Contrôle intégré de deux parasitoses basé sur l’isolement des habitats colonisés par Omphiscola glabra dans deux fermes de la Haute-Vienne Integrated control of fasciolosis based on the isolation of habitats colonized by the snail Omphiscola glabra in two farms of Haute Vienne
Un contrôle intégré de la fasciolose et de la paramphistomose a été appliqué pendant quatre années dans deux fermes de la Haute-Vienne afin de vérifier si la transmission de ces parasitoses pouvait être interrompue tout en assurant la sauvegarde de la limnée hôte (Omphiscola glabra). Les bovins ont été régulièrement déparasités à l’aide d’anthelminthi-ques, tandis que les habitats du mollusque ont été isolés du reste des pâtures à partir de 2011. Une troisième ferme a servi de témoin avec le déparasitage du bétail comme ci-dessus mais les biotopes de la limnée n’ont pas été clôturés. L’isolement des habitats d’O. glabra dans les deux fermes s’est traduit par une chute dans les prévalences des infestations naturelles en 2012 et la disparition des formes larvaires des parasites chez les limnées en 2013 et 2014. Chez les bovins, les prévalences ont diminué de manière progressive jusqu’à leur négativation en 2014. Dans la ferme témoin, les prévalences chez les limnées ont légèrement baissé au cours des années tandis que celles notées chez les bovins n’ont pas présenté de variation significative depuis 2011. L’isolement des habitats de cette limnée lors d’un contrôle intégré chez le bétail permet donc de sauvegarder les populations d’O. glabra tout en interrompant le cycle évolutif des deux parasites.
An integrated control of fasciolosis and paramphistomosis was applied for four years in two farms of Haute Vienne to verify if transmission of these parasitoses could be interrupted and the conservation of the host snail (Omphiscola glabra) could be ensured. Cattle were regularly deparasitized using anthelminthics, while the snail habitats were isolated from the other parts of pastures since 2011. A control farm was also used with the treatment of cattle as above but snail habitats were not isolated. Fencing of snail habitats in the two farms had induced a drop in prevalences of natural infections in 2012 and disappearance of parasite larval forms from the snail bodies in 2013 and 2014. In cattle, prevalences of these infections had steadily decreased over years up to their negativation in 2014. In the control farm, prevalences in snails had only slightly decreased during the four years, while those noted in cattle did not show any significant variation since 2011. The isolation of lymnaeid habitats during the integrated control in cattle had allowed conservation of O. glabra populations and the interruption of both digenean life-cycles.
Introduction
Fasciola hepatica, connu aussi sous le nom de « grande douve », est un ver plat qui infeste le foie de nombreux mammifères, l’homme y compris. Cette douve est connue depuis l’Antiquité comme un parasite important du bétail et est à l’origine de pertes économiques sévères dans les troupeaux de bovins et de moutons (Taylor, 1965). De nombreuses études scientifiques ont porté sur cette espèce en raison de la distribution mondiale de cette parasitose (fasciolose) et de l’ampleur des conséquences zootechniques (Torgerson et Claxton, 1999). Pour accomplir son cycle évolutif, F. hepatica a besoin d’un hôte intermédiaire (une limnée) qui assure le développement de ses formes larvaires. Dans l’Europe de l’Ouest, le mollusque le plus connu est Galba truncatula et le nom de cette limnée est souvent associé dans les écrits à celui de la grande douve du foie (Andrews, 1999). Mais d’autres limnées comme la Limnée étroite (Omphiscola glabra) peuvent également assurer le développement larvaire de F. hepatica (Vignoles et al., 2016).
En plus de son rôle comme hôte intermédiaire dans le cycle évolutif de F. hepatica, la Limnée étroite assure aussi le développement des formes larvaires de Calicophoron daubneyi (les deux parasites infestent souvent les mêmes bovins dans le centre de la France : Szmidt-Adjidé et al., 2000 ; Mage et al., 2002). Ce rôle d’hôte intermédiaire soulève deux problèmes en apparence contradictoires. D’un côté, il est nécessaire d’interrompre la transmission de ces parasites à l’hôte définitif et l’étape la plus facile est l’élimination du mollusque hôte de ses habitats. D’un autre côté, le déclin, que l’on observe à l’heure actuelle dans les populations d’O. glabra sur son aire de répartition géographique (Prié et al., 2011) et même dans le Limousin, nécessite de sauvegarder cette limnée en ne détruisant pas ses habitats naturels. Cette double exigence impose de revoir les méthodes que l’on applique pour contrôler les limnées. Cette opération est d’autant plus difficile que dans le Limousin, O. glabra vit souvent dans les mêmes rigoles de drainage que G. truncatula (Vareille-Morel et al., 1999).
