Bilan de l’état des populations de Cuivré des marais Lycaena dispar (Haworth, 1802) dans le réseau Natura 2000 en Limousin
Introduction
Depuis la mise en place de la directive européenne 92/43/CEEE « Habitats-Faune-Flore » dite directive « Habitats », la recherche des espèces de Lépidoptères relevant de l’annexe II a été entreprise sur plusieurs sites en Limousin.
Le Cuivré des marais, Lycaena dispar (Haworth, 1802), visé par cette directive sous le code UE 1060, a été identifié dans sept des trente-deux sites du réseau Natura 2000 en Limousin. Les observations disponibles étaient ponctuelles et dataient parfois de plusieurs années. Elles ne permettaient pas d’appréhender l’état de conservation des populations de cette espèce. Une étude a donc été confiée à la Société entomologique du Limousin par la D.I.R.E.N. Limousin (actuelle D.R.E.A.L.) dans le but de dresser un état des lieux des connaissances sur Lycaena dispar dans le réseau Natura 2000 régional, d’évaluer le statut de ses populations et l’état de conservation de ses habitats, et enfin de proposer des orientations de gestion propres à favoriser le maintien de l’espèce.
Rappels succincts sur le Cuivré des marais
Description
Le Cuivré des marais, Lycaena dispar (Haworth, 1802), est un papillon de la famille des Lycaenidae qui compte 33 espèces en Limousin : 32 espèces signalées dans le Guide des rhopalocères du Limousin (DELMAS et al. 2001) auxquelles il convient d’ajouter Cacyreus marshalli (Butler, 1898) signalée récemment. Les adultes (imagos) présentent la base du revers des ailes postérieures bleutée ce qui permet de le distinguer de Heodes virgaureae Linné 1758, seule autre espèce de Lycène pouvant être confondue avec lui en Limousin.
Le mâle se caractérise par des ailes uniformément orangé vif bordé de noir avec un petit trait discoïdal noir aux antérieures. La femelle a des petits points noirs sur le dessus des antérieures et la base de l’aile postérieure est fortement chargée de noir. Les œufs, blancs, d’environ 0,6 millimètre de diamètre, présentent une ornementation en étoile, caractéristique de l’espèce. La chenille, comme chez la plupart des Lyceanidae, est de type « limaciforme », de teinte généralement verte, pour une taille atteignant les 24 mm au dernier stade. La chrysalide est de teinte brun clair.
Biologie / Ecologie
En Limousin, la femelle pond sur la Patience crépue (Rumex crispus L.), d’autres Rumex hôtes sont citées dans la littérature (Rumex hydrolapathum Hudson, Rumex aquaticus L., Rumex obtusifolius L.). Rumex crispus est une espèce subcosmopolite, largement répandue en Europe. On la trouve sur tout le territoire français. En Limousin, elle se rencontre plus fréquemment dans les secteurs de basse altitude. Son habitat est caractérisé par des substrats riches en bases et en azote (prairies de fauche, friches post-culturales, friches alluviales, bordures d’étangs et de mares, carrières à l’abandon…). Elle croît dans des milieux mésophiles à hygrophiles (friches vivaces, prairies hygrophiles, prairies mésohygrophiles, cressonnières, mégaphorbiaies, chemins et prés piétinés…).
Les œufs sont pondus isolément ou en petits groupes, le plus souvent sur la face supérieure de la feuille, le long de la nervure centrale. La chenille se nourrit du limbe des feuilles de Patience crépue tout au long de son développement. Les jeunes larves pratiquent, en se nourrissant, des ouvertures caractéristiques dans le parenchyme dites « en fenêtre ». Arrivées à maturité, elles forment leurs chrysalides dans les feuilles sèches de la base de la plante-hôte ou à proximité dans la litière. L’hivernation s’effectue à l’état de jeune chenille. Deux générations se succèdent durant l’année (Fig. 1) : les premiers spécimens adultes volent au mois de juin ; puis une seconde génération émerge au mois d’août. Les individus de cette seconde génération sont plus petits. Une troisième génération partielle peut s’observer, certaines années, en automne. Les papillons butinent les fleurs de Fabacées, de Salicaires, de Menthes, etc.
Fig. 1 : Période de vol de Lycaena dispar en Limousin
Habitat
Le Cuivré des marais fréquente les prairies de fonds de vallées aux sols profonds et riches en nutriments (eutrophes), les bords de cours d'eau, de canaux, les fossés, les marais. Ses milieux de prédilection ont un caractère mésohygrophile. Absent du plateau de Millevaches, il reste inféodé aux prairies de basse altitude (inférieure à 500 m), caractéristique par ailleurs confirmée dans le reste de la France. Cette espèce ne supporte pas un enfrichement excessif et/ou un boisement de ses habitats. Les prairies peuvent être pâturées ou fauchées dans des stations de surface inégale, parfois inférieure à un hectare.
