Les petits cailloux de Simon Jeanjean | Jean Péchenart

Sommaire

Texte

Où l’on trouvera une utile présentation du personnage central, à commencer par son drôle de nom, puis par ses antécédents immédiats lesquels nous amèneront aux circonstances très particulières de sa naissance, et l’on finira par quelques portraits illustrés. Lui-même Simon Jeanjean, remontant au siècle qui précéda sa vie, nous gratifie en outre d’une histoire transmise par ses pères, rédigée de sa main, et qu’il eût été regrettable de ne point mentionner ici.

Le nom

Note de bas de page 1 :

Du moins dans la version de Walt Disney et dans quelques autres. Chez Perrault elles sont au nombre de sept.

Note de bas de page 2 :

Les numéros entre parenthèses renvoient aux numéros d’inventaire du Fonds Jeanjean.

Jeanjean, c'est un drôle de nom. Sobriquet rigolo, probablement difficile à porter, nos Jeanjean se le transmettent d’aussi loin que nous le sachions, c’est-à-dire depuis l’orée du xixe siècle. Quant à la coïncidence avec mon prénom… mes parents ont peut-être trouvé amusant de choisir pour me baptiser Jean une demoiselle qui s’appelait Jeanjean. Au demeurant mon prénom ne me pose aucun problème... il est vrai que je ne m’appelle pas « Jeanjean ». Il semble que les anciens Jeanjean, du temps de la jeunesse de Simon et dans les temps précédents, aient eu un peu de mal avec ce drôle de nom. C’était bien Jeanjean, nom fréquemment porté dans l’Est, comme de juste puisque nos Jeanjean sont de Metz. Mais les trois tantes de Simon – les sœurs de son père, qui l'ont élevé, telles les trois fées-marraines de la Belle au Bois dormant1 – se faisaient appeler Jean tout court. Elles étaient tellement unies, tellement un trio indissociable qu’elles s’étaient fait faire une carte de visite conjointe et unique (2733)2. Je n’ai jamais vu une carte pareille. Au centre, ces deux simples mots en majuscules : Mesdemoiselles Jean. En bas à droite en caractères plus petits, leur adresse : Rue Vincent-rue, 32. C’est tout. Il n’y a même pas leurs prénoms, les sœurs « Jean » forment définitivement une sorte d’entité tricéphale. Inséparables, plus encore que pourront jamais l’être leurs petites nièces Geneviève et Monique. Jamais, ou presque, nous n’aurons à les distinguer l’une de l’autre, sauf à deviner que la plus âgée, prénommée Lucie et moins effacée que ses sœurs cadettes, nommées Christine et Christine (sic), semble avoir assumé son rôle d’aînée avec une certaine autorité. J’ai dit Christine et Christine, c’est ainsi que l’état-civil nomme officiellement les deux autres. La deuxième avait pour autre prénom Célestine et fut la marraine en titre de son neveu Célestin-Simon, notre personnage principal. La troisième, Christine-Pauline, née en 1862, était beaucoup plus jeune que ses sœurs nées respectivement en 1843 et 1845. À ces distinctions près, elles formèrent toujours ce trio indistinct, Mesdemoiselles Jeanjean ou Jean. Leurs testaments (2734, 2735 et 2736), sur une demi-page manuscrite, seront datés du même jour et rédigés à l’identique, au profit – bien maigre, je suppose – évidemment des survivantes puis de leur neveu. Et elles pousseront le mimétisme, si j’en crois les faire-part conservés pieusement par Simon, jusqu’à décéder au même âge exactement : 79 ans.

Note de bas de page 3 :

La 1ère carte du point de vue chronologique ne porte pas le n° 1. On verra pourquoi.

Ces dames donc n’aimaient pas leur nom de famille. Elles habitaient à Metz, rue Vincent-rue où se trouvait jadis un couvent des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul – ce qui, on le verra, n’est pas sans importance dans l’histoire des Jeanjean. Cette adresse, dans une rue ancienne du quartier Pontiffroy aujourd'hui disparue, semble avoir été la première, et sans doute la seule, de Simon Jeanjean avec elles en cette ville. Cela dit, lui-même ne semble pas avoir souffert de ce « complexe » attaché à son nom. Il l’a ensuite perpétué tel quel : Jeanjean. La carte postale la plus ancienne de la collection, donc la première dans l'ordre chronologique de la correspondance (4823), est bien adressée à « Simon Jeanjean ». Colorisée et représentant la cour du château de Lunéville, elle a été écrite à la plume, avec application, par un certain Victor Vévert, en 1900, date attestée par le tampon de la Reichspost. Simon avait 14 ans. Le lieu d'expédition est Marthill (Moselle), nom allemand de l'actuelle Marthille.

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Lunéville. - Cour du Château et statue de Lasalle

Lunéville. - Cour du Château et statue de Lasalle

Simon Jeanjean a grandi en Lorraine allemande, qu’il quitta pour Paris afin d’échapper à la conscription allemande – ainsi le dit la légende familiale par la voix de ses filles. Les premières cartes adressées aux tantes par Simon, lors de son service militaire de 1907 à 1909, le seront au nom de « Jean ». Lui-même à cette époque est nommé « Simon Jean » par ses camarades de régiment, mais cette mode n'a qu'un temps et disparaît assez vite. Il n’en restera aucune trace à notre connaissance. Monique et Geneviève seront « les Jeanjean » sans complexe.

Note de bas de page 4 :

On le voit sur quelques documents établis un peu vite. Exemple : « Carte d’ajustage », datée de 1955 « la correction des pieds faibles, à l’aide des supports plantaires du Dr Scholl » (2039).

(Elles pouvaient même en être fières. Dernière variante : le nom de « Jean-Jean » – sans prénom, comme il en est de certains pseudonymes de théâtre ou de cinéma – fut celui de leur père au titre de la Résistance. En attestera notamment, en septembre 1944, un mot personnel de remerciement signé de Georges Bidault, au nom du CNR (2342), puis un document du Comité Local de Libération du 20e arrondissement commémorant, en 1954, le 10e anniversaire de la Libération de Paris (3612). Jean-Jean est donc une variante attestée, et glorieuse. Et on laissera de côté les variantes erronées – « Jean Jean » par exemple4, prénom et nom identiques – traînant ici et là sur des documents suite à des notations hâtives. Difficile à porter, décidément, ce nom de Jeanjean.)

D'après Les noms de famille de France, d'Albert Dauzat, Jeanjean vient tout bonnement d’un prénom Jean redoublé – comme Jeannot, Jeantou, etc. Nous ne pouvons évidemment remonter au premier « Jeanjean » à l'origine de cette nomination, même si ce type de redoublement sans déformation « atteste une cristallisation récente’« . De tels noms de baptême issus de prénoms sans déformation, nous dit aussi Dauzat, sont fréquents en Franche-Comté et en Lorraine, pays où l'ordonnance de Villers-Cotterets ne fut appliquée que tardivement. Le département où le nom de Jeanjean est constamment le plus représenté est l'Hérault, mais l'INSEE ne comptabilise pas les porteurs nés en Alsace ou en Lorraine pendant les périodes où ces régions étaient allemandes. La question reste en suspens, puisque la Moselle semble bien classée pour le nombre de Jeanjean nés sur son territoire, y compris durant cette période. Ce drôle de nom n’est d’ailleurs pas rare. Il fut au moins celui d’un abbé Jeanjean, nommé vicaire à Saint-Denys-en-France d’après le journal La Croix en octobre 1894, et d’un Marcel-Joseph Jeanjean, célèbre illustrateur notamment spécialisé dans le domaine de l'aviation (1893-1973)… mais sans rapport aucun avec le nôtre.