En raison de la nécessité de sauvegarder O. glabra dans ses habitats naturels, le contrôle de cette limnée en utilisant la lutte chimique à l’aide de molluscicides (niclosamide par exemple) ou l’action de prédateurs comme le mollusque Zonitoides nitidus (Rondelaud et al., 2009) est à proscrire. Le contrôle de cette espèce ne peut donc se faire qu’avec les seules méthodes agronomiques en évitant d’éliminer la Limnée étroite, mais aussi en interrompant la transmission des parasitoses que ces derniers induisent.
En 1983 et 1991, Mage et Rondelaud ont proposé un contrôle intégré de la fasciolose pour éradiquer cette parasitose sur certaines exploitations et limiter la fréquence de la maladie dans la plupart des autres fermes. Il s’adresse à deux catégories d’hôtes. La première est celle du bétail pour lequel on effectue une prophylaxie par l’emploi d’anthelminthiques et où l’on pratique une politique dans la gestion des pâturages pour les divers troupeaux de la ferme. La seconde est celle du mollusque hôte dont le contrôle repose sur des mesures agronomiques, des molluscicides ou des prédateurs. Il est donc utile d’associer ces diverses techniques dans la même ferme afin de cumuler leurs effets bénéfiques. Ce contrôle a déjà été appliqué avec succès sur un certain nombre de fermes pour éliminer G. truncatula (Mage et al., 1989 ; Rondelaud et al., 2009). Devant ces premiers résultats, il était intéressant de vérifier si ce contrôle intégré de la fasciolose permettait d’obtenir les mêmes résultats dans des pâtures colonisées seulement par O. glabra. Les habitats du mollusque ont été simplement isolés du reste des pâtures de façon à ce que le bétail n’y ait pas accès. Pour vérifier cette possibilité, le contrôle intégré a été appliqué pendant quatre années sur deux fermes de la Haute-Vienne, tandis qu’une troisième exploitation a servi de témoin en n’étant pas soumise au contrôle.
Matériel et méthodes
1. Fermes étudiées
Trois fermes ont été retenues dans le cadre de cette expérience. Elles se situent sur les communes de Gajoubert, de Tersannes et de Villefavard, département de la Haute-Vienne. Ces exploitations élèvent des bovins et sont connues pour leurs problèmes de fasciolose et de paramphistomose. Elles se situent sur des terrains cristallophylliens et leur altitude se distribue entre 215 et 415 m. Omphiscola glabra est la seule espèce de limnée présente. Les deux fermes de Gajoubert et de Villefavard ont été soumises au contrôle intégré tandis que celle de Tersannes a servi de témoin. Les autres caractéristiques sont présentées sur le tableau I.
Tableau I. Prévalences des infestations naturelles par Calicophoron daubneyi et Fasciola hepatica chez les ruminants de trois fermes sans le nord de la Haute-Vienne. Le nombre d’habitats colonisés par la Limnée étroite y est également indiqué.
Commune (superficie des pâtures en ha) |
Nombre de bovins par ferme en 2011 |
Prévalence de l’infestation chez les ruminants en 2011 |
Nombre d’habitats |
|
Fasciola hepatica |
Calicophoron daubneyi |
|||
Gajoubert (23) |
38 |
13,1 % |
18,4 % |
4 |
Villefavard (27) |
19 |
15,7 % |
21,0 % |
3 |
Tersannes (54) |
64 |
18,7 % |
21,8 % |
6 |
2. Protocole expérimental
Les ruminants de trois fermes ont tous été traités en mars 2011 par le triclabendazole (Fasinex® 100) et l’oxyclozanide (Zanil®) pour lutter, respectivement, contre F. hepatica et C. daubneyi. De 2012 à 2014, des prélèvements de selles ont été effectués en mars chez tous les bovins dans les fermes de Gajoubert et Villefavard, et seulement chez la moitié d’entre eux dans celle de Tersannes pour y rechercher les œufs des parasites. Les traitements ont été répétés chaque année en mars en fonction des résultats fournis par les coproscopies.