Répartition
En France, cette espèce est absente du bassin méditerranéen, des massifs montagneux et du nord-ouest (Fig. 2). Dans le reste du pays, elle est plus ou moins abondante selon les régions. En Limousin, elle est connue depuis les années 1970 en Corrèze, sa présence en Haute-Vienne et en Creuse est plus récente et date des années 1990 (Fig. 3).
Fig. 2 : répartition en France de L. dispar (source www.lepinet.fr)
Fig. 3 : répartition en Limousin de L. dispar – (source SEL 2009).
Statut réglementaire
L’espèce est protégée en France (arrêté du 23 avril 2007, article 2). Elle est inscrite à l’annexe II de la Convention de Berne et aux annexes II (espèce dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation) et IV (espèce dont le prélèvement dans la nature et l’exploitation sont susceptibles de faire l’objet de mesures de gestion) de la directive « Habitats-Faune-Flore ».
Statut écologique
Assez rare et/ou peu recherchée en France jusque dans les années 1970, l’espèce semble plus répandue depuis quelques années. Elle est apparue dans certains départements en limite d’aire sans que l’on puisse conclure définitivement sur l’origine de ces nouvelles stations. Est-ce un surcroît de recherches de terrain, une faculté accrue de colonisation et d’adaptation à de nouveaux milieux ? La situation est très différente selon les régions : l’espèce est plus vulnérable au Nord et dans l’Ouest de la France mais sa situation demeure moins préoccupante dans le Sud-Ouest. En Limousin, sa répartition est hétérogène (Fig. 3), on considère deux grands ensembles :
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le nord de la Creuse et de la Haute-Vienne (ssp. carueli) : la répartition de l’espèce reste à affiner ; le nombre de stations reste faible jusqu’à présent (moins d’une vingtaine) mais sera certainement plus élevé à l’issue de prospections plus systématiques. Le statut de ces populations reste à préciser. A noter que ces observations datent de moins de vingt ans.
-
le sud-ouest de la Corrèze (ssp. burdigalensis) : le nombre de stations est assez important (plus d’une vingtaine). Leur distribution y est relativement dense, ce qui permet un certain échange génétique entre les populations et favorise un pouvoir de colonisation en cas de menace sur une station. Dans ce secteur du Limousin, les populations ne sont pas menacées dans l’état actuel de nos connaissances.
Gestion et évolution des habitats
Le préférendum écologique de Lycaena dispar en Limousin est constitué de prairies mésohygrophiles à hygrophiles. Les principales menaces pesant à l’encontre des populations de Cuivré des marais relèvent de l’abandon de ces prairies ou de mauvaises pratiques d’exploitation (Fig. 4).
Fig. 4 : Impact des modes de gestion des prairies à Lycaena dispar.
La déprise agricole et l’arrêt de l’utilisation des prairies qui bloquait la dynamique naturelle du milieu vont conduire à la transformation plus ou moins rapide des habitats prairiaux en formations à végétation dense (friches, mégaphorbiaies…) desquelles les Rumex vont peu à peu disparaître. Les observations de Lycaena dispar en mégaphorbiaies (ou plus rarement en magnocariçaies) sont à rapporter à des stations de nourrissage plutôt qu’à des stations de reproduction. Richement fleuries, ces végétations offrent une bonne source de nectar à l’imago mais Rumex crispus est difficile d’accès pour les femelles, limitant ainsi les possibilités de ponte.
La survie des populations de Lycaena dispar dépend directement de l’entretien des milieux, certaines pratiques inadaptées peuvent a contrario conduire à sa disparition. Le cycle du papillon, avec deux générations s’étalant de mai à septembre, ne laisse guère de fenêtre de temps exploitable pour les activités agricoles. La fenaison est le plus souvent réalisée en mai – juin, ce qui constitue la période la plus critique puisque cette période correspond à la ponte de la première génération. L’impact est donc direct et néfaste, les œufs pondus sont exportés avec le foin et les plantes trop rases ne permettent pas de nouvelles pontes. Ce phénomène est accentué lorsqu’une seconde fauche du regain est pratiquée fin juillet, au début de la ponte de seconde génération. Un moindre mal consisterait à réaliser une seule fauche, au cours des deux premières décades de juillet, période durant laquelle le papillon se trouve à l’état de chenille (mobile, fuite possible au pied des plantes pendant le fanage) ou de chrysalide (à la base des Rumex). Il semble utile de mettre en place des bandes enherbées non fauchées en périphérie de parcelle ou le long des rigoles ou fossés. Ces zones « refuges » peuvent par la suite être fauchées tardivement (automne) afin d’éviter l’embroussaillement.
