Partie III. L’architecte dans l’espace de la maitrise d’œuvre
Introduction
Texte
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Je parle ici « d’espace de la maîtrise d’œuvre » afin de rompre avec la notion indigène de « maîtrise d’œuvre » qui, d’abord renvoie à une définition juridique, mais surtout essentialise une mission (la maîtrise de l’œuvre) sans rendre compte des positions et des relations de concurrence qu’entretiennent les professions qui concourent à la réalisation de cette mission. Le terme « espace » de la maîtrise d’œuvre est donc ici utile pour souligner que la maîtrise d’œuvre est avant tout un espace déterminé par des rapports entre des positions sociales.
Après avoir vu d’abord comment des tensions internes contribuent à travailler la profession d’architecte et ensuite comment celle-ci est soumise à un élargissement de son champ d’action et à des « accommodements » dans les situations de travail, il s’agit maintenant d’aborder cette profession comme étant prise dans un espace plus large qui est celui des professions de la maîtrise d’œuvre1. Espace, dans lequel se joue une division du travail entre métiers intervenants dans l’acte de construire et où les architectes doivent aussi faire un « travail professionnel » pour se maintenir, si ce n’est étendre leur place.
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Cf. Elisabeth Courdurier, Guy Tapie (dir.), Les professions de la maîtrise d’œuvre, La documentation Française, 2003, p. 11.
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Loi sur la Maîtrise d’Ouvrage Publique n°85-704 du 12 juillet 1985. Comme le notent Jean-Paul Garcia et Philippe Grand, cette loi « donne de la maîtrise d’œuvre une définition indirecte lorsqu’elle précise dans son article 7 que ‘la mission de maîtrise d’œuvre que le maître d’ouvrage peut confier à une personne de droit privé ou à un groupement de personnes de droit privé doit permettre d’apporter une réponse architecturale, technique, et économique au programme (c’est moi qui souligne) du maître d’ouvrage », cité in De la maîtrise d’œuvre en France, Rapport pour le Ministre de l’Équipement et le secrétaire d’État au logement, 2003, p. 5.
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Cf. entres autres, La profession de paysagiste, EHESS, 1986 et « Les nouveaux professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme » in Sociologie du travail, n°2, 1985, pp. 154-164.
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Les professionnels de l’urbanisme ont néanmoins été approchés dans une perspective socio-historique, notamment par Christian Topalov (dir.), Le laboratoire du nouveau siècle, la nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1930, Ed. de l’EHESS, 1999 et plus récemment par Gilles Verpraet, Les professionnels de l’urbanisme – Socio-histoire des systèmes professionnels de l’urbanisme, Anthropos, 2005.
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Mis en place le 2 mars 1999, à la suite de la signature d’un protocole avec le secrétaire d’État au logement, cet office est habilité à attribuer la qualification d’urbaniste. La mise en place de cette structure, sorte de garant des barrières à l’entrée progressivement mises en place, repose sur une volonté de clarifier la position de cette profession face à la multiplicité de ses modes d’exercice (fonctionnaires, contractuels, libéraux, salariés privés…). Né du lobbying du CFDU (Conseil Français Des Urbanistes, notamment relayé par l’association des Maires des villes de France) cet office vise, selon ses statuts, à « organiser cette profession autour d’un système unique de qualification facilitant la plus grande mobilité possible entre ses différents modes d’exercice ». Les critères de qualification des urbanistes sont les suivants : « diplômés d’une formation de base les candidats doivent justifier d’une formation complémentaire spécifique à l’urbanisme et d’une pratique suffisante » ou, « diplômés d’une formation de base et justifier d’une pratique dans le domaine de l’urbanisme », ou encore, « ne justifier que d’une pratique mais faire état d’un dossier de références sérieuses et récentes ». Cet office de qualification est désormais opérationnel et tout urbaniste souhaitant bénéficier du titre « qualifié de l’OPQU » peut donc faire acte de candidature. Celui-ci devra fournir un état de son parcours professionnel et présenter au moins trois travaux portant sur au moins deux types de mission parmi les neuf retenues par l’OPQU comme relevant de la pratique des urbanistes. Pour les jeunes diplômés qui n’auraient pas les deux années minimales de pratique professionnelle requises, il est prévu un certificat de « capacité provisoire » et un système de tutorat. L’adhésion à l’OPQU engage les urbanistes qualifiés au respect des principes et à la déontologie d’une « charte européenne des urbanistes ». On compte à ce jour environ 400 urbanistes qualifiés par cette instance en France et le rythme d’instruction des dossiers devrait être de 3 à 400 dossiers par an pour un effectif total d’urbanistes estimé à 5000 en France. Cette initiative a fait l’objet d’un protocole avec l’État et en particulier avec le Secrétaire d’État au logement Louis Besson. On peut donc dire sans peine que la profession d’urbaniste se structure progressivement sous la forme d’une profession instituée avec l’appui de l’État et en particulier les services de l’Équipement et du Logement, ce qui marque assez fortement sa différence d’orientation avec les architectes, plus attachés au ministère de la Culture. Pour une présentation complète des activités de cet OPQU cf. le site de la Société Française des Urbanistes (SFU), www.urbanistes.com.
