Observations sur les Bryophytes effectuées pendant la 143ème session de la Société Botanique de France en Limousin Bryophyta observed during the 143rd session of the Botanical Society of France in Limousin.

Jean-Roger Wattez

https://doi.org/10.25965/asl.118

Les observations concernant les Bryophytes effectuées pendant la 143ème session de la S.B.F. (juillet 2008) sont replacées dans les biotopes parcourus.

The Bryophytes collected in the department of Corrèze, Limousin, in july 2008 have been replaced in the biotopes visited.

Sommaire
Texte intégral

Introduction

Du 29 juin au 4 juillet 2008, se tint la 143ème session de la Société Botanique de France. Basés à Meymac et logés au Village de Vacances de Sèchemailles, les participants parcoururent pendant six journées bon nombre de sites remarquables, principalement dans le département de la Corrèze, mais également dans la Haute-Vienne (1er juillet) et la Creuse (2 juillet). Guidés par M. Botineau, L. Brunerye, L. Chabrol et par A. Vilks, ils découvrirent la richesse de la flore, la diversité des écosystèmes régionaux ainsi que la beauté des paysages du Limousin.

L'auteur de cet article profita des excursions pour récolter un certain nombre de Bryophytes ; précisons sans tarder que les récoltes effectuées furent loin d'être exhaustives : si certains sites furent attentivement prospectés, d'autres beaucoup moins. Aussi, doit on considérer cette note comme un apport à la connaissance de la bryoflore régionale, de façon à compléter le compte-rendu des excursions botaniques réalisées pendant ces six journées fructueuses.

Les espèces ont été replacées par sites et dans l'ordre chronologique du déroulement des excursions. La nomenclature des espèces est celle retenue par A.J. Smith (1978 et 1991)

Première journée ; dimanche 29 juin

Les sites de Bettu et de Reygade

L'un comme l'autre de ces deux sites offre la particularité d'être l'un des lieux où sont localisés des blocs rocheux de serpentinite ; l'originalité de leur flore phanérogamique a fait l'objet de plusieurs études. Toutefois, l'espèce la plus emblématique du site est une Ptéridophyte : Notholaena marantae.

Sur les rochers de serpentine ensoleillés, ont été notées deux espèces saxicoles : Rhacomitrium lanuginosum et Hedwigia ciliata.

Dans le site de Reygade, plus vaste et plus longuement parcouru (car plus accessible...), un ruisselet serpentait dans un vallon : Fissidens adianthoides et Scapania undulata ont été observées sur les pierres.

Les gorges de la Maronne (proches des ruines pittoresques du château féodal de Merle et du village de St Geniez).

Seules quelques Bryophytes ont été récoltées dans ce site qui mériterait une prospection plus attentive. Mentionnons les espèces suivantes:

  • les troncs et les rochers ombragés sont recouverts par d'importants «manchons» de Neckera crispa.

  • la présence sur les parois rocheuses ensoleillées de Bartramia pomiformis et de Bryum donianum.

  • sur les blocs rocheux encombrant le cours d'un ruisseau, s'étalaient Brachythecium rivulare et Racomitrium aquaticum.

Deuxième journée ; lundi 30 juin

Cette journée fut consacrée au plateau de Millevaches L'abondance des sphaignes dans la vaste tourbière adjacente à l'étang des Oussines, proche du village de St Merd impressionna ; elles n'ont pas fait l'objet de récoltes ni d'études. Une mousse acrocarpe abondait également, Polytrichum strictum (=P. alpestre), bien reconnaissable au tomentum blanchâtre entourant la tige.

  • Sur le tronc crevassé de vieux chênes, établis sur une butte dominant cette vaste dépression, étaient présents Antitrichia curtipendula, Orthotrichum lyellii et Ulota crispa.

  • Egalement riche en sphaignes, l'étang de Bournel , tout proche, est réputé pour ses riches populations de Drosera rotundifolia et de Lycopodiella inundata ; une digue ancienne, bâtie à l'aide de grosses pierres limite cette retenue d'eau ; deux espèces y ont été observées : Racomitrium aciculare et Hedwigia ciliata.

  • Entre les touradons de molinie qui forment une large ceinture à la périphérie de la tourbière de Chabannes (sur la commune de Tarnac), plusieurs espèces intéressantes, posées sur le sol tourbeux «oscillant» ont été récoltées : il s'agissait de Brachythecium rivulare, de Calypogeia fissa et d'une mousse caractéristique des milieux tourbeux oligotrophes, Calliergon stramineum, reconnaissable à ses rameaux julacés.