Les prairies pacagées sont également occupées par L. dispar. Alors qu’un pâturage bovin intensif est fortement préjudiciable au Cuivré, provoquant en outre l’évolution des prairies hygrophiles vers des jonçaies à la flore peu diversifiée, il semble s’accommoder de pâturages extensifs (bovin ou équin) moins préjudiciables au milieu. Il est donc souhaitable de conserver les pratiques agricoles extensives traditionnelles partout où elles existent et où les populations de Cuivrés tendent à se maintenir.
Suivi des stations au cours de l’année 2009
Méthodologie
La recherche du Cuivré des marais s’est déroulée pendant la période de vol du papillon (fin mai à fin août) à raison de deux journées par site. Les recherches ont porté sur les adultes mais aussi et surtout sur les pontes. Dans les secteurs favorables, les pieds de Rumex crispus ont été examinés à la recherche des œufs. Cette technique présente plusieurs avantages en comparaison avec la seule recherche des adultes. Tout d’abord, elle peut se pratiquer même lorsque les conditions météorologiques ne sont pas favorables à l’observation des imagos, et évite de passer à côté d’une station alors qu’aucun papillon ne vole. De plus, elle permet de localiser les sites de pontes, parfois très différents des sites de nourrissage des adultes et de préciser si l’espèce se reproduit sur le site ou s’il s’agit seulement d’individus erratiques (comportement très marqué chez Lycaena dispar). Enfin, elle permet une bonne estimation de l’état de conservation du milieu, de la disponibilité en plantes-hôtes, de l’importance de la population, et intrinsèquement, de la viabilité de cette dernière. Le comptage des œufs a été effectué, le nombre de pieds de Rumex a été estimé.
Les résultats sont présentés dans le tableau 1, placé à la fin de l’article.
Site FR-7401124 « Bassin de Gouzon »
Historique :
L’espèce a été observée sur le site pour la première fois par L. Chabrol en mai 2002, prés de l’observatoire des « 3 Bouleaux » (1 mâle). Elle a été revue par la suite par R. Chambord et L. Plas le 27 août 2008 prés de l’observatoire du Genévrier (1 mâle). Enfin, le papillon a été vu par S. Bur près de la maison de la Réserve.
Discussion des résultats :
L’espèce a été observée dans 7 stations. La station 1 est une ancienne saulaie en queue d’étang réouverte en 2006 et 2007 (Bur, 2008), c’est un bon exemple de colonisation récente d’un milieu par Lycaena dispar. L’évolution de la végétation vers une mégaphorbiaie dense tend à faire disparaître les Rumex cripsus. Seuls subsistent quelques pieds dans des trouées qui sont encore exploités par le Cuivré. La densification de la mégaphorbiaie va rapidement conduire à l’étouffement de la végétation et donc limiter l’accès aux plantes hôtes et à terme provoquer la disparition du papillon. Une fauche ou girobroyage léger pratiqués en automne sur quelques placettes pourraient maintenir des zones de végétation plus lâche, dans lesquelles les Rumex cripsus se maintiendraient.
Pour les stations 2 à 7, il y a peu de menaces apparentes, tant que les pratiques d’exploitation restent en l’état. Ces prairies mésohygrophiles fauchées conviennent bien au développement de Rumex crispus. La pratique d’une seule fauche au cours des deux premières décades de juillet serait la moins préjudiciable pour le papillon. Idéalement, les secteurs les plus favorables pourraient être laissés en herbe pendant l’été et fauchés tardivement (automne) pour éviter de détruire les pontes de la dernière génération du papillon.
La population de Cuivré des marais de l’étang des Landes semble être en bon état de conservation
Site FR-7401131 « Gorges de la Tardes et vallée du Cher »
Historique :
L’espèce a été découverte sur le site par Pascal Duboc en 2008.
Discussion des résultats :
L’espèce a été observée dans 8 stations. La station 1, à l’aval du pont de Chambonchard, concerne principalement des zones de friches et des bordures de jardins en jachère, dans lesquelles se développe Rumex crispus. L’entretien de ces milieux, s’il reste modéré comme cela est le cas actuellement, devrait permettre le maintien du papillon et de sa plante hôte. Les stations 2, 3 et 4 concernent les prairies hygrophiles en bord de Cher à Valette. Lors de notre premier passage, ces prairies semblaient à l’abandon mais, à la seconde visite, elles avaient été fauchées. Cette fauche, intervenue au cours du mois de juillet, semble avoir été bénéfique puisque des pieds de Rumex crispus avec des pontes ont été observés en plus grand nombre. La fauche semble avoir redynamisé la prairie et les pieds de Rumex. Une période de fenaison identique à l’avenir serait favorable au maintien de cette belle population de Lycaena dispar. A défaut, les quelques secteurs les plus favorables pourraient être laissés en herbe et fauchés plus tardivement (automne) pour éviter de détruire les pontes de la deuxième génération du papillon.
