informations :

Des entreprises comme la Schufa éliminent la confiance et la remplacent par le contrôle. La confiance se définit par le fait qu’on entretient, malgré un non-savoir, un rapport positif avec autrui. Dans l’absence d’un savoir, elle permet néanmoins d’agir. Si je sais tout de l’autre, plus besoin de confiance. […] La confiance implique toujours la possibilité de rester sans réponse, voire d’être trahie. Mais cette possibilité de la trahison est constitutive de toute confiance. Même la liberté implique un certain risque. Une société qui, au nom de la liberté, soumettrait tout au contrôle et à la surveillance sombrerait dans le totalitarisme. (Han, 2018, pp. 64-67)

La conception de Han diverge sur la forme mais s’accorde en partie sur le fond avec la conception de la transparence développée par Jacques Fontanille dans la perspective plus large de l’étude des formes de vie. L’hybridation entre ces deux conceptions et certaines suggestions provenant de l’intérieur des études sur les nudges peuvent par ailleurs rediriger, sinon recomposer, les contradictions que ces derniers manifestent et dont profitent les décideurs moins avisés. Fontanille affirme tout d’abord que « la transparence participe à la socialisation de l’environnement et à la sémiotisation du monde naturel […] » (2015, p. 105), notamment en ceci qu’elle intervient dans les interactions entre les individus ou avec l’entour. Ensuite, tout comme Han, il reconnaît qu’il s’agit d’une

catégorie de pensée qui est d’emblée dissymétrique : des états de choses opaques ou incompréhensibles sont sommés de devenir lisibles, compréhensibles et transparents […] Le schème de la transparence transcende les univers thématiques et les modes d’existence sociaux en leur procurant une configuration constante, qui se reconnaît d’un univers à l’autre : on invoque ainsi la transparence dans le monde du visible au quotidien ou dans les pratiques scientifiques, dans l’exercice de la démocratie et de l’administration, mais aussi dans le domaine de la finance, de la vie urbaine et des médias. (Ibid., pp. 106-107)

Le point dirimant sur lequel il faut s’entendre concerne tout particulièrement la manière dont on conçoit l’agir de la transparence en tant que processus. D’un côté, on trouve une conception de la transparence qui repose sur des gradients de visibilisation et dont les extrêmes reviennent tous deux à réaffirmer une sorte d’opacité renversée – tout est si translucide qu’il ne reflète rien ; autrement dit, rien de ce qui a pourtant un statut d’existence n’est donné à voir. De l’autre côté, on met en relief les propriétés de réflexion, de filtrage et de passage de la transparence comme autant d’effets du traitement de l’obstacle : « la transparence s’inscrit spécifiquement sur une isotopie pratique de nature cognitive, perceptive, sensible ou interprétative. Elle présuppose sur cette isotopie au moins un obstacle, et permet de faire (de voir, de savoir, de comprendre, etc.) malgré cet obstacle » (ibid., pp. 108-109). La transparence dévoile partiellement l’entité visée, la rend visible, en niant ou en invisibilisant ce qui fait office d’obstacle. Cela présuppose, dans la description modale que le sémioticien donne de la transparence, au moins un seuil de modalisation perceptive et cognitive (pour qu’il y ait « visée ») de l’agent connaissant et une modalisation de l’objet à connaître à travers la virtualisation de l’obstacle. Selon la formule « /pouvoir & vouloir percevoir (ou savoir)/ + /ne pas pouvoir ne pas donner à percevoir (ou savoir)/ » (ibid., p. 109).

Or, le fonctionnement global des nudges semble précisément renverser ou en tout cas remettre en perspective cette formule. D’une manière générale, qu’il s’agisse de la présentation des informations par défaut, de l’exploitation de biais cognitifs ou de traits plus uniformisants des normes sociales, de la manipulation de la saillance, du cadrage des informations, le sujet nudgé n’est pas forcément modalisé dès le départ par rapport à un objet de valeur quelconque. En revanche, il se trouve souvent exposé à deux cas de figures opposés :

Note de bas de page 9 :

Cf. Thaler et Sustein (2003a et 2003b).

a) Soit il est conduit – que ce soit consciemment ou inconsciemment – à effectuer un choix ponctuel qui apparaît délié de son « paysage » personnel et collectif de valeurs (les fameux choix alimentaires dans l’exemple de la cafétéria9) ;

