Perturbations écologiques et parasitologiques liées à l’introduction d’un gastéropode d’eau douce, Omphiscola glabra (Lymnaeidae) dans des zones nouvelles Ecological and parasitological changes caused by the introduction of a freshwater gastropod, Omphiscola glabra (Lymnaeidae) into new sites.
Des échantillons d’Omphiscola glabra provenant d’une région calcaire (La Brenne, département de l’Indre) ont été introduits dans de nouveaux sites en Haute-Vienne pour étudier l’évolution de ces mollusques étrangers sur des sols acides et suivre leur infestation naturelle par Fasciola hepatica ou Paramphistomum daubneyi. L’opération inverse a été effectuée avec des limnées de la Haute-Vienne transférées dans la Brenne tandis que des mollusques de chaque région, implantés localement ont servi de témoins. Chez les O. glabra vivant en Brenne comme chez les limnées locales implantées en Haute-Vienne, le nombre d’adultes par population et la superficie de leurs habitats passent par des pics au cours de la troisième année ou de la quatrième année post-introduction (p.i.). Chez les limnées de la Brenne introduites en Haute-Vienne, on assiste à une diminution progressive des valeurs pour les deux paramètres précités à partir de la deuxième année p.i. Des mollusques parasités naturellement ont été retrouvés dans toutes les populations d’O. glabra. Chez les limnées de la Brenne introduites en Haute-Vienne comme chez celles qui vivent en Brenne, la prévalence et l’intensité de leur infestation naturelle par l’un ou l’autre des Digènes s’accroissent progressivement à partir de la deuxième année p.i. ou de la troisième. Par contre, les valeurs de ces paramètres chez les limnées de la Haute-Vienne implantées localement ne présentent pas de variation significative au cours des années. En 2009, la prévalence de l’infestation par F. hepatica est significativement plus élevée chez les O. glabra de la Haute-Vienne implantées localement ou dans la Brenne que chez une autre limnée (Galba truncatula) vivant dans les mêmes prairies. Les variations observées pour les effectifs d’O. glabra et la superficie de ses habitats peuvent s’expliquer par la concentration en calcium présente dans le sol de chaque région. L’accroissement de la prévalence ou de l’intensité de leur infestation naturelle peut s’interpréter comme une adaptation progressive de cette limnée à une pression parasitaire différente lorsque cette espèce est introduite dans un nouveau milieu.
Samples of Omphiscola glabra, originating from a calcareous region (La Brenne, department of Indre), were introduced into new sites located in Haute-Vienne to study the development of these foreigners on acid soil and to follow their natural infection with Fasciola hepatica and/or Paramphistomum daubneyi. An inverse process using lymnaeids collected from Haute-Vienne and placed in Brenne was also performed, while snails originating from each region and locally introduced were used as controls. In all samples of O. glabra living in Brenne and the local snails in Haute-Vienne, the number of adults per population and the area of their habitats peaked during the third or fourth year post-introduction (p.i.), respectively. In the foreign samples placed in Haute-Vienne, the values of these both parameters progressively decreased from the second year p.i. Naturally-infected snails were found in all populations of O. glabra. In all samples living in Brenne and the foreign snails in Haute-Vienne, the prevalence and intensity of snail infections by either of both Digenea progressively increased from the third or the second year p.i., respectively. In contrast, the values of these parameters in the local snails living in Haute-Vienne did not show any significant variation throughout the years. In 2009, the preva-lence of F. hepatica-infected O. glabra was significantly greater in the local samples living in Haute-Vienne and the foreigners in Brenne than in another lymnaeid Galba truncatula, living in the same meadows. The numerical variations noted for the numbers of O. glabra and their habitat areas can be explained by calcium concentrations present in the soils from each region. The increase in the prevalence and intensity of their natural infection may be interpreted as an adaptation of this snail to another parasitic pressure when this species is introduced into a new site.