L’état des stations 5, 6, 7 et 8 est beaucoup plus préoccupant. Ces prairies sont à un stade avancé de fermeture, et présentent d’importantes zones de ronciers. Les rares pieds de Rumex crispus rencontrés présentaient un nombre exceptionnel d’œufs (jusqu’à 82 œufs sur un même pied). Alors que dans les stations en bon état de conservation, le nombre d’œufs par plante oscille de 1 à 10, dans ces praires très dégradées, le manque de plantes-hôtes conduit les femelles de Lycaena dispar à pondre en excès sur les mêmes pieds. Au final, le surnombre des chenilles va conduire à une importante compétition intra-spécifique et donc une forte mortalité. Le stade avancé d’enfrichement et de fermeture de ces prairies va conduire rapidement à la disparition du papillon. Une réouverture de ces habitats par girobroyage ciblé des ronciers (automne-hiver) permettrait le maintien de l’espèce dans ces stations. Cette opération de gestion apparaît comme urgente.
La population de Cuivré des marais de la vallée du Cher présente une situation contrastée, due à la dégradation avancée d’une partie de ses habitats. Cette population linéaire suit le fond de la vallée, et est également présente du côté Allier selon l’animateur du site Natura 2000 des Gorges du Haut Cher (F. Veron com. pers.). La fermeture de certaines stations peut nuire gravement à la fonctionnalité des peuplements de Lycaena dispar de la vallée du Cher.
Site FR-7401133 « Etangs du nord de la Haute-Vienne »
Historique :
L’espèce a été découverte sur l’étang de Murat par L. Chabrol le 21 mai 2002 (2 mâles sur la berge ouest, 1 mâle sur la berge sud). Il faut signaler également qu’à cette même date, l’espèce a été vue sur l’étang de Moustier (Verneuil-Moustier), autre étang constituant le site Natura 2000. Pour des raisons d’accessibilité au site, les recherches menées en 2009 n’ont pas été réalisées sur l’étang Moustiers.
Discussion des résultats :
Aucun papillon n’a été vu le 1 juin 2009 en raison d’une météorologie défavorable (vent fort vent interdisant le vol des papillons).
Le papillon a été observé dans 6 stations. Le maintien des stations 1, 2 et 3, en contexte de prairies fauchées, n’est tributaire que du mode d’exploitation. Une fauche pendant les deux premières décades de juillet est sans doute la moins préjudiciable. Le secteur le plus riche du site reste la zone « aval » de la digue, où les pontes étaient les plus abondantes. La station 4 est constituée par le terre-plein de la digue entre les deux déversoirs. La station 5 est restreinte à une bande en bordure du parking le long du ruisseau, alors que la station 6 se situe sur l’autre berge du ruisseau, le long du chemin menant à la cabane de chasse. Ces parcelles sont intéressantes car non soumises à des impératifs d’exploitation. Elles sont en revanche en cours de fermeture, avec une colonisation par les ronces sur leur périphérie. Une élimination des ronciers est préconisée, l’entretien annuel serait idéalement un fauchage tardif (automne – hiver). Sur les abords du parking, afin de pallier un entretien plus important, des bandes fauchées tardivement pourraient être mises en place, en particulier le long des berges du ruisseau.
La population de Cuivré des marais de l’étang de Murat est largement répartie sur le pourtour de l’étang, mais le plus beau noyau reste le secteur de la digue. Si l’espèce n’est pas menacée à court terme, l’entretien de ces stations reste indispensable à son maintien sur le site.
Site FR-7401147 « Vallée de la Gartempe sur l’ensemble de son cours et affluents »
Historique :
L’espèce a été découverte par Marc Michelot (DDAF Haute-Vienne) en mai 2002 (plusieurs mâles en vol).