Note de bas de page 10 :

Cf. ibid.

b) Soit, en revanche, le choix est immédiatement relié à un cadre de valeurs qui peut être plus ou moins manifeste ou occulté en fonction de l’architecture spécifique du choix en question. L’exemple du don d’organes10 est révélateur dans ce cas. En effet, quelle que soit l’architecture donnée afin d’obtenir le choix « souhaité », il est évident qu’y penser veut dire se projeter dans le futur et, par conséquent, mobiliser tout un pan de croyances et de savoirs sur le corps, sur la vie et la mort, etc. En revanche, même si les choix alimentaires dans une cafétéria demeurent « invisiblement » guidés par des instances allant vers le bien-être ou l’hédonisme du goût, ils ne convoquent pas pour autant et si immédiatement des valorisations à l’échelle d’une vie en tant que telle et dans sa globalité.

Note de bas de page 11 :

Cf. Dewey (2011). Pour une lecture sémiotique de la théorie de la valeur chez Dewey, nous nous permettons de renvoyer à De Luca (2016, pp. 215-230).

Dès lors, qu’un sujet « découvre » plutôt qu’il ne vise – à un moment donné – l’amélioration de sa santé, l’impact écologique de ses habitudes de vie, ou la planification de son mode de vie après la vie active, on peut affirmer que l’obstacle que la dynamique de la transparence permet de contourner n’est finalement pas nié, car il n’existait même pas virtuellement. De facto, l’horizon, la fin-en-vue11 par rapport auxquels on serait censés devoir changer nos propres conduites, ainsi que les obstacles virtuels, personnels, culturels, sociaux, se constituent en même temps, et alors que l’un prime sur l’autre. Dans ce sens, en premier lieu, l’absence d’obstacles conduit presque nécessairement à l’adoption et à l’adhésion à des fin-en-vue par rapport auxquelles on est soudainement concernés. Cela vaut du moins pour chaque choix ponctuel que l’on se trouve à devoir-faire et quelle que soit la nature du choix (y compris un évitement éventuel de la trajectoire induite par un nudge). En deuxième lieu, l’évaluation du degré de transparence ne se fait qu’en remontant le processus de constitution même des nudges : ce processus part du choix (et de ce sur quoi porte le choix), et se dirige à rebours vers l’architecture de ce choix, jusqu’à convoquer éventuellement, dans les cas de nudges exploitant les algorithmes, les langages de programmation.

Finalement, si l’on suit toujours Fontanille, qu’en est-il de l’actant de contrôle qui module les variétés d’action de la transparence ? À notre avis, les dispositifs organisant la perception des choix, et même le « code » dans le cas d’une implication du numérique, semblent être doublement investis, comme obstacles et comme actants de contrôle ; en d’autres termes, ils seraient chargés de moduler les degrés de transparence et d’invisibilisation (la maîtrise des algorithmes demeure impossible) jusqu’à la surexposition (restrictions des options face à l’embarras du choix).

À ce propos, il nous semble utile de distinguer, éventuellement à des fins analytiques, deux types de transparence, 1) une transparence que l’on qualifiera de thématique ou d’affichage, et qui porte sur le choix en tant que tel, sur ce qui est rendu pertinent en tant qu’option, et 2) une transparence de saisie ou d’accès, qui porte sur ce qui fait du choix un choix.

Le schéma suivant résume les éléments que l’on vient de dégager :

image

Ce type de formulation peut s’avérer sémiotiquement fructueux dans la mesure où il peut être comparé avec au moins deux schématisations du processus décisionnel et de la transparence issues de la littérature en sciences comportementales. Une suggestion dans ce sens vient de Gregory Mitchell, auteur d’un long texte qui défend la thèse selon laquelle le « paternalisme libertarien » est, en tant que tel, un oxymore. Le chercheur, visant à dénicher des nudges qui seraient libertariens, propose une distinction entre nudges dépendants des choix et indépendants des choix. Sans trop de surprise, seule la deuxième catégorie permettrait d’identifier des nudges véritablement libertariens. Cette distinction, souligne Mitchell, découle de l’élargissement sémantique et du champ d’intervention des nudges :

Note de bas de page 12 :

Nous traduisons. Version originale en anglais : « The nudge, however, has outgrown its libertarian paternalist origins and now encompasses any policy that does not directly involve mandates, bans, rewards, or penalties. Under this broader conception of nudging, there is no requirement that the nudge seek to promote the interests of those directly affected by the policy nor that those affected by the policy have any choice in the matter. Thus, we find attempts to push people toward other-regarding choices through the manipulation of charitable solicitation forms […] Even policies that involve direct payments to encourage desired behaviors have been described as nudges ».