Les sept gîtes colonisés par O. glabra sur les fermes de Gajoubert et de Villefavard ont été clôturés en 2011 à l’aide de barbelés pour éviter que les animaux n’y aient accès et plusieurs abreuvoirs artificiels, fixes ou mobiles, ont été placés dans les diverses pâtures. Dans la ferme de Tersannes, les six habitats n’ont pas été clôturés. De 2011 à 2014, des échantillons de 50 ou 100 individus hauts de 10 mm et plus (selon l’abondance de chaque population) ont été récoltés en mars par chasse à vue dans les 13 gîtes à limnées présents sur les trois fermes. Les mollusques ont été disséqués sous un stéréomicroscope pour y rechercher des formes larvaires de l’un ou de l’autre Digène et établir la prévalence de chaque infestation.
3. Paramètres étudiés
Le premier est la prévalence de l’infestation naturelle par F. hepatica ou par C. daubneyi chez les ruminants de ces fermes. Le second paramètre est le taux d’infestation de la limnée par l’un ou l’autre de ces Digènes.
Chaque année, les prévalences notées chez les bovins de Gajoubert et de Villefavard ont été comparées avec celles obtenues chez les ruminants de la ferme témoin, en tenant compte de l’espèce du Digène. Le même protocole a été utilisé pour les prévalences notées chez les limnées. Comme les valeurs sont faibles, toutes les comparaisons ont été réalisées en utilisant le test exact de Fisher. Les analyses ont été effectuées avec le logiciel Statview 5.0 (SAS Institute Inc., Cary, NC, USA).
Résultats
1. Prévalence de l’infestation naturelle chez la Limnée étroite
Les résultats de ces investigations sont fournis sur le tableau II.
Tableau II. Prévalence de l’infestation naturelle par Calicophoron daunbeyi et Fasciola hepatica de 2011 à 2014 chez 13 populations d’Omphiscola glabra vivant dans trois fermes de la Haute-Vienne.
Commune |
Année |
Nombre de limnées récoltées |
Prévalence de l’infestation naturelle chez Omphiscola glabra |
|
Fasciola hepatica |
Calicophoron daubneyi |
|||
Gajoubert |
2011 |
400 |
2,7 % |
6,0 % |
2012 |
400 |
0,5 % |
0,2 % |
|
2013 |
400 |
0 |
0 |
|
2014 |
398* |
0 |
0 |
|
Villefavard |
2011 |
250 |
3,6 % |
4,4 % |
2012 |
250 |
0,4 % |
1,6 % |
|
2013 |
246* |
0 |
0 |
|
2014 |
250 |
0 |
0 |
|
Tersannes (ferme témoin) |
2011 |
450 |
3,7 % |
3,1 % |
2012 |
450 |
2,8 % |
2,0 % |
|
2013 |
444* |
2,0 % |
1,1 % |
|
2014 |
450 |
2,4 % |
1,1 % |
* Assèchement partiel de l’un des habitats présents sur la ferme.
Par rapport à la ferme témoin (Tersannes), l’isolement des habitats de la Limnée étroite dans les deux autres exploitations s’est traduit par une chute dans la prévalence des infestations naturelles au cours de la deuxième année et la disparition des formes larvaires des parasites chez les limnées en 2013 et 2014. Par contre, dans la ferme témoin, la prévalence des infestations naturelles par l’un ou l’autre des Digènes a diminué progressivement au cours des années.
Aucune différence significative entre les prévalences relevées chez les limnées n’a été notée en 2011, quel que soit le Digène. Par contre, les valeurs trouvées en 2012 pour F. hepatica dans les fermes de Gajoubert et de Villefavard sont significativement plus faibles (p < 1 %) que celle notée dans la ferme témoin. Dans le cas de C. daubneyi, la prévalence relevée dans l’exploitation de Gajoubert est significativement plus faible (p < 5 %) que celles notées dans les deux autres fermes.