Du nôtre, nous avons dit qu’il était lorrain, grandi à Metz, et qu’il fut élevé par trois femmes qui n’étaient pas sa mère, et furent ses marraines en quelque sorte, pour s’occuper de lui et faire son éducation. Il s’occupera d’elles à son tour, quand il le faudra. Nous avons dit aussi qu’il ne partagea pas la difficulté qu’eurent ses tantes à assumer leur nom. On ne s’étonne pas, au vu des archives pieusement conservées, de le voir ainsi fidèle au nom de Jeanjean et à ses origines. Simon, d’ailleurs, ne fut pas homme à rougir de grand-chose, si ce n’est de quelques colères.

Le passé antérieur : un roman

L'ancêtre le plus lointain dont nous ayons trace est le grand-père paternel de Simon, lui-même prénommé Simon-Pierre, menuisier de son état, né à Metz en 1821 – meunier ou menuisier, cela varie selon les sources, peut-être était-il menuisier spécialisé dans la machinerie des moulins. Il avait épousé Marie Moujon, fleuriste, messine elle aussi comme toute la famille. Et nous pouvons même remonter un peu plus loin aux origines de la famille, côté Moujon, à travers une remarquable légende familiale remontant à la Révolution française et aux campagnes napoléoniennes, parvenue jusqu’à nous par la plume de notre Simon. Cette histoire méritait en effet de passer des bouches aux oreilles des aïeux lorrains les uns après les autres, jusqu’aux parents et aux trois tantes, à Simon Jeanjean et enfin jusqu’à nous.

Note de bas de page 5 :

Pour la transcription de ce texte, comme pour tous les suivants, l’orthographe est généralement corrigée si nécessaire, mais le vocabulaire et les tournures de phrases propres au scripteur sont conservés.

On comprendra le plaisir que j’ai eu à découvrir – sur le tard, dans une armoire à glace dont la clé avait été cachée puis retrouvée – ces dix pages manuscrites et dupliquées sur papier carbone dans le grenier de la maison de Lardy. De toutes les archives de Simon Jeanjean, « Les quelques lignes ci-dessous » – tel est l’incipit – sont à la fois celles qui remontent au passé le plus ancien, et parmi les plus tardives, puisqu’il jugea bon de les rédiger à l'âge de 60 ans passés. Elles se trouvaient dans une chemise intitulée « Famille », sous-chemise « Arrière-grand-père Moujon-Salsbury ». Je ne sais pas si ses filles en eurent jamais connaissance. Il ne manquait qu’un titre. Je propose celui-ci, puis je cite le texte dans son intégralité5 :

Amours et aventures de François Moujon et de Lucie-Marie Salsbury
ou L’Orpheline anglaise (2601)

Note de bas de page 6 :

Orthographe usuelle : Pontiffroy.

Les quelques lignes ci-dessous n'ont pas été copiées d'un roman. Ce sont les souvenirs, restés dans la mémoire après plus de soixante ans, d'un gamin de 8 à 12 ans. Tout ce qui est raconté est strictement véridique... provenant de souvenirs racontés en famille, parfois avec restrictions, pour ne pas troubler un enfant. Car à cette époque les conversations étaient plus réservées que maintenant, ce qui nuit malheureusement à l'histoire.
 
Cela remonte à la Révolution. A cette époque, mon arrière-grand-père Moujon qui habitait à Metz rue de Pontifrois [sic6], était économe d'un couvent de femmes situé dans la même rue. La Révolution n'avait rien de virulent, à Metz du moins, et à part une mascarade où une jeune fille déguisée en déesse Raison avait été placée sur le maître-autel de la cathédrale, il y eut peu de manifestations et je ne sais pas s'il y eut des exécutions à Metz. Toutefois, une année, la commune ou un autre pouvoir mit les couvents et leurs biens sous séquestre. Les religieuses durent se mettre en civil et se disperser, et mon grand-père fut convoqué par l'abbesse du couvent. Il trouva au lieu de la rigide religieuse une femme encore jeune en civil, qu'il finit par reconnaître. C'était l'abbesse sécularisée.
 
Elle commença par remercier mon grand-père du travail fourni pour son couvent, et regrettant de ne pouvoir le récompenser comme elle le voudrait, les biens de la communauté étant sous séquestre, elle lui promit qu'elle ne l'oublierait pas...

Petite précision sur le mot « grand-père ». Un peu plus haut nous avons lu « arrière-grand-père », s’agissant du même, le père du futur grognard Joseph, lui-même grand-père de la grand-mère Moujon née à Thionville puis revenue avec ses parents à Metz. Simon est donc son descendant de quatrième génération – c’est-à-dire son « arrière-arrière-arrière-petit-fils ».

Puis elle arriva au motif réel de sa convocation. Elle rappela à son économe que parmi les élèves que le couvent instruisait et qui avaient rejoint leurs familles, se trouvait une nièce à elle, Lucie Salsbury, qui ne pouvait pas rejoindre les siens en Angleterre. Elle-même devait fuir pour échapper à l'arrestation, [et] ne pouvait pas emmener la fillette avec elle. Elle demandait donc à mon grand-père de prendre l'enfant chez lui pour quelques semaines. Elle reviendrait la chercher ou la ferait prendre par quelqu'un de confiance – lui promettant que ce serait chose faite deux ou trois mois plus tard.

Mon grand-père accepta cette charge et la petite, appelée, ne fit pas d'objection. Elle connaissait mon grand-père qui en qualité d'économe circulait librement dans le couvent, d'où elle partit sans regret, ne se plaisant pas d'une vie qu'elle trouvait trop réglée à son goût. Mon grand-père l'emmena donc chez lui où la petite s'adapta rapidement, se plaisant parmi les frères et sœurs qui la gâtaient. Grand-père, lui, s'inquiétait... le temps passait, et les délais indiqués par l'abbesse étaient largement dépassés. Petit à petit et devant le plaisir qu'avaient ses enfants, il en prit son parti et la fillette devint une fille en plus, sauf [sic]... le temps passait, les enfants grandissaient et l'aîné, Joseph, qui s'était le plus attaché à l'enfant abandonnée (là un trou [sic] que mes ascendants ne cherchèrent pas à boucher)...

Un trou ? Que peut signifier ce sous-entendu, sinon que Joseph s’était « attaché » à un point tel qu’il fallait régulariser la chose. Nous apprendrons un peu plus loin qu’un enfant est né de cet attachement peu de temps après, et ce dès le 21 Nivôse, an Quatre – soit dans les premiers jours de 1796. Ils n’avaient pas perdu de temps.