Le coup de pouce, cependant, a dépassé ses origines paternalistes libertaires et englobe maintenant toute politique qui n’implique pas directement des mandats, des interdictions, des récompenses ou des pénalités. Selon cette conception plus large du coup de pouce, il n’est pas nécessaire que le coup de pouce cherche à promouvoir les intérêts des personnes directement affectées par les actions politiques ni que les personnes affectées par les actions politiques aient un choix en la matière. Ainsi, nous trouvons des tentatives pour pousser les gens vers d’autres choix par la manipulation de formulaires de sollicitation caritative […] Même des politiques qui impliquent des paiements directs pour encourager les comportements désirés ont été décrites comme des nudges. (Mitchell, 2017, pp. 695-708)12

Plus en détail, les nudges libertaires ou indépendants des choix s’inscrivent dans le cadre suivant :

Note de bas de page 13 :

Nous traduisons. Version originale en anglais : « when a “choice architect” seeks to provide information, make the decision-making process less difficult, or make one’s choice easier to implement, then the design is choice independent. So long as these designs are implemented in ways that may improve decision-making competence in general or the rationality of a particular decision, while remaining agnostic about what choice should be made, there is no reason to object. The motivation behind the intervention need not be paternalistic : market forces may demand more information or the availability of commitment devices ».

Lorsqu’un « architecte de choix » cherche à fournir des informations, à rendre le processus décisionnel moins difficile ou à faciliter la mise en œuvre de son choix, alors le design est indépendant du choix. Tant que ces designs sont mis en œuvre de manière à améliorer la compétence de prise de décision en général ou la rationalité d’une décision particulière, tout en restant agnostiques quant au choix à faire, il n’y a aucune raison pour s’y opposer. La motivation de l’intervention n’a pas besoin d’être paternaliste : les forces du marché peuvent exiger davantage d’informations ou la disponibilité de dispositifs d’engagement. (Ibid., pp. 697-698)13

En revanche, les nudges dépendants des choix

Note de bas de page 14 :

Nous traduisons. Version originale en anglais : « In contrast, many nudges do seek to steer choosers in particular directions. These choice-dependent nudges increase the difficulty or cost of choosing one option over another, seek to take advantage of the cognitive or motivational biases of choosers to favor one choice over another, or may even seek to change preferences in a particular direction. A choice-dependent nudge could still be acceptable to the libertarian if the nudge allows an easy way out of the choice that has been favored by the choice architect. However […] this libertarian work-around will be meaningless for people who do not have the cognitive or motivational resources needed to overcome the nudge. For these people, the nudger effectively makes the choice. Therefore, choice-dependent nudges cannot ever be truly libertarian nudges ».

augmentent la difficulté ou le coût de choisir une option plutôt qu’une autre, cherchent à profiter des biais cognitifs ou motivationnels des personnes qui choisissent pour favoriser un choix plutôt qu’un autre, ou peuvent même chercher à changer leurs préférences dans une direction particulière. Un coup de pouce dépendant du choix pourrait encore être acceptable pour le libertaire si le coup de pouce permet de sortir facilement du choix qui a été favorisé par l’architecte du choix. Cependant […] cette solution de contournement libertaire n’aura aucun sens pour les personnes qui n’ont pas les ressources cognitives ou motivationnelles nécessaires pour surmonter ce coup de pouce. Pour ces personnes, le nudgeur fait effectivement le choix. Par conséquent, les nudges dépendant du choix ne peuvent jamais être de véritables nudges libertaires. (Ibid.)14

Note de bas de page 15 :

Nous traduisons. Version originale en anglais : « is primarily a concern about the purported (il)legitimacy of government policies as it is intertwined with fundamental notions of accountability, respect, deliberation and consent ».

