Introduction. Remarques historiques sur la relation entre le Droit et le Langage Introduction. Historical remarks on the relationship between Law and Language

Eduardo C. B. Bittar

Université de São Paulo

https://doi.org/10.25965/as.7831

Index

Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques

Auteurs cités : Roland BARTHES, Gérard CORNU, Jacques FONTANILLE, Algirdas J. GREIMAS, Bernard JACKSON, Eric LANDOWSKI, François RASTIER

Plan
Texte intégral

1. Un sombre scénario : les défis actuels du Droit et les mutations méthodologiques de la Sémiotique

Note de bas de page 2 :

Cf. Kharbouch 2018 : 03.

Note de bas de page 3 :

« La dynamique et l’entité appelées “peuple” se stabilisent dans l’attracteur topologique appelé “populisme” » (Fontanille 2020 : 19).

Note de bas de page 4 :

« […] face aux politiques obscurantistes auxquelles les forces du grand capital recourent désormais pour assurer leur domination, la quête sémiotique du sens a plus que jamais sa raison d’être et, espérons-le, un sens » (Landowski 2020 : Présentation).

Les démocraties contemporaines semblent en proie au scepticisme, et leurs perspectives pour l’avenir paraissent marquées par le désespoir. Un sombre scénario menace de la sorte l’État de Droit Démocratique. Ce scénario menaçant se projette sous la forme d’une polarisation politique, d’une montée des partis populistes, d’une croissance des discours de haine et d’une fragilisation des droits humains. Cette crise de l’État de Droit Démocratique entraîne un recul alarmant des droits, d’autant plus que la menace envers les institutions démocratiques et la culture de la médiation politique pour la construction des droits est négligée. Diverses régions du monde (États-Unis, Brésil, Hongrie, France, Allemagne) voient s’accroître le sentiment nationaliste au détriment des valeurs démocratiques (Kharbouch 2018 : 03)2. À supposer que la langue ainsi que le Droit – en fonction, dans une certaine mesure, des demandes de justice émanant du « peuple » (Fontanille 2020 : 19)3 – soient considérées comme des phénomènes sociaux, une double voie existerait pour que les transformations actuelles de la société et du climat politique intéressent la théorie du sens (Landowski 2020)4 et, partant, la Sémiotique du Droit.

Les bouleversements propres à notre époque, la montée en puissance de la rhétorique autoritaire, la perte des repères sociaux, les involutions dans les luttes pour les droits humains, affaiblissent l’État de Droit Démocratique et le précipitent dans une crise de légitimité. Ces brèches et ces ruptures imposent une réflexion sur un tel État de Droit. Au cœur de ce dernier siègent en effet les notions de démocratie, de participation publique, d’empire de la légalité et de partage de la parole. Un lien interne unit le langage, le discours et la démocratie. À l’évidence, les pratiques démocratiques recèlent en leur sein la liberté, l’argumentation et la contradiction. Cependant, la parole semble fracturée, divisée, escamotée, spécialement si on considère la situation des interactions dans les réseaux sociaux. Dans la mesure où le Droit contemporain se fonde sur la pérennité du projet de l’État de Droit Démocratique, saisir les changements, recenser les transformations, alerter sur les pertes et les dérives, pointer les erreurs, accuser les attaques et les déviances, sont autant de tâches nécessaires pour synchroniser l’actualité des mutations méthodologiques produites au sein du projet sémiotique avec les enjeux actuels du Droit. En même temps, dans le domaine de la recherche, nous pouvons constater le déplacement des frontières des droits et l’ouverture de possibilités diverses pour l’établissement de nouvelles interactions entre la Sémiotique et le Droit.

Note de bas de page 5 :

Cf. Lenoble 1994.

Dans ce contexte, le propos de ce Dossier Spécial est moins d’ordre politique que scientifique et juridique. Il demeure néanmoins pertinent, en tout état de cause, pour la compréhension, à notre époque, du rapport entre Law & Language (Leonoble 1994)5. L’initiative de réaliser ce Dossier Spécial revient aux Actes Sémiotiques et à l’intérêt de Juan Alonso Aldama et de Jacques Fontanille pour stimuler ce domaine. Ainsi, ce Volume vise les objectifs suivants : i. poursuivre la recherche dans l’esprit de l’acte fondateur de la Sémiotique greimassienne du Droit ; ii. maintenir la singularité de l’approche ; iii. introduire de la diversité dans le modèle théorique ; iv. promouvoir l’application des développements de la sémiotique postgreimassienne à la Sémiotique du Droit ; v. après une longue période initiale d’évolution, dresser un bilan historique sur le degré de consolidation de l’autonomie scientifique de la Sémiotique du Droit ; vi. synchroniser la sémiotique greimassienne du droit avec les questions, problèmes et défis d’aujourd’hui ; vii. confronter les études de Law & Langage, au sein de la Philosophie et de la Théorie du Droit, aux avancées actuelles de la Sémiotique du Droit. Cela justifie le titre du Dossier (La Sémiotique du Droit, l’État de Droit Démocratique et les Nouvelles Frontières du Droit) et les limites des prétentions internes de ce projet. Ce Dossier Spécial entend aussi remémorer le parcours de nos prédécesseurs et, ce faisant, reprendre le fil de cette contribution originale et unique de la Sémiotique à l’univers du Droit.

2. De l’esquisse au projet : un retour aux origines de la Sémiotique du Droit

Note de bas de page 6 :

« ... maintenant, la sémiotique est un projet, et non pas une science » (Greimas 2017 : 49) ; voir aussi Landowski 2017 : 65 ; 2015 : 15.

Note de bas de page 7 :

Cf. Fiorin 2020 : 131.

Note de bas de page 8 :

« Qu’est-ce donc pour moi, la Sémiologie ? C’est une aventure, c’est-à-dire ce qu’il m’advient (ce qui me vient du signifiant) » (Barthes 1985 : 10).

Note de bas de page 9 :

« Greimas non ha mai lavorato in modo sistematico sul diritto, se non in un’occasione » (Bassano 2019 : 6).

Toute science est en mouvement. Ce simple fait invite déjà à dresser un bilan. La Sémiotique, quoique jeune science – la Sémiotique greimassienne étant une entreprise en cours de construction (Greimas 2017 : 49 ; Landowski 2017 : 65)6 –, a pourtant été conçue, depuis ses origines, comme un projet effectivement scientifique (Fiorin 2020 : 131)7. La Sémiotique a d’abord germé au sein de la réflexion sur les langages, puis s’est déployée – s’identifiant dans cette courte histoire à une aventure sémiologique, selon les mots de Roland Barthes (Barthes 1985 : 10)8 –, s’est étendue et a essaimé sur les applications les plus variées. De ce mouvement d’expansion de la Sémiotique est née la Sémiotique du Droit. Si A. J. Greimas n’étudie pas systématiquement cette discipline – il ne s’y est consacré qu’à une seule occasion (Bassano 2019 : 06)9 –, il lui a donné un élan suffisant pour ouvrir un ensemble de lignes de recherche. Cependant, son intérêt pour l’étude du Droit a toujours été garanti, dans la mesure où sa formation juridique a débuté en Lituanie. La Sémiotique du Droit a donc germé dans cette entreprise liminaire. D’abord esquissée, elle est progressivement devenue une composante du projet.

Note de bas de page 10 :

« C’est ainsi que, de l’anthropologie à la philosophie du droit ou à la psychiatrie, de l’histoire de l’art aux études stratégiques (y compris militaires), ou encore, de l’architecture aux sciences de la communication, au marketing et au design, le mode de raisonnement sémiotique a inspiré une multitude de chercheurs ayant affaire dans leur domaine propre à des problèmes de signification, qu’il s’agisse de l’analyse ou de la construction d’objets faisant sens » (Landowski 2015 : 35).

Note de bas de page 11 :

Cf. Landowski 2017 : 169.

Note de bas de page 12 :

« Le symbole de la justice, la balance, ne pourrait pas être remplacé par n’importe quoi, un char, par exemple » (Saussure 1994 : 101).