Introduction
L’introduction d’une espèce animale ou végétale d’origine étrangère dans un nouveau territoire constitue un risque environnemental qui est encore mal estimé à l’heure actuelle. Son impact sur la biodiversité d’un milieu ou sur le fonctionnement de l’écosystème dans lequel elle est insérée peut se révéler catastrophique. A titre d’exemple, citons le cas de Ludwigia grandiflora (Michx.) Greuter et Burdet, 1987 qui colonise de nombreux cours d’eau sur le territoire français (Muller, 2004). Les conséquences environnementales de la jussie sont bien connues du public par l’intermédiaire des médias. Mais cette espèce végétale n’est pas la seule. Parmi les mollusques d’eau douce, deux exemples sont à retenir. La première est l’invasion du proso-branche Potamopyrgus antipodarum Gray, 1843 dans les cours d’eau français à partir des années 1960. D’origine marine, cette espèce s’est adaptée à l’eau douce et a progressivement envahi le réseau hydrographique jusqu’en 1970, date à partir de laquelle ses effectifs et la superficie de ses habitats se sont réduits sans toutefois disparaître (Réal, 1973 ; Dhur et Massard, 1995 ; Mouthon, 2001). L’autre exemple est celui des corbicules (Corbicula fluminea O.F. Müller, 1774) que l’on rencontre, à l’heure actuelle, de plus en plus dans le lit des cours d’eau, des étangs ou des lacs (Dubois et Tourenq, 1995). Comme le prosobranche précité, ces bivalves sont en train de coloniser une grande partie du réseau hydrographique situé au sud de la Loire (Vincent et Brancotte, 2002).
En plus des risques pour l’environnement, l’introduction d’une espèce peut se révéler néfaste en raison des prédateurs et des parasites qu’elle peut véhiculer. Le cas du phylloxéra (Daktulosphaira vitifoliae Fitch, 1855) est bien connu du public. Ce puceron, originaire d’Amérique du Nord, s’est largement répandu à partir de 1860 dans le vignoble français (Legros, 1993). Un autre exemple est celui de la douve géante (Fascioloides magna Bassi, 1875), parasite qui s’est répandu en Europe centrale à la suite de l’introduction de cerfs américains dans le nord de l’Italie à partir de 1870 (Erhardová-Kotrlá, 1971). Par la suite, des cas de fascioloidose, entraînant souvent la mort des animaux, ont été détectés en République tchèque et dans les pays voisins, non seulement chez les cervidés locaux mais aussi chez les petits ruminants domestiques (Špakulová et al., 2003).
Au travers des exemples précités, il importe de réfléchir à deux fois aux conséquences éventuelles si l’on désire importer une espèce dans un autre territoire que son habitat naturel et si l’on veut l’implanter dans des conditions non contrôlées. Un essai de ce type a déjà été réalisé par notre équipe (Vareille-Morel et al., 2002) par le transfert d’une limnée (Galba truncatula O.F. Müller, 1774) provenant de sols acides dans de nouveaux sites de la Haute-Vienne. Dans ces conditions, la moitié des échantillons introduits se sont maintenus au cours des années ultérieures mais leur sensibilité à l’infestation expérimentale par Fasciola hepatica Linnaeus, 1758 a diminué pour certaines populations alors qu’elle est restée la même pour les autres (Vareille-Morel et al., 2002). Comme cette première expérience n’avait été effectuée qu’en utilisant des limnées et des sols de même origine (terrains siliceux), il était intéressant de vérifier si ces résultats se retrouvent lorsque l’on implante des limnées de sols acides dans une région de nature géologique différente (par exemple, sédimentaire). Pour cette raison, une tentative a été pratiquée en 2003 en transférant des échantillons d’une autre limnée (Omphiscola glabra O.F. Müller, 1774) provenant de la Haute-Vienne dans des rigoles de drainage superficiel sur terrain calcaire et en effectuant l’opération inverse avec des mollusques de sols calcaires introduits dans des sites de la Haute-Vienne. Le premier objectif de cette étude est donc de préciser l’évolution des effectifs pour ces nouvelles populations au cours des années et de déterminer la superficie des habitats qu’elles colonisent.