Note de bas de page 7 :

Ici une omission : probablement « eut lieu ».

...bref, le mariage [sic7] à la seule église ouverte, Sainte Ségolène, où le curé juré unit Joseph Moujon à Lucie Mary Salsbury. Les jeunes mariés habitaient probablement rue du Pontifrois chez l'ancien économe – lorsqu'un coup de tonnerre éclata : la conscription pour l'armée de Napoléon. Joseph dut partir. Mais Lucie ne l'entendait pas de cette oreille, et elle rejoignit son mari aux armées. À quel titre ? Je ne sais... cantinière, ou ouvrière.

De toute façon, elle le suivit dans toutes ses campagnes sauf la dernière, probablement [en raison d'] une grossesse qui ne lui permit pas les fatigues d'une nouvelle campagne. Et Joseph partit seul à la campagne de Russie.

Et Lucie – ou Lucie-Marie ou Mary – resta à Metz, rue Pontiffroy. J’aime ce nom de Pontiffroy, Plus précisément, le quartier Pontiffroy est connu comme quartier populaire à quelque distance du centre-ville. Il doit son nom à un pont construit au XIIIe siècle sur le grand bras de la Moselle, en l’honneur d’un dénommé Thieffrois ou Tiffroy. Séparé de l’oppidum de Sainte-Croix par la rivière de la Moselle, il fut urbanisé dès l’époque romaine. Au Moyen-Âge il contient trois paroisses et une abbaye. Plus tard, c'est l'abbaye Saint-Clément, hors des murs de la ville jusqu'en 1552, qui s'y implante. Entre le 23 et le 24 juillet 1961, à l'approche de la fin de la guerre d'Algérie, s’y déroula un événement dramatique appelé la Nuit des paras. Abritant un grand nombre d'immigrés maghrébins, un groupe de parachutistes en garnison à Metz, s'y rendent à la suite d'une querelle, battant parfois jusqu'à mort des immigrés algériens. Ce massacre rappelle aujourd'hui celui qui eut lieu le 17 octobre suivant à Paris. Le quartier fit ensuite l’objet d’une rénovation urbaine radicale.

Sa famille était [restée depuis] de longs mois sans nouvelles, lorsque Lucie vit un attroupement sur la place Chambière. Elle s'approcha et vit un soldat hirsute, sale, les vêtements en loques... Lucie fixa le malheureux et tout d'un coup s'écria : « Mais c'est notre Joseph ! » Alors les gens les aident à monter chez eux, où le malheureux Joseph n'avait pas osé paraître. Il n'avait pas mangé depuis plusieurs jours. Il se jeta sur les aliments qu'on lui présentait, et ce n'est qu'après qu'il fut rassasié qu'on songea à le faire nettoyer, raser et habiller. Mais il avait tellement maigri qu'il flottait dans ses vieux vêtements sortis de l'armoire. Il fut de longs mois à se remettre, heureusement, d'un sens, car s'il avait été en bon état il aurait été repris par l'armée. Ce n'est qu'après Waterloo qu'avec la santé la tranquillité revint dans la famille.

(Je me mets à la place de Simon Jeanjean évoquant l’état de délabrement physique de son aïeul, pauvre soldat revenant de guerre. Cela devait lui rappeler des souvenirs...)

Note de bas de page 8 :

Soit le 11 janvier 1796

Ils eurent naturellement des enfants et l'un d'eux s'établit à Thionville, rue du Four Banal, où ma grand-mère vint au monde. Dans des vieux papiers j'ai retrouvé l'acte de mariage de ce fils né de Joseph et de Lucie : il était né le 21 Nivôse, an Quatre8, peu de temps après le mariage à Sainte Ségolène. Par la suite la famille revint à Metz, toujours rue du Pontifrois.

Ces souvenirs proviennent de conversations de ma grand-mère avec des oncles et cousins Moujon. Je me souviens d'un grand-oncle frère de ma grand-mère, surnommé « le Cadet » et qui était hospitalisé à St Nicolas je crois, maison de retraite pour les vieux et où la discipline était sévère. Le Cadet devait tenir de sa mère et ne se plaisait pas dans ce milieu, aussi se livrait-il de temps à autre à une fugue. En rentrant à l'hospice il était mis au cachot pour deux ou trois jours, au pain sec et à l'eau, et privé de sortie pour plusieurs semaines. Un jour – j'avais une dizaine d'années – je le vois assis sur la place Chambière. C'était la même scène que celle de la grand-mère avec Joseph, sauf que Cadet était encore présentable. Je l'emmenai chez la grand-mère qui après lui avoir dit tout ce qu'elle avait sur le cœur le fit manger. Il y avait trois jours qu'il n'avait rien pris. Elle le fit coucher et le reconduisit elle-même à St Nicolas. Comme elle travaillait comme fleuriste pour les Sœurs, la supérieure lui promit d'être à l'avenir plus indulgente.

Petit à petit, on parlait moins dans la famille de « l'Anglaise ». Pourtant, je surpris ceci un jour où grand-mère et ses filles (mes tantes) rappelaient un souvenir : mes tantes étaient encore toutes jeunes et avaient été voir leur grand-mère. Le grand-père qui était menuisier travaillait toujours aidé de sa femme. Or comme à cette époque le soir la lumière était rare, Lucie tenant la lampe ou la chandelle présentait la lumière à l'endroit que lui indiquait son mari : « Lucie, ici... Lucie, plus à droite », etc., et la vieille femme obéissait comme une apprentie.

Lucie, prénom prédestiné… Très beau prénom, courant dans la famille Jeanjean jusqu’à la tante aînée de Simon, comme le prénom Lucien pour les hommes, qui se répète pareillement dans la famille Jeanjean comme on le verra.

Puis, plus de souvenirs... Ma grand-mère était morte et le samedi (j'avais 10-12 ans) j'étais très fier lorsqu'on m'envoyait seul au cimetière arroser les fleurs qui garnissaient les tombes. « N'oublie pas celle de grand-mère ! ». C'était un petit carré d'environ un mètre, au pied du mur séparant le cimetière municipal de celui des Juifs. Une plaque scellée dans le mur du cimetière indiquait le nom de famille et celui de jeune fille lorsque c'était une femme, et c'est comme cela que longtemps le nom de Salsbury se grava dans ma mémoire, et fit que les récits que j'avais entendus y restèrent en grande partie.

Fascinante aventure en effet que celle de l’orpheline anglaise. Quel âge avait-elle lorsqu’elle arriva chez sa tante nonne, avant que celle-ci ne prenne le large et qu’on n’en entende plus parler ? Avait-elle encore un tant soit peu l’accent un brin maniéré à notre oreille, de sa langue d’origine pimentant le patois lorrain ? Probablement pas, car les enfants sont des éponges. Les gens du cru en revanche, les bons Lorrains de Metz, l’auront probablement toujours appelée « l’Anglaise » – jusqu’à ce que son nom reste là, gravé sur une plaque au cimetière.