Note de bas de page 13 :

Cf. Hjelmslev 1975.

Note de bas de page 14 :

Cf. Benveniste 1991.

Eu égard aux thèmes et aux applications possibles, nés des catégories analytiques développées par A. J. Greimas (Landowski 2015 : 35)10 – lesquelles sont issues des séminaires de l’École des Hautes Études dans les années 1960-1970 –, la Sociosémiotique et la Sémiotique du Droit ont été directement déposées par A. J. Greimas, sur le mode d’une délégation, entre les mains d’E. Landowski, qui s’est occupé de leur développement (Landowski 2017 : 169)11. Cette initiative d’application de la méthode sémiotique à l’univers du Droit constitue une entreprise novatrice, qu’il convient de baliser soigneusement, notamment au regard de l’absence de ce thème chez Ferdinand de Saussure – le Cours de linguistique générale ne mentionne qu’une seule fois le symbole de la justice (Saussure 1994 : 101)12 –, chez Louis Hjelmslev (Hjelmeslev 1975)13 ou chez Émile Benveniste (Benveniste 1991)14. Ces lacunes confortent l’idée qu’A. J. Greimas, en appliquant la méthode sémiotique sur les sémiotiques-objets les plus variées, faisait preuve d’une véritable originalité ainsi que d’une grande capacité d’innovation.

3. Du projet à l’acte fondateur : les prodromes de la Sémiotique du Droit

Note de bas de page 15 :

« D’où la première définition, généralement utilisée d’ailleurs, du concept de structure : présence de deux termes et de la relation entre eux » (Greimas 1966 : 19).

Note de bas de page 16 :

Greimas, Landowski 1981 : 69-113.

L’intuition que le sens est relation comme l’établit clairement la sémantique structurale (Greimas 1966 : 19)15 – constitue la pierre angulaire de l’édifice de la sémiotique greimassienne. Considérant le succès de l’application du modèle greimassien aux discours (littéraires, publicitaires, politiques), sa confrontation à l’analyse du discours juridique ne serait-elle pas en mesure de connaître une réussite équivalente ? Le texte d’A. J. Greimas et d’E. Landowski, « Analyse sémiotique d’un discours juridique » (1971), provient de la pierre angulaire. Sa publication comme article puis comme l’un des chapitres (Greimas, Landowski 1981 : 69-113)16 du recueil Sémiotique et Sciences Sociales (1976) – constitue l’acte fondateur de la Sémiotique du Droit.

Note de bas de page 17 :

Cf. Bassano 2019 : 03.

En principe, cette réflexion relevait d’une initiative davantage pratique que théorique, car elle était issue d’une étude élaborée en 1970, à la demande du Centre de recherche sur le droit des transactions de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris. Cette étude réunissait plusieurs chercheurs (G. Burcher, Cl. Chabrol et P. Fabbri, rapporteurs ; E. Landowski, analyste), constitués en groupe de recherche autour de la loi commerciale française (Bassano 2019 : 03)17 pour une entreprise dans un domaine totalement inexploré.

Note de bas de page 18 :

Cf. Klinkenberg 2018 : 17.

Note de bas de page 19 :

Cf. Landowski 2015.

Note de bas de page 20 :

Cf. Jackson 1985 ; 1988 ; 2017.

La puissance contenue dans l’énonciation de ce texte – étant donné son rôle fondateur du sens comme acte d’écriture (Klinkemberg 2018 : 17)18 – donnera lieu non seulement à une activité de recherche au sein du cercle sémiotique greimassien (1960-1980) – ce dont témoigne E. Landowski (2015)19 –, mais aussi, durant les décennies suivantes (1980-2000), à une dissémination des différents concepts proposés – à laquelle participera intensément, en langue anglaise, Bernard S. Jackson (Jackson, 1985 ; 1988 ; 2017)20. La période 1960-2000 s’est révélée cruciale pour la fondation et la consolidation de la Sémiotique greimassienne du Droit, dans la mesure où la discipline a conforté ses assises, déployé les catégories et appliqué les concepts. La recherche sémiotique s’est affranchi de la sorte de son cadre primordial, de son origine littéraire, pour se tourner vers un domaine où le discours est également essentiel : le Droit. Depuis lors, l’efficacité du modèle greimassien se consolide et se révèle d’une pertinence analytique considérable, à même d’éveiller l’intérêt des juristes.

4. Entre sémioticiens et juristes : horizons de distanciation et de proximité

Note de bas de page 21 :

Cf. Goodrich 1984 : 174.

Les juristes théoriciens liés au champ d’étude de la Philosophie et de la Théorie du Droit manifestent généralement un vif intérêt pour la Sémiotique du Droit. Interpellés par les questions du langage – comme le notait déjà Peter Goodrich dans son article intitulé Law & Language (Goodrich 1984 : 174)21 –, ils ont recours, pour les comprendre, aux domaines de la Philosophie du Langage, de la Logique ou de la Sémiotique. Leurs conclusions applicables au domaine du Droit dépendent donc des avancées dans ces domaines. Force est de constater que la confrontation entre ces deux grandes branches du savoir, la Sémiotique du Droit, d’un côté, et la Théorie du Droit, de l’autre, suppose un rapport confus, un lien pour le moins curieux, marqué non seulement par le scepticisme et l’ignorance, mais aussi par l’interpénétration des frontières et le dialogue interdisciplinaire. Il en ressort trois parcours simultanés : un parcours autonome, un parcours croisé et un parcours conjoint.

Note de bas de page 22 :

Cf. Wittgenstein 1995.

Les sept dernières décenniesont fixé les contours actuels de la relation entre Law & Language. Quoique les Anciens fussent assurément au fait de cette relation, l’observation de ce processus dans le monde contemporain n’est en mesure d’établir qu’une brève histoire de son développement ; une histoire qui débute avec les Investigations philosophiques de Ludwig Wittgenstein (1953)22. C’est au cours de cette même période (1953-2023) que s’est instauré le processus de connexion entre la Sémiotique et le Droit. Depuis lors, leur parcours croisé et leur parcours commun ont empiété sur leur parcours autonome. Néanmoins, il convient de préciser d’emblée que le rapport liminaire entre Law & Language s’est effectué sans le support de la Sémiotique. Ce support interviendra ultérieurement, grâce à l’apport des études sémiotiques.

Note de bas de page 23 :

Cf. Hart 1986 : 141.

Note de bas de page 24 :

Cf. Carrió 2011 : 35.

Le développement de cette relation aboutira à la fondation de la Sémiotique du Droit (Legal Semiotics) en tant que savoir autonome, doté d’une méthode et d’un objet propres. De la sorte, l’histoire de la Sémiotique du Droit s’avère plus courte que celle de la Sémiotique, car sa naissance est due à un développement spécialisé et appliqué des études sémiotiques générales. De même, cette histoire est moins longue que celle de la relation entre Law & Language. L’histoire de la Sémiotique du Droit apparaît donc comme le fruit de ces histoires croisées, d’où émergeront les conditions pour la convergence des horizons de recherche, chaque science conservant son autonomie. Actuellement, plus de 70 ans après la fission originelle autour de la relation entre Law & Langage, les juristes ont conscience de l’open texture (Hart 1986 : 141)23 du langage juridique et reconnaissent que des défis majeurs se posent à l’application du Droit24.

5. La relation entre le Droit et le langage : champ d’études, mémoire de recherche et étapes historiques

Note de bas de page 25 :

Cf. Jackson 2017 : 06.

Note de bas de page 26 :

Cf. Jackson 1985 : 139.

