Contribution à l’inventaire des Macromycètes de la région de Meymac (Corrèze, France) Inventory contribution of macromyceta in the Meymac area (Corrèze)
Axel GHESTEM,
Christiane RICARD,
Robert SISTERNE,
Philippe Hourdin
et Béatrice COMPERE
Pendant une dizaine d’années, des Macromycètes ont été régulièrement récoltés et identifiés dans la région de Meymac (Corrèze) à l’occasion de stages organisés par la Station Universitaire du Limousin (S.U.LIM.) et la Société Mycologique du Limousin (S.M.L.).
L’objet de cette étude est d’en présenter un inventaire synthétique et de montrer à travers une grande biodiversité la remarquable correspondance de la flore fungique avec les caractéristiques écologiques de ce secteur géographique.
During the last decade, many macromyceta have been regularly collected and identified in the area of Meymac (Corrèze department) during field courses organized by Limousin University Station (S.U.LIM.) and Limousin Mycological Society (S.M.L.).
The macromyceta synthetic inventory highlights the high biodiversity and the correlation between fungal flora and ecological factors of this area.
Introduction
Comme cela a déjà été dit quelquefois, le Limousin, pays de l’arbre et de l’eau, est une région très favorable au développement des champignons en raison de plusieurs conditions propices tenant à sa géomorphologie variée, ses qualités géologiques, sa climatologie relativement rude et son caractère forestier affirmé (Ghestem & Botineau, 2003). C’est pourquoi, un inventaire mycologique régional est réalisé régulièrement depuis une quarantaine d’années par la Société Mycologique du Limousin (S.M.L.) à la faveur de nombreuses activités de terrain menées dans les trois départements formant la région administrative, à savoir, la Creuse, la Haute-Vienne et la Corrèze.
Cet inventaire régional des Macromycètes participe aussi à la constitution de l’Inventaire National des Macromycètes effectué sous la responsabilité de la Société Mycologique de France.
A l’occasion de plusieurs stages organisés par la Station Universitaire du Limousin (S.U.LIM.) en 2003, 2004, 2007, 2008 et 2009, ainsi que des séances de perfectionnement en mycologie programmées par la S.M.L. pour certains de ses membres en 1995 (Chastagnol, 1996), 2001 et 2002 (Fannechère, 2002 – 2003), des récoltes de Macromycètes ont été effectuées en septembre et octobre dans la région de Meymac (Corrèze). Elles ont donné lieu à des identifications précises de la part de mycologues avertis permettant d’apporter d’intéressantes données supplémentaires à l’inventaire régional cité précédemment. Nous souhaitons en rendre compte dans cette note après avoir préalablement rappelé les caractéristiques écologiques de ce secteur de la Corrèze et des stations inventoriées.
Généralités concernant le pays de Meymac
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Géomorphologie. Nous sommes ici à la charnière entre deux zones géographiques : la « Montagne Limousine» et les « Hauts plateaux corréziens » qu’elle domine d’un rebord de hauteur variable (environ 250 m près de Meymac) (Schmitt et Timbal, 1950).
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La « Montagne Limousine » correspond aux hautes terres du Limousin oriental (le Plateau de Millevaches). L’altitude y est la plus importante de tout le Limousin et les plus hauts points sont voisins de 1000 m (Mont Bessou à 978 m, 954 m près de Millevaches). L’ensemble constitue une masse de sommets granitiques arrondis plus ou moins soudés entre eux. Leurs versants adoucis mènent à des fonds concaves tourbeux (« alvéoles ») où serpentent de lentes et indécises rivières (ex : l’origine de la Vézère au Longéroux).
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Les « Hauts plateaux corréziens » (au Sud-Est de la Montagne) sont moins élevés. Leur altitude est comprise entre 500 et 750 m (700 m environ dans le secteur de Meymac). Ils sont, par ailleurs, bien nivelés et de structure homogène ; constitués de gneiss et micaschistes pénétrés de granite.
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Carte n°1 : Le Limousin oriental (d’après Schmitt & Timbal, 1950)
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Données climatiques régionales (voir tableau n°1)
Dans tout le secteur, les pluviométries moyennes (PM) sont fortes, partout supérieures à 1200 mm et souvent supérieures à 1300 mm, ce qui est beaucoup par rapport au Limousin occidental (941 mm à Limoges).