Discussion des résultats :
Seules deux stations abritent, à ce jour, le papillon. La population de Lycaena dispar observée occupe les deux rives de la Gartempe. La station 2 est une vaste prairie mésohygrophile avec des débuts de formations de mégaphorbiaies dans les secteurs les plus humides. Aucun papillon ni ponte n’ont été observés lors de la seconde visite, car la station avait été girobroyée récemment. Cette intervention s’est déroulée à une période critique, au début de la ponte de la seconde génération. Une fauche plus précoce (deux premières décades de juillet) aurait permis la repousse des Rumex pour la ponte de la seconde génération. La station 1 est une grande mégaphorbiaie à Cyperus longus. Au deuxième passage, des bandes avaient été girobroyées le long de la rivière et au niveau de l’emplacement des conduites de gaz enterrées. Cette fois encore, l’intervention ne s’est pas déroulée au meilleur moment mais son impact est moindre, puisque les zones fauchées ne concernent pas la totalité de la surface de la station. Cette intervention sera peut-être même bénéfique puisqu’elle limite l’évolution de la mégaphorbiaie dans les secteurs nettoyés. En effet, sur les parties non fauchées, la végétation fortement développée et couchée par les orages recouvrait complètement les pieds de Rumex crispus observés en début de saison. Afin d’éviter l’évolution d’une mégaphorbiaie trop dense, une fauche tardive (automne) par placettes permettrait le maintien d’un couvert végétal lâche plus favorable aux Rumex crispus.
La population de Cuivré de la vallée de la Gartempe se maintient au cours des années. Son habitat n’est pas ou peu perturbé par l’activité humaine. L’espèce n’est pas menacée à court terme sur le site, sous réserve que son habitat ne subisse pas de modification importante.
Site FR-7401138 « Étang de la Pouge »
Historique :
L’espèce a été découverte sur le site par L. Chabrol, le 14 septembre 2005 (1 mâle en vol en rive ouest).
Discussion des résultats :
La station 1 située en rive ouest, sur laquelle a été découvert le Cuivré en 2005, n’est pas une zone de ponte. La plante-hôte est absente de ce secteur, y compris dans les parcelles attenantes. Tous les individus observés étaient des mâles, au comportement territorial marqué. Il semble que cette zone, riche en plantes nectarifères soit plutôt une zone de nourrissage où les mâles très territoriaux se répartissent. Les zones de pontes du Cuivré se situent en queue d’étang, au niveau des stations 2 et 3, mises en évidence par la présence d’une femelle et surtout de pontes. Pourtant ces zones sont très dégradées. La forte pression du pâturage bovin conduit à des prairies rases où les seuls pieds de Rumex qui subsistent sont « protégés » par les touffes de joncs, en bordure d’étang, alors que tout le bas des prairies, dans les secteurs les plus humides, serait favorable à ces plantes. La mise en défens de ces secteurs par la pose d’exclos pourrait être une solution pour éviter le surpâturage et permettre aux Rumex de se développer. Si l’on veut maintenir l’espèce sur le site, il est indispensable d’améliorer la disponibilité en plantes-hôtes
L’état de conservation de la population de Cuivré des marais de l’étang de la Pouge est très préoccupant. Les pratiques agricoles inappropriées causent une importante dégradation de son habitat. Compte tenu des très faibles effectifs observés et de la non-disponibilité de ses plantes hôtes, cette population n’est pas viable en l’état. Elle perdure très certainement grâce aux apports exogènes d’individus de populations satellites. Le maintien du papillon sur le site passera par la restauration des prairies mésohygrophiles des berges de l’étang. Il faudrait également envisager d’étudier le statut des métapopulations satellites afin de comprendre le fonctionnement des échanges et de juger de l’importance de ces populations.
Site FR-7401121 « Vallée du ruisseau du moulin de Vignols »
Historique :
Des oeufs de Cuivré des marais ont été découverts sur le site par P. Deschamps le 27 septembre 2003, dans les prairies en contrebas de la station d’épuration.
Discussion des résultats :
Lors du premier passage dans la station 1, les pontes observées se trouvaient sur les rejets des Rumex abroutis par des chevaux. Lors du second passage, aucune ponte n’a été observée, la prairie étant très rase. La pression de pâturage équin a peut-être été trop importante. La mise en place d’exclos en rotation pourrait être une solution permettant de maintenir des zones de pontes non pâturées. La station 2 concerne le bord du lagunage de Vignols et la petite parcelle attenante. Cette station connaît une situation contrastée. Alors qu’en début de saison, des pontes ont été observées, lors du second passage, les Rumex étaient introuvables. Les causes en sont la tonte très rase dans l’enceinte du lagunage et, au contraire, le fort développement de la végétation dans la parcelle jouxtant, qui évolue en mégaphorbiaie et étouffe les Rumex lorsque la végétation atteint son plein développement. Une fauche tardive (automne) de cette parcelle permettrait le maintien des Rumex crispus. Les stations 3 et 4 abritent une belle densité de pontes de Lycaena dispar. Ces prairies sont en train d’évoluer vers une mégaphorbiaie, avec une magnocariçaie dans le bas de la parcelle 3. Si l’on est encore dans des stades jeunes, avec une mégaphorbiaie lâche, le fort développement de la végétation au cours de l’été commence à gêner le développement des Rumex, qui se trouvent alors recouverts par les autres plantes. Dans ce contexte, les plantes-hôtes ont été difficiles à retrouver lors du second passage. Cette situation n’est pas favorable au Cuivré, qui ne pond que sur les feuilles accessibles. Sans entretien, cette tendance va s’accentuer. Une fauche ou un girobroyage léger, pratiqués en automne, par placettes, permettaient de stopper la densification de la mégaphorbiaie.