Depuis... je suis retourné là en passant à Metz : le mur au pied duquel l'Anglaise était inhumée avait été abattu, les deux cimetières voisins n'en faisaient plus qu'un, le cimetière Chambière, où de nombreux soldats tués en 1870 puis [en] 1914 ont leur tombe.

Et j'ai parcouru la rue de Pontifrois. Les logements qui tant bien que mal occupaient les locaux du couvent étaient toujours là. Mais j'eus honte de demander des nouvelles du souterrain dont je n'ai pas encore parlé : quand j'étais gamin, un jeu consistait (lorsque le concierge était absent) à descendre l'escalier de la cave avec un bout de bougie. Nous n'étions pas plus rassurés qu'il ne fallait mais on y allait tout de même. Inutile de dire qu'on ne voyait rien que des murs solides, des escaliers plus ou moins branlants, des couloirs plus ou moins larges ; certains auraient laissé passer une voiture ; d'autres, on n'y pouvait avancer qu'un à un. Enfin, à notre grand soulagement, un peu de jour apparaissait et nous remontions l'escalier d'une cave donnant sur la place Chambière. Et nous étions plus heureux de nous trouver à la lumière du jour et de sortir du souterrain du couvent.

Jeux de gamins, une bougie à la main. J’aime cette image de Simon Jeanjean enfant, se faisant peur à se risquer dans l’obscurité. Jeune Simon se prenant pour le Petit Poucet dans une cave obscure, dont le vieux Simon se souvient encore...

Tout cela... souvenirs de 60, 70 ans. Que sont devenus les nombreux moujons [Moujon] que je confondais – à part le cadet. Dispersés par les événements, surtout la guerre de 1870.

Il ne me reste qu'à regretter que, trop jeune, je n'ai pas recueilli plus de récits, d'anecdotes sur ces ancêtres. Les souvenirs qui me restent gardent néanmoins toute leur valeur, ne serait-ce qu'ils me rappellent que j'ai du sang anglais dans les veines.

Les racines familiales

Du sang anglais dans les veines ? Rien de moins neutre que cette conclusion, simple à première vue, mais ouverte à tous les sous-entendus. L’Anglais, depuis la Guerre de Cent Ans et au-delà depuis la nuit des temps, a priori n’est pas le bienvenu. Moins détesté, certes, que le Boche pour notre natif d’Alsace-Lorraine, né de messins catholiques depuis des générations, l’Anglais n’en reste pas moins l’ennemi héréditaire. Et tel sera-t-il dans l’esprit de Simon Jeanjean, pour des années encore, avant de devenir – bien plus tard, on le verra – un frère d’armes à la vie à la mort.

Mais sans remonter jusqu’à la nuit des temps, il peut arriver qu’on s’embrouille un peu dans les noms et les générations. J’ai eu un peu de mal, je l’avoue, à m’y retrouver entre les uns et les autres, les Jeanjean ou les « moujons ». Simon lui-même vient de nous avouer qu’il les confondait. Et de fait, il les confond. L’amoureux de l’orpheline anglaise ne s’appelait pas Joseph, mais François. S’il y eut bien un Joseph Moujon, c’est le fils de François et Mary-Lucie, né le 21 Nivôse An IV, qui devint charpentier (un bon métier pour un Joseph) et fut le père de Marie Moujon, la grand-mère de Simon Jeanjean. Donc lorsque Lucie sur la place Chambière, à la vue du pauvre soldat hirsute et amaigri, s’écrie « Mais c’est notre Joseph ! » c’est François qu’elle devrait dire.

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Note de bas de page 9 :

Nous savons d’ailleurs par l’acte de mariage de Joseph Moujon avec Madeleine Zaute (2715), que celle-ci avait 13 ans de plus que lui.

Quelques observations sur cet arbre. On peut se dire, au vu des métiers exercés, que les Moujon comme les Jeanjean furent des travailleurs de condition modeste ou moyenne. Le grand-père Jeanjean était ouvrier meunier, de niveau subalterne comme le montrent ses livrets d’ouvrier (2720, 2721). On voit par ailleurs que Simon, classiquement, porte le même prénom que lui, et pareillement d’autres prénoms se répètent. Autre remarque, la date de naissance de sa femme, 1821, est celle du décès de sa mère Madeleine Zaute9, comme il en sera de notre Simon dont la mère mourut en le mettant au monde. Cette grand-mère, Marie Jeanjean née Moujon, porta donc le même nom que la mère de Simon, Marie Jeanjean née Rousseau. On sait aussi, par un acte de mariage du même Joseph Moujon datant de 1825 – remariage donc – avec une certaine Luce Thiry (2717), que Madeleine fut remplacée 4 ans après son décès. Je me dis, connaissant la suite de cette histoire, que cela préfigure de façon troublante les circonstances de la naissance et de la prime enfance de notre Simon. D’autres faits aussi vont se répéter, se faire écho. Décidément, dans l’histoire des familles comme dans l’histoire des gens, il semble bien y avoir quelque tendance à la répétition (dixit Sigmund Freud, qui parle même de « compulsion de répétition »). Bref, venons-en à Simon Jeanjean, dont la venue au monde est déjà un roman.

Naissance et petite enfance

Célestin Simon Pierre Jeanjean est né le 30 janvier 1886, non pas à Metz en Lorraine, mais dans l'Ain, à Ambérieu-en-Bugey. Il me plaît que son histoire commence par la lettre A et le chiffre 01, numéro du département de naissance.

Ce point de départ est resté nébuleux dans la légende familiale. À en croire ses filles, Ambérieu apparaît comme un lieu de hasard, lié à la profession présumée itinérante du père de Simon, grand-père de Monique et Geneviève. Il travaillait dans les chemins de fer... souvent en déplacement, ont-elles dit dans l'interview. C'était tout ce que je savais : Simon Jeanjean était né à Ambérieu-en-Bugey, de Lucien Jeanjean, en déplacement professionnel, admettons, et de Marie, née Rousseau, morte en couches et qu'il ne connut donc jamais. On pouvait se demander ce qu'il y faisait exactement, le père, à Ambérieu, et pourquoi sa femme l'y avait accompagné.

Heureusement les actes d’état-civil nous en disent un peu plus. Grâces soient rendues à internet : j’ai pu consulter les Archives de l’Ain directement en ligne. L'acte de mariage Rousseau/Jeanjean, daté du 16 mai 1885, est fait à Ambérieu, où Marie Rousseau était née en juillet 1858. Pour ce qui est du père, Lucien, la légende orale était plus qu’approximative. Rien à voir avec les hasards d'une vie professionnelle plus ou moins itinérante. Bien au contraire, il y avait élu domicile durable. C’est là, dans le Bugey, que Simon aurait dû logiquement vivre et grandir. Mais le mauvais sort de Marie en décida tout autrement. Richard-Lucien Jeanjean, le père, était né le 8 mars 1860 à Metz. Il avait donc 25 ans lors de son mariage et de la naissance de son fils. Il exerçait, nous dit l’état-civil, la profession d’ajusteur. La suite de l’acte complète notre information en même temps qu’elle explique la discrétion de Simon sur sa triste naissance à la sauvette. Entre le mariage et la naissance il s’était écoulé à peine plus de huit mois.