On note ainsi à Meymac dans la zone dite des « hauts plateaux corréziens », une pluviométrie de 1262,5 mm et sur la « Montagne », on relève 1362,2 mm à Peyrelevade, 1395,2 mm à Millevaches et même 1526,2 mm à Saint Merd les Oussines.
Le nombre de jours de pluies (JP) est très élevé partout, toujours supérieur à 150 par an et, en fait, supérieur à 160 ou même 170 jours par an.
Le régime des pluies reste essentiellement de type océanique. Elles sont bien réparties sur tout l’année même si elles sont plus abondantes en Automne et en Hiver (succession HAPE).
Le nombre de jours de brouillard (JB) varie de 17 à 26 par an.
Les données thermiques du climat de la région montrent nettement la minoration provoquée par l’altitude et le caractère montagnard du secteur. Les températures moyennes (TM) sont assez basses pour une région qui n’atteint cependant jamais les 1000 m d’altitude. Elles sont toujours inférieures à 9°C et presque toujours voisines de 8°C.
Le nombre de jours de gelées (JG) est particulièrement important (113 à Meymac et 130 à Peyrelevade).
La neige n’est pas rare dans le secteur. Ce sont surtout le nombre de jours de chute de neige (JN) qui sont assez importants (de 30 à Meymac jusqu’à 47 à Millevaches) car, en fait, la neige ne reste pas longtemps au sol comme c’est souvent le cas sous climat montagnard atlantique.
Tableau n°1 : données climatiques pour la région de Meymac (Valadas et Vilks, 1989).
Postes |
Altid. |
PM |
JP |
JB |
JN |
TX |
TN |
TM |
JG |
P% |
E% |
A% |
H% |
SUCC |
Millevaches |
915m |
1395,2 |
181 |
26 |
47 |
23,86 |
22,46 |
25,48 |
28,21 |
HAPE |
||||
Saint-Merd- les Oussines |
815m |
1526,2 |
171 |
23 |
38 |
23,47 |
21,96 |
25,66 |
28,92 |
HAPE |
||||
Peyrelevade |
785m |
1362,2 |
166 |
17 |
34 |
12,8 |
2,3 |
7,6 |
130 |
24,32 |
21,29 |
24,97 |
29,42 |
HAPE |
Meymac |
700m |
1262,5 |
159 |
25 |
30 |
14,1 |
3,5 |
8,8 |
113 |
23,55 |
20,07 |
25,85 |
30,45 |
HAPE |
PM = Pluviométrie annuelle, TM = Température moyenne,
JP = Nombre de jours de pluie, JG = Nombre de jours de gelée,
JB = Nombre de jours de brouillard, JN = Nombre de jours de chute de neige,
TX = Température maximale moyenne, TN = Température minimale moyenne,
Périodes : PM 1951-85 ; JP, JB, JN, JG 1970-85 ; TX, TN, TM 1970-85
P%, E%, A%, H% = Pourcentage des pluviométries saisonnières, avec P = printemps (mois de mars, avril, mai), E = été (juin, juillet, août), A = automne (septembre, octobre, novembre), H = hiver (décembre, janvier, février).
Carte n°2 : secteur étudié.
Présentons, à présent, les quatre stations où ont été effectuées les récoltes de champignons et plus particulièrement leur paysage végétal :
1) Le site de la tourbière du Longéroux (altitude environ 900 m) correspond aux sources de la Vézère, bassin de la Garonne et concerne les communes de Saint Merd les Oussines, Chavanac, Saint Sulpice les Bois et Meymac (Ghestem et al., 1988 et 1989). Il se présente sous forme d’un « alvéole » (vaste cuvette) aux contours multilobés et au fond plat presque fermé vers l’aval, entouré de hautes croupes (950 m) convexes dont la roche est souvent affluente.
La végétation du site est tout à fait représentative de celle de la « Montagne Limousine ». Le fond de l’alvéole est occupé par des formations hygrophiles (bas marais, tourbières bombées et landes tourbeuses).
Sur les pentes, s’observent quelques zones agricoles : prairies temporaires, des friches, de vastes landes sèches à callune (Calluna vulgaris) et genêt pileux (Genista pilosa) et de rares bois feuillus évoluant normalement vers la hêtraie à houx qui correspond à la végétation climacique de la région (Ilici-Fagetum). Les bois des abords immédiats de la tourbière sont essentiellement des plantations de conifères installées récemment au détriment de landes de pente. On y rencontre différentes essences presque toutes étrangères à la région : le sapin blanc (Abies alba), le sapin de Vancouver (Abies grandis), l’épicéa commun (Picea abies), le douglas (Pseudotsuga menziesii), le mélèze du Japon (Larix kaempferi), le pin sylvestre (Pinus sylvestris). Dans les fonds tourbeux proprement dits, s’installent ici ou là quelques arbres ou arbustes qui végètent difficilement : le saule cendré (Salix atrocinerea), le bouleau verruqueux (Betula alba) et plus localement le bouleau pubescent (Betula pubescens).