Comme nous le verrons plus loin, dans le cadre d’une micro-histoire de la Sémiotique du Droit de matrice greimassienne, la publication par A. J. Greimas et E. Landowski du texte cité, « Analyse sémiotique d’un discours juridique » (1971) survient à un moment idoine pour l’incorporation des études sémiotiques au domaine du Droit. La réception de l’acte fondateur de la Sémiotique greimassienne du Droit se révèle ainsi favorable. Les juristes sont en effet enclins à orienter leurs études vers les questions de langage, que ce soit dans le cadre de la Philosophie du Langage, de la Logique ou de la Sémiotique du Droit. La sémiotique greimassienne, en s’intéressant au langage juridique, aux pratiques discursives et à la signification juridique, assume clairement, en dépit de son positivisme méthodologique (Jackson 2017 : 06)25, une posture dans le champ de la Théorie du Droit beaucoup plus conforme, selon l’analyse de B. S. Jackson (1985 : 139)26, à la ligne théorique du réalisme juridique qu’à celle du positivisme juridique.

Considérant les sept dernières décennies (1953-2023) comme la période de consolidation de la relation Law & Language, il est possible de cerner les phases du développement de la Sémiotique du Droit qui correspondent à l’émergence, la formation et le développement de cette science. Nous nous attacherons donc à identifier ces phases à titre non exhaustif, en indiquant les ouvrages phares de chaque cycle historique, et en assumant le caractère arbitraire de cette tâche – la description de ces cycles ne servant qu’à poser des repères chronologiques dans un but didactique. Cette contribution se présente ainsi comme une histoire de la naissance et du développement d’une branche scientifique dont l’existence ne remonte qu’à quelques décennies.

Note de bas de page 27 :

Cf. Santaella 2016 : 22-33.

Généralement, dans le champ du Droit, un intérêt croissant s’est manifesté depuis quelques années pour ce domaine. Les études en Sémiotique du Droit connaissent ainsi un véritable essor dans les années 1970-1990 (Santaella 2016 : 22-33)27. L’analyse de cette courbe historique requiert un découpage en quatre phases : i. la phase de préformation (1953-1960) ; ii. la phase de formation (1960-1980) ; iii. la phase de consolidation (1980-2000) ; iv. la phase d’expansion (2000-2023).

5.1. La période 1953-1960 : phase de préformation de la relation entre le Droit et le langage

Note de bas de page 28 :

Cf. Barthes 1972.

Note de bas de page 29 :

Cf. Bassano 2019 : 03.

Note de bas de page 30 :

Cf. Kelsen 1976.

Cette période (1953-1960) peut être appréhendée non seulement comme une phase de formation concernant la relation entre le Droit et le langage, mais aussi de préformation de la Sémiotique du Droit. Au cours de ces années, Roland Barthes écrit son travail séminal pour le structuralisme (Le degré zéro de l´écriture, 1972)28, et la Sémiotique connaît sa phase d’émergence (Bassano 2019 : 03)29, mais la Philosophie influe fortement sur les études de Droit. En même temps, cette période d’après-guerre donne lieu à une réflexion sur les perspectives du Droit après Auschwitz, vers le rétablissement de la relation entre le Droit et la Morale. L’essor des études sur Law & Language s’accompagne alors d’un abandon graduel du modèle théorique du positivisme juridique, hégémonique entre le XIXᵉ et la première moitié du XXᵉ siècle, avec notamment l’ouvrage Reine Rechtslehre (1934) du juriste Hans Kelsen (Kelsen 1976)30. Désormais, le positivisme juridique ne suffit plus pour éclairer les fondements et la justification du Droit. Une nouvelle tendance dans le domaine du Droit s’instaure à partir des années 50, avec les caractéristiques suivantes :

Note de bas de page 31 :

Cf. Frydman 2007 : 536-537.

Note de bas de page 32 :

Cf. Wittgenstein 1995.

Note de bas de page 33 :

Cf. Bassano 2019 : 03.

Note de bas de page 34 :

Cf. Landowski 1988b : 125.

Note de bas de page 35 :

Cf. Grzegorczyk 1986 : 194.

Note de bas de page 36 :

Cf. Amselek 1986 : 129.

Note de bas de page 37 :

Cf. Toulmin 2006 : 136.

Note de bas de page 38 :

Cf. Wright 1957 ; 2001.

Note de bas de page 39 :

Cf. Perelman, Olbrechts-Tyteca 2019 : 112.

1. Dans le domaine des études générales en Philosophie, on constate un profond intérêt est porté au tournant linguistique (linguistic turn) (Frydman 2007 : 536-537)31, avec les Investigations philosophiques (1953) de L. Wittgenstein32. Cet intérêt se joint aux débats sur le langage, rapportés par John L. Austin (How to do things with words, 1962) (Bassano 2019 : 03)33 – et relevés par l’analyse de la Sémiotique du Droit d’E. Landowski (1988b : 125)34 –, avec des impacts relatifs (Grzegorczyk 1986 : 194)35 et en retenant l’attention de la Théorie du Droit, ce qui se manifeste en France par les études de P. Amselek (Amselek 1986 : 129)36 ;
2. Dans le domaine de la Logique Générale, on observe une division très nette dans la compréhension de l’identité du raisonnement juridique, une attitude rendue possible par la distinction théorique entre le modèle mathématique du raisonnement (la logique formelle) et celui jurisprudentiel (la logique de l’argumentation). Cette distinction est issue des études de Stephen Toulmin (The uses of argument, 1958) (Toulmin 2006 : 136)37 ;
3. Dans le domaine de la Logique Juridique, on remarque le passage, pour la recherche, des thèmes de la logique déontique – notamment ceux issus des études de Georg Henrik von Wright (Deontic logic, 1957) (Wright, 1957)38 et de Georges Kalinowski (Introduction à la logique juridique, 1965) – aux thèmes de la raison pratique – comme le manifeste l’intérêt porté à la décision judiciaire, avec les études de Theodor Viehweg (Topik und Jurisprududenz, 1953), ainsi qu’à la rhétorique judiciaire et à la persuasion des auditoires, avec les études de l’École de Bruxelles (Nouvelle Rhétorique), notamment de Chaïm Perelman (Traité de l’argumentation, 1958) (Perelman, Olbrechts-Tyteca 2019 : 112)39.

Ici, on peut constater que cette première période (1953-60) favorise le rapprochement entre Law & Language. Cependant, les références bibliographiques ne mentionnent nullement la Sémiotique, alors en germe. Les études en Sémiotique greimassienne du Droit n’ayant pas encore été entamées, les réflexions dans la Théorie du Droit se nourrissent alors des champs de la Philosophie, de la Logique ou de la Rhétorique.

5.2. La période 1960-1980 : phase de formation de la Sémiotique du Droit

Note de bas de page 40 :

Cf. Cortina 2017 : 40.

Note de bas de page 41 :

Cf. Jackson 2017 : 03.

Note de bas de page 42 :

Cf. Greimas, Landowski 1981 : 69-113.

La phase de formation de la Sémiotique du Droit est identifiable au cours de la période 1960-1980. Des jalons majeurs ont ponctué cette phase, tels l’émergence d’un réel intérêt pour ce thème dans les projets de recherche, l’apparition timide d’études ponctuelles, et les tentatives d’explicitation. Des initiatives visant à définir la méthodologie et à rompre les barrières épistémologiques apparaissent. Toutefois, la contribution majeure de cette période est la publication – peu après la parution du recueil de textes Du sens d’A. J. Greimas (Cortina 2017 : 40)40 – de l’article Analyse sémiotique d’un discours juridique (1971) (Jackson 2017 : 03)41, rédigé par A. J. Greimas et E. Landowski (Greimas, Landowski 1981 : 69-113)42. Cette période est caractérisée par :

Note de bas de page 43 :

Cf. Grize 1969 : 02.

Note de bas de page 44 :

Cf. Gardies 1973.

Note de bas de page 45 :

Cf. Gridel 1979.

Note de bas de page 46 :

Cf. Gardies 1973 : 242.

Note de bas de page 47 :

« I due protagonisti della semiotica del diritto dagli anni settanta alla fine degli anni ottanta del secolo scorso sono Eric Landowski e Bernard Jackson, rispettivamente semiologo e filosofo del diritto » (Bassano 2019 : 10).