Le suivi de ces nouvelles populations d’O. glabra sur le plan parasitologique était plutôt difficile. En effet, l’espèce ne peut assurer le développement larvaire de F. hepatica que lorsque les mollusques mesurent moins de 2 mm de hauteur lors de l’exposition aux miracidiums (Boray, 1978) ou lorsqu’ils sont co-parasités par F. hepatica et un autre Digène : Paramphistomum daubneyi Dinnik, 1962 dans le même intervalle de temps (Augot et al., 1996). Comme cette deuxième possibilité est la plus fréquente sur les sols acides du Limousin (Abrous et al., 1999, 2000), nous avons préféré suivre l’infestation naturelle d’O. glabra par l’un ou l’autre des Digènes précités plutôt que de procéder à des essais expérimentaux comme ceux pratiqués pour G. truncatula (Vareille-Morel et al., 2002). Le choix du sud-ouest de la Brenne (département de l’Indre) pour effectuer ces introductions de limnées nous a été dicté par des conditions épidémiologiques particulières sur le plan du parasitisme. A l’inverse de la Haute-Vienne où les cas d’infestation d’O. glabra par les deux Digènes sont connus depuis 1995 (Abrous et al., 1999, 2000), aucune limnée parasitée n’a été notée par notre équipe dans les populations de la Brenne jusqu’en 2003. Pourtant, F. hepatica existe bien en Brenne comme en témoignent les formes larvaires de ce Digène retrouvées chez G. truncatula (Rondelaud et al., 2004) alors que P. daubneyi n’a été détecté chez les bovins qu’à partir de 2001 et chez G. truncatula qu’en 2003 (données non publiées). Le deuxième objectif de ce travail est donc de suivre la sensibilité de ces nouvelles populations d’O. glabra aux deux parasites en analysant la prévalence de leur infestation naturelle et l’intensité de celle-ci (évaluée en fonction de la charge rédienne) entre 2003 et 2009.
Matériel et méthodes
1. Populations de limnées et sites choisis pour l’introduction des échantillons
La population de O. glabra, sélectionnée en Brenne (46° 40’ 27” N, 1° 21’ 19” E) vit dans un fossé le long de la route D 46, sur la commune de Chitray, département de l’Indre. Celle choisie en Haute-Vienne (46° 4’ 42” N, 1° 6’ 47” E) se trouve dans une petite collection d’eau le long de la route D 72, à proximité de la ferme du Francour, sur la commune de Saint-Junien-les-Combes.
Dans chaque colonie, trente échantillons de limnées comprenant chacun 100 adultes (hauteur de coquille, plus de 14 mm) ont été récoltés en avril 2003.
Tableau I : Origine et nombre d’échantillons de limnées introduites dans de nouveaux sites en mars 2003.
Origine des limnées |
Introduction des échantillons en |
Limnées locales ou étrangères |
Nombre d’échantillons en avril 2003 |
Brenne |
Brenne |
Locales |
13 |
Haute-Vienne |
Etrangères |
13 |
|
Haute-Vienne |
Haute-Vienne |
Locales |
17 |
Brenne |
Etrangères |
17 |
Ces échantillons de mollusques ont été placés dans de nouveaux sites, à savoir trente prairies hygro-mésophiles réparties sur les deux régions comme l’indique le tableau I. Dans le nord de la Haute-Vienne, les 17 prairies se situent dans neuf fermes réparties sur les communes de Berneuil, Blanzac, Breuilaufa, Mézières-sur-Issoire et Saint-Junien-les-Com-bes. Chacune d’entre elles est localisée dans le fond d’une vallée et repose sur un substratum granitique. De ce fait, elle présente un réseau de drainage superficiel. Dans cette région, le pH de l’eau courante varie de 5,6 à 7 pour une concentration en ions calcium dissous inférieure à 20 mg/L (Guy et al., 1996). A l’inverse de la Haute-Vienne, les 13 pâtures choisies dans le sud-ouest de la Brenne intéressent sept fermes se distribuant sur les communes de Chitray, Migné et Nuret-le-Ferron. Elles sont plus plates avec une zone hygrophile réduite si bien qu’il n’y a que quelques rigoles de drainage par prairie. Comme les sols de ces pâtures sont constitués de limons et de sables éoliens, reposant sur un sous-sol calcaire, le pH de l’eau courante est plus élevé (de 6,7 à 7,8) avec 26 à 35 mg/L d’ions calcium dissous. Les prairies des deux régions ont été pâturées par des bovins au cours des six années à raison de 176 à 207 jours de pacage selon les exploitations (rotation des prairies pour le pavage des animaux).