Le site est inscrit au titre de la protection des sites.
La tourbière est protégée par un arrêté de protection de biotope et participe à un très vaste site Natura 2000 : « landes et zones humides autour de la Haute-Vézère ».
2) La forêt de la Cubesse est un site Natura 2000 et concerne la commune d’Ambrugeat (Branca, 2009). Elle est incluse dans l’un des grands massifs feuillus du Parc Naturel Régional de Millevaches en Limousin, celui qui couvre les versants du ruisseau de la Saulière dont les eaux alimentent la Soudeillette puis la Luzège avant de rejoindre la Dordogne.
Les milieux naturels que l’on y rencontre sont :
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Les hêtraies à sous-bois de houx. Elles sont largement dominantes et se présentent sous la forme de futaies hautes ou de peuplements mélangés à de vieux taillis de chênes.
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Les forêts alluviales composées d’aulnes et de frênes qui bordent le ruisseau de la Saulière.
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Les landes et milieux tourbeux en situation de clairières qui correspondent à d’anciens espaces agricoles abandonnés et qui se boisent lentement.
3) L’étang du Merlançon, au Sud-Est de Meymac est environné de bois de conifères fortement endommagés par la tempête de 1999. Sur les rives de l’étang, existe une mosaïque de groupements végétaux hygrophiles : bas marais, cariçaie tourbeuse, jonçaie et jonçaie molinaie, mégaphorbiaie….
Les pentes de la rive gauche sont le domaine d’une végétation de feuillus divers (hêtres, chênes, bouleaux). Il s’agit pour l’essentiel d’une hêtraie claire avec quelques fragments de lande sèche acidiphile. On remarque ici ou là quelques pins sylvestres. Les pentes de l’autre rive sont, au contraire, surtout le domaine des conifères (douglas, épicéas mais aussi pins sylvestres et exceptionnellement pins Weymouth).
3) Environs du lac de Sèchemailles près d’Ambrugeat. Le paysage végétal y est diversifié, formé de nombreux bois mixtes constitués de feuillus divers (principalement des hêtres mais aussi des chênes et des bouleaux) auxquels se mêlent différents conifères. On y observe aussi en alternance avec les milieux forestiers des prairies permanentes mésophiles pâturées par les ovins et bovins.
Si l’on résume les caractéristiques écologiques de ce secteur de la Corrèze et plus particulièrement des stations où ont eu lieu les prospections mycologiques, on remarquera :
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Le climat montagnard atlantique marqué par des précipitations abondantes, assez régulières et des températures basses.
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Une végétation forestière diversifiée avec de nombreuses espèces résineuses introduites lors des plantations.
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Et, enfin, l’existence de sols acides engendrés par des roches mères siliceuses granitiques ou métamorphiques.
Ces différents éléments sont évidemment très favorables au développement d’une très grande diversité mycologique dont nous allons maintenant rendre compte à l’aide du tableau n°2.
Le nombre des espèces de Macromycètes qui ont été récoltées en automne (en septembre ou octobre) pendant quelques jours seulement au cours d’une dizaine d’années et dans ce très petit nombre de stations de la région de Meymac s’est révélé cependant assez considérable : on compte en tout 260 espèces ou variétés.
Celles-ci ont été rassemblées dans un tableau synthétique et présentées dans l’ordre alphabétique.
Même si leur dénomination n’est pas toujours la plus actuelle qui soit, nous avons souhaité pour la plus grande clarté de cette publication que la nomenclature des champignons cités corresponde strictement à celle utilisée dans l’ouvrage de référence que constitue le guide des champignons de France et d’Europe, rédigé par R. Courtecuisse et B. Duhem en 1994.
Par ailleurs, dans le tableau sont signalées grâce à un signe distinctif (+) les particularités écologiques d’un grand nombre d’espèces liées plus ou moins spécifiquement à certaines essences forestières qui participent au paysage végétal des stations inventoriées et analysées précédemment.