Et ce n’est pas tout. Les archives de l'Ain font état par ailleurs d'un remariage rapide de Lucien Jeanjean, toujours à Ambérieu-en-Bugey, avec une Mme Veuve Julie Moyet, suivi de la naissance, en avril 1888, d'un second fils prénommé Édouard, demi-frère de Simon. Le père aura donc tourné promptement la page et fondé une nouvelle famille. Nous sommes bien loin de la version précédente, version officielle en quelque sorte. On comprend le silence du fils sur cette blessure initiale, et son ressentiment envers un géniteur oublieux. En revanche (revanche, voilà un mot qui parle au Lorrain Jeanjean) on verra se manifester plus tard son fort désir d'une descendance et d'une famille unie.

Pour compléter ces informations, je relève dans les archives de la famille quelques courriers datant de 1885 et 1886, trouvés dans l’armoire à glace longtemps fermée. Les deux premières lettres, datées des 27 mars et 22 avril 1885 (2262-63 et 2264-65), sont signées de Marie Rousseau, la future épouse et mère (mais qui mère ne sera jamais que porteuse). Ces simples lignes sont tout ce qui nous reste d’elle. La première est adressée à Lucie, l'aînée des tantes (à Metz, sans doute), la chargeant de transmettre ses amitiés à ses sœurs ainsi qu'à sa mère. Le grand-père de Simon n'était plus de ce monde à cette date. Idem pour le grand-père Rousseau, ainsi qu'elle l'indique ensuite : Je ne vous parle pas de mon père, je suppose bien que Monsieur Lucien vous a dit qu'il y a longtemps qu'il était mort, c'est à peine si je l'ai connu. Elle n’a pas eu de père, son fils n’aura pas de mère, les choses se répètent. L'orthographe approximative, l'humilité des formules employées donnent idée de la condition modeste de Marie Rousseau. Elle appelle son mari « Monsieur Lucien ». L’écriture est régulière, très bien formée. La seconde lettre, suite logique de la précédente, vise à nouer des liens familiaux par une rencontre avec la famille Jeanjean. Il semble que cette rencontre ait été remise à plus tard du fait de l'éloignement. Il n’est même pas certain que les Jeanjean aient fait le voyage transfrontalier à l’occasion du mariage. Comme Simon jadis, je lis avec émotion l’autographe posthume de sa maman morte.

(2263, détail)

(2263, détail)

Viennent ensuite deux longues lettres conjointes de Lucien et de Marie Jeanjean, postérieures au mariage et dans l'attente déjà de la naissance. Marie signe F. Jean, comme « Femme Jean ». La première est datée du 25 septembre 1885 (2266-67) : Chers parents, écrit Lucien, Nous commencions à trouver le temps long. Mais cela ne fait rien du moment que cela va toujours bien c'est tout ce qu'il faut. Je me doutais bien que les Prussiens devaient vous tourmenter… Il y a là probablement une allusion aux tracasseries subies du fait de l’administration allemande, et qui expliquerait l’impossibilité d’une visite des sœurs Jeanjean à leur frère à Ambérieu. L'épouse s'associe à cette lettre en remplissant la place restée libre, s'adressant cette fois à Ma chère mère et mes chères sœurs, parlant, elle, de son cher bébé à venir, et finissant en chargeant Lucie de bien faire des compliments à toutes ces dames et ces demoiselles que j'ai connues à Metz. Elle avait donc pu les rencontrer, notamment « Mesdemoiselles Jean », les bonnes fées de Simon, qui plus tard auront pu un peu lui parler d’elle. La lettre suivante est largement consacrée au choix des parrains et marraines en vue du baptême. La marraine de Célestin (Simon) Jeanjean sera sa tante Célestine Jeanjean ou Jean sœur de Lucien, et le parrain son oncle émile Rousseau, frère de Marie.

Note de bas de page 10 :

La date est vraisemblable pour Simon-Pierre Jeanjean, le grand-père paternel, décédé effectivement au début de 1882 (voir page suivante).

Marie Rousseau était « sans profession ». Nous le lisons dans l'acte de mariage, avec quelques précisions sur les parents (grands-parents de Simon) : Père de l'époux : menuisier, prénommé Pierre-Simon, décédé le 24 janvier 1882. Père de l'épouse : charron forgeron, décédé le 24 janvier 1882 (le même jour que l'autre ? c’est sans doute une négligence du copiste10). Mère de l'épouse : marchande de draperie. Nous n'en savons guère plus sur les Rousseau. Exit la famille maternelle, du moins dans l'immédiat, par la suite nous verrons que Simon resta en relation avec eux.

Les deux dernières lettres de cette série (2270-2271), envoyées de Coutellieu (sans doute à la grand-mère et à une tante Jeanjean) sont signées d'une « Femme Corronnet », nourrice, à qui fut d'abord confié le bébé. Le hameau de Coutellieu, commune d'Ambronay, est situé au nord d'Ambérieu dont il borde actuellement l'aérodrome. Voici la première de ces lettres (nous rétablissons l'orthographe, approximative, ainsi que la ponctuation inexistante. L'écriture en revanche est belle) :

Coutellieu, le 25 septembre 1886 -- Madame et mademoiselle, -- Je suis bien étonnée que vous n'avez pas reçu votre lettre car je vous ai répondu tout de suite en vous donnant tous les détails que vous m'aviez demandé, pour quant au petit Célestin, il ne peut pas mieux se porter, il est grand, fort et joli comme un cœur, il est blond bien clair, une petite mèche sur le front frisé, des beaux yeux bleus, le nez relevé et deux mentons, il n'a pas une minute, il bouge tout le temps quand on le tient (...) Je l'ai fait vacciner, le médecin m'a donné du même vaccin qu'à son fils, vous n'avez pas besoin d'être en peine car ni les soins ni les caresses ne lui manquent, il serait à moi que je ne lui en pourrais pas faire davantage (...) Bien mes compliments à toute votre famille de notre part. Je vous salue. -- Femme Corronnet.
J'ai reçu 15 FRF. Vous enverrez un bonnet de laine au petit, et trois petits tabliers bleus.