Le processus de production d’un ouvrage est classiquement décrit par un partage en trois grandes phases : maîtrise d’ouvrage ou commande, maîtrise d’œuvre, exécution ; chacune de ces séquences engage des intervenants différents. La maîtrise d’œuvre est généralement définie comme un espace qui rassemble les professions qui prennent en charge dans le processus de production d’un ouvrage des missions ayant un caractère intellectuel ou de service. C’est-à-dire « l’ensemble des activités destinées à étudier, concevoir, faire réaliser un ouvrage ou un système d’ouvrages et à assister l’exploitant pour sa mise en fonctionnement » selon une récente étude commanditée par les professions de la maîtrise d’œuvre réunies2. Une telle définition limite en fait la saisie de l’espace de la maîtrise d’œuvre à quatre professions : les architectes, les ingénieurs, les économistes de la construction, et les professionnels de l’Ordonnancement Pilotage et Coordination (dits OPC ou pilotes de chantiers). Choisir ces quatre professions comme représentantes de la maîtrise d’œuvre est cohérent avec la définition « stricte » qu’enregistre le droit, notamment la loi MOP3. C’est donc le noyau dur des professions de la maîtrise d’œuvre que j’aborde en partant également de ces quatre professions que l’on pourrait désigner comme les « tenantes » de cet espace professionnel. Néanmoins, il faut souligner que d’autres professions exercent et « prétendent » à exercer des missions de maîtrise d’œuvre. Parmi celles-là, les urbanistes, les paysagistes, géomètres, architectes d’intérieur et les maîtres d’œuvre agréés. Si les travaux de Françoise Dubost4 permettent de bien connaître les paysagistes et leur logique de professionnalisation, on sait en revanche encore trop peu de choses sur les autres professions citées5. C’est notamment le cas des urbanistes qui pourtant sont actuellement engagé dans une entreprise de définition professionnelle de leur travail et de leur territoire avec la mise en place d’un Office Professionnel de Qualification6 (OPQU).
Comme l’indiquent les définitions citées précédemment les professions de la maîtrise d’œuvre se caractérisent par la prise en charge de missions spécifiques dans le processus de production d’un ouvrage. Autrement dit, cet espace de la maîtrise d’œuvre est aussi un espace dans lequel se définissent, ou mieux s’entre-définissent, des territoires d’action professionnelle. Aussi, les quatre professions qui cohabitent dans cet espace font-elles un « travail professionnel » destiné à préserver leur place et leur mission, si ce n’est à l’étendre, dans les processus de production du bâtiment. Ainsi, le « travail professionnel » des architectes consiste-t-il également à faire valoir et reconnaître la singularité de leur compétence par rapport aux autres professionnels, intervenants dans la production du bâti, dans cet espace de la maîtrise d’œuvre. En définitive, chaque profession cherche le lien le plus adéquat entre un certain nombre de fonctions à prendre en charge au sein des processus de production et la revendication d’une formation ou qualification.