Voici les abréviations utilisées dans le tableau pour désigner les essences forestières auxquelles sont liées plus particulièrement les espèces de Macromycètes :
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FD : feuillus divers
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CO : conifères.
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CH : chênes.
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PI : pins.
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HE : hêtres.
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EP : épicéas.
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BO : bouleaux.
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ME : mélèzes.
Tableau n°2 : tableau synthétique des espèces observées.
Tableau n°2 - fichier PDF (24 Ko)
A partir de ce tableau d’inventaire, il est intéressant de distinguer plusieurs entités écologiques et de rassembler les espèces qui les constituent afin d’en donner des listes :
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Les espèces très particulièrement liées aux principales essences forestières de la région.
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Espèces liées au hêtre :
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Cortinarius torvus
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Fomes fomentarius
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Hebeloma radicosum
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Hypoxylon fragiforme
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Lactarius blennius
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Lycoperdon echinatum
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Mycena pelianthina
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Oudemansiella mucida
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Russula curtipes
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Russula fageticola
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Russula fellea
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Strobilomyces strobilaceus
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Espèces liées aux bouleaux :
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Cortinarius armillatus
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Cortinarius triumphans
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Lactarius glyciosmus
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Lactarius necator
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Lactarius torminosus
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Leccinum melaneum
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Leccinum scabrum
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Leccinum variicolor
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Leccinum versipelle
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Piptoporus betulinus
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Russula aeruginea
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Russula nitida
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Tricholoma fulvum
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Espèces liées aux pins :
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Lactarius hepaticus
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Lactarius quieticolor
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Russula adusta
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Russula amara
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Russula drimeia
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Russula sanguinaria
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Russula torulosa
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Suillus bovinus
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Suillus collinitus
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Suillus luteus
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Suillus placidus (pins Weymouth)
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Espèces liées aux épicéas :
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Cortinarius brunneus
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Lactarius lignyotus
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Phaeocollybia christinae
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Russula mustelina
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Groupe d’espèces à caractère ou tendance montagnarde qui confirme parfaitement la spécificité des traits du climat régional :
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Boletus edulis, présent en plaine sous feuillus mais en montagne dans les pessières et sapinières.
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Cortinarius camphoratus, conifères – tendance montagnarde.
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Cortinarius traganus, tendance submontagnarde.
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Lactarius lignyotus, pessières tourbeuses de montagne.
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Lactarius picinus, conifères de montagne continentale.
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Porphyrellus porphyrosporus, sapinières et pessières de montagne.
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Russula mustelina, conifères surtout épicéas.
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Tricholoma sejunctum, conifères – submontagnarde.
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Tricholoma var. coniferarum, conifères – submontagnarde.
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Tricholomopsis decora, conifères tendance montagnarde.
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Macromycètes liés aux milieux humides présents dans les stations régionales prospectées :
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Conocybe subovalis, forêts riveraines, près humides, marais.
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Entoloma politum, saulaies, betulaies humides.
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Entoloma sericatum, forêts humides (Betula, Salix, Alnus, Fraxinus)
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Galerina tibiicystis, sphaignes.
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Hemipholiota myosotis, bord des mares, sphaignes, landes humides.
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Lactarius lacunarum, bord des mares.
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Omphalina sphagnicola, sphaignes.
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Russula claroflava, feuillus hygrophiles.
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Russula fragilis fo. violascens, conifères hygrophiles.
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Conclusion
En conclusion de cette étude, il y a lieu d’insister sur la remarquable biodiversité fungique (260 espèces ou variétés). Le nombre d’espèces est considérable alors que, rappelons-le, les récoltes n’ont porté au cours de huit années que sur une ou deux journées en septembre et octobre et, par ailleurs, sur quatre stations seulement.
La liste générale et les listes spécifiques permettent de mettre en évidence les relations étroites existant entre de nombreux Macromycètes mycorhiziques ou lignicoles et les types forestiers ou même plus précisément les essences forestières présentes dans les stations soumises à l’exploration mycologique.
Elles permettent également de vérifier à travers la flore fungique de ce secteur la présence intéressante d’indicateurs du caractère montagnard du climat régional.
Enfin, nous espérons que cette contribution à l’inventaire régional des Macromycètes du Limousin sera à l’origine de futures études mycologiques complémentaires. Il serait d’autant plus nécessaire de les conduire dans ce secteur de la Haute-Corrèze que ce dernier fait partie du Parc Naturel Régional de Millevaches en Limousin et qu’il est indispensable d’en montrer sous différents aspects la remarquable biodiversité.