Note de bas de page 48 :

Cf. Landowski 1977 : 428-441 ; 1986 : 39-70 ; 1988a : 45-59 ; 1988b : 125-134 ; 1992 : 315-330.

Note de bas de page 49 :

Cf. Atienza 2014 : 20.

Note de bas de page 50 :

Cf. Alexy 2001.

Note de bas de page 51 :

Cf. Aarnio 2016.

Note de bas de page 52 :

Cf. Peczenik 2009.

Note de bas de page 53 :

Cf. MacCormick 2008.

1. Le rapprochement graduel entre le Droit et la Sémiotique, comme en témoignent les tentatives de justification de la connexion entre ces deux branches du savoir (Grize 1969 : 02)43 et l’introduction du problème dans le débat logico-philosophique – par exemple, les travaux de Jean-Louis Gardies (Le droit, les sciences humaines et la philosophie, 1973)44 et de Jean-Pierre Gridel (Le signe et le droit, 1979)45 –, afin de parvenir à la subdivision qui prévaudra dans la Sémiotique du Droit autour de la syntaxe, de la sémantique et de la pragmatique (Gardies 1973 : 242)46.
2. Le rôle éminent d’Eric Landowski en tant que théoricien, précurseur et continuateur (Bassano 2019 : 10)47 des préoccupations liminaires d’A. J. Greimas – rappelons qu’entre 1970 et 1990 E. Landowski a publié une série de textes sur des thèmes relevant du Droit (Landowski 1977 ; 1986 ; 1988a ; 1988b ; 1992)48 et allant de la fonction du législateur à celle du juge. La connexion entre la Sémiotique et le Droit se consolidera grâce à cet effort et à cet intérêt de la Sémiotique pour le Droit.
3. La multiplication fructueuse des théories de l’argumentation juridique, à partir des années 1970-1980 (Atienza 2014 : 20)49, en faisant valoir la discussion autour des modes de construction discursif et argumentatif des contenus de la justice, à l’instar des études qui émergeront peu après, à partir de 1980-1990, avec Robert Alexy (Theorie der juristichen Argumentation, 1983)50, Aulis Aarnio (The rational as reasonable : a treatise on legal justification, 1987)51, Alexander Peczenik (On law and reason, 1989)52 et Neil MacCormick (Rhetoric and the Rule of Law, 1995)53.

Note de bas de page 54 :

Cf. Hénault 2006 : 137.

Note de bas de page 55 :

Cf. Cortina 2017 : 43.

Acte fondateur de cette période, la publication d’A. J. Greimas et E. Landowski (1971) effectue la migration théorique de l’analyse des récits figuratifs de la littérature vers la narrativité abstraite des discours spécifiques (Hénault 2006 : 137)54. Le langage juridique devient alors un cas d’application exemplaire des avancées de la Sémiotique (Cortina 2017 : 04)55. En outre, au sein du parcours d’affirmation de la Sémiotique du Droit, cet acte fondateur contribue à l’incorporation de la méthode sémiotique greimassienne dans le domaine du Droit. Aujourd’hui, nous pouvons voir l’importance de ce mouvement ; les sémioticiens ont été chargés d’appliquer la Sémiotique au Droit, afin que, par la suite, les juristes puissent en tirer parti.

5.3. La période 1980-2000 : phase de consolidation de la Sémiotique du Droit

Note de bas de page 56 :

Cf. Lemos, Portela, Barros 2012 : § 48.

Note de bas de page 57 :

Cf. Habermas 1992.

Note de bas de page 58 :

Cf. Jackson 1988 : 65.

Note de bas de page 59 :

Cf. Jackson 1988 : 66.

Note de bas de page 60 :

Cf. Ricœur 1990 : 115-132.

Cette période (1980-2000) marque la consolidation de la Sémiotique du Droit, avec une intériorisation de la méthode. La compétence fournie par un savoir déjà structuré autorise un dialogue entre la Sémiotique et le Droit. La Sémiotique reçoit alors une formidable impulsion. Elle est divulguée, disséminée et publiée. Une pléthore de publications au cours de cette période, dans le monde entier (Lemos, Portela, Barros 2012)56, en témoigne. La relation entre Law & Language se renforce également, grâce au rôle majeur joué par l’ouvrage de Jürgen Habermas, Faktizität und Geltung (1992)57, pour le développement de la théorie discursive du droit (Jackson 1988 : 65)58 – et pour le renouvellement des liens entre le Droit et la Démocratie. Cela autorisera un rapprochement entre la Sémiotique du Droit et la Théorie Critique (Jackson 1988 : 66)59, et aussi entre la Sémiotique et l’Herméneutique (Ricœur 1990 : 115-132)60. De cette période, on retient les travaux suivants :

Note de bas de page 61 :

Cf. Jackson 1985.

Note de bas de page 62 :

Cf. Carrión-Wam 2006.

Note de bas de page 63 :

Cf. Jackson 1985 : 32.

Note de bas de page 64 :

Cf. Jackson 2017 : 11.

Note de bas de page 65 :

Cf. Jackson 1985 : 147-262.

Note de bas de page 66 :

Cf. Bassano 2019 : 13.

Note de bas de page 67 :

Cf. Broekman, Backer 2013 : 105.

Note de bas de page 68 :

Cf. Sebeok 2001 : 11.

Note de bas de page 69 :

Kevelson 1988.

Note de bas de page 70 :

Cf. Broekman, Backer 2013.

Note de bas de page 71 :

Cf. Dubouchet 1990 : 23.

Note de bas de page 72 :

Cf. Cornu 1990 : 13.

Note de bas de page 73 :

Cf. Cornu 1990 : 266-407.

Note de bas de page 74 :

« La jurilinguistique se situe à la croisée des deux disciplines que sont pour elle la linguistique et le droit » (Gémar 2005 : 04).

Note de bas de page 75 :

Cf. Bittar 2022 : 69-71.

Note de bas de page 76 :

Cf. Bittar 2022 : 66.

Note de bas de page 77 :

Cf. Bittar 2022 : 212-388.

1. En langue anglaise, l’ouvrage de Bernard Jackson (Semiotics and legal theory, 1985)61 – suivi, en Amérique Latine, par celui de Roque Carrión-Wam (Carrión-Wam 2006)62 . L’ouvrage de Jackson constitue un travail pionnier pour l’introduction des catégories d’analyse de la sémiotique greimassienne au sein de la Théorie du Droit (Jackson 1985 : 32)63. Il favorise une discussion polémique avec les théories d’H. L. A. Hart, de N. MacCormick (Jackson 2017 : 11)64, de R. Dworkin et de H. Kelsen (Jackson 1985 : 147-262)65, et constitue un héritage pour la critique du positivisme juridique (Bassano 2019 : 13)66.
2. Toujours en langue anglaise, dans la perspective de la philosophie de Ch. S. Peirce, de matrice nord-américaine (Broekman, Backer 2013 : 105)67, les investigations approfondies de Thomas Sebeok à propos de la relation entre la biologie et la vie (Sebeok 2001 : 03)68, ainsi que les contributions plus spécifiques à la Sémiotique du Droit de Roberta Kevelson (Kevelson 1988)69 et de Jan M. Broeckman (Broekman, Backer 2013)70.
3. En langue française, l’ouvrage de Paul Dubouchet (Sémiotique juridique, 1990) – un ouvrage capital en raison de son titre spécifique et de sa nature définitoire (Dubouchet 1990 : 23)71 –, puis les travaux de Gérard Cornu (Linguistique juridique, 1990), qui joueront un rôle fondamental dans la systématisation du savoir – soit en déterminant l’importance de la Linguistique Juridique comme branche du savoir (Cornu 1990 : 13)72, soit en élaborant la distinction entre les discours législatif, juridictionnel et coutumier (Cornu 1990 : 266-407)73 –, enfin les travaux de J.-C Gémar (Langage du Droit et Traduction, 1982). Dans ce cadre, les études de traduction du langage juridique se voient renforcées avec la création de la Jurilinguistique (Gémar 2005 : 04)74.
4. En langue portugaise, l’ouvrage d’Eduardo C. B. Bittar (Linguagem Jurídica, 2001) – fruit d’une Thèse de Doctorat (1999) influencée par le structuralisme français, en lien avec les tendances de la Théorie du Droit (Bittar 2022 : 69-71)75, développée après une période de recherche scientifique entre Paris et Lyon (France) –, qui met en évidence l’autonomie de la Sémiotique du Droit – considérée comme la science des processus de signification juridique (Bittar 2022 : 66)76. L’auteur contribue à la division quadripartite des modalités des discours juridiques (discours normatif, bureaucratique, décisionnel et scientifique) (Bittar 2022 : 212-388)77.