La population de Cuivré des marais de Vignols est dynamique. Son habitat est globalement en bon état de conservation. Il conviendra toutefois de surveiller l’évolution de la végétation dans les parcelles en déprise et la pression de pâturage dans les prairies pacagées. Le gestionnaire des abords des lagunes devra être informé de la présence de zones de pontes du Cuivré des marais sur les terrains qu’il gère.
Site FR-7401111 « Vallée de la Vézère d’Uzerche à la limite départementale 19/24 »
Historique :
L’espèce a été découverte sur le site par S. Mazaud et confirmée par P. Deschamps le 10 juin 1996 en rive droite à l’aval du pont du Saillant (3 mâles). Elle a ensuite été découverte par P. Deschamps le 25 octobre 2000 en bordure de la RD 152 à proximité du château de Castel Novel (une femelle) puis le 26 mai 2002 sur la commune de St-Pantaléon-de-Larche (bordure de la RD 152 entre Vinevialle et les Puits.
Discussion des résultats :
Deux des trois stations initialement connues ont été détruites. A l’aval du pont du Saillant, la station a fait place à un pavillon, aucun papillon n’a été revu mêmes aux abords de la parcelle. La station située en bordure de la route départementale 152 a également été détruite, elle est actuellement occupée par un parc floral de 5 ha, « les jardins de Colette ».
Les stations 1 et 2 sont des prairies mésohygrophiles en bordure de culture de maïs. Le Cuivré semble capable de se maintenir dans ce type de contexte agricole, en occupant notamment les fossés entre les cultures dans lesquels se plaisent les Rumex. Il est difficile de préconiser des mesures de gestion dans ce type d’habitat multiperturbé, les populations de Cuivré y étant certainement de petite taille et très mobiles. La station 3 est une prairie mésohygrophile pâturée. La station initiale se situait au sud de la route départementale 152. Cette prairie n’a pas été prospectée car elle était pâturée par des vaches. Le papillon a été trouvé au nord de la route. Il est probablement présent dans les autres prairies mésohygrophiles du secteur. Le pâturage pratiqué, avec une charge assez légère, semble convenir au Cuivré.
La population de Cuivré de la basse vallée de la Vézère est probablement composée de nombreuses petites métapopulations, réparties sur le linéaire des prairies des berges de la rivière. Dans ce secteur corrézien, les Rumex crispus sont abondants et Lycaena dispar semble s’accommoder de conditions diverses, y compris en systèmes de cultures intensives. Cette répartition en mosaïque de micropopulations limite les risques de disparition de l’espèce lorsqu’une station est perturbée, mais elle est fortement dépendante de la continuité de son habitat. La recherche du papillon sur l’ensemble du site permettrait de mieux appréhender le statut et la fonctionnalité de ces populations.
Synthèse des résultats
Au terme de cette étude, nous souhaitons insister sur les points suivants :
-
Sur l’ensemble des sites étudiés, nous avons recensé à la fois des sites de ponte et des sites de nourrissage pour le Cuivré des marais. Le statut de reproducteur est confirmé dans l’ensemble des sites du réseau Natura 2000 étudiés. Ce statut confère au réseau Natura 2000 une responsabilité forte à l’échelle du Limousin où une seule station de reproduction est protégée (RNN de l’étang des Landes). Le réseau Natura 2000 régional a donc une importance majeure pour la conservation du Cuivré des marais en Limousin.
-
Aucune opération de gestion spécifiquement orientée pour la conservation du Cuivré des marais n’a été mise en place dans les Documents d’objectifs des sites concernés. Les parcelles abritant les sites de reproduction du papillon sont gérées soit :
-
dans le cadre d’exploitations agricoles (étangs de Murat et de la Pouge, vallées de la Vézère, de Vignols, de la Gartempe et de la Tarde et du Cher) ;
-
dans le cadre d’entretien de parcelles sans but agricole (Vallée de Vignols autour de la station épuration, étang de Murat à proximité de la digue, …) ;
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dans le cadre de gestion écologique d’habitats remarquables (étang des Landes).