Le plus souvent le partage de cet espace de la maîtrise d’œuvre est pensé de façon « fonctionnelle ». Les discours des professionnels le décrivent comme l’ajustement entre la réalisation d’une fonction et une forme institutionnalisée du métier ou de la profession. Selon cette optique, on considère que les capacités dont atteste le diplôme limitent et imposent l’autorité d’un métier sur un domaine d’activité dit légitime. C’est ainsi que chacune des professions de la maîtrise d’œuvre défend à la fois son métier et sa position dans le processus de production d’un ouvrage en faisant référence à la pertinence de son activité et de sa formation initiale. Elles prétendent chacune à faire reconnaître le caractère incontournable de leur intervention.
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En réalité, la définition de référentiels d’activités par métier pose non seulement des problèmes méthodologiques et d’adaptation à la spécificité des activités concernées mais constitue également un enjeu stratégique dans le partage des tâches de maîtrise d’œuvre. Construire un référentiel par métier reviendrait à construire une représentation forcément partiale et partielle de l’espace maîtrise d’œuvre. Plus précisément le recours à la réalisation d’un référentiel sur la base d’une étude confiée à une équipe de recherche ou à un bureau d’étude est une des stratégies développées par les professions pour identifier un territoire d’action et le faire valoir face à la concurrence des autres professions. Ainsi, par exemple, l’Office Professionnel de Qualification des Urbanistes qui vise à faire reconnaître la place de cette profession dans les processus d’étude et d’aménagement est-il en train de développer un « référentiel » des missions du métier d’urbaniste, entendant ainsi officialiser sa position dans l’espace de la maîtrise d’œuvre.
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Les représentations croisées et historiquement construites des professions sont notamment écartées. Cela, alors même qu’elles sont très importantes pour comprendre les relations interprofessionnelles des métiers de la maîtrise d’œuvre. Ainsi, si l’on s’en tient aux architectes, leur fonction se définit « plus par une forme d’esprit (presque un état d’esprit) que par une activité ou une série d’activités précises » explique Christian De Montlibert, qui insiste par ailleurs sur le fait qu’au cœur de l’apprentissage de la profession d’architecte se trouve la transmission de « manières d’être architecte » et donc d’un sens social attaché à l’activité, cf. L’impossible autonomie de l’architecte, PUS, 1995, pp. 48-50.
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Cf. Pierre Michel Menger (Dir.), Les professions et leurs sociologies, modèles théoriques, catégorisations, évolutions, Ed. de la MSH Paris, 2003, p. 5.
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Idem, p. 5.
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C’est en ce sens que Jean-Pierre Darré, dans un autre domaine, reproche à la notion de référentiel un effet « d’abstractisation uniformatrice ». Il montre en effet que les référentiels fonctionnent comme un modèle qui non seulement peut tendre à devenir normatif mais qui surtout ne permet pas de rendre compte de situations contrastées. Cf. Jean-Pierre Darré, « Les voies de construction d’un référentiel : le cas des conseillers techniques agricoles », in Françoise Ropé et Lucie Tanguy, Savoirs et compétences – De l’usage de ces notions dans l’école et dans l’entreprise, Paris, l’Harmattan, 1994, pp. 147-174.
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La notion de compétence vise justement à rendre compte de l’insuffisance d’une approche mécaniste de la relation entre métier et qualification. Elle est définie comme « un art à base de qualités individuelles et d’expérience » ou comme « l’ensemble des ressources professionnelles mises en œuvre dans la pratique », Cf. Dominique Monjardet, « Compétence et qualification comme principes d’analyse de l’action policière », in Sociologie du travail, n°1, 1987.
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À l’inverse de la sociologie des années soixante-dix qui usait de la notion d’aliénation pour pointer la séparation du travailleur et de son œuvre les travaux actuels s’efforcent plus souvent de montrer les problèmes que posent l’individualisation et la sur-identification des travailleurs à leurs poste. Cf. entres autres Alain Erhenberg, le culte de la performance, Calmann Levy, 1991 et François Dubet et Danielo Martucelli, Dans quelle société vivons-nous ?, Seuil, 1998.