Comme on peut le constater, ce découpage pose précisément la question de savoir quel est le moment (choix ou dispositif) du processus du nudge qui est concerné par une dynamique de « transparentisation », quels que soient son gradient ou son acception. De même, les chercheurs Viktor Ivanković et Bart Engelen (2019) ont interrogé directement la transparence des nudges en ceci qu’elle est « avant tout une préoccupation au sujet de la prétendue (illégitimité) des politiques gouvernementales, car elle est étroitement liée aux notions fondamentales de responsabilité, de respect, de délibération et de consentement »15. Aussi, selon ces chercheurs, Thaler et Sunstein ne fourniraient pas trop de détails permettant de comprendre si et dans quelle mesure des nudges sont ou peuvent être transparents. L’épreuve de la transparence est intéressante pour les auteurs dans la mesure où

Note de bas de page 16 :

Nous traduisons. Version originale en anglais : « making nudges transparent meets potential concerns about autonomy and agency. On the one hand, when disclosure renders nudges less effective, it probably means that nudgees come to see the nudge as contrary to their reasons and goals, in which case their decreased effectiveness is, ceteris paribus, a good thing. On the other hand, when disclosure does not make nudges less effective, there are two possible explanations. Either the nudgees perceive the nudge(r)s as pursuing legitimate goals (in which case we fail to see the problem), or the particular nudge may not be easily resistible even when made transparent (which does raise worries) ».

rendre les nudges transparents répond aux préoccupations potentielles en matière d’autonomie et d’agence. D’une part, lorsque le dévoilement rend les nudges moins efficaces, cela signifie probablement que les nudgés en viennent à considérer le nudge comme contraire à leurs raisons et objectifs, auquel cas leur efficacité réduite est, ceteris paribus, une bonne chose. D’autre part, lorsque le dévoilement ne rend pas les nudges moins efficaces, il y a deux explications possibles. Soit les nudgés perçoivent les nudgeurs comme poursuivant des objectifs légitimes (auquel cas il n’y a pas de problèmes), soit le nudge particulier peut ne pas être facilement résistible même lorsqu’il est rendu transparent (ce qui soulève des inquiétudes). (Ibid., p. 10)16

Note de bas de page 17 :

Nous traduisons. Version originale en anglais : « stands for governments informing citizens that certain techniques will be used to increase their individual welfare or solve collective action problems. These governments are thus transparent about the types of interventions they are going to implement ».

Note de bas de page 18 :

Nous traduisons. Version originale en anglais : « requires transparency about every particular nudge intervention ».

Dès lors, les chercheurs proposent une vision de la transparence qui, pour reprendre le mot de Fontanille, serait à bon titre « imparfaite », en s’inspirant d’une autre distinction faite par Luc Bovens entre la transparence d’interférence « type » et « token ». La transparence d’interférence « type » « signifie que les gouvernements informent les citoyens que certaines techniques seront utilisées pour améliorer leur bien-être individuel ou pour résoudre des problèmes d’action collective. Ces gouvernements sont donc transparents quant aux types d’interventions qu’ils vont mettre en œuvre »17 (ibid., p. 11). Cependant, cette transparence ne met pas à l’abri par exemple de l’emploi de messages subliminaux, car cela reviendrait à rendre les nudges non-transparents. La transparence d’interférence « token », quant à elle, « exige de la transparence pour chaque intervention d’un nudge »18 (ibid.), mais elle pose à son tour des problèmes non seulement vis-à-vis de l’efficacité de certaines mesures, mais aussi à l’égard de la faisabilité d’un tel programme. Dès lors, les auteurs envisagent une redistribution du pouvoir-voir et du savoir-voir grâce à des actions de vigilance (watchfulness) de la part des nudgés par rapport à l’identification de transparences-token qui dépasseraient un seuil d’admissibilité éthique et pragmatique. Comme ils l’affirment,

Note de bas de page 19 :

Nous traduisons. Version originale en anglais : « an in principle transparent (or ‘detectable’) nudge is not always de facto transparent (or ‘detected’). Perhaps it works best when not detected, and thus with people who are not watchful, but it is not impossible to become aware of it and defy its influence. This is what distinguishes an in principle transparent nudge from subliminal messages, which are undetectable even for the watchful ».