Note de bas de page 78 :

Cf. Kennedy 2001 : 1182.

Cette période (1980-2000) joue un rôle décisif dans l’histoire récente de la Sémiotique du Droit. Le sujet cesse d’être étrange et de rencontrer des résistances dans les milieux juridiques, pour atteindre une légitimité académique. La discipline se consolide comme un champ de recherche autonome, est reconnue comme une science, est explicitée, institutionnalisée et assimilée par les juristes (Kennedy 2001 : 1182)78. On constate également l’émergence d’une littérature vouée à des questions plus techniques pour la Sémiotique du Droit. La discipline devient de la sorte une matrice de référence explicite, ce qui favorisera son expansion et sa diversification cu cours de la période suivante.

5.4. La période 2000-2023 : phase d’expansion et de diversification de la Sémiotique du Droit

Note de bas de page 79 :

Consulter Bhatia, Hafner, Miller, Wagner 2012 ; Kennedy 2001 ; Broekman, Backer 2013 ; Ricca 2020.

Succédant aux phases de formation et de consolidation, cette période (2000-2023) marque une phase d’expansion, de ramification et de pluralisation de la Sémiotique du Droit. Les phases précédentes ont manifesté la nécessité d’inscrire la méthode et de chercher une reconnaissance, en France et dans le monde, notamment au sein de certains centres d’études. Désormais, le développement de la Sémiotique du Droit s’effectue sous le sceau de l’interdisciplinarité, de l’application spécialisée et multiple, de l’élargissement des frontières et de la production partagée des connaissances. Partant des problèmes de la Théorie du Droit, la Sémiotique évolue vers des niveaux accrus de spécificité afin de répondre aux exigences des différentes branches du Droit. Maintenant, la Sémiotique du Droit doit coexister avec la globalisation des connaissances, la large dissémination, la plateformisation, la numérisation des collections et la diversification des thèmes d’intérêt pour la recherche scientifique. Ainsi, une cartographie fine des modalités de la Sémiotique du Droit pointe actuellement l’existence de perspectives théoriques diverses et multiples79. La période compte les développements suivants :

Note de bas de page 80 :

Cf. Frydman 2007.

Note de bas de page 81 :

Cf. Moor 2010.

Note de bas de page 82 :

« Et la théorie qu’on fait débouche sur la signification – actuelle et potentielle – du droit comme sous-système social : elle est donc bien un ensemble de propositions normatives » (Moor 2010 : 319).

Note de bas de page 83 :

Cf. Wagner 2006 : 311-324.

Note de bas de page 84 :

Cf. Marusek, Wagner 2019 : 01-15.

Note de bas de page 85 :

Cf. Linhares 2020 : 155-174.

Note de bas de page 86 :

Cf. Bittar 2021c : 76-171.

Note de bas de page 87 :

Cf. Pistori 2010 : 01-13.

Note de bas de page 88 :

Cf. Landowski 2022.

1. En langue française, en Belgique, au Centre Chaïm Perelman, la contribution de Benoît Frydman (Le sens des lois, 2005)80, montrant un fort intérêt pour le dialogue entre la rhétorique, l’interprétation et l’argumentation juridiques ; en Suisse, la contribution de Pierre Moor (Dynamique du système juridique, 2010)81, qui formule une conception propre de la Théorie du Droit, en analysant le Droit comme une textualité (Moor 2010 : 319)82.
2. En langue anglaise, un renouvellement de l’actualité de la Sémiotique, moyennant une diversité thématique et le développement des travaux d’Anne Wagner ; la direction des publications de l’International Journal for the Semiotics of Law, avec l’étude sur les panneaux routiers (Wagner 2006)83 ; des réflexions sur des problématiques contemporaines, comme celles menées à propos de la Visual Jurisprudence et autour des questions de genre (Marusek, Wagner 2019)84.
3. En langue portugaise, l’intérêt porté à la correction des jugements au Portugal (Linhares, 2020)85 ; au Brésil, l’émergence de nouvelles approches de la Sémiotique du Droit, motivées d’une part par la volonté de franchir les limites de l’analyse du texte juridique afin de travailler sur la symbolique de la justice (iconology of justice) (Bittar 2021c : 76-171)86, et, d’autre part, par le désir de se rapprocher de la perspective postgreimassienne (Pistori 2010 : 01-13)87 et des contributions de la Sociosémiotique (Landowski 2022)88.

Au moment où paraît ce Dossier Spécial (2023), on se trouve face à la stabilisation d’une riche histoire passée, moyennant des avancées notables, à même de léguer un héritage stimulant pour la Sémiotique du Droit à venir. Actuellement, la fusion, dans la recherche scientifique, des horizons d’intérêt de la Sémiotique du Droit d’une part et de la Théorie du Droit de l’autre, ne constitue plus un défi. Toutefois, ce mouvement n’abolit pas la distanciation entre les juristes et les sémioticiens. Le dictionnaire sémiotique persiste comme un obstacle cognitif et rappelle encore la nature ponctuelle de l’intérêt suscité par la Sémiotique dans le domaine du Droit.

Note de bas de page 89 :

Cf. Fontanille 1995 : 181.

De surcroît, la période allant du tournant modal (Fontanille 1995 : 181)89 au tournant tensif ne présente aucune assimilation proportionnelle des acquis de la sémiotique postgreimassienne dans les débats de la Sémiotique du Droit. Parler du vide qui s’est creusé ce dernier temps, dans ce domaine, n’est donc guère surprenant.

En tout état de cause, l’analyse de ces phases successives et la prise en compte de l’ensemble (1953-2023) montrent clairement que le statut des pratiques du Droit correspond au statut des discours juridiques en circulation dans le système juridique. La Sémiotique du Droit est alors en mesure de fournir un modèle théorique afin d’amorcer une discussion sur la formation narrative et discursive du Droit. Il s’agit d’une contribution fertile aux thèmes de recherche qui sont communs à la Philosophie et à la Théorie du Droit.

6. L’autonomie scientifique de la Sémiotique du Droit

6.1. L’objet d’étude de la Sémiotique du Droit

Note de bas de page 90 :

Cf. Bulygin 2018.

Note de bas de page 91 :

« … la sémiotique juridique a pour tâche évidente de rendre compte des principes d’intelligibilité mis en œuvre, sectoriellement ou plus globalement, par les juristes, praticiens et théoriciens. La position du sémioticien ne peut, dans cette perspective, être qu’une position analytique, à la fois compréhensive et distanciée » (Landowski 1988b : 134).

Note de bas de page 92 :

Cf. Greimas, Landowski 1981 : 80.

Note de bas de page 93 :

Cf. Barthes 1985 : 80.

Note de bas de page 94 :

Cf. Rastier 1989 : 19.

Note de bas de page 95 :

« La théorie sémiotique doit se présenter, d’abord, pour ce qu’elle est, c’est-à-dire comme une théorie de la signification » (Greimas, Courtés 1993 : 345).

Note de bas de page 96 :

Cf. Bittar 2022 : 84-85.

Note de bas de page 97 :

« It is, in short, politically necessary to take seriously the character of law as a social discourse » (Goodrich 1984 : 200).