-
Il serait important que la présence de ce papillon soit prise en compte dans la gestion de ces terrains, pour éviter des opérations inadaptées pouvant nuire gravement à son maintien comme une fauche en pleine période de ponte par exemple.
Plusieurs problèmes restent à résoudre pour le maintien des populations :
-
Recherche des stations souches des populations satellites recensées dans les sites en vue d’éventuelles extensions de site pour rendre la population de Cuivré fonctionnelle à l’échelle des sites ;
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Lutte contre l’enfrichement des stations de ponte, cause de raréfaction et disparition des populations de Cuivré dans certains sites ;
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Adaptation des périodes et charges de pâturage sur les sites ;
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Adaptation des périodes de fauches des prairies abritant les populations de Cuivré.
Nous regroupons les points vus plus haut dans le tableau de synthèse présenté ci-dessous :
Site |
Problèmes à résoudre |
FR-7401111 « Vallée de la Vézère » |
1 |
FR-7401121 « Ruisseau de Vignols » |
3 - 2 |
FR-7401138 « Etang de la Pouge » |
3 - 1 |
FR-7401147 « Vallée de la Gartempe » |
4 - 2 |
FR-7401133 « Etangs du nord Haute-Vienne » |
2 - 4 |
FR-7401131 « Tardes et Cher » |
2 - 4 |
FR-7401124 « Bassin de Gouzon » |
4 - 2 |
Un projet de cahier des charges propre à la conservation du Cuivré des marais serait nécessaire à l’échelle régionale. Ce cahier des charges devrait permettre la prise de mesures de gestion propres au Cuivré des marais pour assurer son maintien dans le réseau et donc en Limousin. Les animateurs de sites abritant le papillon pourront s’y référer pour conserver le papillon sur les sites dont ils ont la responsabilité.
Conclusion
Dans le cadre du suivi du Cuivré des marais mené en 2009 dans le réseau Natura 2000 en Limousin, le papillon a été retrouvé dans les sept sites sur lesquels il était connu. La recherche des œufs a permis de mettre en évidence la reproduction de Lycaena dispar dans chacun de ces sites et de localiser précisément les zones de pontes.
L’état de conservation des populations, directement corrélé à la qualité des habitats, est toutefois contrasté. Si globalement le papillon semble se maintenir dans ses stations, la déprise agricole et des pratiques d’exploitations inadaptées menacent, à plus ou moins court terme, l’espèce dans certaines d’entre elles.
Les solutions proposées, assez peu contraignantes, permettraient d’endiguer cette situation. La surveillance et l’évaluation régulière des populations de Lycaena dispar devront se poursuivre ainsi que la prise en compte de l’espèce lors de l’élaboration des plans de gestion ou d’aménagement.
Nous espérons, par cette étude, avoir sensibilisé les animateurs des sites Natura 2000 à la conservation du Cuivré des marais, en mettant en place rapidement des actions de spécifiquement ciblées pour le Cuivré comme cela a pu être fait dans le réseau pour d’autres espèces.
Tableau I : Observations de Cuivré des marais (Lycaena dispar Haworth, 1802) dans le réseau Natura 2000 en Limousin.
Site |
Station |
Nord |
Est |
Milieu |
Nombre d’oeufs |
Nombre d’imagos |
||
1er passage |
2nd passage |
1er passage |
2nd passage |
|||||
Site FR-7401124 « Bassin de Gouzon » |