Autrement dit, dans cet espace de la maîtrise d’œuvre, chaque profession cherche le lien le plus adéquat entre des contenus et la revendication d’une formation dont attestent la qualification et l’appropriation d’un certain nombre de fonctions au sein des processus de production. Ainsi les organismes professionnels développent-ils des « référentiels7 » qui sont des outils utilisés dans des procédures de recrutement ou dans l’élaboration de programmes de formation. Le principe de cet outil est de mettre en correspondance une liste de tâches ou de fonctions avec un métier. De la sorte, l’ajustement entre les individus formés et les postes pourvus paraît fonctionnel et efficace. Cette méthode fonctionnelle8, s’attache à mettre en correspondance des capacités objectivement identifiables et des tâches objectivement descriptibles. Elle rejoint le propos de l’analyse économique pour laquelle « l’optimum résulterait d’un équilibre des appariements entre les individus dotés de préférences diverses et la variété des emplois9 », et il faut alors « que la gamme des activités soit suffisamment différenciée pour que les individus aient les meilleures chances de trouver l’emploi auquel ils se considèrent le mieux assortis10 ». Cette posture prend pour base d’analyse ce que font les individus mais laisse dans l’ombre et les significations qui sont attachées à ce qu’ils font et les négociations comme les luttes de division du travail pour le partage de cet espace de la maîtrise d’œuvre. Pour reprendre une opposition commode on pourrait dire qu’elle décrit plus les professions à partir du « faire » que de « l’être ». Bref, cette méthode n’épuise pas la définition des postes de travail dans la mesure où il lui est souvent reproché de définir un poste par une liste de tâches sans considérer le sens que les individus confèrent à la réalisation de celles-ci11. Pour exemple de cette critique quelque peu abstraite, on peut citer le décalage qu’il y a entre l’activité de conception qui fonde l’identité de la profession d’architecte vis à vis d’un public et les tâches relationnelles et de gestion bien moins souvent mises en avant mais qui pourtant représentent une partie prépondérante de leur travail. C’est en ce sens que les instances de représentation des corps professionnels (Ordre, Office de qualification) insistent pour parler d’expérience et que la sociologie du travail use de la notion de « compétence12» pour désigner un mixte de qualités individuelles et d’expérience qui dépasse la qualification. Cet état des lieux général rejoint effectivement les principaux constats fait actuellement par les observateurs du travail : à savoir, une individualisation des carrières qui pousse à définir les postes de travail par identification à la personnalité de ceux qui les occupent13.
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Andrew Abbott, The system of professions, Chicago, University of Chicago Press, 1988, cité et commenté par Pierre Michel Menger, in Les professions et leurs sociologies – Modèles théoriques, catégorisation, évolutions, Ed. de la Maison des Sciences de l’Homme, 2003, pp. 4-7.
Aussi, la vision fonctionnelle d’un ajustement réalisé entre qualification et mission est-elle partiale. Elle représente finalement un état stabilisé des relations entre des professions à un moment donné. Pour rendre compte de la construction de cet état deux directions d’analyse complémentaires sont nécessaires : la considération des luttes de concurrence internes entre les professions de la maîtrise d’œuvre d’une part, et celle des influences sociales externes qui provoquent ou suscitent l’apparition de nouvelles tâches et activités14.
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Par le terme « d’écologie des professions » Andrew Abott veut montrer comment chaque profession en relation à d’autres entend défendre et faire valoir sa « juridiction ». Revenu néanmoins sur ses premiers travaux dans lesquels il estime avoir surestimé l’indépendance et la clôture des professions, l’auteur propose de parler « d’écologies liées » pour montrer que les manières de faire valoir une « juridiction » des professions sont liées à des contraintes externes à ces dernières (État, bureaucratie, marché, associations…). Cf. Andrew Abott, « Écologies liées : à propos du système des professions », in Pierre Michel Menger (Dir.), Les professions et leurs sociologies, modèles théoriques, catégorisations, évolutions, Ed. de la MSH Paris, 2003, pp. 29-50.
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Cf. la notion de « configuration » (Norbert Elias, La société des individus, Fayard, 1990) qui invite à dépasser une approche des professions et métiers terme à terme pour les saisir en termes de relations, dans des positions définies par le système des relations qu’elles ou ils entretiennent. C’est aussi en ce sens que je parle dans cette partie « d’interprofessionnalité ».