Un coup de pouce en principe transparent (ou « détectable ») n’est pas toujours de facto transparent (ou « détecté »). Il fonctionne peut-être mieux lorsqu’il n’est pas détecté, et donc avec des personnes qui ne sont pas vigilantes, mais il n’est pas impossible d’en prendre conscience et de défier son influence. C’est ce qui distingue un coup de pouce en principe transparent des messages subliminaux, qui sont indétectables même pour les plus vigilants. (Ibid., p. 13)19

Finalement, cela veut dire :

I. Présupposer un continuum des degrés et de l’aspectualité de la transparence (de type à token, de l’invisibilisation-dissimulation à la surexposition, de l’affichage à la saisie) ;

II. Présupposer un continuum et même un mélange entre les processus de type « shallow » (rapides, superficiels, qui peuvent faire intervenir des biais) et des processus de délibération stricto sensu ;

III. Redéfinir l’agentivité à l’intérieur du dispositif des nudges.

3. Relance : comment choisir sans compétence ?

Note de bas de page 20 :

Dans le parcours que l’on développe, et comme on le verra dans les lignes qui suivent, le terme vigilance appliqué au sujets nudgés s’avère au moins complémentaire de celui de surveillance qui caractérise nombre de politiques aussi publiques que privées.

L’objectif de cette étude étant celui de dresser un tout premier tableau de problématiques sémiotiquement pertinentes face à un objet radicalement nouveau, nous souhaitons – pour ne pas conclure notre réflexion – poser une question complémentaire à celle évoquée plus haut : comment choisir sans compétence ? En effet, chercher à y répondre signifie, selon nous, comprendre également qui peut garder les gardiens, et comment il peut le faire. Des solutions telles que la vigilance20 et la transparence imparfaite semblent résoudre une autre contradiction que les nudges affichent et qui affecte précisément les débats autour de l’autonomie. On a évoqué plus haut la presque « découverte » d’un choix que l’on nous demande de faire. Dans les cas des décisions rapides, cela se traduit à notre avis en un « défaut » de la « compétence » (et des modalisations qui y sont rattachées) vis-à-vis de la performance – ou, mieux, de la performativité – souhaitée par les nudges. Précisons également que cela ne veut pas dire que les individus ne soient pas dotés de désirs, croyances, aspirations, ambitions, idéaux, etc., et donc au moins d’un savoir et d’un vouloir. À notre avis, ce « défaut » de compétence n’est relatif qu’à la situation particulière où un choix ponctuel est demandé, un choix qui peut en revanche engendrer un effet « boule de neige » en rendant saillant presque immédiatement tout un paysage de valeurs sur lequel le choix aura un effet. C’est dans cet écart temporel et pratique que s’insinue le « défaut » de compétence.

Aussi, si l’on pousse jusqu’au bout cette réflexion, devrait-on admettre que les nudges sont à la fois manipulateurs et non-manipulateurs. Bien sûr, ils le sont dans une acception courante de la manipulation, mais ils pourraient ne pas l’être si l’on se réfère à une définition plus stricte du terme. Par exemple, chez Éric Landowski (2006), « dans le cadre de la manipulation, l’un au moins des acteurs, le manipulateur en puissance, attribue à son partenaire, quel qu’il soit […] un statut sémiotique identique à celui qu’il se reconnaît à lui-même : celui d’un sujet » (p. 22). Par cette clause, la manipulation cherche à « transformer le monde en passant par le relais d’un modelage stratégique préalable visant sinon dans tous les cas les “états d’âme” du moins la compétence d’un autre sujet, le “vouloir faire” qui le déterminera à agir » (ibid., p. 17).

Note de bas de page 21 :

Nous nous référons ici à la lecture qu’en propose Yves Citton. Cf. notamment Citton (éd., 2014) et (2013). Citton relève tout d’abord la transformation de l’attention – en tant qu’énergie mentale – en bien que l’économie actuelle cherche à s’accaparer. Au vu de la multiplication des sollicitations relatives aux biens de consommations disponibles, ainsi que de la réduction temporelle du temps des choix d’achat – elle-même due à l’accélération engendrée par la numérisation de nombreuses activités ordinaires –, le temps de l’attention du sujet, c’est-à-dire de sa focalisation perceptive, cognitive et émotionnelle se voit lui aussi réduit et morcelé. C’est pourquoi les géants de l’économie mondiale et les économistes étudient des méthodes qui puissent briser et figer davantage ce flux attentionnel. Citton évoque, entre autres, les recherches pionnières de Kahneman de 1973 sur l’effort mental, et qui font écho aux formulations autour des deux vitesses de la pensée, ainsi que d’autres études qui prônent un développement précisément des modes de visibilité à même de configurer cette fois les flux d’attention des valorisations interindividuels. Selon le théoricien des médias, il faudrait donc, à côté de l’économie, poursuivre une véritable écologie de l’attention qui aurait pour tâche de resituer celle-ci dans un écosystème plus vaste de médiations et d’instances sociales, culturelles et politiques. En particulier, l’écologie de l’attention s’interroge sur la valeur de chaque acte intentionnel, cherchant à promouvoir des formes d’attention communes, diffuses, partagées et orientées à la réappropriation, au moins partielle, d’autres rythmes temporels et pratiques de l’interaction avec autrui.