Aucune population de O. glabra ne colonisait les rigoles de drainage choisies pour l’introduction des échantillons de limnées. Par contre, G. truncatula était présente dans les 30 prairies et les populations de cette limnée vivaient dans des rigoles différentes de celles où O. glabra a été placée.
2. Protocole utilisé pour l’introduction des mollusques
Il était important que les limnées provenant de la Brenne et celles de la Haute-Vienne soient soumises à la même pression parasitaire de la part des bovins lors de leur pacage. C’est pour cela que dans la même prairie, un échantillon provenant de la première région et un autre récolté en Haute-Vienne ont été introduits dans deux rigoles différentes mais appartenant au même réseau de drainage superficiel. Dix-sept échantillons provenant de la Brenne ont donc été placés dans 17 rigoles de drainage sur sol acide (limnées étrangères) tandis que les 13 autres ont été implantés dans des rigoles de Brenne (mollusques locaux) comme le montre le Tableau I. Le même protocole a été utilisé pour les échantillons provenant de la Haute-Vienne : 13 d’entre eux ont été introduits dans des rigoles en Brenne (limnées étrangères) et les 17 autres dans celles de la Haute-Vienne (mollusques locaux).
Dans chaque rigole, les mollusques ont été placés par groupes de 10 individus à des intervalles réguliers de 3 m sur une longueur totale de 30 m. La zone choisie pour cette introduction en Haute-Vienne est la partie moyenne de la rigole car les populations locales d’O. glabra colonisent souvent cette place dans un réseau de drainage superficiel (Vareille-Morel et al., 1999). Par contre, dans le cas de la Brenne, les mollusques ont été introduits dans la partie la plus basse de chaque rigole, généralement proche du fossé de drainage. Comme les limnées qui vivent sur sols calcaires s’enterrent dans le sol en dessèchement au cours des mois d’été (Rondelaud et al., 2003), toutes les rigoles choisies en Haute-Vienne avaient leur fond recouvert d’une couche de sable et de boue, épaisse d’au moins 3 cm tandis que le substratum dans le cas de la Brenne était souvent constitué par de la marne.
Afin de faciliter l’implantation des échantillons de limnées provenant de la Brenne sur un sol acide, de la chaux éteinte (0,2 kg/année) a été placée à l’extrémité périphérique de chaque rigole et ceci en mars au cours des deux années qui ont suivi l’introduction des limnées. Aucune fauche de la végétation n’a été réalisée autour des rigoles contenant ces limnées de 2003 à 2009 de manière à ce que les joncs et les scirpes poussant sur les bords de chaque rigole protègent les mollusques en estivation (enfouis ou non) des effets directs du soleil. Enfin, chaque site a été clôturé avec des barbelés afin d’éviter le nivellement des bords de chaque rigole lors du piétinement des bovins au cours de l’année.