Troisième journée ; mardi 1er juillet

Le site de Masléon

En contrebas des trois ponts (routiers et ferroviaires) de Masléon, la Vienne sinue sous le couvert d'une végétation forestière assez dense ce qui ne déplait pas aux Bryophytes hygrosciaphiles.

Sur les rochers de la rivière et sur les racines des arbres baignant dans l'eau ont été notées : Plagiothecium denticulatum, Homalia trichomanoides et Fontinalis antipyretica ; le sol boueux voisin était colonisé par Mnium undulatum.

  • A cette liste, ajoutons Cryphaea heteromala, notée sur les rochers xériques proches de la voie ferrée dont la création a obligé ses concepteurs à «entamer» la paroi rocheuse ; rappelons le caractère poléophobe de cette espèce, plus souvent corticole que saxicole.

  • Durant l'après midi, la tourbière des Dauges fut longuement parcourue. Il n'a pas été effectué de récoltes de Bryophytes dans ce site précieux, désormais protégé en tant que Réserve Naturelle Nationale ; toutefois, sa bryoflore, soigneusement étudiée en 2007 a fait récemment l'objet d'une publication (Hugonnot et Guerbaa, 2008).

  • Le bourg de Sauvagnac, proche de la tourbière des Dauges restera dans le souvenir des participants grâce à l'agréable réception offerte ; celle-ci fut particulièrement appréciée, à l'issue de cette journée qui fut la plus chaude de la session.

  • Sur plusieurs blocs rocheux du village, Plagiothecium denticulatum et Cirriphyllum (= Eurhynchium) crassinervium étaient présents.

Quatrième journée ; mercredi 2 juillet

L'étang du Bourdeau, proche de St Pardoux-Morterolles

La bryoflore de ce vaste étang tourbeux est comparable à celle des dépressions antérieurement prospectées ; rappelons que c'est dans ce site que fut observée pour la première fois en Limousin, Andromeda polifolium.

Parmi l'épais tapis des sphaignes, s'insinuent Calliergon sramineum, Aulacomnium palustre, Polytrichum commune ainsi que Drepanocladus exannulatus (que ne distinguait pas les anciens auteurs) et Dicranum bonjeani.

Plagiothecium denticulatum s'étalait sur des rochers ombragés, proches du chemin d'accès à l'étang.

A proximité du Compeix

Non loin de ce village (proche de Royère) où les membres de la S.B.F. furent reçus «royalement», plusieurs sites proches furent prospectés :

  • Les blocs rocheux présents sur les bords du Thaurion étaient garnis par Plagiothecium succulentum, Plathypnidium riparioides (dét.P. Z.) ainsi que par Hyocomium armoricum, espèce remarquable dont l'aire de répartition et l'écologie ont fait l'objet d'une étude par Schumaker et al. (1981)

  • En sous bois, d'énormes rochers étaient couverts par des plages importantes de Rhytidiadelphus triquetrus, Hedwigia ciliata et Antitrichia curtipendula ; cette espèce est également présente sur le tronc des chênes en compagnie d'Orthotrichum lyellii ; Isopterygium elegans colonisait les talus.

  • A proximité du hameau du Moulin, un ruisseau a fait l'objet autrefois d'aménagements divers ; y subsiste une petite cascade ; plusieurs parois rocheuses ruisselantes étaient colonisées par Scapania gracilis et par Barbilophozia attenuata.

Cinquième journée ; jeudi 3 juillet

La cinquième journée d'herborisations a représenté un changement profond par rapport aux journées précédentes ; au substrat siliceux du Limousin proprement dit ont succédé les roches et sédiments basiques (souvent calcaires) du Bassin de Brive.

Comme la bryoflore était bien différente, elle a fait l'objet d'une attention particulière.

Le causse de Chasteaux

Aux côtés de Rhytidium rugosum qui abondait par places se voyaient Ditrichum flexicaule, Homalothecium lutescens, Fissidens adianthoides, Racomitrium canescens er Tortella tortuosa.

  • Sur les blocs rocheux xériques prospéraient Anomodon viticulosus, Encalypta vulgaris, Homalothecium sericeum et Porella platiphylla.

  • Sur plusieurs talus situés en contrebas du Causse, ont été également observés Entodon concinnus, Pleurochaete squarrosa et Eurhynchium striatum.

  • Le vallon boisé de la Couze. De spectaculaires populations de buis (Buxus sempervirens) y sont implantées ; les tiges de buis sont « encoconnées » par Neckera complanata ; sur le sol, s'étalaient des tapis de Ctenidium molluscum et de Rhytidiadelphus triquetrus dont la tige rouge pouvait induire en erreur et faire penser -à tort- à Hylocomium brevirostre. Compte tenu de cette luxuriance, une prospection attentive de ce site serait à envisager...