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La notion de champ, définie par Pierre Bourdieu, est utilisée ici pour évoquer d’une part le jeu de « pressions » et de « tensions » qui s’exerce sur ces professions et les luttes de concurrence qu’elles entretiennent pour « tenir » leur territoire face aux « nouvelles professions prétendantes ». Elle fait aujourd’hui l’objet d’un usage courant pour désigner simplement un milieu alors qu’elle suppose une véritable construction. Pour ma part, le matériau présenté ici et son traitement sont insuffisants pour vraiment construire un « champ de la maîtrise d’œuvre » ou plus généralement des « professions de l’aménagement de l’espace ». Ne disposant pas des moyens propres à réaliser une telle construction, je préfère en rester à une approche en termes de lutte et de division du travail. Pour une approche en termes de « champ de l’aménagement de l’espace » d’une part et de « champ architectural » d’autre part, on peut se référer respectivement aux travaux de Christian De Montlibert, L’impossible autonomie de l’architecte, op. cit. et Véronique Biau, « L’architecture comme champ : un point sur l’état de la recherche », in Jean-Yves Toussaint, Chris Younes (Dir.), Architecte, Ingénieur, des métiers et des professions, Actes du séminaire de l’INSA, Lyon, 22 mars 1996, Paris, Ed. de la Villette, 1997, pp. 121-129.
La question de l’identification des compétences professionnelles des métiers de la maîtrise d’œuvre à partir de l’identification d’une liste de missions (ou fonctions dans le processus de production) achoppe en fait sur la fragmentation des missions dans l’espace de la maîtrise d’œuvre comme sur leur renégociation permanente. En ce sens les relations entre les professions dans cet espace de la maîtrise d’œuvre définissent bien un système d’interaction, ou encore une « écologie15 » des professions. Dans ce système d’interdépendance16 l’émergence, le repérage, et la prise en charge de nouvelles fonctions sont des enjeux de positionnement pour les métiers de la maîtrise d’œuvre. Face à la difficulté à établir un lien fixe ou nominal entre fonctions et métiers, il est possible de proposer une définition dynamique. On peut effectivement répondre que c'est sur la base de luttes de définition des fonctions entre métiers que se partage un « champ17 » de la maîtrise d’œuvre. En ce sens, la notion de maîtrise d’œuvre est définie comme un ensemble relationnel ; un champ de lutte ou de force au sein duquel ce sont les relations entre les éléments, et leur principe dynamique, qui priment. Ce qui importe dans ces évolutions ce n’est pas le lien entre fonctions et métiers mais la manière dont celui-ci est « négocié » dans les relations entre métiers de la maîtrise d'œuvre.
Cette troisième partie aborde cette question en trois moments.
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Idem, p. 52.
D’abord (chapitre 1), pour comprendre les relations existantes entre les professions de la maîtrise d’œuvre, il convient de décrire la forme typique du processus de production d’un ouvrage et les changements qui affectent la division du travail dans ce dernier en les liant aux luttes de concurrence que se livrent ces professions. Il s’agit donc de décrire les mouvements qui affectent les processus de construction et engagent de nouvelles modalités de division du travail. Les architectes qui, par exemple, ont longtemps assuré une maîtrise d’œuvre étendue (chef d'orchestre) et se voient aujourd'hui de plus en plus circonscrits à la fonction de conception tandis que d'autres professions se constituent en mettant l'accent sur de nouvelles fonctions ; ainsi, les fonctions d'économistes ou de « programmistes » sont apparues et s'autonomisent progressivement au sein des processus de production. « Tout se passe comme si l’on assistait à un rétrécissement du champ de la fonction d’architecte et que, d’une part les tâches que l’architecte exécutait assez empiriquement, pour lesquelles des méthodes rationnelles ont été mises au point, et d’autre part, les tâches très proches des aspects financiers, sont les premières accaparées par d’autres groupes d’agents » explique, par exemple, Christian De Montlibert18.
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Selon les statistiques produites par la Mutuelle des Architectes Français (MAF) pour l’année 1998.