Les nouvelles sont bonnes, on reconnaît déjà Simon dans cette description du bébé. Les caresses ne lui ont pas manqué, c’est déjà ça de pris ; les visites non plus : la grand-mère avec la Sidou, précise-t-elle, et le tonton parrain Émile Rousseau, et même la dame Moyet avec sa fille. Julie Moyet, tout nouvellement veuve de Louis Brodard, allait épouser Lucien quelques mois plus tard. Elle devait s’appeler Brodard, mais la nourrice qui la connaissait n’avait apparemment jamais cessé de l’appeler Moyet de son nom de jeune fille. Julie n’a pas pleuré longtemps avant de refaire sa vie avec Lucien, et lui encore moins après la mort de Marie – ce dont la famille pourrait leur garder rancune. Du moins se souciait-elle du sort du nouveau-né – bientôt son beau-fils. Lucien, lui, n’est pas cité dans la lettre. J’ai bien peur qu’il se soit fort peu occupé du bébé, et que dès l’origine il ait brillé par son absence. Monsieur travaillait, sans doute, il avait autre chose à faire. Chers parents, écrit-il lui-même le 6 octobre suivant, à la suite d’une nouvelle lettre de la même Mme Corronnet, je profite que la nourrice est venue à Ambérieu pour vous donner de mes nouvelles. D'abord comme j'avais un petit moment elle a voulu que j'aille voir le petit, j'y ai été hier, il se porte admirablement, il est gros, ce n'est qu'une boule. Je vous assure que jamais nous aurions mieux tombé qu'en le mettant là. On ne peut pas dire que ces mots débordent d'amour paternel.

Un père indigne ?

On ne saurait d’ailleurs imaginer tempéraments plus opposés que ceux de Lucien Jeanjean et de son fils. À père prodigue, fils économe et responsable. Simon s’est toujours plaint ou gaussé de son père. Le père, de son côté, traîne cette mauvaise réputation depuis toujours. S’il tente parfois de la faire mentir, il semble que le naturel soit toujours revenu au galop. C’est un personnage à la fois veule et plutôt sympathique. Bel homme, beau parleur, buveur n’en doutons pas, une sorte de Bel-Ami… Il aurait bien sa place dans un roman russe ou dans un film néo-réaliste italien.

Il faut lire les lettres, pas moins de quarante (2280 à 2319), qu’il avait envoyées à ses parents et à ses sœurs depuis l’Algérie, de 1879 à 1882 (année de la mort de son père, Simon Ier, qu’il se désolera de n’avoir pas revu). Lucien, à 19 ans, s’était engagé dans la Légion, suite à quelles frasques je ne sais, mais ses destinataires devaient bien le savoir, et même en avoir soupé. Chers parents, vous me pardonnerez de vous avoir mis dans l’inquiétude comme cela, mais je ne pouvais plus rester à Paris… C’est le premier courrier envoyé à ses parents rue Vincent-rue. Simon son fils a dû les lire, ces quarante lettres conservées par ses parents, elles ont bien dû l’intéresser – évoquant ces choses d’avant sa naissance : pays lointain, vie de garnison, marches militaires, échauffourées – l’intéresser mais surtout l’agacer, je pense, tant elles disent la légèreté de ce gars qui n’était pas encore son père... et qui ne le serait jamais, cet abruti. Et je ne parle pas de l’orthographe, cette façon d’écrire au fil de la plume comme il parlait ou plutôt bavardait, l’orthographe claudiquant tant bien que mal à la remorque des idées, pénible à lire aussi, et j’imagine les parents tantôt s’y rassurant ou s’en réjouissant, tantôt se disant que non, décidément il ne changerait jamais ce Lucien. D’accord, il n’avait jamais été un intellectuel, mais quel dommage, lui qui d’abord avait été un si bon élève, appliqué et tout dans les matières manuelles et pratiques – deuxième prix de calcul de l’école de Pontiffroy en 1872 (2731), premier prix d’atelier et deuxième prix de caisse d’épargne de la Société des jeunes ouvriers de Metz, rue de la Fonderie (2729, 2730) – comment expliquer ses errances ensuite ? Mauvaises fréquentations sans doute…

Il écrivait toujours « Mes chers parents », même quelques années plus tard depuis Ambérieu alors qu’il ne s’adressait plus qu’à sa mère et à ses trois sœurs. Je ne peux pas ne pas citer au moins un extrait de ce qu’il leur écrivait (2282, du 4 juillet 1879), racontant son passage de Marseille à Oran, et ainsi en est-il tout du long sur une centaine de pages et deux ans et demi, en une sorte de poème brut de décoffrage :

(…) On a embarqué jeudi j'ai fait une très bonne traversée (...) le matin à 6h le patron nous payé la goutte nous préparions pour le café le café fini c'était à notre tour nous mangions un bout de fromage et un bon verre de vin, de delà on était tranquille jusqu'à 9 heures l'on mettait la table et on avait fini à midi l'on était tranquille jusqu'à 4 heures et de delà jusqu'à 7 du soir cela fait que je ne me suis pas ennuyé du tout et que j'ai bien vécu nous sommes arrivés à Oran dimanche à 8 heures du matin de delà l'on a resté 3 jours au fort de Santa Cruz et justement le sergent du fort c'est le fils Lécuron de la rue des Bons enfants nous sommes partis mardi à 1h10 du matin pour voyager la nuit (...) enfin il y a 82 km d'Oran à Bel-Abbes et l'on le fait dans 3 étapes après nous sommes arrivés hier à 9h1/2 du matin enfin je ne coucherai que demain dans un lit (...) Pour la nourriture c'est une nourriture de soldat mais tous les matins le café au lit à 4h1/2 et tous les 3 jours un quart de vin enfin je vais tâcher de m'en tirer le plus vite possible mais ce qu'il me manque c'est de l'argent je suis arrivé sans un seul sou au régiment et il faut que je me fournisse tout d'un coup, enfin si vous pouvez m'envoyer 2 ou 3 sous cela me rendra un grand service je n'affranchis pas ma lettre je n'ai pas d'argent comme je vous l'ai déjà dit et vous ferez bien des compliments à toutes les personnes de la maison et si vous écrivez à Charles dites-lui que je suis arrivé en bon port et je lui écrirai aussitôt que j'aurai de l'argent pour affranchir vous ferez bien des compliments à Léon – Je finis ma lettre en vous embrassant tous de tout mon cœur je suis votre fils tout dévoué – Lucien Jean.

Lui aussi, le père, avait donc cette lubie de se faire appeler "Jean" et non pas Jeanjean. Mais ce qui me frappe surtout à la lecture de cette graphorrhée (la lettre est deux fois plus longue), c'est la ressemblance de cette écriture manuscrite, inclinée vers la droite et pointue, avec celle, lue et relue dans les cartes postales de l'album et ailleurs, de son fils. Par-delà et malgré la différence énorme quant au soin apporté à la graphie et à la rédaction, subsiste au moins cette ressemblance ténue entre ce père mal-aimant – après avoir été un fils prodigue – et ce fils définitivement déçu.

Simon sera confié à ses tantes à Metz où vivait aussi sa grand-mère. On ne sait pas quand, comme on ne sait rien de la grand-mère, en dehors de son portrait figurant sur l’album familial. Né en Bugey où il était censé grandir, élevé à Metz en Lorraine germanique, et privé de ses parents directs, Simon Jeanjean semblait voué aux confins fluctuants de l'Est, mais nous savons que non, son avenir n’était pas là.