La promenade s'acheva au pied d'une imposante falaise où subsiste une rare fougère saxicole, Asplenium trichomanes s.e. pachyrachis ; les hautes parois de calcaire sont recouvertes par des plages homogènes d' Anomodon viticulosus.

Le site du Puy Turlau, proche de Vegennes

La bryoflore de cette butte (surmontée d'un calvaire) d'où l'on jouit d'un beau panorama sur le sud du département de la Corrèze s'est avérée assez diversifiée.

  • Dans une petite lande à Ericacées sèche, présence de Hylocomium splendens, Dicranum scoparium et d'une mousse xénobiontique, devenue envahissante, Campylopus introflexus.

  • Sur un talus, sont localisées des espèces plus basiphiles, Ctenidium molluscum, Ditrichum flexicaule, Racomitrium canescens et Pleurochaete squarrosa.

  • Parmi les épiphytes, retenons l'existence de Frullania dilatata, de Zygodon viridissimus et de Leucodon sciuroides, à la fois fructifié (ce qui n'est pas fréquent) et garni de propagules.

Sixième journée ; vendredi 4 juillet

La dernière journée d'herborisations fut vraisemblablement celle où le plus grand nombre de Bryophytes fut récolté.

La butte de St Nazaire (entre St Julien près Bort et Liginiac)

Ce site pittoresque domine le cours encaissé de la Dordogne (dont la vallée est malheureusement ennoyée) qui sépare le Limousin de l'Auvergne, au niveau du département du Cantal.

  • Sur les blocs rocheux et les murets, étaient présents Hedwigia ciliata, Antitrichia curtipendula, Leucodon sciuroides, Homalothecium lutescens, Polytrichum piliferum, Pterogonium gracile, Schistidium apocarpum s.l. et Bryum capillare. Cependant l'espèce la plus digne d'intérêt était Hedwigia integrifolia (= Hedwigidium imberbe), orophyte, peu commune, selon Augier (1966).

  • La bryoflore épiphytique est également riche ; sur l'écorce des vieux chênes furent récoltés Metzgeria furcata, Frullania tamarisci, Leucodon sciuroides, Orthotrichum affine et O. lyellii, Ulota sp. (stérile), Neckera pumila et quelques brins de Pterogonium gracile. Ajoutons à cette liste, le lichen épibryophytique Normandinna pulchella.

D'une manière générale, ces groupements épiphytiques qui paraissent fréquents dans le Limousin prennent place dans l'alliance du Frullanion dilatatae Lecointe 1975 et la sous-alliance de l'Ulotenion crispae (Barkman 1958) Lecointe 1975 (Bardat et Hauguel 2002).

Les gorges du Chavanon, entre Singles et Confolent Port-Dieu

La 143ème session de la S.B.F. s'acheva dans ces gorges encaissées : le Chavanon sert de limite administrative aux départements de la Corrèze et du Puy de Dôme. Une ligne de chemin de fer d'intérêt local empruntait jadis ce vallon ; il en reste un chemin empierré grâce au ballast, demeuré en place et une petite gare désaffectée. Un tel site ombragé et frais est favorable à un beau développement des Bryophytes ; elles ont été réparties comme suit :

  • A la partie supérieure des racines temporairement immergées dans le cours d'eau, ont été observées Plagiochila asplenioides, Scapania gr. uliginosa (=S. dentata), Rhizomnium punctatum ainsi que Drepanocladus uncinatus et Plagiothecium cavifolium, espèce méconnue mais très caractéristique.

  • Sur la berge où se déposent, lors des crues, des alluvions sableuses: Plagiothecium succulentum et P. nemorale, accompagnés par Mnium hornum.

  • A la base du tronc de jeunes arbres, Homalia trichomanoides et Anomodon attenuatus gainaient la partie inférieure de certains troncs, de façon à former un important «manchon».

  • La bryoflore du versant rocheux ombragé était particulièrement diversifiée ; une prospection rapide a permis de reconnaître les espèces suivantes :

    • sur les rochers: les coussinets d'Amphidium mougeoti (dét. A.S.)

    • sur le sol «basique»: Thuidium tamariscinum et Encalypta streptocarpa,

    • sur d'anciennes souches : Isothecium myurum et Homalothecium lutescens,

    • dans la ramure des arbres (frênes, érables) : Neckera complanata, N. crispa, Leucodon sciuroides, Porella platiphylla et P. laevigata (=P. arboris vitae) ; la présence de cette espèce peu commune, de répartition méridionale est intéressante.

    • sur un chablis: Lophocolea heterophylla, Campylopus flexuosus ainsi que Nowellia curvifolia, hépatique humicole, épixyle et acidiphile, en extension dans les régions collinnéennes, bien «arrosées».