Ensuite (Chapitre 2), il s’agit d’expliciter comment les professions de la maîtrise d’œuvre réagissent à ces changements, au-delà de la division du travail. La description des stratégies par lesquelles réagissent à cette nouvelle division du travail les quatre professions de la maîtrise d’œuvre étudiées, montre qu’au renouvellement de la division du travail des processus de construction correspondent de nouveaux modes d’organisation de ces professions : spécialisation et logique de réseau, notamment. Ainsi, par exemple, on observe que les architectes se chargent de moins en moins seuls des missions de maîtrise d’œuvre : environ 50% des missions réalisées19, publiques et privées, sont le fait de d’architectes qui engagent une collaboration avec un autre professionnel, qu’il soit architecte, ingénieur, paysagiste, urbaniste…).
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Anselm Strauss, montre que la prise en charge de la « trajectoire » du malade « implique le calcul et l’exécution de nombreuses lignes de travail, qui à y regarder de près, sont constituées de groupes de tâches (…) et appellent une « coordination » car elles ne s’organisent pas, automatiquement d’elles-mêmes en séquences de temps appropriées. En d’autres termes, un travail supplémentaire – un travail d’articulation – doit être fait pour que les efforts collectifs de l’équipe soient finalement plus que l’assemblage chaotique de fragments épars de travail accompli ». Cf. Anselm Strauss avec Shizuko Fagerhaugh, Barbar Suczek, Carlyn Wiener, « Le travail d’articulation », in La trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionnisme, textes réunis par Isabelle Bazsanger, Paris, L’Harmattan, 1992, pp. 191-244. Pour le monde de la construction la « trajectoire » s’apparente finalement au « processus de production d’un ouvrage ». C’est en effet sur la base de celui-ci que se forme un « arc de travail » pour reprendre le terme d’Anselm Strauss.
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Cf. Sociologie de l’architecture, La découverte, « Repères », 2001, p. 103.
Enfin, le dernier chapitre est consacré à la question de la direction des processus. L'évolution du processus de maîtrise d’œuvre et la demande des maîtrises d'ouvrage convergent en effet vers la mise en place de processus dits partagés ou « négociés » entre professions de la maîtrise d’œuvre. Cette évolution rend pressante le besoin de compétences de « coordination » et « d’articulation » (« managériales » dans le langage indigène des professionnels) pour faire marcher ensemble les différentes actions et en maîtriser le bon déroulement. L’enjeu de lutte entre les professions qui participent à la production d’un bâtiment se porte donc sur ce qu’Anselm Strauss nomme le « travail d’articulation20 ». Comme le note Florent Champy « les maîtres d’ouvrage sont ainsi devenus les véritables responsables de la coordination du projet (…) cependant tous ne sont pas capable de mener à bien cette tâche dans de bonnes conditions, et nombreux sont ceux qui cherchent de nouveaux prestataires de service pour les y aider21 ». En ce sens, l'enjeu principal des professions de la maîtrise d’œuvre semble être de remonter vers l'amont du processus pour y prendre ces positions, notamment vers l’assistance à la maîtrise d’ouvrage (AMO). Pour autant, on constate une indécision forte, eu égard aux compétences propres à assurer ce type de mission. Chacune des professions met en avant un caractère essentiel de son activité pour investir celle-ci sans qu'aucune ne parvienne vraiment à en stabiliser les contours. Les architectes revendiquent une « culture de projet » selon eux « par nature transversale », les ingénieurs, leur formation à la fois technique et généraliste de haut niveau, les économistes, le caractère premier de la maîtrise des coûts, les OPC le caractère nécessairement relationnel de leur travail. Enfin, d'autres, issus du monde de la consultance ou de « l'ingénierie sociale » mettent en avant l'aspect essentiel de la gestion des processus et de l'association des populations à ceux-là. En définitive, la question du « management » et de la coordination des processus correspond à un enjeu de redistribution des places qui, à travers les débats qu’elle engage, contribue à faire évoluer chacune des professions vers une spécification plus fine et stratégique de sa professionnalité. Tout se passe comme si finalement et le renouvellement de la division du travail et l’entrée de nouvelles professions prétendantes se jouaient toujours sur l’investissement de missions de « médiation » ou « d’interface ».
Au niveau de la maîtrise d’ouvrage et de son assistance se joue donc un enjeu fondamental pour les architectes : celui de la concurrence d’autres profils professionnels pour la direction du processus de construction.