3. Protocole utilisé à la fin de l’expérience
A la fin juin 2009, les populations de limnées restantes ont toutes été traitées avec du chlorure cuivrique à 0,1 mg/L (15 L de solution par habitat) avant le début du dessèchement estival. D’après Rondelaud (1986), Rondelaud et Vareille-Morel (1994), l’épandage de ce molluscicide permet de détruire les différentes colonies sans qu’il y ait de conséquences majeures pour la flore et la faune locales.
Les rigoles ont, en plus, été curées en août dans le cas de la Haute-Vienne et en septembre dans le cas de la Brenne.
4. Paramètres étudiés
De 2004 à 2009, trois variables ont été mesurées à la mi-mai dans chaque rigole. La première est le nombre total des adultes (plus de 12 mm de hauteur) dans chaque colonie, ce qui correspond aux individus de la génération transhivernante. La seconde est la superficie que chaque population occupe dans la rigole tandis que la dernière est la hauteur de 50 limnées adultes, mesurée au millimètre près. Les valeurs individuelles notées pour chaque paramètre ont été ramenées à une moyenne, encadrée d’un écart type en tenant compte de l’origine des mollusques et de la localisation géographique des prairies. Les moyennes ont été comparées entre elles en utilisant une analyse de variance à un seul facteur (Stat-Itcf, 1988).
Comme les hauteurs de coquille des O. glabra parasités naturellement par F. hepatica ou P. daubneyi se situent souvent entre 5 et 10 mm (Abrous et al., 1999, 2000), cette gamme de tailles a été choisie pour étudier l’infestation naturelle de ces limnées entre 2004 et 2009. Chaque année, des échantillons de 100 limnées ont été récoltés au hasard à la mi-mai dans les 60 rigoles. Les mollusques ont été disséqués sous une loupe binoculaire pour y trouver des rédies vivantes de chaque Digène et déterminer par la suite la prévalence globale de chaque infestation naturelle (avec F. hepatica, P. daubneyi, ou les deux parasites ensemble). Le même protocole a été utilisé à la fin mai 2009 pour les G. truncatula locales en récoltant des mollusques adultes (hauteur de coquille, plus de 4 mm). Un test χ2 (Stat-Itcf, 1988) et une analyse de variance ont été employés pour déterminer les niveaux de signification statistique.
Résultats
1. Devenir des O. glabra implantées dans de nouveaux sites
Les populations implantées (Fig. 1) se sont développées dans plus de 75 % des cas en 2009 lorsque les limnées introduites dans de nouveaux sites provenaient de la même région. Les résultats sont moins bons pour les mollusques étrangers : 61,5 % de résultats positifs en Brenne et seulement 17,6 % dans le cas de la Haute-Vienne en 2009.
Fig. 1 : Evolution numérique des populations d’O. glabra pendant six années après leur introduction en 2003 dans de nouveaux habitats en Brenne (a) et en Haute-Vienne (b).
Fig. 2 : Nombre de limnées adultes décomptées en mai (2a, b) et superficie de leur habitats (2c, d) dans les rigoles de la Brenne (2a, c) et de la Haute-Vienne (2b, d).
Chez les limnées locales de la Brenne, le nombre d’adultes (Fig. 2a) et l’aire occupée par chaque population (Fig. 2c) augmentent jusqu’à 2006 et diminuent par la suite. Des résultats identiques ont également été notés pour les limnées étrangères mais les pics ne s’observent qu’en 2007. La comparaison des valeurs obtenues en 2009 montre que le nombre d’adultes est significativement plus élevé (F = 7,17, P < 5 %) et que l’habitat est plus grand (F = 5,05, P < 5 %) dans le cas des limnées locales. Chez les mollusques locaux de la Haute-Vienne, deux pics ont été notés en 2007 pour le nombre de limnées adultes (Fig. 2b) et la superficie des habitats (Fig. 2d). Par contre, chez les limnées étrangères, les moyennes des deux paramètres augmentent jusqu’en 2005 et diminuent progressivement au cours des quatre années suivantes jusqu’à des chiffres plus faibles que ceux de 2003. Des différences significatives entre les valeurs de 2009 ont été notées pour le nombre d’adultes (F = 5,61, P < 5 %) comme pour l’aire occupée par chaque population (F = 15,88, P < 1 %).