La Sémiotique du Droit ne saisit nullement le Droit comme un phénomène appartenant aux purs systèmes logiques (Bulygin 2018)90. Dans une perspective greimassienne (Landowski 1988b : 134)91, l’objet d’étude de cette discipline n’est rien d’autre que le sens juridique (Greimas, Landowski 1981 : 80)92, considéré comme un phénomène social dans la mesure où toute langue est un phénomène social (Barthes 1985 : 80)93. Il s’ensuit, aux dires de François Rastier, qu’à toute pratique sociale correspond un type de discours, le discours juridique appartenant aux différents types de discours sociaux (Rastier 1989 : 19)94. Ainsi, la Sémiotique du Droit analyse le Droit comme un système de signification – en reprenant les formulations de A. J. Greimas et de J. Courtés, dans le Dictionnaire, à propos de la théorie sémiotique (Greimas, Courtés 1993 : 345)95. Sa tâche consiste à identifier en son sein les discours juridiques en circulation (Bittar 2022 : 84-85)96. La Sémiotique greimassienne du Droit cherche donc à aborder le Droit depuis son aspect le plus objectif, c’est-à-dire depuis l’ensemble des textes juridiques responsables de la signification juridique. Cette ambition ne saurait en aucune façon effacer le souci de la Sémiotique du Droit de discuter le Droit en tant que pouvoir social ou en tant que discours social (social discourse), dans le sens des critiques de Peter Goodrich (Goodrich, 1984 : 200)97.

Note de bas de page 98 :

«... Si le discours juridique renovie à une grammaire et à um dictionnaire juridiques...» (Greimas, Landowski 1976 : 87).

Note de bas de page 99 :

« Le langage du droit est, sous la réserve d’une ambiguïté qui pèse sur tous ces caractères, un langage de groupe, un langage technique, un langage traditionnel » (Cornu 1990 : 22-23).

Note de bas de page 100 :

Cf. Greimas 1976 : 53 ; Jackson 1985 : 284.

Note de bas de page 101 :

« Le droit est composé de textes, il est composé avec des textes. Bien plus : il travaille avec la production de textes » (Moor 2010 : 61).

Note de bas de page 102 :

Cf. Bittar 2019 : 448-450.

Note de bas de page 103 :

Cf. Bittar 2022 : 104 et 392.

Note de bas de page 104 :

Cette compréhension théorique est symétrique à la division établie par Bernard S. Jackson: i. le discours législatif (legislative discourse); ii. le discours judiciaire (judicial discourse); iii. le discours doctrinal (doctrinal discourse) (Jackson 1985 : 287).

Note de bas de page 105 :

Cf. Bittar 2022 : 105.

Les juristes parlent un langage juridique, doté d’une grammaire et d’un dictionnaire propres (Greimas, Landowski 1976 : 87)98 – le langage juridique étant conçu ici comme un langage technique, spécialisé, terminologisé et pratiqué par les juristes (Cornu 1990 : 22-23)99 –, et sont reconnus par voie de conséquence comme un groupe sémiotique (Greimas 1976 : 53 ; Jackson 1985 : 284)100. Quoi qu’il en soit, la pièce maîtresse de compréhension de l’analyse sémiotique du Droit est la notion de texte juridique. À vrai dire, le droit-système est envisagé comme un ensemble de textes juridiques (d’institutions, de procédures, de pratiques textuelles). Cette conception est également présente dans les travaux du juriste Pierre Moor, où le Droit est défini comme un « composé de textes » (Moor 2010 : 61)101, ces textes étant co-déterminés, producteurs et produits, de manière à s’enchaîner à partir du texte-moteur, à savoir la Constitution (Bittar 2019 : 448-450)102. Ce sont les pratiques discursives du Droit qui font constamment circuler et bouger le sens juridique dans l’interdiscursivité, laquelle est à son tour un constituant majeur du Droit et le gage de son fonctionnement (Bittar 2022 : 104 et 392)103. Au sein de cet univers de textes et de sens juridiques circulent les quatre sous-types de discours suivants104 : i. le discours normatif ; ii. le discours bureaucratique ; iii. le discours décisionnel ; iv. le discours scientifique (Bittar 2022 : 105)105. De la sorte, le système juridique est à même d’accompagner les mutations du sens social.

6.2. La consolidation de la recherche en Sémiotique du Droit

Note de bas de page 106 :

Cf. Bassano 2019 : 06.

De nos jours, la Sémiotique du Droit se présente comme une science autonome, mondialement reconnue et étudiée dans les perspectives théoriques les plus diverses. Nombre de travaux existent en France, au Canada, aux États-Unis, en Angleterre, en Pologne, en Italie, en Espagne, au Portugal, en Belgique, en Russie, au Brésil, en Chine, au Pérou, au Venezuela, en Lituanie, en Turquie, parmi d’autres pays, avec un degré variable d’hétérodoxies méthodologiques. La Sémiotique du Droit peut également compter sur des publications périodiques spécialisées, l’International Journal for the Semiotics of Law (Springer Nature) (Bassano 2019 : 06)106 pouvant être considéré comme son vecteur mondial majeur et le plus spécialisé. Depuis sa création, ce journal a publié, en l’espace de 35 ans (1988-2023), 35 volumes (chacun d’eux comprenant plusieurs Issues) qui comptent un nombre considérable d’auteurs, de thèmes, de débats et de méthodologies d’approche du domaine.

Note de bas de page 107 :

Cf. Klinkenberg 2012 : 16.

Note de bas de page 108 :

Cf. Klinkenberg 2012 : 23.

De la sorte, grâce à la Sémiotique, les juristes, en s’alignant sur l’idée majeure d’une sémiotique utile, comme l’évoque Jean-Marie Klinkenberg (Klinkenberg 2012 : 16)107, ont pu s’affranchir du provincialisme théorico-conceptuel, coutumier dans le domaine du Droit. De surcroît, la Sémiotique du Droit s’est rassemblée autour de différentes Revues et a formé une niche spécialisée où se concentrent les études des juristes. Ce mouvement est d’autant plus perceptible que la plupart des revues de Sémiotique traitent parcimonieusement le Droit dans leurs publications. Plusieurs exemples recueillis dans divers Journals du monde (Klinkenberg 2012 : 23)108 illustrent ce phénomène. Au Canada, la revue Recherches Sémiotiques (Association Canadienne de Sémiotique), fondée en 1973, n’a consacré aucun Special Issue à la Sémiotique du Droit dans ses contenus en ligne, disponibles pour une période de 15 ans (2008-2023), près de 40 volumes ayant été publiés. De même, l’American Journal of Semiotics (Semiotic Society of America), qui, au cours des 41 années écoulées depuis sa fondation (1982-2023), a rassemblé 41 Issues, mais n’a dédié aucun Special Issue au thème de la Sémiotique du Droit. En Belgique, sur une période de 13 ans (2010-2023), la Revue Signata (Université de Liège) a publié 13 volumes, sans aucune publication spécialisée, jusqu’à présent, consacrée à la Sémiotique du Droit.

En France, la Revue Actes Sémiotiques, créée en 1977 par A J. Greimas, s’est imposée comme la principale référence de la sémiotique structuraliste. Elle est actuellement publiée en ligne par l’Université de Limoges. Durant ces 46 dernières années (1977-2023), la Revue a publié 127 volumes et ne compte que deux Dossiers Spéciaux consacrés à la Sémiotique du Droit, l’un coordonné par E. Landowski et intitulé Pour une approche sémiotique et narrative du droit (no 71, 1986), et l’autre coordonné par B. S. Jackson et intitulé A journey into Legal Semiotics (no 120, 2017). L’Espagne compte également des Revues spécialisées dans le domaine de la Philosophie du Droit, comme la Revue Doxa, éditée par l’Université d’Alicante – l’un des espaces les plus importants pour débattre de la relation entre Droit & Langage dans le monde latino-américain. Depuis sa création, cette Revue a publié 45 volumes en 39 ans (1984-2023), rassemblant un grand nombre d’auteurs, de thèmes, de débats et de méthodologies d’approche du domaine. Néanmoins, aucun volume ne présente une analyse segmentée de la Sémiotique du Droit et aucun Special Issue sur le sujet n’a été édité.