||||||||
7401124 |
1 |
46°10’22,93’’ |
2°18’33,20’’ |
Mégaphorbiaie |
6 |
- |
1♂ |
- |
7401124 |
2 |
46°10’51,43’’ |
2°19’29,14’’ |
Prairie mésohygrophile |
- |
34 |
- |
2♂ |
7401124 |
3 |
46°10’35,64’’ |
2°19’10,56’’ |
Prairie mésohygrophile |
- |
21 |
- |
2♂ 1♀ |
7401124 |
4 |
46°10’39,70’’ |
2°19’26,81’’ |
Prairie mésohygrophile |
- |
104 |
- |
0 |
7401124 |
5 |
46°10’41,49’’ |
2°19’22,54’’ |
Prairie mésohygrophile |
- |
11 |
- |
0 |
7401124 |
6 |
46°10’35,64’’ |
2°19’10,56’’ |
Prairie mésophile |
- |
15 |
- |
0 |
7401124 |
7 |
46°10’30,91’’ |
2°19’4,94’’ |
Prairie mésophile |
- |
23 |
- |
0 |
Site FR-7401131 « Gorges de la Tardes et vallée du Cher » |
||||||||
7401131 |
1 |
46°10’36,29’’ |
2°32’57,76’’ |
Jachère et friche |
0 |
17 |
2♂ |
1♂ |
7401131 |
2 |
46°11’4,18’’ |
2°31’40,19’’ |
Prairie mésohygrophile |
23 |
29 |
0 |
1♂ |
7401131 |
3 |
46°11’4,01’’ |
2°31’36,85’’ |
Bordure de chemin |
4 |
7 |
0 |
1♂ & 1♀ |
7401131 |
4 |
46°11’8,79’’ |
2°31’39,23’’ |
Prairie mésohygrophile |
24 |
39 |
0 |
0 |
7401131 |
5 |
46°11’31,92’’ |
2°31’40,74’’ |
Prairie mésophile |
6 |
8 |
1♂ |
3♂ |
7401131 |
6 |
46°11’32,27’’ |
2°31’41,27’’ |
Prairie mésophile |
0 |
37 |
0 |
1♂ |
7401131 |
7 |
46°11’38,95’’ |
2°31’39,01’’ |
Prairie mésophile |
0 |
82* |
0 |
0 |
7401131 |
8 |
46°12’2,31’’ |
2°31’28,00’’ |
Prairie mésophile |
0 |
37* |
0 |
0 |
Site FR-7401133 « Etangs du nord de la Haute-Vienne » |
||||||||
7401133 |
1 |
46°18’51,43’’ |
1°12’18,84’’ |
Prairie mésophile |
0 |
4 |
0 |
1♀ |
7401133 |
2 |
46°19’58,45’’ |
1°12’20,00’’ |
Prairie mésophile |
0 |
9 |
0 |
0 |
7401133 |
3 |
46°19’7,23’’ |
1°12’24,54’’ |
Prairie mésophile |
0 |
5 |
0 |
0 |
7401133 |
4 |
46°19’1,08’’ |
1°12’6,86’’ |
Friche mésophile |
0 |
61 |
0 |
2♂ 1♀ |
7401133 |
5 |
46°18’59,35’’ |
1°11’54,87’’ |
Prairie mésophile |
0 |
9 |
0 |
0 |
7401133 |
6 |
46°19’1,08’’ |
1°12’6,86’’ |
Bord de chemin mésophile |
0 |
5 |
0 |
0 |
Site FR-7401147 « Vallée de la Gartempe sur l’ensemble de son cours et affluents » |
||||||||
7401147 |
1 |
46°10’59,47’’ |
0°57’11,05’’ |
Mégaphorbiaie |
23 |
- ** |
3♂ 1♀ |
1♂ |
7401147 |
2 |
46°10’58,68’’ |
0°56’58,68’’ |
Prairie mésohygrophile |
19 |
0 |
2♂ 1♀ |
0 |
Site FR-7401138 « Étang de la Pouge » |
||||||||
7401138 |
1 |
45°47’17,89’’ |
0°56’4,16’’ |
Cariçaie et mégaphorbiaie |
0 |
0 |
3♂ |
1♂ |
7401138 |
2 |
45°46’58,38’’ |
0°55’47,64’’ |
Prairie mésohygrophile |
9 |
0 |
1♀ |
0 |
7401138 |
3 |
45°47’5,82’’ |
0°56’1,40’’ |
Prairie mésohygrophile |
0 |
3 |
0 |
0 |
Site FR-7401121 « Vallée du ruisseau du moulin de Vignols » |
||||||||
7401121 |
1 |
45°19’4,20’’ |
1°23’9,16’’ |
Prairie mésophile |
24 |
0 |
2♂ 1♀ |
0 |
7401121 |
2 |
45°19’4,21’’ |
1°23’4,62’’ |
Zone tondue et mégaphorbiaie |
19 |
0 |
0 |
0 |
7401121 |
3 |
45°19’2,98’’ |
1°22’56,50’’ |
Mégaphorbiaie et magnocariçaie |
114 |
42 |
1♂ |
4♂ 2♀ |
Site FR-7401111 « Vallée de la Vézère d’Uzerche à la limite départementale 19/24 » |
||||||||
7401111 |
1 |
45°10’51,42’’ |
1°27’34,78’’ |
Prairie mésohygrophile |
2 |
3 |
0 |
0 |
7401111 |
2 |
45°10’54,38’’ |
1°27’40,59’’ |
Prairie mésohygrophile |
0 |
2 |
0 |
1♂ |
7401111 |
3 |
45°7’41,45’’ |
1°25’34,99’’ |
Prairie mésohygrophile |
3 |
57 |
2♂ 1♀ |
2♂ |
* : dans les deux cas sur un seul pied de Rumex.
** : suite à un orage ayant couché la végétation, le comptage des œufs n’a pas pu être effectué.