2. Prévalence de l’infestation naturelle chez les ruminants
Les valeurs obtenues sont fournies sur le tableau III.
Tableau III. Prévalence de l’infestation naturelle par Calicophoron daunbeyi et Fasciola hepatica de 2011 à 2014 chez les bovins de trois fermes situées dans le nord de la Haute-Vienne.
Commune |
Année |
Nombre de prélèvements réalisés |
Prévalence de l’infestation naturelle chez les bovins |
|
Fasciola hepatica |
Calicophoron daubneyi |
|||
Gajoubert |
2011 |
38 |
13,1 % |
18,4 % |
2012 |
37 |
5,4 % |
8,1 % |
|
2013 |
37 |
2,7 % |
2,7 % |
|
2014 |
35 |
0 |
0 |
|
Villefavard |
2011 |
19 |
15,7 % |
21,0 % |
2012 |
20 |
10,0 % |
15,0 % |
|
2013 |
18 |
5,5 % |
11,1 % |
|
2014 |
18 |
0 |
0 |
|
Tersannes (ferme témoin) |
2011 |
32 |
18,7 % |
21,8 % |
2012 |
27 |
10,8 % |
18,5 % |
|
2013 |
29 |
13,7 % |
31,0 % |
|
2014 |
27 |
11,1 % |
18,5 % |
Chez les bovins de Gajoubert et de Villefavard, la répétition du traitement a entraîné une diminution progressive de la prévalence pendant les trois premières années jusqu’à sa négativation en 2014. Dans la ferme témoin, des prévalences variant de 11,1 à 18,7 % pour F. hepatica et de 18,5 à 31 % pour C. daubneyi ont été notées chez les bovins.
Aucune différence significative entre les prévalences relevées en 2011 dans les trois fermes n’a été notée, quelle que soit l’espèce du Digène. Le même type de résultat a été relevé en 2012. Par contre, en 2013, la prévalence enregistrée dans la ferme de Gajoubert pour C. daubneyi est significativement plus faible (p < 1 %) que celles notées dans les deux autres fermes, alors qu’il n’y a pas de différence significative entre les prévalences dans le cas de F. hepatica.
Discussion
Ces premiers résultats montrent que sur les sols acides du Limousin, il est possible d’interrompre le cycle évolutif des deux parasites et de sauvegarder les populations de limnées en pratiquant une lutte intégrée avec déparasitage de l’hôte définitif et le simple isolement des gîtes où vivent les mollusques. Comme l’aire occupée par un habitat colonisé par G. truncatula ou par O. glabra dans une pâture ne représente que 0,1 % de la superficie totale (Vareille, 1996 ; Rondelaud et al., 2009), cette zone à risque peut donc être clôturée facilement pour que les ruminants domestiques n’y aient pas accès et évitent ainsi d’être contaminés par l’un ou l’autre des parasites que le mollusque peut transmettre. En plus, le non-accès des bovins dans ces zones à limnées évite le nivellement des parois lors du piétinement de ces ruminants, permettant ainsi à la population d’O. glabra d’avoir des conditions favorables pour qu’elle se développe dans son gîte.
La comparaison des tableaux II et III montre que la disparition des formes larvaires de l’un ou de l’autre Digène demande moins de temps chez les limnées (deux années seulement) que celle des formes adultes chez les bovins (trois années). Cette différence peut s’expliquer facilement par le fait que certains bovins dans les deux fermes se sont contaminés en 2012 à partir des métacercaires que les quelques limnées parasitées ont libérées au cours de cette année-là. Il est donc nécessaire d’appliquer ce contrôle intégré sur plusieurs années successives, ce qui peut constituer une limite pour l’éleveur en raison du coût que représentent les traitements anthelminthiques chez le bétail.
Les résultats rapportés dans la présente étude ne portent que sur deux exploitations si bien qu’ils ne peuvent pas être généralisés à d’autres fermes touchées par ces parasitoses car la conformation des prairies et la gestion des pâturages varient selon les régions d’élevage et le type de ruminants. Des essais sur d’autres exploitations sont donc nécessaires pour vérifier s’il n’existe pas des limites avant que cette méthode ne soit appliquée par les éleveurs.