7. Les mutations du projet sémiotique et la Sémiotique du Droit

7.1. La sémiotique postgreimassienne et la Sémiotique du Droit

Note de bas de page 109 :

Cf. Landowski 2017 : 63.

Note de bas de page 110 :

Cf. Landowski 2017 : 152.

Note de bas de page 111 :

Cf. Fontanille, Zilberberg 2001; Zilberberg 2011.

Note de bas de page 112 :

Cf. Landowski 2014.

Note de bas de page 113 :

Cf. Marsciani 2012.

La description des étapes historiques internes de la Sémiotique du Droit présente donc un découpage en quatre phases (1953-1960 ; 1960-1980 ; 1980-2000 ; 2000-2023). Dans ce cadre, il convient maintenant de considérer que la Sémiotique a subi une transformation significative de sa méthode, de sorte que son visage a profondément changé au cours des sept dernières décennies (1953-2023). Depuis la disparition d’A. J. Greimas (1992), la dispersion du « club intellectuel » n’a pas impliqué la fin de la sémiotique greimassienne mais plutôt la création de nouvelles possibilités méthodologiques, à l’origine des tendances postgreimassiennes actuelles (Landowski 2017 : 63)109. Ainsi, de nouvelles perspectives émergent et accompagnent les mutations du projet sémiotique. Parmi d’autres approches possibles, ces tendances sont les suivantes : i. la sémantique structurale, fondée par A. J. Greimas ; ii. La sémiotique des modalités, par A. J. Greimas ; iii. La sémiotique des passions, par A. J. Greimas et J. Fontanille ; iv. La sociosémiotique, par E. Landowski (2017 : 152)110 ; v. La sémiotique tensive, par J. Fontanille et Cl. Zilberberg (Fontanille, Zilberberg 2001)111 ; vi.) la sémiotique des régimes d’existence, par E. Landowski (2014)112 ; vii. La sémiotique de la marque et la sémiotique des objets (plusieurs tendances) ; viii. l’ethnosémiotique, par Francesco Marsciani (Marsciani 2021)113. Compte tenu du tournant phénoménologique, les limites et les frontières ainsi que la méthode et les concepts sont profondément rénovés.

Note de bas de page 114 :

Cf. Landowski 2017 : 76.

Note de bas de page 115 :

Cf. Rastier 2001 : 04.

De nos jours, une diversité de perspectives d’analyse compose le projet sémiotique, moyennant les contributions d’E. Landowski, de J. Fontanille et de Cl. Zilberberg. Il en résulte un tracé minimal des lignes et des tendances, permettant d’évoquer trois tendances majeures de la sémiotique postgreimassienne (E. Landowski 2017 : 76)114, parmi lesquelles figure la contribution de F. Rastier, en Sémiotique de la culture (Rastier 2001 : 04)115.

Ainsi, l’actualité de la Sémiotique du Droit procède de l’assimilation graduelle et progressive des mutations du projet sémiotique. Dès lors, la synchronisation des avancées des recherches scientifiques en Sémiotique avec les progrès de la Théorie du Droit, en enregistrant les innovations méthodologiques et les nouvelles frontières conceptuelles afin de les rendre utiles à la résolution des problèmes pertinents pour les intérêts pratiques des juristes, revêt une extrême importance. La Sémiotique du Droit endosse le rôle de facilitateur du rapprochement entre la Sémiotique et les études spécialisées des juristes. En empruntant cette voie à double sens, la Sémiotique du Droit s’attelle à une double tâche, certes interdisciplinaire, mais aussi extrêmement ardue. Elle manifeste en effet une tension constitutive, dans la mesure où la signification juridique subit à la fois les contraintes de la législation, dans le domaine du Droit, et celles des structures, dans le domaine du langage.

Note de bas de page 116 :

Cf. Bittar 2021b.

Si la sémiotique greimassienne et postgreimassienne s’est diversifiée à la faveur d’une formidable mutation méthodologique, force est de constater que tout n’a pas été dûment absorbé dans le domaine du Droit – du moins jusqu’à présent. La période fondatrice, entre la Sémantique structurale et la Sémiotique des modalités est celle de la plus grande absorption et assimilation. De même, la Sémiotique des passions connaît un certain écho. À son tour, la Sociosémiotique s’est constamment révélée d’une extrême utilité pour étayer les analyses de la Sémiotique du Droit. Les études, les articles, les publications et les thèses y ont constamment recours. En revanche, les usages et les applications des Sémiotiques tensive, de la Marque et des Objets sont plus rares (Bittar 2021b)116. Ainsi, les transformations du projet sémiotique supposent un travail constant de re-fondation de la méthode, un intérêt permanent pour l’innovation méthodologique, ainsi qu’un lien profond avec les transformations de l’environnement des Sciences Humaines et Sociales. Les perspectives théoriques de la Sémiotique du Droit deviennent de la sorte instigatrices, dans la mesure où les mutations du projet sémiotique conduisent la discipline à une extension croissante de ses formes d’analyse du Droit.

7.2. Les mutations méthodologiques et les intérêts actuels de la Sémiotique du Droit

En tant que phénomène social, le Droit est compris comme un objet complexe et dynamique. Il en résulte que la méthode et les catégories d’analyse fournies par la Sémiotique, sur la base d’un large éventail de problèmes, sont extrêmement utiles et intéressantes pour les juristes. Il n’est guère surprenant d’observer que les lignes de recherche actuelles en Sémiotique du Droit sont éminemment plurielles, s’étendent selon des perspectives diverses et sont mises en œuvre par des chercheurs du monde entier. Ces lignes de recherche doivent être en mesure non seulement de refléter l’« état de l’art », mais aussi de faire progresser les connaissances déjà consolidées dans le domaine.

Ainsi se présente à nous un vaste catalogue de thèmes, de questions et de problèmes qui peuvent apparaître à un stade embryonnaire et souffrir d’un déficit d’attention ou au contraire se situer dans un stade plus avancé de développement et de discussion dans la littérature actuelle. En tout état de cause, nous indiquerons un ensemble d’axes de réflexion en fournissant une carte minimale des questions susceptibles de renforcer la recherche scientifique dans le domaine de la Sémiotique du Droit. Ces axes rendent compte de l’amplitude des thèmes, des questions et des perspectives d’investigation ouvertes, qui procureront à la Sémiotique contemporaine du Droit un vaste terrain d’étude. Aux fins de cette analyse, nous classerons ces lignes selon leurs relations à deux termes (Law &…), la modalité de recherche la plus usuelle, actuellement, dans le domaine de la Théorie du Droit.

Partant de ces relations, les lignes de recherche identifiables sont les suivantes :

Note de bas de page 117 :

Cf. Landowski 1977 : 428-441.

Note de bas de page 118 :

Cf. Neves 2007 : 15-18.

Note de bas de page 119 :

Cf. Bathia, Hafner, Miller, Wagner 2012.

Note de bas de page 120 :

Cf. Garapon 1999.

Note de bas de page 121 :

Cf. Pistori 2010 : 01-13.

Note de bas de page 122 :

Cf. Jackson 2017.

Note de bas de page 123 :

Cf. Bittar 2021.

Note de bas de page 124 :

Cf. Bittar 2022.

Note de bas de page 125 :

Cf. Jackson 2017 : 10.

Note de bas de page 126 :

Cf. Adeodato 1999 : 150.

Note de bas de page 127 :

Cf. Mosca 2016.

Note de bas de page 128 :

Cf. Jemielniak 2002 : 325-355.

Note de bas de page 129 :

Cf. Kevelson 1993 : 71-88.

Note de bas de page 130 :

Cf. Simpson 2013 : 701-728.

Note de bas de page 131 :

Cf. Bittar 2021c.

Note de bas de page 132 :

Cf. Ost 2006 : 335.

Note de bas de page 133 :

Cf. Scherer 2019.

Note de bas de page 134 :

Cf. Guilhaume 2019 : 41-46.