En 2009, la hauteur maximale des O. glabra dans les rigoles de la Brenne est de 20,5 ± 2,0 mm pour les mollusques locaux et de 18,8 ± 1,7 mm chez les étrangers. En Haute-Vienne, les valeurs sont respectivement de 16,7 ± 1,9 mm et de 17,5 ± 2,5 mm. Les limnées locales de la Brenne sont plus grandes (F = 5,77, P < 5 %) que celles de la Haute-Vienne. Par contre, les autres différences ne sont pas significatives.
2. Prévalence des infestations naturelles
Aucune co-infestation avec les deux Digènes n’a été notée chez les mollusques des deux régions. La figure 3 présentes les prévalences que nous avons obtenues de 2004 à 2009.
Fig. 3 : Prévalence globale des infestations naturelles avec F. hepatica ou P. daubneyi dans les différents échantillons d’O. glabra récoltés dans les rigoles de la Brenne (3a, c) et de la Haute-Vienne (3b, d) de 2003 à 2009.
Dans les rigoles de la Brenne (Fig. 3a, c), la plupart des infestations naturelles avec les deux Digènes n’ont été détectées qu’à partir de 2006. Le nombre de mollusques parasités s’accroît au cours des années et cette augmentation est plus rapide pour les limnées étrangères que pour les locales (de 0,9 à 8,7 % pour F. hepatica, par exemple, au lieu de 0,5 à 2,7 %). Chez les limnées locales de la Haute-Vienne (Fig. 3b, d), les prévalences restent proches au cours des années : de 4,4 à 7,0 % pour F. hepatica et de 2,8 à 4,2 % pour P. daubneyi. Dans les mêmes prairies mais peuplées par les mollusques étrangers, les fréquences sont faibles en 2005 (0,6 % pour F. hepatica, 0,3 % pour P. daubneyi) et augmentent par la suite jusqu’à des valeurs supérieures à 3 %. En Brenne, la prévalence de F. hepatica pour 2009 est signifi-cativement plus élevée (χ2 = 31,90, P < 0,1 %) chez les limnées locales que celle relevée pour les étrangères alors que la différence n’est pas significative dans le cas de la Haute-Vienne. Il en est de même pour P. daubneyi, avec une différence nette en Brenne (χ2 = 5,08, P < 5 %) et l’absence de signification pour celle existant entre les prévalences de la Haute-Vienne.
Comme des pourcentages supérieurs à 6 % ont été relevés en 2009 pour F. hepatica dans la plupart des échantillons d’O. glabra, ces derniers ont été comparés avec les prévalences trouvées chez les Limnées tronquées provenant des mêmes prairies (Tableau II).
Tableau II : Prévalence des infestations naturelles avec F. hepatica et P. daubneyi chez les échantillons de G. truncatula et d’O. glabra récoltés en 2009.
Région |
O. glabra* |
G. truncatula* |
|||
Origine des limnées |
Prévalence avec F. hepatica |
Prévalence avec P. daubneyi |
Prévalence avec F. hepatica |
Prévalence avec P. daubneyi |
|
Brenne |
Locales |
2,7 % |
0,7 % |
3,3 % |
1,7 % |
Etrangères |
8,8 % |
1,9 % |
|||
Haute-Vienne |
Locales |
6,6 % |
3,2 % |
4,6 % |
3,6 % |
Etrangères |
5,3 % |
3,0 % |
* Nombre de limnées récoltées en 2009. Dans la Brenne : G. truncatula (1300), O. glabra locales (1000), O. glabra étrangères (800). En Haute-Vienne : G. truncatula (1700), O. glabra locales (1300), O. glabra étrangères (300).