Dans ce cadre de réflexion autour de la transparence, et au vu de l’affaiblissement narratif évoqué plus haut, deux aspects retiennent notre attention. Premièrement, comme Landowski l’affirme, il s’agit de reconnaître dans l’autre ce que nous reconnaissons en nous-mêmes. Lorsqu’une architecture de choix rend l’autre compétent et permet même de reconnaître en lui des compétences malgré tout à l’œuvre, elle lui attribue un pouvoir d’agence qui devient ipso facto un pouvoir de différenciation, un pouvoir d’obstacle qui le met dans la condition d’exercer sciemment son attention21. Deuxièmement, cela implique l’attribution d’un pouvoir d’agence par-delà la distinction entre processus rapides et lents, car on donne pour acquis le fait que même dans des processus rapides il y a inséparabilité entre les contraintes environnementales, les expériences acquises, les soubassements émotionnels et les réarrangements perceptifs.

Yves Citton se demande justement, au sujet des deux vitesses de la pensée de Kahneman et de la relation entre attention et décision,

Et si la ruse de la déraison néolibérale consistait surtout à nous faire croire que nous sommes davantage dirigés par croyances irrationnelles que nous ne le sommes vraiment ? Autrement dit : le court-circuitage de nos processus délibératifs ne résulte-t-il pas autant d’effets de manche (et de leurre), vantant les mérites du court-circuitage, que du fonctionnement réel de nos esprits ? […] Le leurre principal, dans toute cette affaire, consiste sans doute à opposer de façon trop rigide Système 1 et Système 2 (alors qu’ils interagissent incessamment) et à ne voir partout que des courts-circuits, alors que chaque court-circuitage en forme de feedback entraîne ailleurs des rallongements de circuits porteurs de nouvelles possibilités de feed-forward. (Citton, 2017, p. 33)

Reconnaître un tel entremêlement signifie par conséquent reconnaître aussi les ajustements entre expérience et existence dans une forme de vie, des recoupages qui ne sont pas forcément homogènes vis-à-vis de valeurs éthiques considérées de manière abstraite.

Note de bas de page 22 :

Cf. également Birchall (2018).

Aussi, faisant obstacle à sa propre épaisseur, cet entremêlement fait-il la différence, et par là même rend le sujet sujet et autonome (non pas dans un sens rationaliste ou supra-déterminant, mais dans celui d’une possibilité de voir les flux variés et les instances diverses qui le traversent). De la même manière, il peut permettre de revendiquer, pour reprendre une formule conçue jadis par l’écrivain Édouard Glissant, un « droit à l’opacité ». La formule se voit actualisée dans un tout autre contexte que le littéraire : celui desdites technologies de « surveillance en partage », à savoir, pour le dire brièvement, les dispositifs de partage de données des citoyens mis en place par les institutions étatiques, et le retour de la part des sujets sur ces mêmes données22. Dans la perspective de ce que Clare Birchall appelle « distriveillance », on verrait à l’œuvre précisément l’alternance entre les deux types de transparence précédemment évoquées, tout comme le rabattement de la transparence en opacité et vice-versa. En effet, le sujet est appelé à être vigilant sur la transparence de l’État (transparence d’affichage) sans cependant pouvoir concrètement choisir ou saisir (transparence d’accès) les modalités mêmes de collecte et de partage des données. En d’autres termes, le citoyen est censé être vigilant bien qu’il ne soit pas compétent. Dans ce cadre, défendre un droit à l’opacité reviendrait à affirmer le droit de choisir activement ce à quoi on s’engage, ce que l’on veut partager selon des temps et des modalités propres, et ce à quoi on refuse de participer.

Finalement, ce droit à l’opacité serait, paradoxalement, un droit de transparence précisément en tant qu’accès, conscientisation, intervention ou retrait partiels des sujets vis-à-vis des dispositifs des nudges.

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