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Arrêt sur images

Commençons par anticiper. La photo ci-après (1439) nous projette une bonne vingtaine d’années après les débuts. Nous sommes au mariage d’Édouard Jeanjean, demi-frère de Simon, en 1907 (« environ », est-il précisé au crayon de la main de Simon, avec une désinvolture méprisante, comme si cette date ne méritait pas qu’on s’en souvienne). Le marié, si c’est bien 1907, a dix-neuf ans. Les époux et les parents du marié – Édouard et sa femme Louise, Julie et Lucien, le père – sont au premier rang. Lucien Jeanjean était ce qu’on appelle un bel homme, et le sourire suffisant qu’on le voit arborer face à l'objectif montre qu'il le savait. Il est très grand, largement aussi grand que le marié, et se rengorge avec satisfaction. Tous deux ont la cigarette à la main, tel père tel fils. Simon est en uniforme, au deuxième rang au centre, en permission de son service militaire. Une des femmes à ses côtés doit être la fille de Julie (citée dans un courrier au chapitre précédent), à moins que celle-ci ne soit en haut à gauche avec son mari ou compagnon. Simon, placé derrière, au dernier rang au centre et en uniforme – c’est vers le début de son service militaire – semble effacé, comme rétréci, vilain petit canard bien peu semblable à ce qu’il montrera dans la plupart des portraits où on le verra ensuite (et où on le reconnaîtra au premier coup d’œil).

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Les Jeanjean – je les ai bien connus – ne sont pas des bourgeois. Et nous imaginons maintenant cette famille, du fait de ses origines compliquées, sous le signe d'une certaine précarité et d'une condition modeste. Cette idée nous vient aussi d'une opposition assez nette exprimée par Geneviève et Monique, plus tard, entre leur simplicité et ce qu'elles considéraient comme nettement plus bourgeois, pour ne pas dire carrément snob – par exemple dans la famille d'origine de leur mère. Force nous est, en attendant, de nous en tenir aux archives familiales héritées des générations antérieures. Premièrement, toute une collection de partitions et carnets de chants du père et des tantes, poursuivie ensuite par lui-même, ainsi que de livres et de revues parues avant sa naissance – ce que j’appelle l’ancienne bibliothèque. Deuxièmement, un album photographique pieusement conservé dans une boîte cartonnée (Au bon marché, magasins les plus importants à Paris) qui nous semble luxueux, comme il se faisait au Dix-neuvième siècle, avec d'épaisses pages de carton dorées sur tranches, couverture en cuir noir estampé à dorures et fermoir métallique, et que j’appelle l’album noir (5000).

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Cet album ne comporte aucune photo de Lucien Jeanjean, c’est pourquoi nous avons cité la précédente. Signés par des photographes de Metz, mais sans légendes ni dates et représentant a priori des inconnus pour nous, les portraits, au nombre de 120, semblent ceux de bourgeois (plus bourgeois que je n’aurais cru) posant pour la postérité. On pourra en identifier quelques uns par recoupement avec d'autres photos ou photos-cartes conservées par ailleurs.

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Note de bas de page 11 :

Voir par exemple à ce sujet : L’essor du portrait in Jean-Marc Ferrer et Étienne Rouziès, Une histoire de la photographie, 1839-1914, Limoges, Les Ardents Éditeurs, 2011, p. 19-25.

L'un d'entre eux, assez âgé et coiffé avec rouflaquettes (5004), auprès de son épouse avec coiffe (5005), doit être le grand-père de Simon, prénommé Simon-Pierre. Il est borgne de l’œil droit. Son portrait et celui de sa femme, la grand-mère Moujon, se retrouvent par ailleurs, copiés au crayon en grand format, dans les archives. L'auteur de ces reproductions pourrait être Simon lui-même, dont nous savons qu'il pratiqua le dessin. Mais il ne connut pas son grand-père – décédé en 1882, six ans avant sa naissance – et sans doute bien peu sa grand-mère. Les autres portraits sont plus ou moins anciens, cela se voit au costume. Il y a des militaires, des ecclésiastiques, plusieurs photos de mariages, des enfants dont l'un endormi ou plus probablement mort (c’est un sujet récurrent dans les albums de famille de l’époque11). On peut supposer que ce qui nous apparaît là comme un ensemble de signes extérieurs de richesse reflète les conditions d'existence effectives de notre Simon et de sa famille à Metz, et qu'il dut y renoncer en gagnant Paris.

« Héritage Vendeuil »

S’agissant de la fortune antérieure de la famille Jeanjean, je ne peux éviter un nouveau détour dans les archives. Je veux parler de cette modeste chemise, pleine à craquer de documents manuscrits, intitulée Héritage Vendeuil. Pieusement conservé par Simon Jeanjean, ce dossier entièrement antérieur à sa naissance pourrait mériter une analyse approfondie, mais qui ne contribuerait que par défaut à l’histoire de la famille puisque cet héritage leur passa sous le nez. On pourra donc sans dommage faire l’économie du prochain paragraphe, riche en personnages parfaitement oubliables pour la plupart d’entre eux (à l’exception du grand-père de Simon, vu en photo un peu plus haut mais qu’il ne connut jamais).

Vendeuil est un village du département de l’Aisne (02), situé à moins de 20 km au sud de St-Quentin. À Vendeuil avait vécu Marie-Pétronille Gadrée. Celle-ci avait épousé Jean-Pierre Jeanjean, cloutier vivant à Metz comme toute la lignée des Jeanjean, avec qui elle avait eu trois enfants : Simon l’ancien né en 1821 (qui sera notamment meunier, borgne, et père de Lucie, Célestine, Lucien et Pauline Jeanjean), Marie Jeanjean, qui ensuite devint épouse Leck, et un feu François Jeanjean dont les héritiers messins figureront aussi dans la boucle. On n’ira guère plus loin dans l’identification des parties et des branches de l’arbre généalogique.

On se noie dans une vingtaine de courriers (2740 à 2758), datés de janvier 1852 à mai 1898, les derniers adressés aux tantes de Simon – principalement des actes notariaux, ou plutôt copies d’actes notariaux, facturées par le copiste aux dépens des parties – plus ou moins illisibles. J’ai essayé de les lire, de faire déchiffrer à des yeux exercés les jolis pleins et déliés des copistes patentés, les pattes de mouche obliques de l’oncle Constant Leroy, de Vendeuil – veuf de Catherine Florentine Gadrée – quasiment illettré, et tenté d’identifier les parties en présence, résidant à Paris à Vendeuil ou à Metz. Je ne suis pas sûr que lui-même, Simon Pierre grand-père de Simon, connût tous ces autres autant que je les méconnais, comme il en est et comme il en sera à tout jamais des parents et relations innombrables de Simon Jeanjean dont les noms fourmillent dans ses archives. L’héritage, à en croire l’un de ces actes notariés (2746) aurait pu consister en deux maisons, l’une avec dépendances sise à Vendeuil, ensemble le terrain de 13 ares 79 centiares, l’autre sise au même endroit adjacente à la précédente, ensemble le terrain en dépendant d’une contenance de 6 ares 86 centiares. L’affaire semble avoir été âpre. Aux élégants pleins et déliés des copistes, on peut opposer les pattes de mouches obliques de l’oncle de Vendeuil, Constant Leroy, quasiment illettré et plein de colère, que je cite et reproduis ci-après : [Constant Leroy à Simon-Pierre et Marie Jeanjean] (2742) Vendeuil le 7 mars 1852.