Dans le cas de la Brenne, la prévalence de F. hepatica est significativement plus élevée (χ2 = 28,81, P < 0,1 %) chez les O. glabra étrangères que chez les Limnées tronquées locales. Il en est de même dans le cas de la Haute-Vienne avec une prévalence de F. hepatica plus importante (χ2 = 5,85, P < 0,5 %) chez les O. glabra locales que chez G. truncatula. Les autres différences ne sont pas significatives, quel que soit le mode de comparaison.
3. Intensité des infestations naturelles
La figure 4 présente les charges rédiennes que nous avons trouvées chez les différents échantillons d’O. glabra entre 2004 et 2009.
Fig. 4 : Les charges rédiennes de F. hepatica et de P. daubneyi trouvées dans les échantillons d’O. glabra récoltés dans les rigoles de la Brenne (4a, c) et de la Haute-Vienne (4b, d) entre 2003 et 2009.
L’évolution des charges rédiennes est identique pour chaque catégorie de mollusques prise isolément, quelle que soit l’espèce du Digène. Chez les mollusques de la Brenne (Fig. 4a, c), le nombre de rédies s’accroît à partir de 2006, avec une augmentation plus importante chez les limnées étrangères. On trouve ainsi 18,5 rédies de F. hepatica en moyenne chez ces dernières en 2009 au lieu de 13,5 chez les mollusques locaux (Fig. 4a). Chez les limnées locales de la Haute-Vienne (Fig. 4b, d), les charges rédiennes de F. hepatica ou de P. daubneyi restent dans le même ordre de grandeur au cours des années. Par contre, chez les étrangères, on assiste à une augmentation des moyennes à partir de 2005 pour atteindre en 2009 des valeurs proches de celles observées chez les mollusques locaux. Aucune différence significative entre les moyennes relevées en 2009 pour chaque Digène n’a été notée, quel que soit le mode de comparaison.
Les charges rédiennes trouvées en 2009 chez G. truncatula sont proches de celles notées chez les O. glabra si l’on tient compte de la région d’étude (résultats non représentés). Les différences entre les moyennes de ces deux espèces ne sont pas significatives.
Discussion
Dans les rigoles de la Brenne comme dans celles de la Haute-Vienne colonisées par les limnées locales, le nombre d’adultes dans chaque population présente un pic au cours de la troisième ou de la quatrième année après l’introduction des échantillons dans de nouveaux sites. Des résultats identiques ont également été notés pour la superficie des habitats. Ces données concordent avec celles rapportées par Rondelaud et al. (2006, 2009) pour d’autres populations d’O. glabra lorsqu’un contrôle biologique avec des mollusques prédateurs est appliqué pendant plusieurs années de suite sur sol acide pour éliminer G. truncatula. D’après ces auteurs, si les mêmes rigoles sont colonisées par des populations séparées de G. truncatula et d’O. glabra, le nombre de ces dernières et la superficie de leurs habitats présentent également un maximum au cours de la troisième année qui suit la disparition de G. truncatula.
Par contre, si des mollusques originaires de la Brenne sont placés sur sol acide, on note un accroissement progressif des valeurs pour le nombre d’adultes par population et les aires colonisées jusqu’à la seconde année post-introduction et une diminution progressive de ces deux paramètres au-delà. Les résultats obtenus lors des deux premières années peuvent s’expliquer facilement par la présence de chaux éteinte dans les rigoles, ce qui a facilité le développement des colonies. Les données des quatre années suivantes doivent, à notre avis, être rapportées à la faible quantité de calcium dans l’eau et le sol de ces sites. En effet, des concentrations élevées en calcium sont connues pour avoir un effet sur la distribution des mollusques terrestres à l’intérieur d’un pays (Boycott, 1934, par exemple), sur l’abondance de chaque espèce (Hotopp, 2002 ; Vadeboncoeur et al., 2007) et aussi sur la hauteur maximale des adultes comme le démontre la présente étude pour les O. glabra locales. Pour expliquer les valeurs intermédiaires que nous avons obtenues en 2009 en mesurant les limnées étrangères, il est nécessaire d’admettre que les effets du calcium sur la croissance des mollusques nécessiteraient plus de cinq années pour que l’on ait un accroissement significatif (si une concentration importante de calcium est présente) ou une diminution (dans le cas d’une faible quantité).