  1. Droit et pouvoir : le processus narratif de formation du discours politico-parlementaire et le rôle de l’actant collectif (Landowski 1977)117 ; la sémiotique et la force démocratique des Constitutions (Neves 2007)118 ; la sémiotique et la transparence (Bhatia, Hafner, Miller, Wagner 2012)119.

  2. Droit et rituel : la compréhension de la symbolique de la justice et la mémoire de la violence (Garapon 1999)120 ; l’analyse de la culture des tribunaux à jury et des passions dans les conflits (Pistori 2010)121.

  3. Droit et religion : les études de Biblical Law et les racines occidentales des droits (Jackson 2017)122 et de Droit Talmudique.

  4. Droit et législation : l’acte, le fondement moderne et le rôle de la codification pour le droit moderne (Bittar 2021)123.

  5. Droit et science : les tâches de la Science du Droit en tant que discours doctrinaire (Bittar 2022)124.

  6. Droit et raisonnement : la critique du syllogisme juridique (Jackson 2017)125 ; l’argumentation juridique, et la compréhension de l’enthymème (Adeodato 1999)126 et de la rhétorique judiciaire (Mosca 2016)127.

  7. Droit et interprétation : l’ambiguïté du langage juridique et le rôle de l’interprétation des textes (Jemielniak 2002)128.

  8. Droit et droits humains : le signifié des human rights (Kevelson 1993)129 ; communication publique et discours de haine (Simpson 2013)130.

  9. Droit et art : les nouvelles formes de sensibilisation de l’opinion publique à travers la relation entre l’art, le cinéma et la citoyenneté, en faveur de la culture des droits de l’homme (Bittar 2021c)131.

  10. Droit et littérature : l’étude de la narrativité juridique et de la relation entre la vengeance et la justice dans les textes littéraires (Ost 2006)132.

  11. Droit et technologie : l’intelligence artificielle et le numérique (Scherer 2019)133.

  12. Droit et réseaux sociaux : la polémique et les nouveaux médias.

  13. Droit et droit des animaux : la sémiotique des animaux et les animal rights (Guillaume 2019)134.

7.3. La Sémiotique du Droit dans le Dossier Spécial : un aperçu actuel

Note de bas de page 135 :

« Non seulement les Actes sont aujourd’hui la seule revue de sémiotique en France, mais ils restent dans le monde entier une publication de référence pour la plupart des sémioticiens d’obédience structurale » (Landowski 2015 : 24).

Dans le but de dresser le panorama actuel de la Sémiotique du Droit, ce Dossier Spécial (2023), intitulé La Sémiotique du Droit, l’État de Droit Démocratique et les Nouvelles Frontières du Droit, inscrit dans les Actes Sémiotiques – en gardant à l’esprit ce que les Actes représentent pour le courant structuraliste de la Sémiotique en France et dans le monde, en tant que centre de documentation et de catalogage des recherches sémiotiques (Landowski 2015 : 24)135 –, remplit la double fonction d’inviter et de convoquer. Il s’agit à la fois d’un appel et d’une sollicitation, adressés aux intégrants de cette activité collaborative, non seulement pour se réunir autour d’une sémiotique-objet – le Droit –, mais aussi pour rénover le projet sémiotique. Dans ce volume, on trouve des études de juristes et de sémioticiens, réunis pour discuter, chacun à sa manière, à la fois de l’objet – le Droit – et des thématiques actuelles qui le concernent (discours constituant, État de Droit, démocratie, images et décisions de justice, textualité juridique, indétermination du droit, hard cases, raisonnement juridique, droit talmudique, réseaux sociaux, opinion publique, droits de la nature).

Cette tâche est à poursuivre en considérant les mutations méthodologiques de la Sémiotique ainsi que l’évolution et l’élargissement des horizons de la Théorie du Droit, de sorte que beaucoup reste à débattre.

Eu égard au cadre, temporel et spatial, dans lequel s’inscrit ce Dossier Spécial, le tableau dressé ici sur la situation de la Sémiotique du Droit ne saurait être exhaustif. Il met toutefois en relief certaines questions cruciales de notre temps. Ce Dossier s’organise ainsi autour de sept axes thématiques. Les contributions reçues se distribuent de la manière suivante :

  • Dans l’axe thématique 1 (Sémiotique du Droit, discours juridique et État de Droit Démocratique), la contribution de Dominique Maingueneau (« Le discours juridique comme discours constituant ») présente le discours juridique comme appartenant à la catégorie des discours constituants ; la contribution de Pierre Moor (« État de Droit, langage et textualité juridique ») cherche à mettre en évidence la logique textuelle du Droit, l’importance des normes à faible densité et l’imprévisibilité consécutive de la mise en œuvre des règles juridiques ; la contribution d’Heloisa Akabane (« Le mythe de la Démocratie ») analyse l’actant collectif « peuple » et s’occupe de la discussion du mythe de la démocratie et de ses enjeux.

  • Dans l’axe thématique 2 (Sémiotique du Droit, Indétermination du Langage Juridique, Raisonnement Juridique et Décision de Justice), la contribution de José Manuel Aroso Linhares (« Indétermination et hard cases : est-il méthodologiquement plausible de superposer discrétion linguistique et discrétion judiciaire ? ») thématise le rôle du texte pour mettre en évidence le problème de l’indétermination de la norme juridique, spécialement pour les hard cases et la rationalité dialéctique problème/systême ; la contribution de Peter Goodrich (« Perpetuum mobile : colour, sound and motion ») prend l’exemple d’une affaire judiciaire pour discuter de la difficulté à assimiler le langage des films au langage judiciaire et pour détacher le pénitencier de l’imprimé dans les discours juridiques, en mettant en évidence la résistance aux images ; la contribution de Stefan Goltzberg (« Traditions de lecture et théorie du droit talmudique ») discute la contribution bien particulière du Droit talmudique au raisonnement juridique, en métant en évidence la nature du système d’écriture – en tant que système consonantique – dans lequel la Bible hébraïque est rédigée.

  • Dans l’axe thématique 3 (Sémiotique du Droit, Opinon Publique et Réseaux Sociaux), la contribution d’Ana Maria Lorusso (« Le tribunal d’Internet : réseaux sociaux, culture de l’annulation et discours de haine ») discute le statut des réseaux sociaux pour mettre en évidence les sanctions discursives imposées par ces véritables tribunaux de justice sommaire, et et la contribution de Giuditta Bassano (« Sémiotique et procès médiatique : les médias et la formation de l’opinion publique en thèmes de justice ») analyse la couverture médiatique du procès penal dans ces particularités.

  • Dans l’axe thématique 4 (Sémiotique du Droit, Droits de la Nature et Nouvelles Frontières du Droit), la contribution de Carlo Andrea Tassinari (« Antrhopocène, Sémiotique et Droit de l’Environnement. La remise en cause juridique des non-humains ») analyse l’Anthropocène et le droit de l’environnement, pour proposer une généalogie sémiotique des espaces naturels, en pointant les nouveaux sujets de droit.

En somme, ce Dossier rassemble, en provenance de sept pays, des contributions qui valorisent l’analyse par leur liberté méthodologique et qui se distribuent en quatre axes thématiques. Les dix articles ici présentés (y compris cette Introduction) portent sur les thèmes les plus divers, en les abordant dans une perspective interdisciplinaire et originale. Ce simple inventaire, réalisé dans le cadre strict de ce Dossier, suffit à montrer qu’à cinquante-deux ans de sa fondation, la Sémiotique du Droit (1971-2023) - en considérant le point de départ dans l’acte fondateur de l’application de la méthodologie générale de la Sémiotique à l’objet-Droit - est plus vivante que jamais. Enrichie par un actant collectif ici réuni à cet effet, elle renouvelle ses perspectives. Quoique le Dossier contienne un très large éventail de thèmes et de questions émergentes, il ne saurait néanmoins refléter complètement et exhaustivement l’état actuel de la recherche en Sémiotique du Droit, eu égard à l’évolution dynamique des connaissances dans un domaine aussi vaste du savoir.

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