Mon neveu et ma nièce je réponds à votre lettre datée du 5 avril 1852 auquel vous me faites reproche que je vous traite de fripon je dois avoir appliqué ce mot de la manière dont je le dis dans la lettre que je reçue de votre frère qui n’avait reçu rien de vous que vous lui avais [avez] dit que vous n’aviez reçu que cent francs. Cela m’a mis dans […] colère (…) car je n’étais pas obligé de vous donner ce que je vous ai donné. C’est tout le regret que j’aurais je n’éprouverais pas le désagrément aujourd’hui [… passage illisible] par de mauvais mots cela m’est égal […etc.]

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La seule chose, au total, qu’on puisse affirmer avec assez de certitude, c’est que le brave Simon l’Ancien avec son œil unique s’en trouva réduit à compter les dix fois trois sous qu’allait, non pas lui rapporter, mais lui coûter cette affaire en frais d’affranchissement, de certification légale ou de déplacements inutiles, lui qui n’avait rien demandé à personne.

Sous les mots « Héritage Vendeuil », titre du dossier, Simon Jeanjean a ajouté entre parenthèses cette précision définitive : rien touché. On pourrait aussi apporter, comme élément de classement social de la famille Jeanjean : Patrimoine immobilier : néant.

Photogénique, ou du moins bien reconnaissable

Pour en revenir à l’album ancien, nous ignorons pourquoi il se trouve aux mains de Simon plutôt qu'à d'autres représentants de la famille dont nous ne savons rien, ou si les tantes et lui en s’en trouvèrent les seuls dépositaires. Peut-être fut-il seul à se soucier de le conserver, ainsi qu'il le fera plus tard avec l'album rouge consacré aux cartes postales. Au demeurant, le personnage le plus reconnaissable de ce premier album noir est Simon Jeanjean lui-même. Il y figure au moins à deux reprises, et sans doute trois. Sur ce point nous n'avons aucun doute, bien que les deux premières photos soient très différentes. L'une montre une sorte de petit diable drôlement fagoté et original, l'autre un communiant modèle. Nous y voyons déjà apparaître deux facettes opposées mais également significatives du personnage : attaché aux rituels et aux distinctions, bien que doté d'une forte personnalité, intransigeante et souvent originale, rebelle comme sa tignasse. Dès son plus jeune âge, et tout au long de sa vie, on le distingue à sa chevelure bouclée ou crépue, fréquemment hirsute et toujours abondante. Ainsi, sur cette photo prise à Metz, chez les sœurs, dans les années 1890 (1414).

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Il doit tenir cette crinière de sa mère, me dis-je, ce qui le distinguerait des autres Jeanjean. On le reconnaît au premier coup d’œil, à tous les âges dans l’album noir. Simon n'est pas une beauté, mais son physique intéressant, son corps bientôt massif lui confèrent une forte présence. Plusieurs fois ses amis ont tiré son portrait au crayon, en grand format. Ils ont voulu croquer son visage rond, ses cheveux qui résistent à la brosse, ses yeux bigleux et fatigués dont un seul y voyait. Très vite il porta des lunettes, dissimulant mal un fort strabisme divergent. Toutes sortes de lunettes en fonction des époques et des modes. Des binocles pour commencer : en employé tiré à quatre épingles, avec gilet cravate et col cassé (1402) ; sur sa photo de mariage (1403), en militaire sur le dessin de son copain Losdat (1400). Lunettes d’écaille ensuite (5516), et toujours le cheveu en bataille. Toujours la moustache aussi, à crocs coquets avant la guerre, plus simple après mais il l'a toujours gardée, quand bien d'autres l'ont rasée. Sur le dessin signé Losdat qui le représente en militaire, il a en plus une cigarette à la bouche. Il a toujours fumé des cigarettes.

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J'imagine ce dessin amical exécuté sur le motif, et non d'après une photo. Simon Jeanjean y porte la même tenue militaire que sur la photo-carte avec sa femme Blanche et Denise (1001). C’était pendant la guerre, sans doute en 1917. Le binocle à chaîne témoigne d'une certaine recherche d'élégance bien éloignée du quotidien d'un soldat en campagne, et la cigarette figure comme un attribut permanent. Le nom de l'auteur, Losdat, apparaît dans une carte postale reçue le 20 mai 1919 (618), avec son adresse dans l'armée d'Orient. C'était un bon camarade. Il restera pour nous l'auteur de ce beau portrait pointilliste signé Losdat... qui est l'anagramme de soldat.

Note de bas de page 12 :

Dossier consulté aux Archives Départementales de la Seine.

Sur les photos il paraît grand, massif et imposant. Je le trouvais très grand lorsque je l’ai connu, quand les Jeanjean m’accueillaient chez eux, rue de la Chine. J'étais un petit garçon. Or ma taille d'adulte est exactement la même que la sienne. Je l'apprends en lisant son signalement sur son dossier militaire12 : sourcils châtains, menton rond, visage ovale, taille 1 m 73. Un mètre soixante-treize, nous devons comparer cette mesure à celle des contemporains. En 1900 la taille moyenne des hommes (français) était évaluée à 1 m 66 ; elle est aujourd'hui de 1 m 77. Autrement dit, je le confirme, Simon Jeanjean était grand. Et moi je suis plutôt petit, même si nos papiers d'identité déclarent la même taille.

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Pour citer ce document

Péchenart, J. (-1). Chapitre I – Les origines. Dans Les petits cailloux de Simon Jeanjean : Souvenirs et archives. Université de Limoges. https://doi.org/10.25965/ebooks.159

Péchenart, Jean. « Chapitre I – Les origines ». Les petits cailloux de Simon Jeanjean : Souvenirs et archives. Limoges : Université de Limoges, -1. Web. https://doi.org/10.25965/ebooks.159

Péchenart Jean, « Chapitre I – Les origines » dans Les petits cailloux de Simon Jeanjean : Souvenirs et archives, Limoges, Université de Limoges, -1, p. 9-26

Auteur

Jean Péchenart
Conservateur de bibliothèque, désormais à la retraite, titulaire d’une licence de Lettres classiques, d’une licence de Sciences de Éducation, et d’un DEA de Sciences de l’Information et de la Communication, Jean Péchenart a été successivement enseignant de lettres classiques en Moselle, Sarthe, Loiret et dans le Puy-de-Dôme ; puis comédien ; bibliothécaire-adjoint et formateur ; enfin conservateur au Service Commun de la Documentation de l’Université de Limoges (de 1993 à 2011), section Santé puis Lettres, et coordinateur pédagogique de la Licence professionnelle Métiers des Bibliothèques et de la Documentation. Plus récemment impliqué au Centre Régional du Livre en Limousin, enfin à l’Association des Amis de Robert Margerit. Auteur par ailleurs de quelques textes et articles, et de deux livres Tête-Bêche et Bon Voyage les Fechner, publiés aux éditions Solilang, collection Salves d’Espoir.
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