La conception d’interfaces numériques est une activité propice à la collaboration multidisciplinaire et, selon Dave Wood, le design graphique est la discipline tout indiquée pour y assumer un rôle de leadership. C’est donc à partir de concepts chers aux designers graphiques (iconographie, sémiotique, architecture d’information, etc.) que Wood nous brosse le portrait du design d’interface dans Interface design : an introduction to visual communication.
Publié chez Bloomsbury Publishing en 2014, l’ouvrage de Wood s’inscrit sous la rubrique Academic Interactive Design. Créée en 2005, cette dernière compte aujourd’hui une quinzaine de titres spécialisés en design numérique. En comparaison, l’incontournable éditeur américain Morgan Kaufman publie dans le domaine depuis trois décennies et possède plus de cinq-cents titres d’auteurs reconnus sous la catégorie Computer Science. Bien que Bloomsbury ne puisse s’enorgueillir du titre de pionnier ou de leader de l’interface numérique, sa capacité à œuvrer dans plusieurs disciplines lui permet de se positionner comme un généraliste accompli dont l’éventail de choix littéraire s’adresse à un public varié. L’ouvrage de Woods s’inscrit donc parfaitement dans le style rédactionnel de l’éditeur où le contenu amplement vulgarisé facilite l’initiation au domaine.
Interface design : an introduction to visual communication cherche donc à satisfaire un auditoire néophyte désireux de comprendre les fondements visuels permettant d’expliquer le pourquoi et le comment de l’interface graphique. Pour atteindre cet objectif, l’auteur prend le pari de l’exploitation maximale des stratégies de vulgarisation. La tactique est risquée. D’une part, pour le non-initié, l’étendue des concepts présentés, combinée à une concision parfois extrême, entraîne rapidement une impression d’incohérence entre les contenus et de manque de profondeur dans les propos. D’autre part, en ce qui concerne l’initié – l’étudiant universitaire en design par exemple –, les sujets abordés sont traités trop en surface pour donner un véritable sens pédagogique à l’ensemble. La qualité exemplaire du design graphique et de la structure des textes participent sans contredit à générer une première impression positive de l’ouvrage et de ses contenus. Cependant, au détriment d’explications, de points de vue et de nombreuses subtilités intéressantes à connaître, Wood crée une boîte à outils qui malheureusement réduit bon nombre de concepts, d’approches et de techniques à une expression un peu simpliste.
Plutôt que de poser un regard neuf sur le domaine, l’auteur cherche à mettre en avant différents concepts déterminants retrouvés dans le monde de l’interface graphique. La recension de ces différents concepts s’offre au lecteur sous forme de fiche d’une à deux pages où le contenu explicatif est présenté de façon concise, mais dénuée des notions essentielles à la maîtrise du sujet. Bien que le contenu de l’ensemble soit fidèle aux idées générales entourant ces concepts, Wood ne fait que très rarement allusion aux sources desquelles il s’inspire. L’ouvrage ne contient d’ailleurs aucune bibliographie en bonne et due forme. En plus de miner la crédibilité du contenu, cela laisse insatisfait le lecteur qui aimerait approfondir ses connaissances avec des références d’origine. De plus, bien que l’auteur nous présente quelques entretiens réalisés avec des praticiens du domaine, seul le nom de Steve Krug (Don't make me think : A common sense approach to web usability) est réellement reconnu comme contributeur du savoir en design d’interface. Ce choix rédactionnel engendre, une fois de plus, un inconfort chez le lecteur à la recherche de sources crédibles.
En revanche, Wood réussira probablement à captiver le lecteur novice grâce aux différentes études de cas qu’il présente à la fin de chaque chapitre. En lien direct avec les entretiens et le contenu textuel, ces exemples tendent à démontrer comment la théorie est appliquée à la conception d’un produit numérique. Les liens qui s’établissent ainsi entre les différents types de contenus permettent au lecteur de progresser dans sa réflexion tout en lui assurant un ancrage dans la pratique du design d’interface. À la fin de chaque chapitre, des exercices détaillés permettent au lecteur de mettre en pratique les notions reçues. À première vue, cette proposition semble intéressante, mais un regard plus approfondi nous amène à nous questionner sur sa pertinence réelle. Quels sont les objectifs de ces exercices ? Quels résultats sont escomptés ? À qui s’adressent-ils réellement ? En ce sens, le non-initié en design d’interface, celui qui ne possède que les connaissances simplifiées de cet ouvrage, sera incapable de compléter, par lui-même, les différents exercices proposés. De son côté, l’initié ayant quelques bases théoriques et pratiques dans le domaine y trouvera-t-il suffisamment d’intérêt considérant qu’aucun résultat ni aucune réponse ne lui sont présentés ? Nous en doutons.
Au terme de notre lecture, nous pensons que ce livre, qui présente une introduction au domaine du design d’interface, risque de créer chez le novice plus de confusion qu’une réelle compréhension de l’interface utilisateur et du métier de designer d’interface. Pour les personnes ayant une base de connaissance du domaine, cet ouvrage n’est certainement pas un incontournable et celles-ci devraient davantage se tourner vers des éditeurs comme Morgan Kaufman ou O’Reilly Media pour parfaire leurs savoirs. Néanmoins, ce livre devrait trouver une place dans la bibliothèque du designer d’interface aguerri, curieux, et à l’affût des nouvelles publications dans son domaine d’expertise.