Dans toutes les populations d’O. glabra, les mollusques infestés par F. hepatica sont plus nombreux que ceux qui hébergent les formes larvaires de P. daubneyi et ce résultat est en accord avec les données rapportées par notre équipe lors d’infestations expérimentales (Augot et al., 1996 ; Abrous et al., 1998) et naturelles (Abrous et al., 1999, 2000) de cette limnée avec les deux Digènes. Les prévalences chez les O. glabra locales de la Haute-Vienne (Fig. 3) sont assez élevées (de 4,4 à 7,0 % pour F. hepatica, par exemple) et concordent également avec les pourcentages que nous avons déjà obtenus chez cette espèce lorsqu’elle vit dans des prairies où pâturent du bétail parasité par F. hepatica ou P. daubneyi (Abrous et al., 1999).
Par contre, dans les autres populations d’O. glabra, les rédies et les cercaires de ces deux Digènes n’ont été trouvées qu’à partir de 2005 chez les mollusques étrangers en Haute-Vienne et de 2006 chez ceux qui vivent en Brenne. Comme des formes larvaires de P. daubneyi ont été régulièrement notées chez G. truncatula depuis 1996 dans la Haute-Vienne (Mage et al., 2002 ; Dreyfuss et al., 2005) et depuis 2001 dans la Brenne (voir ci-dessus), les premières infestations naturelles chez O. glabra n’ont donc été observées que deux (Haute-Vienne) ou trois années (Brenne) après l’introduction des échantillons de limnées dans de nouveaux sites. Ces délais sont difficiles à commenter car ils n’ont jamais été rapportés dans la littérature, aussi bien pour G. truncatula que pour O. glabra (Mage et al., 2002 ; Dreyfuss et al., 2005). A notre avis, l’hypothèse la plus valable est d’admettre une adaptation progressive de ces O. glabra à cette infestation parasitaire pendant plusieurs générations de la limnée comme cela a déjà été démontré chez un autre mollusque : Lymnaea peregra et F. hepatica (Boray, 1969). Un argument en faveur de cette supposition concerne les charges rédiennes contenues dans les O. glabra (Fig. 4). La différence qui existe entre ces délais pourrait s’expliquer par une plus grande pression parasitaire de la part du bétail dans les prairies de la Haute-Vienne comme le souligne le tableau II en montrant les taux d’infestation de G. truncatula par F. hepatica ou P. daubneyi.
Chez les O. glabra locales de la Haute-Vienne comme chez les mollusques étrangers de la Brenne, des prévalences significativement plus élevées ont été notées en 2009 dans le cas de F. hepatica. Par contre, les autres populations n’ont pas montré un tel accroissement dans les taux d’infestation. Ces résultats sont difficiles à interpréter car les prévalences rapportées par Abrous et al. (1999, 2000) dans les prairies sur sol acide sont souvent inférieures à 5 % chez les mollusques parasités par F. hepatica. Comme les mollusques utilisés pour cette étude ont été disséqués à la mi-mai (au lieu de mars-avril et de septembre-octobre dans le cas des auteurs précités), l’hypothèse la plus logique est de relier ces données à la période au cours de laquelle ces limnées ont été prélevées sur le terrain (mi-mai). Si l’on admet cette explication, le nombre assez élevé des O. glabra parasitées par F. hepatica diminuerait donc en juin et au début de juillet, probablement à cause de la mort de quelques limnées lors des émissions cercariennes à la fin juin. Mais on ne peut exclure que la mort de ces O. glabra infestées ne se produise au cours de l’estivation lorsque les mollusques sont enfouis dans le sol desséché de leur habitat (Rondelaud et al., 2003).